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La participation active au marché de l’emploi n’offre plus aujourd’hui de garantie d’échapper à la pauvreté, même dans les sociétés industrialisées qui connaissent depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale des régimes de protection sociale. L’émergence dans le débat social et académique de la notion de « travailleurs pauvres » témoigne des mutations récentes, tant du marché de l’emploi, de la protection sociale, que des structures familiales et de la conjugalité. Qu’il s’agisse de certaines catégories de jeunes peu scolarisés, de femmes, de familles monoparentales, d’immigrants et de minorités visibles, ces travailleurs se retrouvent dans des formes d’emplois caractérisées par la faiblesse de la rémunération, le temps partiel imposé, les horaires variables, l’alternance chômage-emploi et les conditions de travail pénibles, bref par une ou plusieurs formes de précarité. Concialdi et al. (2005) voient dans l’emploi précaire un outil permettant d’analyser la dégradation de la condition salariale à partir des années 1980, alors que pour Dubet (2006), la pauvreté en emploi témoigne du fait que « la structure sociale, la division du travail et le fonctionnement de l’économie se présentent comme une machine à produire des inégalités ». Aujourd’hui, la majorité des personnes économiquement pauvres ne sont plus en dehors du marché de l’emploi, mais plutôt à « l’extrême périphérie » d’un modèle de société salariale en crise.

Tout comme les autres sociétés industrialisées (Amossé et Chardon, 2007 ; Immervoll, 2007), le Canada et le Québec expérimentent la situation d’une forte proportion d’individus insérés dans des emplois précaires, peu protégés contre les nouveaux risques sociaux (D’Amours, 2006). Les « nouvelles formes de pauvreté » affectent surtout les personnes peu scolarisées, les femmes monoparentales, les jeunes décrocheurs, les nouveaux immigrants et les autochtones (Heisz, 2007 ; Picot et Myles, 2005 ; Picot, Hou et Coulombe, 2007). La dualisation du marché du travail canadien résulte, au cours des dernières années, en un accroissement de plus en plus grand des inégalités entre les pauvres et les riches en ce qui a trait aux moyens matériels et aux pratiques de consommation, d’accès aux services et au bien-être (Morissette et Johnson 2005 ; Morissette et Picot, 2005).

Cet article collectif s’interroge sur les conditions pouvant aujourd’hui faciliter la sortie de la pauvreté des travailleurs à faible revenu, interrogation qui mobilise déjà un collectif de recherche du Québec, le Groupe interuniversitaire et interdisciplinaire de recherche sur l’emploi, la pauvreté et la protection sociale (GIREPS)[1]. Le GIREPS centre ses travaux sur les recompositions des liens entre emploi, pauvreté et protection sociale, à partir d’une approche interdisciplinaire visant à cerner les conditions structurelles de l’émergence du phénomène des travailleurs pauvres[2]. Pleinement conscients de la distinction à établir et des lignes à tracer entre « bas salarié » et « travailleur pauvre » (voir Guégnard et Mériot, 2007), les membres de l’équipe sont intéressés autant à la qualité et à la nature des emplois occupés qu’à la capacité des gens qui occupent ces emplois d’échapper à la pauvreté.

La première partie de l’article insiste sur les trois principales sources théoriques qui alimentent notre réflexion. Suivent les différentes définitions, conceptions et débats qui s’y rapportent de la notion de « travailleurs pauvres » répertoriées dans la littérature. La troisième partie met en débat une note de recherche d’un des membres du GIREPS, Stéphane Crespo, selon laquelle la famille constitue le principal mécanisme de sortie de la pauvreté en emploi au Canada. Alors que la quatrième partie de l’article souligne le rôle des entreprises collectives et du secteur associatif dans le débat public sur cette question, nous retiendrons, en conclusion, la problématique de la pauvreté en emploi en tant que grand analyseur et observatoire privilégié des dynamiques sociétales contemporaines.

Articuler théoriquement une compréhension opératoire du phénomène des « travailleurs pauvres »

Pour analyser ce phénomène, la démarche du GIREPS emprunte à trois sources théoriques principales. Elle s’inscrit tout d’abord dans la réflexion en cours depuis une vingtaine d’années sur l’évolution de l’État providence, et en particulier dans la perspective du welfare mix (Rose, 1985 ; 1986 ; Evers, 1990 ; Lesemann, 2002). Nous épousons l’idée que la production de bien-être d’une société repose sur une pluralité d’acteurs et de sources, schématiquement quatre : l’État, le marché, la famille et les associations. Ces quatre acteurs sont définis dans une relation systémique qui combine la spécificité, l’interdépendance, la complémentarité, mais aussi la non-substituabilité de chacun d’eux dans l’exercice de son rôle propre. La portée théorique et heuristique centrale de cette notion est d’insister sur la spécificité du rôle de chacun des « acteurs », sachant que l’un ne peut remplacer l’autre ; que les forces de l’un viennent compléter les faiblesses et les limites de l’autre. L’État ne se présente plus comme un acteur organisateur de la « société », mais plutôt comme un « incitateur », voire un « coordinateur » de la production de bien-être.

