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Lorsque j’ai ouvert cette chronique[2], il y a maintenant douze ans, j’étais loin d’anticiper un tel développement des recherches et des publications sur Vatican II. Un tel essor est sans doute lié aux travaux lancés à l’Istituto per le scienze religiose de Bologne sous la direction du professeur Alberigo, qui assura la direction éditoriale de l’histoire de Vatican II. Depuis, on assista à la création de centres ou de projets de recherche dans divers pays et le développement d’un nouvel intérêt pour le Concile chez une nouvelle génération de chercheurs. Alors que la recherche bolonaise est parvenue à son terme et que le professeur Alberigo nous a quittés, d’autres prennent la relève et les publications sont de plus en plus diversifiées. Alors que les études sur l’histoire et sur la réception de Vatican II ont moins le vent en poupe, l’herméneutique du Concile devient de plus en plus une préoccupation des chercheurs. Au même moment, la publication de sources, de journaux conciliaires en particulier, connaît un nouvel essor. Au gré des anniversaires, la recherche sur le Concile se développe, comme s’il était encore promis à un bel avenir. Contrairement aux précédentes, la présente chronique ne rendra pas compte de la publication d’articles scientifiques ou des mémoires et thèses déposés au cours des dernières années, tant la production est abondante.

Gilles Routhier

Sources

1. Dom Helder Camara, Lettres conciliaires (1962-1965). Version française sous la direction de José De Broucker, préface par le cardinal Roger Etchegaray, postface par Étienne Fouilloux. Paris, Les Éditions du Cerf (coll. « Théologies »), vol. I, « J’ai déjà un programme bien tracé », 2006, iv-485 p. et vol. II, « Des belles théories à la dure réalité », 2007, iii p. et p. 493-1 167.

Plusieurs Pères conciliaires ont eu une activité épistolaire importante. On pense notamment au cardinal Lercaro, dont les lettres sont publiées, et à des pasteurs moins prestigieux dont, au Canada, Mgr Baudoux, qui postait une carte postale quotidienne à sa soeur ou Mgr Sanschagrin, qui envoyait une longue lettre hebdomadaire à sa mère. Herder Camara sort du lot, non seulement par l’abondance ou l’ampleur de ses lettres, mais aussi par leur contenu qui donne un nouvel éclairage à certains moments importants du Concile Vatican II et, en particulier, à l’insertion dans le Concile de la voix des pauvres et du Tiers-Monde qui a trouvé à s’exprimer, notamment dans Gaudium et Spes, et qui a conduit à la création de la Commission Justice et Paix. Déjà, les 26-27 septembre 1965, il parle de la « création du Secrétariat pour l’expansion de la justice et du développement dans le monde ». Dans cette activité épistolaire, on a comme une autre forme de journal conciliaire.

On doit se réjouir qu’après l’édition brésilienne réalisée par Luiz Carlos Luz Marques, qui a consacré sa thèse de doctorat à ces lettres, les Éditions du Cerf, où l’on trouve les publications les plus importantes sur Vatican II en langue française, présentent en deux volumes les 290 lettres (sauf 7 qui sont perdues) adressées par Helder Camara à ses collaborateurs brésiliens qu’il appelait sa « Famille ».

À travers ces lettres, on ne trouve pas seulement raconté le déroulement du Concile, mais également les préoccupations d’un prophète qui voulait être la voix des pauvres au Concile, un Concile qui devait être en quelque sorte un Bandoeng chrétien, qui permettrait à l’Amérique du Sud, à l’Afrique et à l’Asie de parler librement. Il rêvait d’une Église catholique, c’est-à-dire qui rassemble des peuples de toutes les cultures et de tous les mondes.

On trouve aussi des renseignements précieux sur le fonctionnement du Concile, pas tant de ses instances ordinaires prévues par le règlement, mais de tous ces groupes informels qui ont participé activement à l’éveil, au développement et à la maturation des idées. En fait, Helder Camara, qui n’a jamais pris la parole dans l’aula conciliaire, n’a apporté une contribution à la rédaction de textes conciliaires qu’à titre de membre de la Commission pour l’Apostolat des Laïcs, à partir de 1963, et à ce titre à la Commission mixte responsable de la rédaction de Gaudium et Spes. Toutefois, il se révèle un véritable acteur du Concile en raison de son travail acharné en coulisse.

Les lettres de la première session présentent un intérêt particulier. On voit sous nos yeux se construire des liens et des réseaux entre évêques qui ne se connaissaient pas. Deux réseaux retiennent particulièrement l’attention : « Jésus, l’Église et les pauvres » et « La Conférence des 22 », appelée aussi « L’interconférence » ou « La conférence de la Domus Mariae », lieu de rencontre des représentants de 22 conférences épiscopales qui s’échangeaient des informations sur le déroulement du Concile et qu’il appelait « l’oecuménique », « réunions beaucoup plus vivante que les sessions générales du Concile » (9-10 novembre 1962). Helder Camara contribua puissamment à regrouper ces évêques, désirant par-dessus tout créer, à côté du CELAM, d’autres regroupements continentaux, le CELAF pour l’Afrique et le CELAS, pour l’Asie, regroupements qui verront le jour plus tard, sous d’autres titres. Certes, on possède déjà des études sur ces deux groupes informels, mais les informations que l’on trouve dans ces lettres apportent plusieurs précisions. Comme le souligne Étienne Fouilloux dans sa postface, ces lettres constituent, pour l’historien du Concile, des matériaux de première valeur.

À travers ces lettres, on découvre un homme soucieux de dialogue et de rencontre. En effet, c’est toujours en équipe et en groupe qu’il agit. Cheville ouvrière de la Conférence des Évêques du Brésil (CNBB) et du CELAM, il croit au travail en équipe et dans la collégialité. « Les conférences épiscopales vont sortir renforcées de l’actuel Concile », observe-t-il le 28 octobre 1962 et, à nouveau, le 1er novembre de la même année. Il prône, on le verra, la « création du Synode des évêques, instrument de l’exercice effectif de la collégialité épiscopale » (26-27 septembre 1965). Ce dialogue, qui doit trouver dans l’Église plusieurs institutions, ne doit pas se limiter à l’Église catholique. Il s’étend aussi aux chrétiens non catholiques, aux non-chrétiens et il passe aussi par le « dialogue authentique entre le monde développé et le monde en développement ».

La lecture de ces lettres nous permet d’aller à la rencontre d’un homme qui ne cesse de lire, de s’informer et d’apprendre des autres à travers tous ses contacts. Ce serait déjà tout un travail de recenser toutes les lectures de cet évêque en Concile, lectures qu’il résume pour ses collaborateurs, livres qu’il annote et qu’il fait circuler. Parmi ses auteurs favoris, il y a Congar, mais on trouve aussi des ouvrages de Rahner, Martin Luther King, Gandhi, etc. Et ses contacts sont nombreux ; il y a des théologiens, certes (Congar, Küng, Lebret, Houtart, etc.), à qui il fait confiance (« les épiscopats qui agissent avec la plus grande assurance sont ceux qui ont amené des spécialistes et qui s’appuient sur eux » — 15 novembre 1962), des évêques (Suenens, Montini, Lercaro, etc.), naturellement, mais aussi des hommes engagés dans des luttes de libération, dans des combats non violents (Luther King, à qui il écrit en 1964, Lanza del Vasto, etc.), des hommes politiques (le roi de Belgique, etc.), des gens ordinaires (les soeurs du P. Voillaume où il se sentait à l’aise dans leur simplicité), et des non-catholiques (F. Roger de Taizé, etc.). L’index onomastique qui fait 16 pages en dit long sur toutes les rencontres et sur les horizons larges et diversifiés d’Helder Camara.

Homme de liens, il ne se préoccupait pas seulement des pauvres, mais il se passionnait pour l’oecuménisme et se souciait aussi des croyants non chrétiens (juifs et musulmans) et des athées. Il faut lire, par exemple, le récit qu’il fait à Montini (2 novembre 1962) de son rêve de voir le pape prier en compagnie de non-catholiques et de non-chrétiens, rêve que ne réalisera que bien des années plus tard Jean-Paul II. On n’a qu’à examiner de plus près une journée d’Helder Camara pour voir à l’oeuvre cet homme de relations ; celles du 7 et 8 octobre 1964 sont exemplaires : en plus des sessions plénières du Concile, il participe à l’assemblée de la CNBB, à la Commission de l’Apostolat des Laïcs « en collision avec l’oecuménique et le conseil de la CAL », et à la Commission mixte du schéma XIII. « Dans le jeu de cette partie d’échecs, il faut se tenir au fait des réunions marginales, des audiences, des déjeuners et des dîners. »

Cet activiste, homme de liens et de dialogue, s’était fait une règle d’agir toujours de manière non violente, gardant toujours une attitude d’amour, recherchant la « réconciliation et la justice, et non pas la victoire », observant, « tant à l’égard de mon ennemi qu’à l’égard de mon ami, les règles habituelles de la courtoisie » (27-28 septembre 1965).

Cet homme avait aussi une vision de l’Église, servante et pauvre, une Église en dialogue avec les autres plutôt qu’une Église prompte à condamner, une Église aussi réformée intérieurement, dépouillée, qui a abandonné ses fastes et ses parures et qui facilite au peuple de Dieu son accès à la célébration de la liturgie et à la Parole de Dieu, etc. Cette Église catholique, il veut qu’elle soit plus synodale — il favorise l’établissement d’un synode d’évêques —, mieux structurée sur le plan continental et pas simplement romaine. « Les organismes régionaux (Conférences épiscopales et organismes continentaux), […] vont sortir grandis du Concile […] » (7 novembre 1962). Le même jour, il ajoute que l’Église a besoin « d’un authentique Sénat que le collège des cardinaux ne parvient pas à être », ajoutant que les Congrégations romaines « doivent être des organes seulement exécutifs ». Pour lui, il ne s’agissait pas de lutte de pouvoir, mais il était persuadé que « [s]ans cela, nous n’aplanirons pas les chemins de l’union, nous ne parviendrons pas à corriger l’hypertrophie de la Curie romaine et à libérer le pape » (11 novembre 1962).

