Corps de l’article

Le 7 octobre 1825, un front froid accompagné de vents violents, passant sur des forêts clairsemées par la coupe et ravagées par une sécheresse historique, forment un cocktail explosif provoquant un incendie qui brûla près de quatre millions d’acres autour de la rivière Miramichi, tuant 160 personnes, rasant plusieurs villes et détruisant des bateaux et des ports. L’incendie de Miramichi a consumé 20 % du territoire du Nouveau-Brunswick et menacé sa principale ressource, la forêt (en comparaison, les 4,4 millions d’acres qui ont brûlé de la même manière, en 2020, en Californie, correspondaient à 4 % de la superficie de l’État). Le feu déclencha un appel à l’aide international et devint un événement marquant incontournable dans l’histoire de la colonie – jusqu’à ce qu’il disparaisse de l’histoire officielle. Ce qui est vraiment arrivé, et les raisons qui ont fait disparaître cet événement de la mémoire collective alimentent l’étude bien ficelée d’Alan MacEachern.

Dans La psychanalyse du feu, Gaston Bachelard observe que les flammes provoquent des fantasmes qui rendent impossible une analyse rationnelle. C’est ce qui semble avoir contaminé la plupart des recherches portant sur les feux historiques, celles-ci étant reléguées en marge de l’histoire universitaire tout comme les incendies le sont de la vie quotidienne. Jusqu’à tout récemment, même les biologistes, malgré les multiples preuves à l’appui, ne considéraient pas le feu comme un élément faisant partie intégrante de la vie sur Terre. Et les universitaires étudient ce qu’ils ont été entraînés à voir.

Alan MacEachern va à l’encontre de cette tradition. Avec l’émergence de l’histoire environnementale qui lui procure un contexte intellectuel, et de nouvelles sources documentaires rendues accessibles par la numérisation, il détient désormais de l’information nouvelle. Il savoure ces nouvelles occasions, puisque l’histoire de l’incendie de Miramichi « is necessarily intensely global and intensely local because all histories are » (p. xiv), et il ajoute, « Having come to a topic under-researched and newly researchable, I have thoroughly over-researched it. » (p. 12) C’est un empiriste affirmé. Le livre contient 184 pages de texte, mais 52 pages de notes et 29 pages de références bibliographiques ainsi que 6 pages en annexe où on retrouve la liste officielle des décès. Tout cet appareil savant fait presque la moitié du texte principal, mais ne vient pas encombrer l’histoire, car l’histoire racontée par MacEachern est celle sur la façon dont l’histoire a été racontée.

Les éléments centraux sont bien établis : le 7 octobre 1825, une grande partie du Nouveau-Brunswick a brûlé, le feu emportant vies humaines, villes et bateaux. « The fire’s effects were real, and it had a profound influence on the people and nature of the Miramichi region and beyond. » (p. 95) Les informations plus précises se sont toutefois révélées floues. « The very fact that the fire’s cause was unknown, that its existence was ephemeral, and that its range was unclear meant that it was open for interpretation, able to serve the arguments of whoever needed it. » (p. 95) Personne ne connaît avec certitude la source de l’incendie, combien de feux étaient actifs, quelle superficie de terre fut consumée et avec quelle gravité, et quelles furent les conséquences à long terme.

Il existe deux interprétations dominantes, chacune produite par un homme accompli représentatif de son époque. La première, A Compendious History of the Northern Part of the Province of New Brunswick… publiée en 1832 par Robert Cooney, est devenue la référence de base pour le XIXe siècle. Cooney était un témoin, il a placé le feu au centre de son récit et a écrit un compte rendu tellement mélodramatique et rempli d’allusions apocalyptiques qu’il est devenu un incontournable de tous les récits ultérieurs.

L’autre vient de William Francis Ganong, le naturaliste le plus célèbre du Nouveau-Brunswick. Sa carrière l’a mené à un poste de professeur au Collège Smith au Massachusetts et à la présidence de la Société américaine de botanique. En 1905, il donna une conférence (qu’il publia plus tard), à propos d’un modèle à deux feux qui réduisait effectivement l’échelle de la superficie brûlée tout en exagérant son impact écologique. Son analyse est devenue la base de tous les récits subséquents du XXe siècle et, paradoxalement, « supplanted all the contemporary nineteenth-century accounts of the great fires without disproving them or even really challenging them. » (p. 170) L’interprétation de MacEachern leur fera sûrement suite pour devenir l’étude de référence du XXIe siècle.

Soucieux des détails, écrivant dans une prose judicieuse toujours bien tournée et souvent ironique, MacEachern a revu les sources déjà connues, en a découvert de nouvelles et les maîtrise toutes. Il explique aussi le contexte naturel et social de l’incendie en démontrant plusieurs choses, dont sa contemporanéité avec une vague d’immigration et une crise financière britannique, le fait que le territoire touché par les feux de 1825 s’étendait au Québec et dans le Maine, et la façon dont le brasier a surgi à la suite d’une anomalie climatique – soit une phase de froid extrême suivie d’une chaleur aussi extrême. Aucun autre incendie du genre n’a eu lieu par la suite puisque aucun autre contexte comparable n’a émergé.

Il est peu probable que de nouvelles données soient découvertes qui viendraient modifier ces fondements. Les futures interprétations seront alimentées par un changement du contexte culturel. Le feu, après tout, est une réaction : il synthétise son environnement, et il en va de même pour la recherche sur les feux. Dans sa conclusion, MacEachern reconnaît une transformation dans l’utilisation du feu par l’humanité en mentionnant la quantité de combustibles fossiles nécessaire à la production de son livre, mais il hésite toutefois à proposer « that a massive wildfire in a quiet corner of the world 200 years ago offers direct parallels to, let alone direct lessons for, our present and pending experience of the climate crisis. » (p. 181)

Il est toujours possible toutefois d’échafauder une telle interprétation. Les grands feux du XIXe siècle étaient largement associés à la déforestation, et ceux du XXIe siècle, de plus en plus, aux changements climatiques. Le livre de MacEachern s’ouvre sur un merveilleux récit à propos du Baron of Renfrew, un énorme bateau fait de bois et conçu pour transporter des cargaisons de bois du Nouveau-Brunswick jusqu’en Grande-Bretagne. C’est l’emblème idéal d’une économie du bois, et la ruine du Renfrew – il s’échoue dans la Tamise avant de se briser – en a fait le Titanic (avant l’heure) du bois de l’époque. De façon similaire, l’incendie de Miramichi est l’expression parfaite d’un méga-incendie typique d’une économie forestière préindustrielle et d’un processus de colonisation dépendant des flammes. Une prochaine histoire pourrait prendre comme point de vue, plutôt que le voilier Renfrew, l’avènement simultané des bateaux à vapeur. Le premier océanique à vapeur a navigué en 1821 et la première traversée de l’Atlantique a eu lieu en 1827. Plus tard, de grands feux comme celui de Peshtigo et de Cochrane ont été déclenchés par l’interaction entre la foresterie et les locomotives ; et l’incendie de Fort McMurray (en Alberta) et de Paradise, en Californie, par une ère de sables bitumineux et de pétrole. Chaque époque a ses incendies caractéristiques. Bachelard avait peut-être mis le doigt sur quelque chose ; parfois, les événements méritent un peu de fantasme et un soupçon de prose mélodramatique.