La démarche du GIREPS s’appuie, en deuxième lieu, sur une lecture critique de l’essor de la « société salariale », définie ici comme forme particulière d’emploi, associée au développement des sociétés industrielles post-Seconde Guerre mondiale, les fameuses Trente Glorieuses, et à la constitution des État- providence qui les ont accompagnées, avec leurs politiques publiques d’éducation, de santé, de retraite, etc. Cette lecture prend en compte le fait que la structuration et la codification du travail ont directement influé sur les institutions du droit du travail, de la famille, mais aussi des droits sociaux, de la conception de la citoyenneté, des solidarités et plus largement du lien social, réalités que Robert Castel (1995) a brillamment décrites et analysées pour la France, mais qui aujourd’hui semblent en voie d’épuisement, l’émergence des « travailleurs pauvres » étant une des illustrations éminentes de cet épuisement. À cela s’ajoutent les bouleversements radicaux qu’ont connus les formes familiales et de conjugalité consacrant l’homme comme principal pourvoyeur et la femme comme chargée des tâches et responsabilités domestiques. Cette lecture critique inclut tant les comportements économiques et amoureux que l’évolution du droit de la famille, comme autant d’éléments explicatifs à prendre en compte dans l’analyse et l’interprétation du phénomène des « travailleurs pauvres », puisque la famille constitue le principal rempart contre le risque de connaître la pauvreté.

Enfin, les travaux du GIREPS s’ancrent dans une méthodologie de la comparaison internationale des politiques publiques, à partir de cette prémisse que la comparaison procure un gain heuristique considérable, ainsi qu’une connaissance de possibles alternatives aux actions développées par les acteurs locaux. Ce choix d’une orientation de travail privilégiant la comparaison s’inscrit dans la tradition inaugurée par les travaux de Gøsta Esping-Andersen (1990) à partir de sa notion de dé-marchandisation, et des débats considérables que ceux-ci ont suscités (Barbier, 2002 ; Gautié, 2003 ; Jenson, 2004 ; Palier, 2005 ; Menahem, 2006 ; Merrien, 2006). Le degré de la dé-marchandisation et la forme de protection sociale génèrent une stratification sociale et des relations spécifiques entre l’État, le marché et la famille, ainsi que des rapports de genre.

Ce processus de comparaison internationale appliqué aux travailleurs pauvres s’inscrit aussi dans le cadre des analyses néo-institutionnalistes appliquées aux « variétés de capitalisme » (Hall et Soskice, 2001 ; Hall et Gingerich, 2004 ; Amable, 2005). Dans les systèmes d’« économies de marché libérales » (Lesemann et D’Amours, 2006), que l’on trouve tant aux États-Unis et au Canada qu’au Royaume-Uni, les entreprises sont directement inscrites dans une concurrence de marché, en sorte que la protection juridique et sociale du travail y est relativement faible, les prestations de l’assurance-chômage, réduites et de courte durée. En conséquence, c’est vers la famille, cette institution où, en principe, la solidarité est fondée sur des valeurs autres que strictement économiques et rationnelles, que se tourne le travailleur.

C’est à partir de cette prémisse d’une transformation des rapports entre le marché de l’emploi, l’État social et les structures familiales que nous abordons les définitions et les conceptions de la notion de « travailleur pauvre ».

Les « travailleurs pauvres » : une notion difficile à circonscrire

Classer, codifier, hiérarchiser est une fonction traditionnelle des sciences sociales, surtout lorsqu’elles se développent en relation étroite avec les politiques publiques qui leur impriment une fonction de régulation. Les classifications sont bien sûr des constructions sociales, produits de luttes et de négociations. Elles s’inscrivent dans des représentations sociales et influent à leur tour sur elles. Ici, elles seront de participation ou non au marché du travail, de chômage, d’« employabilité », de contrat de travail, bref de légitimité sociale dans une société libérale qui établit comme norme universelle l’obligation morale faite à l’individu d’assurer une autonomie de revenu par son travail pour lui-même et sa famille.

Dans ce contexte, la notion même de « travailleur pauvre » constitue une sorte d’incompatibilité conceptuelle dans le cadre libéral. En réalité, elle illustre l’impact des mutations sociétales qui sont à l’origine de son apparition et qui brouillent les frontières entre ce qui était jusqu’ici « évident » : le travail et le non-travail, la suffisance du revenu acquis par le travail pour ne pas être pauvre, et la pauvreté consécutive au fait de ne pas travailler. Elle crée en somme un « entre-deux-mondes » et bouleverse du même coup les classifications administratives et les catégories d’analyse.