Helder Camara se révèle un homme de grands rêves, mais aussi un homme de paroles et d’action. La lecture de ces lettres d’un prophète a quelque chose de rafraîchissant et elle ne peut que nourrir l’espérance de ceux qui désespèrent d’un rendez-vous entre l’Église et les urgences du monde contemporain. Il était persuadé « que le schéma XIII devrait, quoi qu’il en soit, être complété dans chaque continent ou, même… dans chaque pays » (7-8 octobre 1964). Ce rêve s’est réalisé à Medellín, en 1968. Plusieurs autres rêves qu’il caressait à l’époque ont connu une certaine réalisation : celui de voir le pape réuni avec des non-chrétiens et des non-croyants pour prier, celui de voir surgir sur tous les continents des regroupements d’évêques, son désir de voir « une assemblée spéciale [du synode des évêques] consacrée aux problèmes du Tiers-Monde » (26-27 septembre 1965), celui de voir un Secrétariat à Rome s’occuper de Justice et de Paix, etc. Ses grands rêves, même ceux qui ont connu une certaine forme de réalisation, sont à poursuivre. Vatican II, et pas seulement le schéma XIII, doit encore être complété dans chaque continent et… dans chaque pays. Puisse ce voeu d’Helder Camara trouver quelques échos. Déjà, en 1965, Helder Camara préparait l’après-Concile. « Je prépare l’après-Concile », écrivait-il les 27-28 septembre 1965. Il nous reste désormais, à la suite d’Helder Camara, à être acteur de cet après-Concile.

Gilles Routhier

2. Henri de Lubac, Carnets du Concile. T. I, introduit et annoté par Loïc Figoureux, avant-propos de François-Xavier Dumortier, s.j., et Jacques de Larosière, préface de Jacques Prévotat. T. II, annoté par Loïc Figoureux, annexes, index. Paris, Les Éditions du Cerf, 2007, l-566 p. et 567 p.

Il est très heureux qu’une édition critique des Carnets conciliaires d’Henri de Lubac, dont la consultation aux archives de la province jésuite de France était jusqu’ici réservée aux chercheurs, voit enfin le jour. Pour le public, en particulier celui qui se retrouve proche de la pensée du Père H. de Lubac, la publication de ces Carnets pourra montrer l’évolution de l’attitude de leur auteur à l’égard de Vatican II tout au long de ces années où il a été engagé au service du Concile. En effet, c’est peut-être cet aspect, plus que les renseignements fournis sur le déroulement du Concile lui-même (nous y reviendrons), qui intéressera le lecteur.

Comme le P. Congar, entré au Concile par la petite porte comme consulteur à la Commission théologique préparatoire — peut-être comme caution aux leaders de la Curie qui pourraient toujours dire que les schémas avaient été élaborés par une Commission qui comportait des théologiens de toute tendance — ce n’est que petit à petit que Lubac trouve sa place dans un événement dans lequel il ne se sent pas tout à fait à l’aise. D’une part, il a le sentiment de siéger à la même table que ses juges et d’y être — avec son ami Teilhard — à nouveau jugé, sinon condamné ; d’autre part, sa réserve et sa timidité le retiennent de prendre de grandes initiatives et de livrer lui-même d’importants combats. Il observe donc tout ce jeu, prend des notes, conseille, mais demeure toujours un peu à l’écart. Par-dessus tout, il se tient loin de toute publicité et du tapage médiatique, une chose qui l’indispose particulièrement. Toutefois, il est clair qu’il se situe au nombre de ceux qui refusent les schémas préparatoires parce que, dit-il, en ramenant le mystère dans les catégories juridiques comme ils le font, ils diminuent la foi de l’Église.

Pour ce qui est du Concile lui-même, les Carnets de Lubac sont une source de renseignement complémentaire, mais une source limitée. En ce qui a trait à la phase préparatoire, se jugeant tenu au secret, au moins jusqu’en septembre 1961, il écrira : « Je ne note rien de ce qui touche à la Commission théologique » (18 novembre 1960), motif qu’il reprendra à quelques reprises (voir p. 50, etc.). Au cours de cette période, sa contribution demeure peu importante (parlant du votum qu’on lui avait demandé de rédiger, il écrira « ce travail n’a servi de rien, il n’est jamais venu en discussion. C’était sans doute un test pour juger de mon orthodoxie », p. 32), sauf lorsqu’il se sent mis en cause (p. 37 et suiv.) ou lorsqu’il s’agit de défendre Teilhard (p. 33, 40, etc.). À la lecture de son journal, on n’apprend que quelques éléments relatifs à ses séjours à Rome et à ce qu’il y observe, notamment la querelle entre le Latran et l’Institut biblique. On y apprend aussi quelques éléments relatifs à la compagnie, par la fréquentation de ses confrères Dhanis, Boyer, Hürth. Il est surtout sensible au climat qui règne dans la Ville éternelle et aux méthodes qui y ont cours pour trouver dans les textes des théologiens des erreurs à condamner (p. 24, par exemple). Par-dessus tout, il trouve que la théologie dominante à Rome est trop ignorante de l’Écriture, des Pères et de l’Église orientale (p. 34-35), qu’elle est un système rigide, et qu’elle est produite par des gens trop peu informés des courants spirituels et de la réflexion actuelle.

On trouve aussi dans ces Carnets l’ami fidèle de Teilhard, ce qui se voit tout au long des six années où il tient son journal. Certes, les références au cardinal Ottaviani sont plus nombreuses, mais celles se rapportant à Teilhard sont de loin plus significatives. D’abord, il combat pour éviter qu’il ne soit condamné au moment de l’élaboration du De Ordine Morali (1961). Puis, il ne cesse de le réhabiliter à travers de multiples conférences qu’il donne à des étudiants et à d’autres groupes.

Gilles Routhier

3. K. Schelkens, éd., Carnets conciliaires de Mgr Gérard Philips, secrétaire adjoint de la Commission doctrinale. Texte néerlandais avec traduction française et commentaires par K. Schelkens, introduction par L. Declerck. Leuven, Peeters et Maurits Sabbebibliotheek, Faculteit Godgeleerdheid (coll. « Instrumenta theologica », XXIX), 2006, xxvii-180 p.

Le rôle de Gérard Philips au Concile Vatican II est si grand que l’on reconnaît d’emblée une valeur historique importante à ses Carnets conciliaires. Toutefois, l’auteur nous prévient : « On ne rédigera pas beaucoup de pages d’histoire à partir de mes notes écrites : j’ai trop peu de temps pour prendre régulièrement des notes […] » (p. 118). En effet, ces Carnets conciliaires, dont l’intérêt pour les historiens du Concile Vatican II est indéniable, sont d’un genre bien particulier puisqu’ils appartiennent à une série de Carnets spirituels de G. Philips, souvent rédigés au moment de sa retraite annuelle ou lors de ses journées de récollection. C’est alors, à distance, que les événements sont repris et intégrés grâce au travail de la méditation de leur auteur. Ainsi, si l’on retrouve des éléments fort utiles pour la connaissance du Concile (en particulier en ce qui a trait à l’élaboration du « schéma Philips » et à son acceptation comme texte de base pour la rédaction du De Ecclesia — expérience éprouvante pour Philips — et à la rédaction de la nota explicativa, à laquelle est consacré presque totalement le Cahier XII, ici, les p. 134-141, ou des éléments sur la rédaction du De Beata ou de Dei Verbum), on retrouve surtout des informations sur la personnalité et la spiritualité de Mgr Philips et aussi sur sa conception du travail et d’un texte conciliaire.

Comme la contribution de Philips à Vatican II est déjà assez connue à travers d’autres études et puisque l’iter du De Ecclesia a déjà fait l’objet de plusieurs travaux, c’est sur les aspects plus intimes ou plus personnels et sur sa conception du travail conciliaire que je m’attarderai surtout ici.

On retrouve d’abord un homme d’une profonde spiritualité, qui cherche à accomplir la volonté de Dieu et non à se mettre en vedette. Son souci d’effacement et sa volonté de disparaître sont récurrents (par exemple, p. 104, 107, 114, 121, 136, 143, 155, etc.). Son désir est de servir l’Église (p. 116), dans l’ombre (p. 130), avec humilité (p. 115, 117). D’ailleurs, ce qu’il reproche le plus aux ecclésiastiques et à la tribu théologique, c’est l’assurance ou le manque d’humilité : « […] cela me fait vraiment mal de voir tant de personnes si passionnément sûres d’elles-mêmes », notera-t-il, le 14 novembre 1963 (p. 115), avant de revenir sur le même sujet un peu plus tard, observant que quelque chose le « frappe toujours chez les théologiens “romains”, à savoir qu’ils écoutent si peu. Ils savent tout et jugent tout à partir de leur conception qui se confond avec la foi » (p. 124 ; voir aussi p. 89 et 155). Ce qui l’horripile par-dessus tout, c’est de constater autour de lui « de l’orgueil intellectuel et une soif de pouvoir » (p. 115), et ce qui le fait particulièrement souffrir, le manque de « réceptivité et [d’]humilité intellectuelle ». Lui-même reconnaît apprendre en lisant Tillich (p. 122-123), confessant « que la pensée moderne m’est infiniment inconnue » (p. 123) et qu’« il y a beaucoup de choses que j’ignore » (p. 125).

Homme humble et effacé, Gérard Philips est aussi un homme de foi et de confiance en Dieu, caractéristique qui revient fréquemment dans ses Carnets (p. 116, 121, 122, 127, 128, 129, 130, 141, etc.), et qui l’entraîne à faire confiance aux autres et, surtout, à vivre dans le détachement. Il sait que « tout est entre les mains de Dieu » (p. 116, 128, 135, 142), que le succès de son travail « dépendra de la Providence » (p. 121).

