Recensions

Hans-Georg Gadamer, Esquisses herméneutiques : essais et conférences. Traduction, avant-propos et notes par Jean Grondin. Paris, Librairie Philosophique J. Vrin (coll. « Bibliothèque des textes philosophiques »), 2004, 300 p.[Notice]

  • Yvon Lafrance

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  • Yvon Lafrance
    Université d’Ottawa

Après nous avoir donné la traduction des essais de Gadamer sur Heidegger (Les chemins de Heidegger, Paris, Vrin, 2002), Jean Grondin nous offre dans cet ouvrage une traduction d’essais et de conférences rassemblés par Gadamer et présentés comme un complément à l’édition de ses oeuvres complètes (Gesammelte Werke, 1985-1995). Ce recueil d’études lui fut offert par son éditeur en personne, Georg Siebeck, à l’occasion des fêtes de son centenaire le 11 février 2000 et publié sous le titre original de Hermeneutische Entwürfe : Vorträge und Aufsätze. Ces études qui ne figurent pas dans les oeuvres complètes seront donc accueillies avec reconnaissance par tous les lecteurs français qui s’intéressent à la pensée de Gadamer. C’est avec raison que J. Grondin les présente comme le « testament du philosophe » (p. 7). Le lecteur y trouvera, en effet, les dernières pensées de Gadamer sur la philosophie herméneutique et sur le rôle de la philosophie dans la culture occidentale contemporaine dominée par les sciences naturelles et la rationalité scientifique issue des Lumières, ainsi que le regard critique de l’humaniste et du sage sur l’avenir de cette culture occidentale et du destin de l’Europe et de l’humanité dans nos sociétés marquées par la révolution industrielle et technologique du xixe siècle. Sur les 22 essais réunis dans cet ouvrage, 10 sont consacrés à la philosophie herméneutique et à l’histoire de la philosophie. Ces essais sont les suivants : 1. Herméneutique : théorie et pratique (1996, p. 17-26) ; 2. Science et philosophie (1977, p. 27-41) ; 5. Herméneutique et autorité. Un bilan (1991, p. 61-67) ; 8. La philosophie et son histoire (1998, p. 93-124) ; 9. L’actualité de la philosophie grecque (1972, p. 125-142) ; 11. Kuno Fischer : un pont entre Hegel et l’Italie (1997, p. 161-167) ; 12. Nietzsche et la métaphysique (1999, p. 169-179) ; 16. Art et cosmologie (1990, p. 225-236) ; 17. Heidegger et la fin de la philosophie (1989, p. 239-254) ; et 19. Le savoir entre hier et demain (1998, p. 263-273). De ces études j’aimerais dégager certains traits caractéristiques de l’héritage de Gadamer philosophe. À l’encontre des tendances actuelles dans le domaine des sciences naturelles qui réservent le terme de « science » aux seules disciplines qui relèvent de l’observation et de l’expérimentation et de leur alliance aux mathématiques, Gadamer maintient le caractère scientifique de la philosophie. Il écrit : « Face à cela, on peut dire à bon droit que la philosophie est scientifique. C’est que, malgré tout ce qui la sépare des sciences positives, elle conserve une proximité avec elles, fondée sur l’exigence de rigueur, qui lui permet de se distinguer du domaine des visions du monde fondées sur des évidences subjectives » (p. 27). Nous reconnaissons dans cette citation la conception grecque de la philosophie qui était considérée comme une epistêmê, et qui désignait tout l’ensemble du savoir théorique. La philosophie était, pour les Grecs, non seulement une science, mais la plus haute des sciences, voire la seule science véritable, comme le soutient Platon dans la République (VI, 533a-c) et le Sophiste (253b-d), alors que les savoirs fondés sur l’expérience étaient plutôt rangés parmi les techniques (technai) fondées sur les opinions (doxai). Quant aux sciences mathématiques, elles étaient subordonnées à la philosophie ou à la dialectique et ne pouvaient recevoir le titre de science qu’au sens large du terme seulement (République, VI, 533c-e). Gadamer a conservé cette conception de la philosophie qui a prédominé jusqu’à l’avènement des sciences modernes, alors que celles-ci, au cours de leur évolution, finirent par reléguer …