Concrètement, parler de « travailleur pauvre » exige tout d’abord de clarifier deux termes qui paraissent à première vue contradictoires dans une société d’individus : l’emploi et la pauvreté. Alors que l’emploi renvoie à l’activité professionnelle rémunérée et devrait être le mécanisme par lequel l’individu conquiert son autonomie personnelle, la pauvreté est au contraire mesurée à l’insuffisance des ressources d’un ménage pris dans son ensemble. Or, la pauvreté en emploi ne dépend pas uniquement des caractéristiques individuelles du travailleur et de la nature de son emploi, mais aussi du niveau de vie du ménage auquel il appartient (Damon, 2007). La correspondance entre « travailleur à bas salaire » et « travailleur pauvre » n’est pas non plus automatique (Concialdi, 2001 ; Ponthieux et Concialdi, 2000) ; elle dépend en principe des structures familiales, de la présence ou non d’autres pourvoyeurs de revenu complémentaire dans le ménage, du régime de protection sociale et de la nature des mécanismes de transferts sociaux en place dans un pays donné.

L’articulation entre ces deux unités d’analyse abstraites – l’individu et le ménage – indique tout d’abord qu’il y a généralement beaucoup plus de personnes touchées par la pauvreté en emploi que le seul nombre de travailleurs pauvres se trouvant effectivement en emploi, et calculé au moyen de simulations statistiques réalisées à partir des grandes bases de données nationales et internationales. Par contre, il apparaît impossible de déterminer avec exactitude le nombre de personnes rejoignant la pauvreté à cause des seules mutations du marché du travail, puisque la pauvreté est calculée au niveau du ménage et non au niveau du positionnement de l’individu dans la hiérarchie globale des salaires et du revenu. C’est à cet égard que les propositions de Margaret Maruani (2003 : 696) de centrer les travaux sur les bas salaires sur le plan individuel ont été jugées intéressantes, mais incapables de rendre compte du caractère multidimensionnel de la pauvreté en emploi par Ponthieux et Raynaud (2007-2008) qui utilisent de préférence la notion de « pauvreté économique individuelle »[3].

La littérature nationale et internationale présente un large éventail de définitions, de facteurs explicatifs et d’autres indicateurs concernant, entre autres, la disponibilité des postes, la durée en emploi, le niveau du salaire minimum, le niveau du seuil de pauvreté, les formes de ménage et les charges familiales du principal pourvoyeur de ressources. Vu leur grande variabilité et leur caractère complexe, ces indicateurs n’ont pas encore abouti à la construction d’une catégorie d’analyse fiable et circonscrite. D’une part, les marqueurs entre chômage, emploi précaire et pauvreté n’ont rien de fixe (Béroud et al., 2007-2008) et tous les travailleurs connaissant les mêmes conditions d’emploi et le même niveau de rémunération ne sont pas nécessairement pauvres (Ponthieux, 2004). D’autre part, les travailleurs pauvres constituent un groupe hétérogène aux contours mal définis. Au Canada, le groupe inclut les personnes peu scolarisées, les femmes monoparentales, les jeunes décrocheurs, mais aussi les professionnels récemment arrivés sur le marché du travail, les nouveaux immigrants et les Autochtones (Heisz, 2007 ; Fleury, 2007 ; Picot et Myles, 2005 ; Picot, Hou et Coulombe, 2007).

Ces groupes ne correspondent plus aux descriptions des catégories antérieures de « déficients » à prendre en charge, à réformer et à encadrer pour qu’ils puissent mieux « fonctionner » dans le système de production. Mais, en même temps, ils sont loin d’être intégrés « dans des anciennes logiques catégorielles assises sur des institutions solides, comme les syndicats ou les groupes professionnels, ou encore sur des entreprises qui entretenaient un lien d’emploi soutenu avec leurs employés » (Mercure, 2008 : 31). Ce débordement à la fois quantitatif et qualitatif met à mal les mécanismes de protection sociale dans leur capacité de couvrir les populations contre les nouveaux risques relatifs aux mutations du marché du travail. Il fait clairement apparaître qu’on ne peut plus continuer d’analyser les liens entre pauvreté, emploi et protection sociale de la même manière, alors que s’affaiblissent les structures salariales et les mécanismes de protection contre les risques offerts dans le cadre de la société salariale.