Dans ses Carnets, G. Philips revient souvent sur sa méthode, dont on a tant parlé, et qui fut reconnue et appréciée de tous, notamment du pape (p. 121). Homme de conciliation plutôt que de parti, G. Philips ne se reconnaît pas d’ennemis (p. 121), même chez des adversaires comme le P. Tromp ou le cardinal Ottaviani qui l’avait pourtant attaqué durement au cours de la première session (p. 86). Sa méthode n’est pas simplement faite de tactiques — bien qu’elle n’en soit pas dépourvue (voir p. 99), mais d’une conviction de fond : parvenir à une compréhension et à un accord « aussi large que possible » et tenter de « conserver la paix » (p. 124), même avec « ceux qui pensent autrement » (p. 136). Par-dessus tout, il ne voulait pas lutter « contre » quelqu’un (p. 124) ou blesser qui que ce soit, mais exposer le plus sereinement possible ce qu’il croyait être la vérité. Si on a pu penser qu’il « faisait de la diplomatie », il affirme sans relâche que jamais il n’a fait de compromis : « […] au prix de la vérité, ou du moins ce que je considère comme la vérité » (p. 125). Il ne s’agit donc pas essentiellement d’une méthode de compromis ou de juxtaposition de thèses divergentes, mais avant tout d’une méthode faite de patience, d’ouverture et de concertation (p. 121), qui consiste à « maintenir le positif et le vrai dans leurs [des opposants] déclarations […]. Ce qui est partial et étroit, ou peut-être faux, doit être complété, rectifié et corrigé. Cela doit être réalisé de façon honnête, et sans faux camouflage » (p. 126). Certes, son expérience parlementaire, sur laquelle il revient souvent (p. 85, 116, etc.), y est pour quelque chose dans sa méthode, mais elle n’explique pas tout. Il est avant toute chose un esprit conciliaire, davantage encore que conciliant, et cette part qu’il fait au point de vue de l’autre tient tout autant à son humilité intellectuelle qu’à son respect des autres personnes, même des adversaires. A contrario, il croyait que l’action révolutionnaire constituait une méthode « dangereuse et souvent inefficace » (p. 125), qu’accuser sans raison répondait à une injustice par une autre et entraînait dans un cercle vicieux (p. 126). Sa méthode est faite d’écoute du point de vue de l’autre et, à la dernière page de ses Carnets, avouant avoir beaucoup appris à l’occasion du Concile, il conclut : « Les ecclésiastiques n’écoutent pas suffisamment » (p. 156) et les théologiens, qui se vantent de leur méthode critique, n’appliquent pas suffisamment à leur propre opinion cette méthode qu’ils mettent par ailleurs en avant (p. 107).

Tout cela rejoint d’ailleurs sa conception du Concile qui, non seulement est l’oeuvre de l’Esprit, mais n’est pas le lieu pour « effectuer le travail théologique proprement dit ». Il doit « indiquer la direction, ne pas couper inutilement les issues, garantir la liberté légitime […] » (p. 126) et, surtout, honorer la diversité des opinions de l’assemblée.

Enfin, ces Carnets nous informent sur les relations entre Philips et d’autres protagonistes du Concile, en particulier avec le cardinal Suenens, « qui est comme il est… » (p. 140), qui « garde un peu ses distances et reste énigmatique » (p. 82) et dont Philips n’est pas l’homme (p. 130) ; Paul VI, à qui il parle franchement ; Ottaviani, Tromp et quelques autres avec qui Philips garde contact et à qui il rend visite, même dans l’adversité. À la lecture de ces Carnets, on a l’impression que le sentiment que tout pouvait se faire entre Européens était présent tout au long du Concile ; on trouve peu de noms de non-Européens dans ses Carnets, comme c’est le cas également dans le Journal de Lubac, par exemple, et dans bien d’autres.

Ces Carnets, présentés dans leur langue originale (le néerlandais), suivis d’une traduction en français, sont précédés d’une introduction de Léo Declerck, qui met en relief les éléments principaux de ces Carnets, et d’une note de l’éditeur sur les Carnets eux-mêmes et sur leur édition critique. Les notes, présentées en français seulement, ont l’inconvénient pour le lecteur d’être placées à la fin du volume, mais il était difficile ici de faire autrement. L’ensemble est suivi d’un index onomastique qui présente une courte notice sur chacune des personnes citées et un renvoi aux pages des Carnets, à la fois dans le texte en langue originale et dans la traduction française.

Gilles Routhier

4. Marco Vergottini, éd., Paolo VI, « Nel Cono di Luce del Concilio ». Discorsi e documenti (1965-1978). Roma, Edizioni Studium (coll. « Quaderni dell’Istituto Paolo VI », Brescia, 26), 2006, xxiv-475 p.

L’Istituto Paolo VI a déjà publié trois volumes colligeant les interventions de G.B. Montini — Paul VI — relatives au Concile : Discorsi e scritti sul Concilio (1959-1963) ; Interventi nella Commissione Centrale Preparatoria del Concilio Ecumenico Vaticano II (gennaio-gigno 1962) et Discorsi e documenti sul Concilio (1963-1965). Ces trois volumes sont aujourd’hui complétés par une nouvelle publication qui recueille cette fois les discours et documents de Paul VI sur le Concile au cours de la période post-conciliaire. Il s’agit de 120 textes, faisant en moyenne 2 à 3 pages (et en appendice 154 fragments, textes plus brefs appartenant à des interventions plus élaborées), qui jalonnent les quatorze dernières années de son pontificat. Cette période, on le sait, a été pour l’Église catholique une période fort délicate, période de tempête et de brouillard, suivant les expressions de Paul VI. Ces secousses sont provoquées non seulement par le Concile, mais aussi par une révolution culturelle de grande ampleur qui balaie l’Occident, sans parler des importants mouvements sociaux sur les autres continents, notamment la période post-coloniale en Afrique et les divers mouvements de libération qui agitent le monde. Au cours de cette période, Paul VI a tenté de tenir la barre et de permettre à l’Église de naviguer sur des eaux tumultueuses.

On ne sera pas surpris que ses textes les plus nombreux sur le Concile soient de 1966, l’année qui suit immédiatement le Concile. Au cours de cette première année, Paul VI met en lumière la nouveauté apportée par le Concile, insiste sur la nécessité de le mettre en oeuvre et invite au renouveau de l’Église. De grands textes où l’on pressent la joie de l’après-Concile, de belles pages qui présentent le Concile comme « langage de l’amitié et invitation au dialogue », définissant ainsi le « stile conciliare » (texte 8).

Mais déjà, les difficultés apparaissent et, dès 1966, il met en avant la vertu d’obéissance (texte 29), le sens des responsabilités (30) et la mise en oeuvre ordonnée des réformes (34). Il met en garde contre la frénésie ou l’excitation qui peuvent s’emparer des esprits (25) ou la trop grande liberté prise par la théologie (28 et 37). Son encouragement aux réformes et ses appels à la prudence alternent déjà, mais il renouvelle toujours sa fidélité au Concile comme seule route possible pour l’Église.

Au cours des années 1968, 1969 et 1970, Paul VI tente de tracer une via media entre progressisme et traditionalisme, entre « contestation globale » et renouveau intérieur (texte 54), prudence et audace (56), espérance et désillusion (64), renouveau et fidélité (44), défiance et impatience (55), etc. Entre ces extrêmes, Paul VI indique toujours comme voie la fidélité au Concile. Au cours de ces années de crise, il réfléchira au gouvernement pastoral de l’Église (texte 47) à l’exercice de l’autorité (51, 66), au nouveau style de l’obéissance dans l’Église (52) et au service comme qualité distinctive du ministère (textes 57, 75 et 51). Il invitera également à aimer et à édifier l’Église (textes 49 et 50), plutôt que de l’attaquer et de la critiquer, et soulignera l’importance de la conservation du dépôt de la foi dans son intégrité (textes 68 et 81). À travers les ombres et les lumières de cette période post-conciliaire (65), son orientation demeure toujours la fidélité au Concile, orientation à laquelle il ne déroge jamais, même dans les jours les plus sombres. Pour lui, pas de retour en arrière possible, car le Concile lui apparaît comme un événement spirituel de grande portée s’inscrivant dans le temps long et la durée. Il en voit même déjà les fruits dans la nouvelle vitalité de l’Église (85). Ainsi, la réception et la mise en oeuvre de cet héritage conciliaire deviennent le programme même de son pontificat (voir « Fedeltà e tenacia conciliare come programma del pontificato », p. 225 et suiv.) De cet enseignement, deux suggestions se dégagent nettement : le Concile invite au renouveau intérieur et pas simplement à des réformes extérieures (textes 54, 58, 62, 83). Toujours il avance, désireux de construire l’Église avec courage, ordre et patience (34).

À partir de l’année 1972, la tempête s’étant calmée et les principales réformes ayant été mises en oeuvre, les textes deviennent plus rares, jusqu’à la conclusion, le texte de l’audience générale du 21 juin 1978, quelques mois avant sa mort, où Paul VI présente à nouveau le Concile comme « tema dominante del pontificato ».

À travers tous ces textes, ce sont quatorze années de la vie de l’Église qui défilent sous nos yeux. Je me suis surpris à me dire que l’on dispose là d’un fabuleux corpus pour un étudiant qui voudrait entreprendre un mémoire de maîtrise. Certes, l’introduction de M. Vergottini présente une première analyse de l’ensemble, mais il serait intéressant de pousser plus loin.

Gilles Routhier

5. Mauro Velati, éd., Angelo Giuseppe Roncalli - Giovanni XXIII, Pater amabilis. Agende del pontefice 1958-1963. Bologna, Istituto per le scienze religiose, 2007, 372 p.

Depuis 2001, à la suite d’un décret du ministre des biens et des activités culturelles, se poursuit l’édition des agendas d’Angelo Roncalli. Plusieurs volumes ont déjà été publiés, y compris la réédition du Journal de l’âme, les agendas de la période où il était nonce à Paris (2 volumes : 1945-1953) et les agendas de l’époque où il était délégué apostolique en Orient (Bulgarie, Turquie, Grèce, 2 volumes : 1935-1944). Le présent volume (volume 7) est consacré à la période de son pontificat marqué par le Concile Vatican II, annoncé le 25 janvier 1959. Bien qu’il s’agisse souvent de notes fort brèves et irrégulières, l’ensemble est tout à fait intéressant lorsque l’on veut connaître non seulement les sentiments de Jean XXIII devant les événements qui ont marqué son pontificat, mais également lorsque l’on veut refaire la chronique de certains événements. Certes, occupé par de multiples besognes, Jean XXIII ne trouve pas le temps de noter chaque jour ses rencontres et ses impressions. Ainsi, on saute parfois plusieurs jours, voire des mois, surtout au début de son pontificat (les derniers mois de l’année 1958). Ceci dit, cet agenda complète bien les informations que nous trouvons par ailleurs, notamment le Journal de l’âme et les lettres personnelles du pape. Du reste, l’éditeur, Mauro Velati, a fait un travail remarquable, non seulement en offrant d’abondantes notes critiques, mais en renvoyant le lecteur aux lettres (envoyées et reçues) et à d’autres documents complémentaires qui éclairent les notes souvent lacunaires. Reste que l’agenda représente un témoignage important du pontificat et offre ce que des sources officielles ne peuvent pas offrir, c’est-à-dire les impressions et les réactions du pape aux divers événements, les motifs de ses actions, son appréciation des situations et des personnes, etc. De plus, cet agenda vient compléter d’autres sources non seulement en nous donnant accès à la vie privée du pape, mais en offrant des informations qui nous permettent de saisir les choses, même celles qui relèvent de son activité publique, de ses actes officiels ou de ses multiples rencontres journalières annotées, à partir d’un autre point de vue, celui du pape. Bien plus, l’agenda nous permet d’entrer, guidé par Jean XXIII, dans son expérience de la charge pontificale et dans sa vie quotidienne.

