Le rapport Croissance et inégalités de l’OCDE comporte des données fort utiles pour amorcer l’examen des politiques américaines pour contrer la pauvreté au cours des dernières années. Ces données démontrent que l’inégalité des revenus a sensiblement augmenté aux États-Unis, surtout depuis 2000, en grande partie sous l’effet de la hausse des revenus du centile le plus riche de la population et de la stagnation de tous les autres. Selon les coefficients de Gini, l’inégalité des revenus des ménages américains est l’une des plus prononcées des pays dits riches, et la dispersion des revenus au fil du temps a augmenté aux États-Unis de façon plus prononcée que dans la majorité des pays de l’OCDE. Le régime fiscal américain est pourtant relativement progressif et redistributeur, en raison surtout du Crédit d’impôt sur les gains au travail (EITC) et du Crédit d’impôt pour enfants, mais il redistribue très peu de prestations en espèces (seule la Corée en redistribue moins). Les transferts nets au quintile inférieur de la population y comptent ainsi parmi les plus faibles de l’OCDE. Avec la Turquie et le Mexique, les États-Unis affichent de surcroît le taux de pauvreté relative le plus important, surtout au sein de la population d’âge actif, où il est de loin le plus élevé. Enfin, les États-Unis font partie des pays de l’OCDE où la persistance de la pauvreté est la plus longue et la mobilité sociale des pauvres la plus faible. Ce rapport de l’OCDE foisonne donc de détails. Mais une chose s’en dégage clairement : les États-Unis figurent en bas du classement pour ce qui est de réduire la pauvreté au moyen de politiques gouvernementales. Si l’on demandait aux étudiants d’une grande université américaine d’expliquer ce résultat, ils invoqueraient sans doute les valeurs d’individualisme et d’antiétatisme propres à leur pays. Et ils n’auraient pas tort, pas plus qu’ils ne se démarqueraient de leurs compatriotes plus âgés. Selon une enquête sur les causes de la pauvreté menée dans un ensemble de pays, 45 % des Américains estiment en effet que la paresse en est la cause principale (OCDE 2008 : 131). Mais aussi ancrés l’individualisme américain et l’opposition à l’intervention de l’État soient-ils, ils n’expliquent pas tout. On exige donc des éclaircissements. Unequal Democracy, un ouvrage de Larry Bartels qu’aurait lu Barack Obama, est à cet égard très éclairant. L’auteur y rassemble des données indiquant que l’augmentation de la pauvreté et des inégalités aux États-Unis s’expliquerait essentiellement par les politiques partisanes de l’histoire récente du pays. C’est ainsi la domination politique du conservatisme plutôt que la conception des politiques gouvernementales qui aurait fait croître la pauvreté et les inégalités aux États-Unis, où le conservatisme républicain a fait dans les années 1960 une offensive qui s’est maintenue jusqu’aux élections de 2006 et 2008. En outre, les assauts répétés des intégristes de l’économie de marché y expliqueraient l’emprise actuelle des idéologies de choix individuel et d’antiétatisme, bien au-delà d’une tendance proprement américaine en leur faveur. Bartels conclut donc à la nécessité d’étudier l’évolution récente des politiques pour contrer la pauvreté en examinant la politique partisane plutôt qu’en analysant strictement leur élaboration et leur contenu. Historiquement, l’origine des politiques contre la pauvreté actuelles remonte aux années 1930, sous la présidence de Franklin Roosevelt, dont l’initiative a donné naissance au programme Aid to Families with Dependent Children (AFDC). Au départ, l’AFDC visait à soutenir le revenu des veuves pauvres avec enfants. Cela signifiait les veuves de descendance européenne, puisqu’à l’époque encore, les Afro-Américains des États ségrégationnistes du Sud étaient privés de droits sociaux. L’application de l’AFDC s’est poursuivie sans histoire jusqu’à ce qu’une vague de changements ne déferle …
Parties annexes
Ouvrages examinés
- Larry Bartels, Unequal Democracy : The Political Economy of the New Gilded Age (Princeton : Princeton University Press, 2008)
- Rebecca Blank, Sheldon Danziger et Robert Schoen (dir.), Working and Poor : How Economic and Policy Changes are Affecting Low-Wage Workers (New York : Russell Sage, 2006)
- Kathryn Edin et Laura Lein, Making Ends Meet (New York : Russell Sage, 1997)
- Barbara Ehreneich, Nickel and Dimed : On (not) Getting By in America (New York : Metropolitan Books, 2001)
- Martin Gilens, Why Americans Hate Welfare : Race, Media, and the Politics of Antipoverty Policy (Chicago : University of Chicago Press, 1999)
- Jacob Hacker, The Great Risk Shift (New York : Oxford University Press, 2006)
- Ron Haskins, Work over Welfare (Washington, DC : Brookings, 2006)
- Sharon Hays, Flat Broke With Children (New York : Oxford University Press, 2004)
- Christopher Jencks, Joe Swingle et Scott Winship, « Welfare Redux », dans The American Prospect, mars 2006
- Charles Murray, Losing Ground : American Social Policy 1950-1980 (New York : Basic Books, 1984)
- Katherine Newman, Chutes and Ladders : Navigating the Low-Wage Labor Market (Cambridge, MA : Harvard University Press/Russell Sage, 2006)
- Katherine Newman, avec Victor Tan Chen, The Missing Class : Portraits of the Near Poor in America (Boston : Beacon Press, 2007)
- Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), Croissance et inégalités (OCDE : Paris, 2008)
- Kent Weaver, Ending Welfare As We Know It (Washington, DC : Brookings, 2000)