Dans ces conditions, il apparaît essentiel d’enrichir la compréhension de la problématique de la pauvreté en emploi et du « travailleur pauvre » de considérations économiques, sociales, politiques et culturelles. Pour paraphraser Michel Lallement (2007 : 15), « le travail (ici le phénomène des “travailleurs pauvres”) ne préexiste pas aux rapports sociaux. Il est rapport social ». Il faut dès lors se demander « quel est ce procès qui ne cesse de transformer l’homme en travailleur (ici, en “travailleur pauvre”) » (Lallement, 2007 : 21). Le rejet d’une définition substantialiste de la pauvreté est déjà au coeur des travaux de Georg Simmel qui définit les pauvres comme une « catégorie sociale » à cerner non en fonction « de manques et de privations spécifiques », mais plutôt des « normes sociales » à la lumière desquelles ils reçoivent cette assistance (Simmel, 1998 : 96). Serge Paugam (1994 : 152) conclut, pour sa part que « ce qui est sociologiquement pertinent, ce n’est pas la pauvreté en tant que telle, mais les formes institutionnelles que prend ce phénomène dans une société ou un environnement donné ».

La question de la pauvreté en emploi et du « travailleur pauvre » ne saurait se limiter ni à ce qui se passe dans l’entreprise, ni à ce qui se passe au sein de la famille. Elle doit être posée comme un problème d’ordre public et analysée au croisement, à la fois de la position occupée par un individu dans le système de production économique, du traitement qui lui est réservé dans l’économie de la redistribution et de la solidarité symbolisée par l’État, par la famille et la communauté, et finalement des schèmes de normes et de représentations qui encadrent ses rapports avec autrui et aux institutions dans une société donnée.

Parmi les acteurs, le rôle exceptionnel de la « famille » : une approche statistique mise en débat

L’un des membres du Groupe de recherche a soumis à la réflexion collective une note de recherche (Crespo, 2008) basée sur des données tirées des fichiers de microdonnées à grande diffusion de l’Enquête sur la dynamique du travail et du revenu (EDTR) de Statistique Canada[4]. La note considère, à partir de l’échantillon général, un échantillon de 26  288 personnes âgées de 16 à 69 ans ayant retiré durant l’année 2005 un revenu de travail positif et ayant été « pleinement actives » sur le marché du travail pendant toute l’année[5]. Elle part de l’hypothèse que les travailleurs, définis comme pauvres strictement en vertu de leurs revenus de travail, auront des probabilités variables de sortir de la pauvreté prise dans un sens plus large, c’est-à-dire en considérant tous les revenus personnels et, le cas échéant, familiaux. Ces probabilités varient selon des caractéristiques sociodémographiques et socioprofessionnelles qui influent sur les revenus dont ils peuvent, au-delà du revenu personnel de travail, tirer profit de la part du marché, de l’État et de la famille. Le nombre de personnes d’une famille qui retirent un revenu affecte nécessairement le niveau du revenu de ménage auquel appartient le travailleur.

Stéphane Crespo examine la question des travailleurs pauvres à la lumière de ce qu’il appelle des « types de revenus cumulatifs »[6] permettant d’analyser les influences du marché, de l’État et de la famille dans le processus de sortie de la pauvreté des travailleurs. Les résultats montrent que, pour l’ensemble des personnes de 16 à 69 ans ayant retiré un revenu personnel de travail en 2005 au Canada, et ayant été « pleinement actives » sur le marché du travail pendant toute l’année, la probabilité de sortie de pauvreté est relativement considérable au fil du cumul des types de revenu. Toutefois, parmi les trois institutions considérées, c’est de loin la famille qui implique en général la probabilité de sortie la plus élevée de la pauvreté, suivie en deuxième lieu de l’État, et en troisième lieu du marché. C’est pour dire que le revenu familial, et donc la famille, est en dernière analyse du plus grand secours pour pallier l’insuffisance du revenu personnel de travail des travailleurs pauvres. Par ailleurs, les probabilités d’être « travailleur pauvre » des hommes et des femmes tendent à s’égaliser par le revenu familial disponible, alors qu’elles sont, par le revenu personnel d’emploi, au désavantage des femmes, qui se trouvent surreprésentées dans les emplois précaires et à temps partiel. L’institution familiale exerce un rôle plus important pour les femmes dans la sortie de pauvreté que pour les hommes. Toutefois, pour qu’une personne puisse ne plus s’avérer pauvre par le revenu familial disponible alors qu’elle l’est par le revenu personnel disponible, il faut qu’elle ne soit pas seule.

Parmi les trois groupes d’âge délimités dans le cadre de la note de recherche, ce sont les jeunes travailleurs (16 à 24 ans) qui présentent la plus forte probabilité d’être travailleur pauvre, suivi de loin des travailleurs âgés de 60 à 69 ans, et enfin des travailleurs d’âge intermédiaire (25 à 59 ans). Le rôle du marché est plus important chez les travailleurs âgés, puisque c’est pour eux que la probabilité de sortie de la pauvreté par le revenu de marché est la plus élevée. Le rôle de l’État est aussi important chez les travailleurs âgés, puisque c’est pour eux que la probabilité de sortie de pauvreté par le revenu personnel disponible – c’est-à-dire tenant compte de l’impôt et des transferts – est la plus élevée ; ce qui s’explique par la majoration du revenu des prestations dans leur cas, grâce aux pensions publiques du Régime de pension du Canada, du Régime des rentes du Québec et de la Sécurité vieillesse. Mais, c’est chez les jeunes que la probabilité de sortie de pauvreté par le revenu familial disponible est la plus élevée, et donc que la famille semble être du plus grand secours. Ce qui laisse supposer l’étendue des transactions intergénérationnelles au sein de la famille.