À travers ces pages émergent aussi la figure de Roncalli, sa simplicité, sa confiance en la Providence, certes, mais aussi en ses collaborateurs, malgré certaines difficultés de rapports, surtout avec le Saint-Office, sa charité et sa bienveillance à l’égard de tous ceux qu’il rencontre. En revanche, il pourfend le carriérisme ecclésiastique, le manque d’attention aux personnes et l’absence d’esprit de service, choses qui le chagrinent entre toutes. Chose intéressante encore, nous est livrée l’expérience du vieillard et, bientôt, de celui qui est malade, Jean XXIII se référant souvent à cette expérience, qu’il vit en chrétien, de vieillir et d’aller à la rencontre de la mort.

Cet agenda, document exceptionnel lorsqu’il s’agit des papes, l’est encore plus lorsqu’il s’agit d’un pape qui a convoqué un concile. Son enthousiasme pour ce projet dont il suit la préparation ne se dément pas, pas plus du reste qu’il n’exprime quelque regret de l’avoir convoqué. Plus il avance, plus il voit cependant que ce ne sera pas lui qui le mènera à terme, mais il va confiant, consentant à donner sa vie pour l’Église et le Concile. On peut lire ses réactions aux événements capitaux, l’annonce, le 25 janvier 1959, le début de la période préparatoire, la bulle d’indiction, le discours d’ouverture. On le voit parfois passer des nuits à préparer les discours qui accompagneront ces moments-clés. Les dimensions spirituelle et pastorale du Concile sont pour lui capitales. Enfin, le Concile est pour lui un acte de confiance à l’égard de l’épiscopat qui devient du coup son interlocuteur privilégié et avec qui il veut gouverner l’Église.

Il faut souligner en terminant la très grande qualité de l’édition, non seulement des notes et de l’index des noms, mais aussi de la présentation matérielle. En somme, un travail remarquable, très utile pour les historiens du Concile.

Gilles Routhier

6. Heinrich Fasching, éd., « Konzils-Notizen » : Tagebuchaufzeichnungen von Bischof Dr. Franz Žak während des Zweiten Vatikanischen Konzils (10. Oktober 1962 bis 8. Dezember 1965). St. Pölten, Diözesanarchiv St. Pölten (coll. « Hippolytus Neue Folge », « St. Pöltner Hefte zur Diözesankunde », 6. Beiheft), 2005, 64 p.

À la mort de Mgr Franz Žak (1917-2004), coadjuteur (1957-1961), puis évêque (1961-1991) du diocèse autrichien de St. Pölten, ses « Carnets conciliaires » furent trouvés, puis publiés récemment sous l’égide de l’évêque auxiliaire émérite du diocèse, Mgr Heinrich Fasching.

Pendant le Concile, Mgr Žak prit assez régulièrement des notes dans lesquelles il résumait brièvement les événements. Il y ajouta souvent des commentaires personnels assez brefs. Si ses notes ne révèlent pas de nouveautés pour les recherches sur Vatican II, elles permettent néanmoins de suivre l’itinéraire d’un Père conciliaire qui observait attentivement les événements à Rome, et qui prit au sérieux son rôle de pasteur dans son Église locale. Ces deux perspectives s’entremêlent d’ailleurs dans les notices. Puisque Mgr Žak était plutôt un évêque de second rang dans l’aula conciliaire, ses consultations et rencontres avec des mouvements de jeunesse ou avec des hommes politiques (p. 48), parmi lesquels il y avait des socialistes, n’influencèrent guère les débats. Pourtant, ils contribuent à mettre en lumière l’atmosphère dans laquelle le Concile fut perçu en Autriche.

Les notes conciliaires de Mgr Žak mettent en relief plusieurs aspects qui concernent l’Autriche et Vatican II. Premièrement, le rôle de premier plan que joua l’archevêque de Vienne, le cardinal Franz König, fut accepté sans restriction par Žak et, apparemment, par les autres évêques autrichiens. En tant que chef de file des évêques autrichiens, König informa ses confrères des discussions dans les commissions conciliaires ; de leur côté, ceux-ci soutinrent ses prises de position — du moins ce fut le cas pour Mgr Žak. Deuxièmement, l’héritage de l’ancienne monarchie austro-hongroise eut une influence non négligeable sur les contacts de Žak, puisqu’il facilita l’échange avec des évêques de certains pays tel que la Tchécoslovaquie, sous régime communiste au moment du Concile (p. 29, 57). Cette perspective explique sans doute aussi pourquoi l’évêque autrichien semble se reconnaître dans les positions de Mgr Bengsch, évêque de Berlin, à propos du communisme (p. 47, voir aussi p. 24). Celles-ci jouèrent un rôle significatif dans l’attitude des évêques germanophones au moment des votes sur le schéma XIII. Troisièmement, les évêques autrichiens et allemands formèrent un groupe linguistique, ce qui favorisa le travail commun. Pour l’évêque de Sankt Pölten, cette collaboration alla de soi. Ainsi, par exemple, l’influence théologique du jésuite allemand Karl Rahner dépassa la seule Allemagne : il enseigna à Innsbruck jusqu’en 1964 et fut conseiller théologique du cardinal König. À plusieurs reprises, Žak se reconnut dans les positions des théologiens allemands (voir p. 11 son accord avec Karl Rahner et p. 21 avec Otto Semmelroth). Parmi les théologiens autrichiens, Ferdinand Klostermann fut sans doute le plus apprécié par Žak.

Parfaitement loyal envers l’ensemble des évêques germanophones, Mgr Žak garda tout de même une certaine indépendance dans son jugement. Ainsi, en novembre 1962, s’il était d’accord avec la ligne générale du schéma Rahner-Ratzinger sur la Révélation, il exprima malgré tout quelques critiques concernant le procédé et le style : le schéma serait-il trop « deutsch » (p. 17) ? Mgr Žak ne fut pas seulement loyal envers ses confrères germanophones, mais aussi envers Jean XXIII. Son attitude face à la « nota brevia » (sic ; p. 41 et suiv.), en novembre 1964, en témoigne : il accepta la « nota praevia explicativa » malgré une certaine réserve intuitive ; par contre, il jugea problématique le procédé, qui aurait détérioré l’atmosphère conciliaire.

Sa tâche d’évêque diocésain le confronta à des problèmes locaux et pastoraux. Il espérait que le Concile permettrait aux évêques diocésains de trouver des solutions responsables. Inversement, il se plaignait de certains blocages de la part de la Curie au Concile, qu’il jugeait plutôt sévèrement (p. 19, 28). Certains membres de la minorité semblaient vivre, selon Žak, « au Moyen Âge » (p. 13, 46). Loyal envers le pape, mais aussi envers son diocèse, il n’appréciait pas du tout qu’on traite les Autrichiens (parmi d’autres) de « transalpini dangereux » (p. 39).

Lors de la quatrième période conciliaire, Žak s’intéressa aux questions des indulgences et des mariages mixtes. Il vota « non placet » aux chapitres du schéma XIII sur le mariage et sur la culture, tout en affirmant voter « placet » lors du vote final (p. 58). Sans vouloir trop facilement insister sur une opposition entre francophones et germanophones autour du schéma XIII, on découvre que l’évêque de Sankt Pölten partagea quelques hésitations générales des Allemands. Cependant, il se soucia plutôt de problèmes particuliers (p. 54) et prit moins en considération l’enjeu fondamental de la constitution pastorale, si cher aux francophones, à savoir qu’elle devait s’exprimer à la manière d’une « constitution » à propos de l’Église dans le monde. Ces réserves n’exclurent pourtant pas sa satisfaction sur le résultat général.

Bien qu’à plusieurs reprises il ne cachait pas une certaine lassitude générale des acteurs du Concile (p. 24, 51), Mgr Žak considéra Vatican II comme un événement exceptionnel pour lequel il rendit grâce à Dieu (p. 60). À travers de pareils témoignages, on saisit mieux l’aspect « spirituel » de Vatican II. On peut donc espérer que des découvertes semblables aux Carnets conciliaires de Mgr Žak soient faites dans d’autres diocèses, et mises à la disposition du public.

Michael Quisinsky

Ouvrages collectifs et Actes de colloques

7. Nicolas de Bremond d’Ars, Jean-Marie Le Maire, Jacky Marsaux, La foi de Vatican II. Parcours d’humanité. Préface d’Albert Rouet. Paris, Éditions Karthala, 2004, 304 p.

Parmi toute la littérature en circulation sur Vatican II, cet ouvrage est bien original. D’une part, aucun de ses auteurs ne revendique le fait d’être spécialiste du Concile. Tous ordonnés prêtres après Vatican II, ce groupe d’ecclésiastiques, en prise avec les problèmes pastoraux qui incombent au ministère qu’ils exercent, poursuit une réflexion sur le monde, sur l’Église et sur l’homme. C’est probablement en ce sens que l’on peut situer leur propos dans la suite du Concile puisque, en quelque sorte, ils en reprennent aujourd’hui le geste et la méthode. En effet, si la référence explicite à Vatican II et à ses textes est assez ténue (sauf peut-être dans le premier parcours), on retrouve dans la lecture anthropologique qu’ils font de la Bible — pour lui rendre sa nouveauté dans la situation actuelle — quelque chose de Vatican II. Cette lecture de l’Écriture est du reste conjointe à la lecture du monde, de l’homme, de l’Église et de ses sacrements. Ce groupe de prêtres qui relit la Parole et la vie, vie pastorale de l’Église et vie paroissienne des fidèles, reprend à son niveau et à sa mesure quelque chose du travail conciliaire. On trouve dans cet ouvrage quelque chose aussi de Vatican II dans la recherche d’un style pour parler de Dieu et de son mystère au monde, et aussi pour parler du mystère de l’homme en lien avec le mystère de Dieu. C’est sans doute en ce sens que l’on peut parler, comme le suggère le titre, de la foi de Vatican II, c’est-à-dire de la conviction, toujours présente cinquante ans après l’annonce de Vatican II, qu’il faut trouver une manière de proposer l’Évangile au monde. En ce sens, cet ouvrage est un témoignage rendu à la justesse de l’intuition de Jean XXIII à la recherche d’une forme pastorale du discours, à la méthode et au geste de Vatican II.

