Comptes rendus

Hardy, René, Charivari et justice populaire au Québec, Québec, Septentrion, 2015, 282 pages[Notice]

  • Catherine Ferland

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  • Catherine Ferland
    Historienne indépendante

Le terme « charivari » a assez peu de résonnance dans la culture populaire actuelle. S’il évoque le désordre, le chaos, l’embrouillamini, le tapage (certains se rappelleront même du jeu télévisé québécois du même nom, diffusé de 1987 à 1991 sur le réseau TVA), bien peu subsiste de son sens punitif originel. Or, le charivari a revêtu une fonction normative « informelle » au Québec pendant plusieurs siècles. Qu’est-ce exactement qu’un charivari, au sens où l’entendaient nos ancêtres ? Il faut se figurer un groupe d’individus réunis afin d’exprimer leur désaccord ou mécontentement au moyen de cris, de chants moqueurs et de bruits produits par des clochettes, des sifflets, des casseroles et d’autres objets frappés énergiquement. En tentant de faire justice, en « réparant » un tort, réel ou supposé, qui a été fait à la communauté, ce désordre constitue une forme d’expression populaire exercée en marge des voies judiciaires habituelles. Et surtout, à défaut de remédier véritablement à une situation, le charivari offre une plateforme d’expression à la populace offensée. Souvent lancée par un noyau de meneurs, cette manifestation populaire peut attirer spontanément d’autres participants et finir par rassembler quelques dizaines de chahuteurs. Le charivari est généralement dirigé contre une personne précise. Il arrive que l’on fasse parader un pantin, une effigie de paille ou même un cercueil pour « donner corps » à l’objet de l’opprobre mais, en certains cas plus graves, on s’en prend physiquement au principal concerné. Le charivari peut se tenir pendant plusieurs journées consécutives, jusqu’à ce que le charivarisé, de guerre lasse, achète la paix en « dédommageant » les trublions... ou demande l’intervention des forces de l’ordre pour retrouver la paix ! En raison de son caractère populaire, le charivari a parfois échappé au regard judiciaire, mais les mentions dans les archives judiciaires, les journaux, les chroniques et même l’enquête orale permettent d’en tracer un portrait nuancé et étonnamment complet. Dans Charivari et justice populaire au Québec, René Hardy s’attache à retracer « le long parcours de cette forme de justice populaire » qui trouve ses origines dans une pratique ancienne. Les deux premiers chapitres sont donc consacrés aux prémices européennes du charivari, puis à sa migration en Amérique, avec bien sûr une attention particulière à ses balbutiements en sol canadien. On apprend ainsi que le tout premier charivari a eu lieu à Québec en 1683 pour cause de remariage après un veuvage d’à peine trois semaines… Les troisième et quatrième chapitres s’attachent à décrire les déclinaisons charivariques qui fleurissent dans les archives au fil des siècles : couplets déshonorants, vacarmes, tonte de la crinière des chevaux (voire des propres cheveux) du charivarisé, destruction de biens, émeutes et même meurtres, décortiquant le fascinant rituel sous-jacent à ces multiples manifestations. Fait intéressant, la démolition de maisons ou de bâtiments de ferme n’est pas une sanction punitive systématiquement réalisée dans le cadre d’un charivari, mais elle n’est pas non plus exceptionnelle : l’auteur en dénombre une trentaine entre 1815 et 1900. Quelle que soit la forme qu’il prend, peu de régions du Québec sont épargnées par le charivari. En fait, sauf en de rares exceptions, cette pratique suit tout simplement la progression de la colonisation. Mais au fait, à qui s’adresse tout ce chahut ? Aux chapitres cinq et six, l’auteur plonge au coeur des principales fonctions et cibles du charivari. L’un des cas de figure les plus fréquents est celui mené pour cause de remariage mal assorti. On entend ici une veuve épousant un homme plus jeune ou bien un vieil homme convolant avec une jouvencelle. Hardy relève de nombreux cas de cette …