Une analyse à la fois économique et politique, et ses critiques

Bien sûr, l’analyse de Stéphane Crespo apparaît à première vue comme une analyse économique, et plus spécifiquement monétaire, de la pauvreté en emploi, saisie à partir d’un indicateur de revenu. Mais cette analyse est également immédiatement politique à partir du moment où elle s’intéresse à la redistribution du revenu, puisque la redistribution implique une intervention de l’État et de ses politiques sociales et fiscales. L’auteur aborde la famille comme une forme sociopolitique de distribution, et non seulement en termes d’unité de consommation. Il fait du « travailleur pauvre » un concept polysémique permettant d’étudier les dynamiques de la protection sociale des personnes telles que régies par les trois institutions de base de la production de bien-être – le marché, l’État et la famille – et de cerner les effets des transactions qui s’y déroulent relatifs aux possibilités d’un travailleur de sortir de la pauvreté. Et c’est l’institution de la famille qui est – comme elle l’a toujours été – au coeur des mécanismes de redistribution des ressources matérielles.

Cette conclusion rejoint la légion des tenants d’une approche centrée sur un rôle primordial de la famille au Québec, au Canada, aux États-Unis, en Grande-Bretagne, en France ou en Belgique. Fortin (2007) maintient que le soutien familial joue un rôle central dans la sortie de la pauvreté des travailleurs pauvres canadiens. Vivre en couple et avoir plusieurs membres de la famille apportant un revenu supplémentaire est ce qui permet à un travailleur à faible revenu d’échapper à la pauvreté. Le faible salaire horaire et l’effort de travail peu élevé sont des déterminants importants, mais pas autant que le sont les caractéristiques familiales, concluent également Fleury et Fortin (2006 : 19). Cette position rejoint pleinement celle de Lagarenne et Legendre (2000) selon qui c’est le fait de vivre seul, de ne pouvoir compter que sur un seul salaire et d’avoir des personnes à charge qui est le facteur le plus déterminant de « la pauvreté laborieuse ». Les caractéristiques des ménages dans lesquels vivent les travailleurs pauvres déterminent la capacité de compensation – par les autres revenus du ménage – des faibles ressources économiques apportées par l’un de ses membres, ainsi que la part des transferts sociaux dont le ménage pourra bénéficier pour compléter ses gains d’emploi, soutiennent Ponthieux et Raynaud (2008).

L’approche centrée sur la famille a ses critiques parmi les sociologues et anthropologues de la famille qui contestent que la notion de « revenu familial » corresponde à une réalité tangible en ce qui a trait au partage équitable entre les membres de l’unité familiale (Belleau et Henchoz, 2008). Plusieurs études montrent en effet que les conjoints sont de plus en plus nombreux à gérer leurs « avoirs » de manière séparée, ou à négocier une mise en commun partielle (Ashby et Burgoyne, 2007), particulièrement chez les jeunes générations et dans les deuxièmes unions. Belleau (2008) identifie que seule une minorité de couples mettent en commun leurs avoirs et leurs réserves, ce qui met à mal la notion de « revenu familial » qui relève plutôt des « croyances » que d’une réalité démontrée.

On comprendra en ce sens que les analyses statistiques du revenu familial, et par surcroît les politiques publiques et les programmes gouvernementaux qu’elles inspirent, appliquent une norme égalitaire, un présupposé d’unité de consommation et un principe de cohésion conjugale qui excluent les dynamiques intrafamiliales, les valeurs, les perceptions de la conjugalité et les comportements humains tels l’individualisme, la valorisation de l’autonomie personnelle, le désir d’égalité, les conflits et les luttes de pouvoir. Le revenu familial peut certes continuer de représenter un levier théorique important pour permettre à des individus de sortir de la pauvreté. La solidarité familiale n’est ni donnée, ni nécessairement automatique, ni durable désormais en raison de l’instabilité des couples. Si la division est une opération arithmétique, la redistribution, ou la répartition est une opération sociale et politique. L’acquisition de l’autonomie financière des femmes par les revenus d’emploi a modifié en profondeur le contrat social qui prévalait entre les sexes, soit celui du pourvoyeur et de la ménagère. Cette nouvelle « égalité » économique, somme toute relative[7], est au coeur d’une remise en question de la logique redistributive au sein des ménages. Entre l’analyse abstraite de la composition d’un revenu sommatif et les pratiques concrètes de partage entre les membres de la famille, il y a la distance que créent les représentations de la vie en couple, les conceptions de l’argent et les rationalités individuelles face aux valeurs de solidarité, de justice et d’équité. Au-delà de la conception durkheimienne consacrant la famille comme lieu d’une forte solidarité organique, il faut prendre en compte les transformations des structures familiales et des formes de conjugalité, passer de l’« entité famille » à la réalité des dynamiques intrafamiliales.