Gilles Routhier

8. José De Broucker, Les nuits d’un prophète. Dom Helder Camara à Vatican II. Lecture des Circulaires conciliaires de Dom Helder Camara (1962-1965). Paris, Les Éditions du Cerf (coll. « L’histoire à vif »), 2005, 171 p.

Qui n’a pas le temps de lire les 1 170 pages des lettres conciliaires de Dom Helder pourra toujours se rabattre sur ce petit ouvrage qui, en cinq courts chapitres se propose de nous faire partager la passion de cet évêque brésilien. Il ne faut cependant pas s’attendre à retrouver ce que nous présentent les deux tomes de la correspondance conciliaire de Dom Helder — cela ne saurait se résumer —, sans compter qu’un intermédiaire ne saurait, même s’il multiplie les textes originaux, parler exactement la langue de l’autre. En effet, en lisant ce livre, on a la nette impression que Dom Helder est interprété, traduit et, quelque part un peu trahi.

Cet ouvrage s’appuie sur les circulaires envoyées par Dom Helder de Rome à sa « famille » brésilienne. On regrette cependant qu’aucune référence ne soit donnée aux très nombreuses citations du volume. Cela a sans doute l’avantage d’alléger le texte, mais cela n’est pas sans frustrer le lecteur.

Bref, un ouvrage simple, qui atteindra sans doute un large lectorat et qui, je l’espère, en invitera quelques-uns à poursuivre en plongeant directement dans les textes de Dom Helder.

Gilles Routhier

9. Nicla Buonasorte, Tra Roma e Lefebvre. Il tradizionalismo cattolico italiano e il Concilio Vaticano II. Roma, Edizioni Studium (coll. « Religion e Società. Storia della Chiesa e dei movimenti cattolici », 44), 2003, 177 p.

On a entendu beaucoup de chose sur la « minorité » au Concile Vatican II, notion qui n’est d’ailleurs pas toujours claire, ou sur la résistance d’une faction curiale au cours du Concile. On possède cependant peu de travaux sur le courant traditionnaliste à Vatican II, hormis quelques études de Luc Perrin sur le Coetus internationalis patrum. Du reste, avant d’entreprendre sa propre étude, N. Buonasorte fait une large revue de la littérature (p. 24-35) consacrée à cette question jusqu’à aujourd’hui.

Le travail qui nous est offert ici est original, car il examine la mouvance traditionnaliste d’un pays, l’Italie en l’occurrence. Le travail se divise en deux grandes parties : la mouvance traditionnaliste au cours de Vatican II lui-même et la résistance au Concile au moment de sa réception.

Comme il s’agit d’un ouvrage pionnier, on peut penser que N. Buonasorte élabore une méthode qui pourrait servir à identifier et à étudier le courant traditionnaliste dans d’autres pays. Pour la phase antépréparatoire et préparatoire du Concile, l’A. examine les vota et concilia. On examine ici les catégories utilisées (plus juridiques et morales que pastorales) et, sur le plan du style, la recherche d’une réaffirmation de la doctrine et de définitions dogmatiques, ainsi que l’identification d’erreurs et d’ennemis de l’Église. Sur le plan thématique, cela se concentrait notamment sur la centralité de Rome, la théologie mariale et les idéologies modernes. Buonasorte tente aussi d’identifier des lieux (institutions), des milieux et des réseaux porteurs d’une telle mouvance. Pour la période conciliaire elle-même, l’A. prétend que l’on peut identifier cette mouvance en examinant d’abord les interventions dans l’aula conciliaire, postulant que la fréquence des interventions sur certains arguments nous permet d’identifier les points nodaux sur lesquels se concentrera la résistance au Concile. De manière générale, on peut admettre ce principe méthodologique, mais il n’est sans doute pas en lui-même suffisant en raison de la dynamique du Concile. Dans le cas présent, Buonasorte parvient à identifier quelques points particuliers : la liturgie (principalement l’usage des langues modernes, l’autorité responsable de la liturgie, la concélébration, la communion sous les deux espèces), le statut de la Bible dans l’Église, la collégialité, la liberté religieuse, les relations avec les religions non chrétiennes, en particulier avec le judaïsme, et le rapport au monde. Le troisième indicateur est l’appartenance de certains évêques au Coetus internationalis patrum.

Pour la période post-conciliaire, après avoir examiné brièvement les évolutions sociales et culturelles des années 1960-1970, l’A. examine les diverses formes de résistance au Concile, surtout à partir des années 1970 où l’on parle plus généralement d’une « crise de l’Église » qui serait un fruit du Concile. Parmi ces formes, la première est la résistance plus individuelle dans les diocèses dirigés par des évêques qui avaient tout au long du Concile tenté de bloquer ses réformes (Ruffini, Siri, Carli, etc.). Dans ces cas, les réformes conciliaires sont très minimalement mises en oeuvre alors qu’on héberge des foyers de résistance à Vatican II, notamment des revues. Deux mouvements bien identifiés sont ensuite examinés : le refus lefebvriste et le mouvement « sede vacante ». Toutefois, leur enracinement en Italie demeure limité. Une quatrième forme, beaucoup plus difficile à identifier et à localiser, est ensuite étudiée : l’archipel ou la nébuleuse traditionnaliste, plus présente, elle, mais plus diffuse, et qui se manifeste à travers des groupes, des revues, des mouvements, etc.

La conclusion est intéressante si l’on veut étudier avec un peu de subtilité la résistance à Vatican II. Buonasorte prétend que la résistance italienne a des caractères particuliers et se distingue nettement du mouvement lefebvriste qui n’arrive pas à s’enraciner profondément en Italie, où il est pratiquement impensable de se détacher de Rome. Cela nous conduit à croire que le refus de Vatican II, même s’il tente de s’internationaliser et de s’organiser en réseau, est plus complexe qu’on ne le pense, tant il est lié à des contextes nationaux. Cela est vrai pour l’Italie, où le pape et le Saint-Siège occupent une place centrale, mais cela est vrai aussi pour la France où le refus du Concile est très lié à un éthos sociopolitique particulier, un vieux fond monarchiste et d’Action française. Ce refus peut se cristalliser partout sur certains points particuliers (liturgie, famille, oecuménisme, dialogue interreligieux, etc.), mais il est fondé sur des éthos différenciés et il évolue suivant des stratégies particulières d’un pays à l’autre. Il serait donc intéressant de disposer de quelques monographies comme celle que nous présente N. Buonasorte pour pouvoir l’appréhender avec plus de subtilité.

Gilles Routhier

10. Walter Andreas Euler, dir., 40 Jahre danach. Das Zweite Vatikanische Konzil und seine Folgen. Trier, Paulinus Verlag, 2005, 186 p.

Pendant le semestre d’hiver 2004-2005, la Faculté de théologie de Trèves (Trier), consacra une série de conférences à Vatican II. Ce projet fut lancé par l’intérêt suscité suite à la conférence du 4 décembre 2003, donnée à Trèves par le cardinal Joseph Ratzinger, à l’occasion du 40e anniversaire du vote final de Sacrosanctum Concilium (p. 7).

Cette conférence[3] introduit donc les huit articles sur Vatican II publiés dans ce recueil. Bien que l’aspect historique n’en soit pas absent, ils ont en général une approche plutôt systématique. Comme le genre littéraire choisi pour cette publication l’impose, chacun d’entre eux met en évidence un ou plusieurs aspects et, même s’ils ne traitent pas de manière exhaustive les sujets étudiés, ils peuvent enrichir notre perception de Vatican II et ainsi stimuler les recherches.

Le cardinal Joseph Ratzinger inscrit résolument la constitution sur la liturgie dans la Tradition de l’Église ; il ouvre ainsi un horizon très large. Il estime que c’est essentiellement grâce à la liturgie que peut être vécue l’« auto-transcendance » (p. 16), le sursumcorda qui ouvre une dimension eschatologique (p. 14). Après avoir systématisé la compréhension de la liturgie dans SC, Ratzinger consacre une grande partie de sa conférence aux « catégories fondamentales » de la réforme liturgique : la compréhensibilité, la participation et la simplicité (p. 19-26). En se concentrant ainsi sur l’essentiel, la conférence ouvre là encore un large horizon. Mais vu la complexité de la vie à notre époque, il ne sera probablement pas toujours facile de trouver des réponses adéquates aux problèmes dont le pape actuel diagnostique avec clairvoyance quelques racines profondes.

Bernhard Schneider entreprend de situer historiquement le Concile dans le 20e siècle. Dans une vue d’ensemble, on peut toujours considérer que certains aspects sont sous-estimés ou négligés. Celle que propose Schneider met cependant l’accent sur un élément qui mérite attention : il pose en effet comme postulat que Vatican II se déroule dans une période de « crise », crise générée par la convergence de plusieurs mutations profondes qui marquèrent le 20e siècle et dont il relève les éléments généraux (p. 28 et suiv.), tout en analysant les répercussions qu’ils générèrent sur la vie de l’Église (p. 35 et suiv.) et sur la théologie (p. 43 et suiv.). À partir de cette approche, qui sensibilise aux défis que représentent les grandes mutations historiques pour la foi, il conclut que Vatican II n’engendra pas de crises, mais qu’il permit et permet encore à l’Église de mieux les affronter.

Reinhold Bohlen traite quant à lui des relations entre le christianisme et le judaïsme. Il estime tout d’abord que Nostra Aetate est un document particulièrement novateur de Vatican II. Cependant, si l’Église a déjà progressé sur le chemin inauguré par le Concile, il reste encore beaucoup de route à parcourir (p. 68 et suiv.). Au-delà de l’attitude de l’Église face au judaïsme, Bohlen démontre qu’il n’est pas fructueux de s’interroger sur la « nouveauté » de Vatican II d’une manière générale et abstraite. En effet, si l’on situe le Concile dans l’histoire, on voit plutôt que, à partir de questions concrètes, la Tradition se vit toujours dans la tension entre la continuité et le renouveau.

