Recensions

André Désilets, Les tensions de l’errance. Préface par Jean Renaud. Québec, Les Presses de l’Université Laval (coll. « Zêtêsis »), 2001, xiv-79 p.[Notice]

  • Patrick Dionne

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  • Patrick Dionne
    Bibliothèque Albert-le-Grand, Montréal

André Désilets n’écrit pas pour les « hommes utiles », ces êtres qui inspiraient à Baudelaire une profonde aversion, ni pour les prospecteurs de confort métaphysique et spirituel que Nietzsche et Thibon, entre autres, ont tant fustigé. Animé par ce que Gadamer appelait « la passion de la mise en question radicale », Désilets écrit pour les âmes que la Beauté étreint, que la Vérité tenaille, que l’Essentiel persécute. Toute la démarche philosophique de Désilets s’articule autour de l’engagement intégral de l’être dans une quête de Beauté et de Vérité. Pour lui, des hommes comme Jacques Janelle, Alexis Klimov, Rodrigue LaRue, Jean Brun et Olivier Clément incarnent cet idéal. Avec une grande liberté, il évoque l’itinéraire de ces penseurs qui « témoignent pour un Ailleurs qui n’est pas d’évasion et de chimère, mais de vérité et de lumière » (p. 11). Les tensions de l’errance n’a rien du récit platement biographique, rien non plus de la glose académique. Désilets admire les hommes dont il parle. Ce sont des êtres-phares en qui s’actualisent et se renouvellent les grandes traditions métaphysiques et spirituelles. En somme la source de la réflexion philosophique de Désilets se trouve dans sa capacité à admirer (l’admiratio n’est-elle pas au commencement de toute méditation philosophique authentique comme le pensait Thomas d’Aquin ?). Parmi les portraits que Désilets nous offre, on retiendra le plus riche de tous, celui du théologien orthodoxe Olivier Clément. Joignant sa voix à celle de Clément, Désilets nous invite à vivre l’« expérience philocalique » (« philocalie » est un terme essentiel de la spiritualité de l’Orient chrétien qui signifie « amour de la beauté »), à cultiver notre sens de la contemplation et à nous éveiller à la dimension symbolique du monde. La rencontre avec Clément est aussi l’occasion d’une magnifique méditation sur les larmes, considérées comme une « amertume illuminée » (p. 62), comme une réaction de l’âme tendue vers le mystère par-delà les contingences brutales de notre finitude. Au coeur du livre de Désilets se trouve une volonté de prévenir les hommes contre la tentation d’absolutiser le relatif et de relativiser l’absolu. Pour lui les recettes et les programmes de toutes sortes sont funestes : ils figent les mouvements de l’âme et la détournent de l’essentiel. « Qui peut prétendre, demande-t-il, que la “faim radicale” de l’homme sera apaisée et que son angoisse sera vaincue par la solution des problèmes économiques et les agréments de la culture ? » (p. 64). Dans un monde obsédé par la vitesse et la technique, le temps se désagrège et l’éternité s’efface. Or l’éternel exige que nous lui consacrions du temps. L’oeuvre de Désilets apparaît comme un puissant antidote au nihilisme. Elle possède une densité spirituelle et une vitalité métaphysique salutaires. On est loin ici d’une certaine philosophie qui, comme le déplorait Gadamer, se contente « de vérités banales acquises de manière exacte ». Désilets sait qu’en marchant droit devant soi on avance, mais on ne s’élève pas. C’est pourquoi il propose aux hommes de notre temps de changer d’axe : passer de l’horizontalité moribonde à la verticalité féconde. À la fois philosophie de la tragédie — tragédie de l’homme exilé dans le temps — et philosophie de l’espérance — espérance de l’âme qui, au sein même de sa condition d’exilée, pressent l’éternité — telle se présente l’oeuvre d’André Désilets.