L’approche centrée sur la famille a aussi ses critiques parmi les économistes et les analystes statistiques. Morissette et Ostrovsky (2008 : 20) reprennent l’hypothèse de Fleury et Fortin (2006) et de Fortin (2007) selon qui « ce qui se produit au niveau de la famille détermine au plus haut point le bien-être des personnes ». Mais ils aboutissent à la conclusion que ce sont plutôt le régime d’assurance emploi et le régime fiscal qui compensent les pertes de revenu des familles canadiennes. Ces deux mécanismes jouent une fonction primordiale de stabilisation dans l’atténuation des pertes de revenu subies par les personnes seules et les familles où l’un des conjoints est congédié. Les familles canadiennes connaissent des pertes de revenu après impôt bien inférieures à la perte de revenu du travail (Morissette et Otrovsky, 2008 : 17), même s’il faut reconnaître que les effets sont différents pour les familles biparentales et pour les familles monoparentales.

Quant aux travaux canadiens sur l’évolution des gains d’emplois des travailleurs pauvres (Heisz, 2007) et sur les restructurations des échelles salariales (Morissette et Picot, 2005 ; Picot et Myles, 2005), ils n’accréditent qu’en partie l’effet que peut représenter un « travailleur supplémentaire » au sein d’une famille de travailleurs pour sortir de la pauvreté. Ces travaux rattachent la pauvreté en emploi à la précarisation de l’emploi, à l’insuffisance et la baisse des salaires et à l’affaiblissement des mécanismes de transferts sociaux. La réduction des inégalités inhérentes au marché passe par le renforcement du rôle distributeur que doit jouer l’État à travers la fiscalité et les transferts sociaux entre des familles ne bénéficiant pas toutes des mêmes conditions d’emploi et entre des travailleurs atypiques ne bénéficiant pas tous des compensations de l’assurance emploi en cas de licenciement. Le travail précaire et la pauvreté en emploi ne résultent pas des seuls calculs matériels ; y contribue aussi l’impact des décisions politiques, juridiques et macroéconomiques.

Nous comprenons que, dans une société libérale de marché, comme la société canadienne, c’est bien le marché qui crée la richesse. Mais c’est aussi le marché qui crée les inégalités structurelles, non seulement en ce qui concerne l’accès au revenu, mais aussi pour la grande majorité de la population qui est salariée. L’État, pour sa part, reste l’agent principal à partir duquel peut être initiée une culture de lutte aux inégalités socio-économiques affectant aussi bien les travailleurs que leur famille, au nom même de sa mission de veiller à la redistribution des opportunités de bien-être et à l’accès minimal de tous les citoyens à une qualité de vie décente. Il lui revient de mettre en place des dispositifs juridiques, législatifs et administratifs aptes à maintenir les arbitrages entre efficacité économique et lutte contre l’accroissement des injustices et des inégalités.

Aussi tant les revenus redistribués ou potentiellement redistribués par la famille et par l’État proviennent-ils d’activités liées au marché : soit sous forme de gain d’emploi, soit par les impôts sur les revenus, soit par les taxes à la consommation. C’est donc dire qu’en ce qui concerne le schème de la redistribution, les mondes de l’entreprise, de la famille et de l’État sont moins étanches les uns par rapport aux autres et plus interconnectés : des interdépendances se construisent et donnent naissance à de nouveaux mécanismes de régulation ayant un impact sur l’enrichissement ou l’appauvrissement des individus en emplois et de leur famille.

Des comparaisons internationales à explorer

Il existe, parmi les pays d’« économies de marché libérales », un consensus pour chercher à augmenter le revenu de travail pour les « travailleurs pauvres », de manière à faire du revenu d’emploi le principal mécanisme de distribution et le moyen d’assurer la subsistance des travailleurs et de leur famille. La Grande-Bretagne a adopté nombre de mesures combinant des dispositifs centrés sur l’insertion en emploi, des crédits d’impôt qui viennent compléter les bas salaires, et une revalorisation régulière du salaire minimum. Math (2003 : 38) considère que la Grande-Bretagne est l’un des pays qui vont le plus loin dans l’utilisation de la fiscalité en matière de soutien aux familles pauvres en lieu et place des prestations sociales. Les modalités d’intervention retenues au Canada et au Québec privilégient les primes à l’emploi, le soutien aux enfants, les prestations sur les revenus gagnés, les déductions fiscales et les crédits d’impôt pour les ménages de travailleurs à bas revenu (Ulysse, 2006a).