C’est dans le même sens qu’on peut résumer la conférence de Wolfgang Göbel sur Gaudium et Spes. Pour Göbel, l’Église accepte désormais le temps et l’histoire comme éléments constitutifs de sa propre réalisation. À Vatican II, cela se réalisa par une meilleure compréhension de l’époque contemporaine, période qu’il nomme « temps occidental », et dont « le programme est la reconnaissance de la dignité de l’homme » (p. 77). Certes, on pourrait discuter et nuancer cette caractérisation de toute une époque historique, mais la thèse centrale de Göbel reste pertinente : la foi chrétienne permet d’accepter pleinement notre époque comme lieu de l’existence chrétienne, et ceci d’autant plus que l’Incarnation et la recherche contemporaine de la dignité de l’homme peuvent être mises en relation étroite. La foi chrétienne, fondée sur l’Incarnation, peut apporter ce que Göbel appelle un « surplus » à la compréhension de l’homme (p. 82). C’est à partir de là que la foi chrétienne peut être vécue par et pour les hommes de ce temps, même si l’on doit désormais avoir un horizon qui va au-delà du seul Occident.

La conférence de Peter Krämer sur la liberté religieuse traite des relations entre liberté et vérité, ce qui inclut plusieurs aspects. Krämer aborde entre autres la conception anthropologique sous-jacente à Dignitatis Humanae (p. 94). La définition des rapports entre Église et État par DH constitue, pour lui, une véritable nouveauté de Vatican II (p. 101 et suiv.). Les énoncés conciliaires sur la liberté religieuse ont déjà des conséquences sur la vie interne de l’Église, et ceci au profit de sa mission. Pourtant, on pourrait, selon Krämer, imaginer encore d’autres développements dans ce sens. De ce point de vue, le Codex Iuris Canonici (CIC) de 1983 n’exploiterait pas toutes les possibilités ouvertes par le Concile (p. 107).

Walter Andreas Euler présente la « vision oecuménique du Concile ». À quarante ans de Vatican II, après beaucoup de progrès et d’intuitions qui restent actuelles, l’oecuménisme est arrivé à un « tournant » (p. 138) ; ainsi, pour sortir des impasses et de la léthargie, Euler propose de remettre en valeur l’approche à la fois modeste (c’est-à-dire réaliste) et ambitieuse (c’est-à-dire visionnaire) du Concile.

Pour définir le caractère « pastoral » de Vatican II, Heribert Wahl structure sa conférence selon la fameuse trilogie « voir-juger-agir ». Ainsi, sa description de la « Kairologie » (situation actuelle par rapport à la réception de l’option pastorale du Concile) est suivie d’une « Kriteriologie » (critères de Vatican II pour discerner les enjeux théologiques et pastoraux), pour mener à une « Praxeologie » (lieux concrets où se réalise le caractère pastoral de l’Église). L’originalité de l’approche de Wahl, qui se base sur les travaux d’Elmar Klinger et de Hans-Joachim Sander, est sans doute sa formule selon laquelle le Concile a un caractère « performatif » (p. 156 et suiv.) : l’acte théologique est un acte pastoral et inversement. Même si l’Église et la théologie contemporaine devaient reprendre cette attitude, Wahl constate aussi une non-réception partielle de GS (p. 146 et suiv.). Les multiples conséquences et enjeux que Wahl esquisse dans son article, et qui mériteraient d’être présentés plus en détail, démontrent la profondeur du défi.

Le cardinal Lehmann, président de la conférence épiscopale allemande, présente quelques réflexions sur la relation entre l’Évangile et le dialogue. Ainsi, il insiste dès le début sur le fait que le dialogue est une attitude profondément chrétienne. En même temps, il évite de proposer une définition du dialogue qui ferait fi de racines et de critères. L’Église elle-même est essentiellement dialogue (p. 172). Selon Lehmann, « presque tous les défis entre foi et culture, Église et société dans l’époque moderne » étaient des « situations de conflit » entre l’identité de l’Église et sa capacité de dialoguer avec le monde (p. 177). Ce diagnostic a des conséquences lourdes pour la compréhension de Vatican II, ce « grand dialogue » (p. 176). À partir de là, le cardinal Lehmann propose des réflexions profondes et équilibrées au sujet de la réception et de l’herméneutique conciliaire (p. 176-185).

Michael Quisinsky

11. Centro Vaticano II,Ricerche e Documenti, « Giovanni XXIII e Paolo VI : i due Papi del Concilio ». Atti del Convegno internazionale di Studi (Roma, 9-11 ottobre 2002). Vol. IV, 1 et 2 (2004) et vol. V, 1 (2005), 94 et 64 p.

C’est dans la revue Centro Vaticano II du Centro Studi e Ricerche sul Concilio Vaticano II et non dans la collection inaugurée quelques années plus tôt par le même centre que sont publiés les actes du colloque international sur les deux papes du Concile. Certes, on dispose déjà de plusieurs études sur ces deux personnages, mais c’est la première fois qu’un colloque est entièrement consacré à ce thème et tente de dessiner la figure des deux papes du Concile que certaines études présentent de manière sans doute trop contrastée. Jean-Dominique Durand discute justement de cette tendance rencontrée dans l’historiographie de souligner soit la rupture, soit la continuité entre les deux papes. Plus que de vouloir mettre en parallèle leur contribution respective à Vatican II, de parler de la rupture ou de la continuité entre les deux pontificats, Durand préfère souligner non seulement la différence d’origine, de formation, de génération, de culture et de tempérament de ces deux papes, mais aussi des situations diverses dans lesquelles ils ont eu à exercer le pontificat au cours du Concile : le premier a eu l’audace de lancer le Concile alors que le second a eu la charge de le mener à terme. Chose certaine, et la contribution de M. Lamberigts en fait la démonstration, on ne peut pas dire que Paul VI soit intervenu dans les travaux du Concile alors que Jean XXIII, suivant son mot d’ordre, n’aurait que laissé faire, avec confiance. L’un et l’autre sont intervenus dans le cours du Concile.

Plusieurs contributions de ces deux recueils sont d’un grand intérêt. Un premier groupe essaie d’explorer la relation entre le pape et quelques figures influentes ou proches collaborateurs. À ce chapitre, la communication de F.G. Brambilla, à partir de documents inédits tirés du fonds Carlo Colombo, éclaire les relations entre le pape (dans le cas Montini) et quelques figures qui ont joué un rôle capital au moment du Concile et ont été en mesure d’influencer les papes. Il est dommage que l’étude consacrée aux rapports entre Jean XXIII, Paul VI et Mgr Felici, secrétaire général du Concile depuis la phase préparatoire jusqu’à la fin, n’ait pas davantage levé le voile sur l’activité de cet homme de premier plan, pas plus que ne le fait le témoignage de Mgr Macchi qui, pourtant, a connu toutes ces choses de très près.

D’autres contributions jettent pour leur part un peu de lumière sur les rapports qu’entretient le Concile avec d’autres événements, la publication d’encycliques ou les voyages de Paul VI au cours du Concile. Je retiens ici celle de G. Turbanti, sur la réception par le Concile des encycliques de Jean XXIII et de Paul VI, etc. Cela indique bien à quel point le Concile lui-même est un fait de réception et est influencé par l’action para-conciliaire des papes.

D’autres contributions encore, notamment celles de Norman Tanner et de S. Leimgruber, portent sur l’image des deux papes dans le monde anglo-saxon et le monde germanique au cours du Concile. Comme le note N. Tanner, la lecture que l’on fait de la personnalité des papes et de leur action est toujours fonction des intérêts des divers groupes. Ceci dit, les deux papes du Concile semblent avoir bénéficié d’une grande faveur dans les mondes anglo-saxon et germanique, encore que cela mériterait d’être confronté aux conclusions des études présentées à l’Istituto Paolo VI[4]. Certes, ces études s’intéressaient à la réception du Concile et non à la figure des papes, dans la presse et l’opinion publique, mais les conclusions méritent d’être confrontées.

Enfin, la contribution de M. Valente éclaire les relations entre Paul VI et la Conférence des Évêques d’Italie (CEI). Il aurait été intéressant d’élargir cette piste de recherche, car paradoxalement, Montini — à qui plusieurs attribuent quelques réserves sur la collégialité des évêques — a beaucoup encouragé les regroupements d’évêques, aussi bien sur le plan national que continental.

Bref, des études souvent de grande qualité qui éclairent des facettes encore peu explorées. Surtout, il est original d’avoir examiné ensemble l’activité et la personnalité des deux papes du Concile. Il est seulement dommage que ces contributions n’aient pas pu être rassemblées dans un seul ouvrage.

Gilles Routhier

12. Geschichtsverein der Diözese Rottenburg-Stuttgart, éd., Rottenburger Jahrbuch für Kirchengeschichte, Band 26, Vierzig Jahre II. Vatikanisches Konzil. Ostfildern, Jan Thorbecke Verlag, 2008, 414 p.

Rottenburg-Stuttgart est l’un des grands diocèses allemands marqué, comme plusieurs autres, par le biconfessionalisme si typique de ce pays. Il s’agit également de l’Église locale dans laquelle le cardinal Walter Kasper fut évêque de 1989 à 1999. Notons également que les facultés de théologie protestante et catholique de Tübingen, ville située à mi-chemin entre les deux villes de Rottenburg et Stuttgart (dont le diocèse porte le nom), ont une renommée mondiale. Dans le Jahrbuch du Geschichtsverein, une association historique diocésaine comme il y en a dans plusieurs diocèses allemands, on trouve — entre autres — les actes du colloque de 2005, Vierzig Jahre Rezeption des Zweiten Vatikanums. Mythos und Wirklichkeit. Pour la plupart d’entre elles, les contributions mettent l’accent sur le diocèse de Rottenburg-Stuttgart. Néanmoins, qu’il s’agisse des sujets abordés ou des approches mises en exergue, les conférenciers inscrivent la réception diocésaine de Vatican II dans un horizon plus vaste.

