Comptes rendus

Pearson, Timothy G., Becoming Holy in Early Canada, Montreal et Kingston, McGill-Queen’s University Press, 2014, 295 pages[Notice]

  • Leslie Choquette

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  • Leslie Choquette
    Institut français, Assumption College

Cette excellente étude examine le processus menant à la sainteté en Nouvelle-France. L’auteur ne parle pas seulement des treize saints officiels ayant vécu dans la colonie et dont la canonisation date dans chaque cas du XXe ou du XXIe siècle. Suivant une approche ethnologique, il vise plutôt à comprendre comment la sainteté catholique se manifeste dans la vallée du Saint-Laurent aux XVIIe et XVIIIe siècles. À partir d’une liste de 38 personnes ayant inspiré un discours hagiographique à l’époque de la Nouvelle-France, il remonte les divers chemins de la sainteté qui s’offrent aux colons et aux Autochtones, nous aidant ainsi à mieux comprendre la culture religieuse locale. Comme la Nouvelle-Angleterre, la Nouvelle-France au XVIIe siècle est pour ses nombreux partisans dévots surtout une expérience religieuse. L’évangélisme est donc la première voie de la sainteté dans la colonie, que l’on soit missionnaire auprès des Autochtones ou converti indigène au catholicisme. La liste de l’auteur (p. 199-200) contient douze missionnaires ayant travaillé chez les Amérindiens (onze jésuites et un récollet) et pas moins de onze Amérindiens chrétiens. Pour les premiers, c’est le martyre qui mène le plus souvent à la sainteté, tandis que la piété domine chez les seconds, sans que le martyre soit exclu. Les spécialistes de l’histoire amérindienne ont déconstruit le mythe des saints martyrs canadiens en montrant que les morts des missionnaires s’inscrivaient dans un contexte politique ordinaire. Un martyr dans le sens canonique du terme est quelqu’un qui meurt d’odium fidei en refusant d’abjurer sa foi. En revanche, les missionnaires tués par les Amérindiens moururent en ennemis de guerre selon des rites codifiés de captivité. La question de l’auteur est alors celle-ci : Comment se fait-il qu’un acte de guerre banal se réinscrive comme performance du drame chrétien du martyre ? Il y répond en étudiant la mise en discours des morts de quatre jésuites – René Goupil, Isaac Jogues, Jean de Brébeuf et Gabriel Lalemant. Pour comprendre la performance de la sainteté chrétienne chez les Autochtones, l’auteur choisit un seul cas d’étude, celui de l’Algonquin Joseph Onaharé, mort lui aussi aux mains des Iroquois en 1650. Onaharé s’éteignit sous la torture en guerrier puissant, mais en se réclamant de mourir pour la foi selon des témoins hurons et jésuites. L’auteur voit dans ce martyre une réconciliation syncrétique entre la sainteté chrétienne et la spiritualité indigène. Dans les mots des jésuites, les Autochtones gardaient « leurs anciennes couftumes, qu’ils fanctifierent d’vn zele vrayment Chreftien » (p. 70). À côté de l’évangélisme, un nouveau modèle de la sainteté apparaît vers le milieu du XVIIe siècle, avec le développement de la colonie. Celui-ci est axé sur le service aux colons à travers la charité et l’ascétisme. L’enseignement, les services hospitaliers et les dévotions pénitentielles au nom de la Nouvelle-France créent une voie de la sainteté ouverte aux femmes, voire dominée par elles. Si quinze femmes côtoient vingt-trois hommes sur la liste de l’auteur, elles seront dix sur seize entre 1650 et 1715 (p. 90). Cette féminisation de la sainteté est marquante, mais l’auteur relativise son importance en insistant sur le caractère conservateur et traditionnel de la sainteté féminine (p. 138), axée sur la soumission, l’humilité, la passivité et l’obéissance (p. 100-101). À mon avis, il sous-estime la nouveauté de ces performances féminines de la sainteté en Nouvelle-France. Il est vrai que les religieuses et les dévotes cherchent l’appui des autorités ecclésiastiques ; ce ne sont pas des rebelles après tout mais des membres à part entière de l’Église post-tridentine. Pourtant elles réussissent souvent à convaincre les autorités d’accepter leurs conceptions novatrices de l’apostolat. …