Plusieurs incitatifs financiers mis en place aux États-Unis privilégient l’impôt négatif, qui consiste à utiliser la fiscalité pour soutenir les personnes à faible revenu. Contrairement à l’impôt négatif, le Crédit d’impôt sur les revenus salariaux (CIRS)[8], qui est l’un des moyens les plus utilisés, n’accorde les prestations qu’à ceux ayant des revenus d’emploi. Ces mesures minimalistes n’empêchent pas pour autant que les salaires moyens et le revenu médian des travailleurs américains au bas de l’échelle diminuent, tandis que ceux des hauts salariés augmentent amplement (Weldon et Targ, 2004), avec un accroissement exponentiel des inégalités dans la distribution de la richesse et du revenu (Mishel et al., 2003).

Dans les « économies de marché coordonnées », notamment dans les pays nordiques, la forme d’intervention privilégiée face à un marché de travail hautement flexibilisé est de permettre aux travailleurs de passer aisément à de nouveaux emplois, grâce entre autres à une protection sociale étendue et un système d’éducation de base et de formation tout au long de la vie performant (Reich, 2002 ; Barbier, 2005). La réinsertion en emploi passe par la formation, la sécurisation des trajectoires professionnelles et un niveau élevé de protection sociale. Contrairement à ce que l’on connaît jusqu’à présent en Amérique du Nord, flexibilité ne signifie nullement absence de protection sociale du travailleur et accentuation des inégalités. Elle entraîne au contraire un ensemble d’arrangements institutionnels inspirés du principe d’égalité, de la culture du consensus et de la confiance dans l’État (Barbier, 2005).

On le voit, les possibles impacts du marché, de l’État et de la famille sur la situation des « travailleurs pauvres » ne relèvent pas de la seule nature propre de ces institutions, tout comme le niveau de pauvreté en emploi ne s’explique pas par la seule flexibilité du marché du travail. Ils renvoient aux philosophies sociales à l’oeuvre dans les différents régimes, ainsi qu’aux conceptions différenciées de la protection des individus contre les risques sociaux que ces philosophies autorisent et légitiment. La protection sociale est minimale dans les pays libéraux anglo-saxons où le marché est perçu comme le principal régulateur des rapports entre les citoyens et le principal garant de la « sécurité » économique individuelle. Elle est étendue, dans le cas des pays nordiques où les politiques de formation et de redistribution, ainsi que la force des compromis sociaux autorisent une plus grande sécurité économique et sociale et une forte coordination entre l’État, le marché et les partenaires sociaux (Lefresne, 2008 ; Méda et Lefebvre, 2008).

Ces considérations contextuelles révèlent en fait que les interactions – État, marché, famille – ne fonctionnent pas de manière linéaire et universelle. Elles dépendent des contextes sociaux, politiques et juridiques, ainsi que des valeurs éthiques et culturelles auxquelles adhère l’imaginaire collectif. Il y a autant de configurations des interactions entre les trois institutions qu’il y a de sociétés nationales et de régimes de droits sociaux.

Introduire dans la réflexion les acteurs associatifs, communautaires et d’économie sociale

Il est évident que la crise économique et financière que le monde doit actuellement affronter aura de profondes répercussions sur l’emploi. La multiplication des insécurités ne pourra que fragiliser davantage les faibles sécurités salariales dont disposent jusqu’à présent certaines catégories de travailleurs, autant qu’ébranler les fondements des formes de protection que l’État s’efforce de garantir.

