La mondialisation de la philosophie : la réappropriation des idées selon les culturesL’exemple de Gaston Bachelard[Notice]

  • Yves Laberge

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  • Yves Laberge
    Institut québécois des hautes études internationales
    Québec

La pensée et les livres du philosophe français Gaston Bachelard (1884-1962) ont traversé les disciplines, les époques et les nations, mais selon des parcours très différents, comme le prouvent les articles de 16 universitaires, exégètes ou traducteurs qui témoignent de l’impact des oeuvres de Bachelard dans leurs langues et leurs pays respectifs (de la Corée du Sud à la Pologne, en passant par le Japon, la Roumanie et la République tchèque). Les articles réunis par les professeurs Jean Gayon et Jean-Jacques Wunenburger confirment une fois de plus l’influence considérable des écrits de Gaston Bachelard, mais réservent également des surprises aux lecteurs familiers de son oeuvre immense quant à la réception de certains de ses livres. Ainsi, dans certains pays (comme le Portugal, l’Italie et les pays arabes), ce sont les oeuvres philosophiques et épistémologiques de Bachelard qui ont été privilégiées ; ailleurs, ce sont les ouvrages sur l’imaginaire et la poétique des éléments (feu, eau, air, terre) qui auront inspiré le plus de prolongements. Aux Presses Universitaires de France, Gaston Bachelard demeure encore de nos jours le philosophe français le plus traduit : on compte 13 livres parus en Corée du Sud, 21 au Japon, et presque tous ses travaux en Italie (p. 3), ce qui en soi constitue un phénomène éditorial — et sociologique — significatif. Il va de soi que la possibilité d’accéder directement aux livres demeure la condition fondamentale pouvant permettre à la pensée d’un auteur de circuler et de rayonner à plus large échelle, malgré quelques exceptions notables. Comme l’expliquent les initiateurs de ce colloque international (tenu en mars 1998), les chercheurs ont des motivations et des intérêts très divergents lorsqu’ils s’intéressent à des penseurs étrangers ; leurs cadres de référence et leurs attentes diffèrent inévitablement selon les contextes et les traditions nationales : « […] les symboles, les mots, les idées font davantage que se répandre ; ils ne pénètrent une culture différente qu’au prix d’une appropriation qui implique simultanément perte et gain de sens » (p. 2). En raison de sa production abondante et très variée (p. 16), Bachelard a été perçu de manières très diverses. Jean Piaget (p. 189) et Pierre Bourdieu (p. 84) l’admiraient et l’ont souvent cité. Pour certains, Bachelard demeure l’instigateur d’une poétique de l’imaginaire, celui qui a répandu dans les milieux philosophiques et littéraires des termes comme « imagination », « rêverie », « rupture épistémologique » ; on le situe à l’occasion comme un penseur proche de la phénoménologie (p. 31), aussi éloigné du positivisme logique que du constructivisme social (p. 7). Pour d’autres, il était simplement un philosophe prisé par beaucoup de non-philosophes, et particulièrement dans le domaine des études littéraires, discipline moins rigoureuse qui, selon Max Milner, ne disposait d’aucun mode de classification et demeurait sensible aux vicissitudes des modes (p. 24). Dans le premier chapitre intitulé « Nouveaux regards sur la philosophie bachelardienne », François Dagognet fournit un portrait éloquent et concis, en distinguant quatre étapes principales, partant de La psychanalyse du feu (1938) puis du cycle sur les éléments (L’eau et les rêves) pour ensuite délaisser la psychanalyse avec Poétique de l’espace (1957) et La Poétique de la rêverie (1961), tout en accordant une place importante aux ouvrages posthumes comme Fragments d’une poétique du feu, paru en 1988 (p. 16). François Dagognet résume la contribution de Bachelard en quelques mots : « […] unifiée mais sans cesse évolutive, ontologique dans la diversité, voire la pluralité » (p. 20). La plupart des articles de l’ouvrage Bachelard dans le monde portent sur l’impact de la pensée bachelardienne dans un pays spécifique, et cet …

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