On trouve ainsi une première série de contributions qui esquissent cet horizon. Klaus Schatz (p. 15-27) passe tout d’abord en revue les réceptions des différents conciles dans l’histoire de l’Église et propose, à partir de cet examen, quelques aspects d’une théorie de la réception conciliaire. De son côté, Franz Xaver Bischof (p. 121-136) présente quelques observations pertinentes sur les différentes réceptions de Vatican II en Europe. Pour les Églises locales allemandes, on lira avec intérêt les contributions de Wolfgang Weiß (p. 93-106) sur le synode commun des diocèses allemands (de l’Ouest) à Würzburg (1972-1975), et celle de Josef Pilvousek (p. 107-120) sur la réception de Vatican II en Allemagne de l’Est (RDA). Les deux dernières contributions de cette partie sont très précieuses, notamment parce que le Würzburger Synode mériterait une attention beaucoup plus importante dans des recherches sur la réception de Vatican II. Lieu de débat théologique et pastoral de premier ordre, il a permis aux catholiques allemands, sous la présidence presque unanimement louée du cardinal Julius Döpfner, d’aborder les enjeux de la réception conciliaire et des transformations de la société dans un climat de sérénité et de responsabilité. Le titre de la contribution de Weiß, « Die Würzburger Synode - Ende statt Anfang ? », renvoie aussi à quelques difficultés pratiques, canoniques et théologiques qu’a dû surmonter cette réception synodale de Vatican II.

D’une certaine manière, les contributions de Bernd Jochen Hilberath (p. 39-46), Norbert Lüdecke (p. 47-69) et Georg Bier (p. 71-91) forment un ensemble, même si les positions des auteurs divergent considérablement et que Bier ne traite que d’un aspect particulier, à savoir le rôle des évêques. Le débat tourne autour du CIC de 1983 : faut-il interpréter Vatican II dans la lumière du CIC (Lüdecke/Bier) où, inversement, le CIC dans la lumière de Vatican II (Hilberath) ? On touche là à une question qui détermine largement la pratique pastorale et théologique de l’Église contemporaine. De son côté, Hilberath s’appuie sur l’argument développé par Peter Hünermann, selon lequel les documents de Vatican II sont une sorte de « constituante de la foi (ou) de l’Église » (p. 41, en français dans le texte allemand ; dans ce sens, Hilberath parle de Vatican II comme « Constituante des Konzils »). Quant à eux, Lüdecke et Bier s’efforcent à confronter des « mythes » (p. 69) théologiques à la réalité canonique et utilisent pour cela une approche canoniste que certains qualifient de « positiviste, volontariste ou anachronique » (c’est Georg Bier lui-même qui résume ainsi les critiques, p. 75, n. 34). Si les uns exigeront des approfondissements par rapport à la notion de « constituante » avancée par Hünermann et Hilberath pour caractériser les textes de Vatican II, d’autres se demanderont de quelle manière l’herméneutique canonique de Lüdecke et Bier prend en considération ce qu’Ernst-Wolfgang Böckenförde appelle des « conditions antécanoniques » (cité par Hilberath, p. 46). Ici, on pourrait aussi penser à la dimension théologale de la foi et à la dimension historique de ses énoncés, ou encore, plus concrètement, à l’histoire de l’élaboration du CIC. Sans prendre en compte cette dimension, il semble difficile d’imaginer comment la théologie systématique pourrait répondre à l’invitation que Bier lui-même lui adresse à la fin de son article : elle devrait, selon lui, esquisser une « certaine forme de l’exercice du primat » (p. 91) qui corresponde aux souhaits que Jean-Paul II avait exprimés dans l’encyclique Ut Unum Sint. Le même défi surgit quand il s’agit de mettre en relation les dimensions systématique, historique et canonique qui pourraient proposer des pistes de recherche pour répondre aux « questions de fond » (p. 69) que Lüdecke formule à la fin de son article.

En ce qui concerne la réception de Vatican II dans le diocèse de Rottenburg-Stuttgart, les contributions ne sont pas sans intérêt au-delà de ce diocèse, puisqu’elles mettent en exergue des approches qui peuvent servir de modèle. Klaus Unterburger (p. 137-163) examine la réception conciliaire à partir des réflexions (pré- et postconciliaires) de Mgr Carl Joseph Leiprecht, évêque diocésain de 1949 à 1974, et des prêtres Joseph Weiger et Hermann Breucha. Il s’agit là d’un champ de recherche très prometteur, mais encore largement inexploité en Allemagne, à savoir la réception de Vatican II dans les paroisses, dans les Verbände si caractéristiques du catholicisme allemand, ou encore dans des cercles spirituels de différentes provenances et sensibilités. Des études de cas sur des prêtres ou laïcs peuvent élargir considérablement notre compréhension des processus de réception, même s’il faut un échantillonnage suffisant pour éviter de surévaluer le rôle de chacun de ces protagonistes. Soulignons également l’analyse fort intéressante que propose Oliver M. Schütz (p. 165-178) des colloques que la Katholische Akademie du diocèse a consacrés au Concile. Nicole Priesching (p. 179-193), quant à elle, suit la réception de Vatican II par les ordres religieux et les congrégations du diocèse. Dietrich Wiederkehr (p. 29-37) livre des réflexions sur la perception de Vatican II par les différentes générations, « témoins » du Concile d’un côté et « petit-fils » de l’autre. En fait, au moment où Vatican II devient un événement purement historique pour des jeunes catholiques, il est certainement important de réfléchir de plus près à cette dimension « générationnelle » de la réception de Vatican II et, dans ce but, de recueillir des témoignages pour les mettre à la disposition des jeunes chrétiens. C’est pourquoi on lira avec intérêt et profit les « Zeitzeugenberichte », parfois anecdotiques, d’Eberhard Mühlbacher (p. 275-278, secrétaire de Mgr Leiprecht au moment de Vatican II), Otto Hermann Pesch (p. 279-285, oecuméniste et auteur d’un livre important sur Vatican II), Manfred Schlichte (p. 287-291, ordonné prêtre en 1968), Peter Seils (p. 293-298, pasteur protestant), Sr M. Radegundis Wespel (p. 299-300, soeur franciscaine) et Gregor Klapczynski (p. 301-304, né après le Concile). Si l’on voulait reprocher à ces témoignages leur côté subjectif, on refuserait de s’intéresser à ce que Vatican II a signifié comme événement spirituel pour la foi vécue dans une situation donnée. Pour les jeunes théologiens, ces témoignages peuvent être une porte d’entrée pour une étude plus approfondie de Vatican II. Quant aux théologiens plus expérimentés, ils découvriront ici ou là des pistes de recherches surprenantes.

Par la diversité même de ses approches, le Jahrbuch met en lumière la pluridimensionalité enrichissante et inépuisable de Vatican II.

Michael Quisinsky

13. Peter Hünermann, Reiner Kaczynski, Hans-Joachim Sander, éd., Sacrosanctum Concilium - Inter mirifica - Lumen gentium. Freiburg im Breisgau, Verlag Herder (coll. « Herders Theologischer Kommentar zum Zweiten Vatikanischen Konzil », Band 2), 2004, xi-611 p.

En 1985, Hermann Josef Pottmeyer appelait une nouvelle génération de commentaires des textes conciliaires (« Vers une nouvelle phase de réception de Vatican II. Vingt ans d’herméneutique du Concile », p. 61). Ce voeu a trouvé une première réalisation dans le commentaire publié récemment chez Herder et dont nous n’avons reçu que le deuxième volume à la rédaction de la revue. C’est donc uniquement à partir de ce volume que nous ferons état d’une oeuvre beaucoup plus considérable.

D’abord, il faut rendre hommage à cette entreprise. En effet, depuis la fin des années 1960, les textes de Vatican II n’avaient pas suscité d’initiative d’une telle ampleur. Certes, certains textes particuliers avaient été commentés, mais les études s’étaient surtout intéressées à l’histoire de la rédaction des textes ou à leur réception. Certains ouvrages, comme ceux publiés dans la collection « Rediscovering Vatican II » chez Paulist Press, procédaient d’un genre mixte.

En langue allemande, le dernier commentaire complet des textes de Vatican II est celui publié dans le Lexikon für Theologie und Kirche (LThK), traduit en anglais par la suite. Ce premier commentaire avait été réalisé par des protagonistes du Concile, pour la plupart d’anciens periti. On ne peut donc que saluer cette initiative qui relance les travaux sur les textes, entreprise plus que jamais nécessaire aujourd’hui. Le présent commentaire est le fruit du travail de chercheurs appartenant à une autre génération ou, il vaudrait mieux dire, à plusieurs générations. En tout état de cause, aucun d’entre eux n’a participé au Concile.

Une telle initiative éditoriale, qui s’étend de 1999 à 2005, pose naturellement plusieurs défis de taille. D’abord, quelle orientation faut-il donner à un tel commentaire ? Comment doit-on le concevoir ? Ensuite, faut-il favoriser ou non la dimension internationale comme cela fut fait, par exemple, pour l’histoire de Vatican II ? Après quelques réflexions sur ces deux questions d’importance, je présenterai plus amplement l’ouvrage.

Chacun des commentaires est construit de la même manière et composé en trois parties : la présentation d’un arrière-plan historique et théologique qui envisage l’histoire préconciliaire d’une idée ; un commentaire paragraphe par paragraphe du texte conciliaire et un prolongement pastoral et théologique de l’enseignement d’un document avec une esquisse de sa réception. Pour l’essentiel cependant, les auteurs font un commentaire systématique — comme celui réalisé dans le LThK —, texte par texte, article par article de tous les documents conciliaires. Ce choix peut se défendre et il comporte un avantage réel pour les chercheurs : il permet de trouver rapidement le commentaire d’un passage des seize documents du Concile. Comme pour le Code de droit canonique, on dispose donc d’un commentaire de chacun des articles des textes de Vatican II. Cependant, la limite de ce choix est évidente : le commentaire pas à pas des textes conciliaires empêche souvent le commentateur de prendre suffisamment de recul pour tisser des liens entre différents passages des textes conciliaires. Par exemple, lorsque l’on commente l’article 1 de Lumen Gentium, on n’est pas en mesure de suivre le développement de la notion de « sacrement du salut » à travers l’ensemble des textes conciliaires. Même chose, par exemple, à propos des enseignements sur la « participation active des laïcs » à la vie de l’Église, ou de l’autorité des assemblées d’évêques, du rapport à la culture, etc., enseignements disséminés dans plusieurs documents du Concile, à commencer par le premier, la constitution sur la liturgie. Ce commentaire systématique ne nous conduit pas à envisager Vatican II comme un corpus, mais seulement comme une addition de documents eux-mêmes découpés en paragraphes. Certes, le tome 5 que nous n’avons pas en main, Theologische Zusammenschau und Perspektiven, qu’on annonce en p. viii, doit combler, au moins en partie, ce déficit.