On a déjà assisté à l’émergence d’un ensemble d’« acteurs intermédiaires » qui sont impliqués dans la lutte contre la pauvreté (Ulysse et Lesemann, 2007 ; Fontan et Klein, 2004 ; Mendell et Neamtan, 2009). Le développement du champ de l’intermédiarité entre le public, le privé et le communautaire ne témoigne pas seulement du redéploiement de l’État-providence, mais surtout de ses difficultés institutionnelles à atteindre de manière effective les « travailleurs pauvres ». Nous nous trouvons alors face à des modes de régulation plus complexes que ceux que permettent d’analyser les relations entre l’État, le marché et la famille. C’est là que s’impose la prise en compte des « acteurs intermédiaires », peu importe ici qu’on les qualifie de « secteur associatif », de « ressources communautaires » ou encore d’acteurs de la « société civile ». Une telle prise en compte permet de consacrer qu’il existe au Québec deux grands types de marchés : le marché libéral investi par les entreprises formelles et traditionnelles ; le marché social que forment les entreprises d’insertion, les initiatives de développement économique communautaire et les entreprises d’économie sociale. Ces acteurs socio-économiques contribuent à la création de la richesse au Québec et répondent de l’intérêt général de la société québécoise. Les activités se trouvent dans une diversité des secteurs qui produisent des biens et des services, incluant l’aide domestique, la petite enfance, la culture et le tourisme social, etc. Ces entreprises collectives sont pleinement engagées dans la création d’emplois et préfigurent un modèle d’entreprise où des règles de fonctionnement n’excluent pas la recherche des profits et la conquête de nouveaux marchés. Les réalisations forcent à repenser les distinctions qui les insèrent exclusivement dans le social, au lieu de les reconnaître comme des acteurs économiques incontournables au Québec[9]. Les entreprises collectives ont, au moyen du réseautage, acquis une grande capacité de négociation, de représentation et d’action sur le réel socio-économique (Lévesque et Mendell, 1999 ; Mendell, 2009)[10], qui constitue en soi une importante contestation de la voie unique dans laquelle engage le néolibéralisme actuel. Nos études (Lévesque et Mendell, 1999 ; Ulysse, 2006a ; Ulysse et Lesemann, 2007 ; St-Germain, Ulysse et Lesemann, 2008 ; Mendell et Neamtan, 2009, Mendell 2009) concluent déjà à l’importance de cet entrepreneuriat collectif et local, développant un mode propre d’organisation du travail salarié[11]. L’incursion de l’action sociale dans le champ de l’action économique aboutit à un processus de professionnalisation, à la création d’un secteur d’emplois de services à la personne et d’un marché de biens sociaux, avec leurs propres structures organisationnelles et de marketing, leurs hiérarchies, leurs divisions des tâches, leurs propres relations de travail[12].

La description que font des auteurs comme Fontan et Klein (2004) de ce champ d’innovations socio-économiques invite aujourd’hui à reformuler la question des frontières entre travail et hors travail et à renouveler les questionnements sur la problématique de l’intégration par l’emploi et l’insertion par l’économique. On se trouve face à des mutations importantes du sens de l’entreprise et du milieu du travail provoquées par des organismes locaux bénéficiant, au Québec, d’une multiplicité de formes d’action publique destinées à faciliter leur développement comme lieu de création et de maintien en emploi pour des catégories de populations ayant des difficultés particulières à trouver place durablement sur le marché du travail traditionnel. À leur manière, ces organismes et entreprises collectives contribueront à créer des alternatives et, probablement, au renouvellement de la notion de travailleur pauvre jusqu’ici associée à l’économie libérale.

Revenons au questionnement initial sur les conditions pouvant aujourd’hui faciliter la sortie des travailleurs à bas revenu de la pauvreté. Constatons d’abord qu’autant la pauvreté en emploi que le « travailleur pauvre » sont des notions complexes tant pour les analystes, les concepteurs de politiques que pour les acteurs politiques et les militants sociaux et syndicaux (Béroud et al., 2007-2008 : 199). Les schèmes d’analyse continuent de se développer dans le prolongement des réflexions déjà engagées sur la pauvreté, l’exclusion et les formes de précarités, et non à la lumière d’un cadre spécifiquement centré sur le phénomène des « travailleurs pauvres ». Les imaginaires collectifs ont encore du mal à se représenter la réalité qu’une personne puisse occuper un emploi, mais ne pas disposer de revenus suffisants pour répondre à ses besoins de base et à ceux de sa famille.

De manière programmatique, nous nous inscrivons dans un espace scientifique constitué de quatre pôles d’acteurs en interaction : 1) les mutations du travail et des statuts d’emploi (les dynamiques du marché) ; 2) les défis de la protection sociale face aux nouveaux risques (les dynamiques des politiques publiques et de l’État) ; 3) les transformations des structures familiales et des formes de conjugalité ; 4) le rôle des « structures médiatrices » de la « société civile ». Dans cette démarche, il est indispensable de prendre en compte les dynamiques contextuelles que les seules analyses statistiques sont incapables de saisir, de les confronter à d’autres, comparables sur le plan international, de revaloriser les aspects non nécessairement chiffrables et quantifiables concernant les comportements humains, les schèmes de représentations, les dynamiques de négociation, les cadrages situationnels, les choix individuels et les compromis institutionnels.

La construction de cet espace scientifique commun compte autant sur les concepts, les outils et les analyses statistiques pour évaluer les impacts des systèmes sociaux que sur des raisonnements qualitatifs pouvant aider à bien caractériser les objectifs, les principes, les logiques de fonctionnement des sphères d’échanges et de coordination de la vie en société. Il s’agit de poser des interrogations à niveaux multiples, de développer des réflexions transversales et de construire une vision d’ensemble établissant la problématique de la pauvreté en emploi et du « travailleur pauvre » comme un observatoire privilégié des grandes dynamiques contemporaines : transformations de l’emploi et du marché du travail, transformations de l’État, du système de protection sociale et des régimes des droits sociaux, transformations des structures familiales et des formes de conjugalités, et enfin transformations des rapports entre l’État et la société civile.