L’autre question concerne la dimension internationale d’un tel projet, dimension internationale appelée par l’événement conciliaire qui rassemblait des évêques et des théologiens du monde entier. Ici, on ne fait pratiquement appel qu’à des spécialistes de langue allemande, ce que l’on peut concevoir compte tenu des difficultés inhérentes aux collaborations internationales et aux entreprises éditoriales multilingues. Ceci dit, un commentaire réalisé par un seul groupe de théologiens germanophones me semble affaiblir la portée de l’entreprise elle-même. Bien plus, ce ne sont que sept théologiens allemands qui commentent les 16 documents conciliaires. Il est peut-être dommage que la théologie allemande, dans sa diversité, n’ait pas eu l’occasion de faire de ce projet une entreprise commune. Ce qu’on a sans doute gagné en unité et en efficacité, on l’a perdu en diversité et en internationalité.

Tout compte fait, le comité éditorial a fait preuve d’audace en lançant cette initiative utile à tous égards pour ceux qui travaillent les documents conciliaires. Cette entreprise indique le souci et l’attention que l’on porte encore aujourd’hui aux textes conciliaires eux-mêmes et elle satisfera ceux qui croient que l’on fait trop peu de cas des textes pour se référer à un vague « esprit de Vatican II ». Si, à certaines occasions, on va au-delà du texte, toujours on s’appuie sur le texte, illustrant ainsi l’enracinement dans Vatican II d’une théologie qui se veut contemporaine et qui veut nous conduire au-delà de Vatican II. De ce point de vue, ce commentaire n’est pas simplement la reprise du commentaire du LThK, mais Vatican II est réellement revisité, quarante ans plus tard. Certes, comme c’était déjà le cas pour les premiers commentaires, les auteurs relisent le texte conciliaire avec leurs a priori, conscients ou inconscients, auxquels on ne peut jamais échapper. Cela montre à quel point le genre commentaire lui-même n’est jamais neutre.

Malgré les observations critiques que nous venons de faire, il faut avouer en conclusion qu’il s’agit d’un travail colossal. Il nous faut également souligner la grande qualité matérielle de cette édition, la richesse bibliographique et la présence d’index des sujets et des noms propres très utiles. Souhaitons que cette entreprise pionnière soit elle-même en mesure d’en susciter de nouvelles, car nous en avons encore bien besoin.

Gilles Routhier

14. Peter Hünermann, éd., Das Zweite Vatikanische Konzil und die Zeichen der Zeit heute. Freiburg im Breisgau, Verlag Herder, 2006, 672 p.

La publication du Kommentar, dont nous avons parlé plus haut, a été couronnée par un événement scientifique important rassemblant à Tübingen un large éventail de spécialistes (33) de Vatican II. Ce colloque scientifique, dont le caractère international était très marqué, a été surtout consacré à la question des signes des temps aujourd’hui (chapitre 1), et à la réception de Vatican II dans divers espaces humains et aires culturelles (chapitre 2).

Le premier chapitre se divise en trois parties : la première (quatre contributions) introduit à la notion de signe des temps de manière à en approfondir la signification, ce qui devrait permettre de faire aujourd’hui, quarante ans après Vatican II, une relecture de la situation du monde et de l’humanité. Cette partie est suivie d’une autre (quatre contributions) sur les signes des temps que nous pouvons relever aujourd’hui : la place accordée aux femmes et le rapport entre cette question et l’avenir de l’Église ; la globalisation ou la conscience de vivre dans un village global marqué par les diverses appartenances confessionnelles ; la protection de la création, la conscience écologique ; le dialogue entre les religions et le rapport aux religiosités. Viennent ensuite, dans la dernière partie de ce premier chapitre, diverses relectures de la situation actuelle à partir de perspectives et de points de vue ancrés dans les réalités de différents continents : Amérique latine, Amérique du Nord, Asie (Inde), Afrique et Europe.

Le deuxième chapitre, après avoir présenté les enseignements des grands textes conciliaires (Sacrosanctum Concilium, Lumen Gentium, Dei Verbum et Gaudium et Spes), est quant à lui consacré à la réception de Vatican II dans divers domaines et aux attentes encore insatisfaites : la réception dans le droit canonique ; la réception dans le mouvement oecuménique contemporain ; le dialogue avec le monde entrepris par le catholicisme et les autres religions du monde depuis Vatican II ; la réception dans diverses aires culturelles : Brésil, Canada, Inde, Afrique et monde communiste.

Une dernière partie, plus brève, est signée par les deux directeurs du Kommentar, au terme de sept années de travail. On trouve là des réflexions conclusives, qui sont en même temps des thèses appuyées sur le travail de plusieurs années sur les textes conciliaires. Une compréhension des textes conciliaires, de leur pragmatique en particulier, doit, selon P. Hünermann, orienter la théologie et déterminer la compréhension du travail théologique à l’aube du troisième millénaire.

Cet ouvrage, dédié au cardinal Lehmann, qui y a contribué par une introduction fort pertinente qui présente plusieurs critères herméneutiques utiles à l’interprétation de Vatican II, est complété lui aussi par une riche bibliographie et des index onomastique et thématique, clôt un projet de recherche d’une grande envergure. Après le projet d’histoire du Concile Vatican II, il s’agit sans doute du plus important travail de recherche sur Vatican II depuis le début des années 1970. Les thèses présentées au terme de ce projet susciteront sans doute la discussion, mais il est indéniable qu’elles reposent sur un patient travail sur les textes conciliaires et sur ce qu’ils peuvent signifier aujourd’hui si, au-delà de leurs enseignements particuliers, on en redécouvre la pragmatique et si la théologie se laisse aujourd’hui inspirer dans son travail par le geste de Vatican II.

Gilles Routhier

15. Alberto Melloni, dir., Il Concilio in mostra. Il racconto del Concilio Vaticano II nei filmati delle Teche Rai (1959-1965). Bologna, Istituto per le scienze religiose, 2005, lviii-174 p.

À l’occasion du quarantième anniversaire de la clôture de Vatican II, l’Istituto per le scienze religiose de Bologne organisait une exposition sur le Concile à partir des archives de la télévision italienne (RAI). Le présent volume constitue en quelque sorte le catalogue de l’exposition. L’introduction d’Alberto Melloni, « La télévision comme source et acteur du Concile Vatican II », situe bien l’intérêt de cette exposition à partir des archives télévisuelles de la RAI. En effet, une des caractéristiques de Vatican II est d’avoir été un Concile médiatisé comme aucun autre avant lui. En ce sens, il ne fait aucun doute que les archives télévisuelles constituent une source importante qui nous permet de connaître le Concile, source trop peu utilisée jusqu’à ce jour. Toutefois, la télévision ne nous offre pas simplement une bibliothèque où des documents d’un nouveau genre attendent l’historien. Elle a en effet été bien plus que cela ; elle fut un véritable acteur du Concile, acteur qui a lui-même contribué à créer l’événement. Non seulement elle rapprochait le Concile du peuple chrétien, surtout des plus éloignés, mais elle permettait aux évêques de demeurer en contact avec leurs fidèles. La télévision mettait également en scène l’Église, qui apparaissait comme un lieu de débats et de discussions, un lieu où la communion ne signifiait pas l’absence de divergences de vues et d’échanges parfois vifs. Comme ils le trouvaient dans le Nouveau Testament, les fidèles découvraient dans l’Église des divergences d’opinions et des tensions. Enfin, la télévision devait avoir un effet important dans l’exercice du magistère : l’évêque n’était plus désormais le seul intermédiaire entre les débats conciliaires et les fidèles. Ceux-ci apprenaient dans les médias les décisions qui étaient prises.

Cette exposition, qui mettait en valeur le rôle des médias au Concile (en particulier la télévision) et qui faisait ressortir sa fonction de source documentaire, est donc importante et peut suggérer d’autres initiatives allant dans le même sens.

En plus de fournir un catalogue des archives de la RAI consacrées à Vatican II, un synopsis de chacune des émissions et plusieurs images tirées des archives, le catalogue de l’exposition contient quelques textes, dont deux articles intéressants sur l’interprétation de Vatican II, le premier du cardinal Lehmann et le deuxième de Michel Fédou.

Il s’agit donc d’un catalogue suggestif qui, en plus de mettre en relief le rôle de la télévision comme source documentaire et de souligner son rôle d’acteur au moment du Concile, est en mesure de susciter d’autres initiatives du même genre.

Gilles Routhier

16. Dieter Grande, Peter Paul Straube, Die Synode des Bistums Meißen 1969-1971. Die Antwort einer Ortskirche auf das Zweite Vatikanische Konzil. Leipzig, St. Benno-Verlag, 2005, 364 p.

Au moment du Concile, l’Allemagne était douloureusement divisée. Tandis qu’à l’Ouest, la RFA pouvait s’appuyer sur le catholicisme rhénan (qu’il suffise de mentionner deux personnages-clés comme le chancelier Adenauer et le cardinal Frings) et était gouvernée par des chanceliers chrétiens-démocrates de 1949 à 1969, la RDA, majoritairement protestante, était dirigée par des communistes. Les regards sur le Concile ne pouvaient donc que diverger dans ces deux parties du pays.

Quand on y regarde de plus près, la réalité est encore plus complexe. En effet, à l’intérieur même de la RDA, l’unanimité n’existait pas non plus, et cela jusqu’au niveau de la conférence épiscopale (Berliner Ordinarienkonferenz, BOK). D’un côté, le futur cardinal Alfred Bengsch (Berlin) refusa de signer Gaudium et Spes par souci de ne pas donner l’occasion au régime communiste d’influencer la vie de l’Église. De l’autre côté, tout en condamnant le régime communiste, l’évêque de Meißen, Mgr Otto Spülbeck, cherchait une stratégie permettant à l’Église de trouver sa place dans la société. C’est encore Spülbeck, d’ailleurs un précurseur du dialogue entre foi chrétienne et sciences naturelles, qui lança un synode diocésain dès 1966. Après sa mort prématurée en 1970, son successeur, Mgr Gerhard Schaffran, décida de poursuivre le synode, auquel participèrent, avec dispens papal, des laïcs. Le synode aboutit à six documents, dont la plupart n’entrèrent jamais en vigueur (voir la liste p. 39 et suiv.), car on voulait attendre les résultats du synode commun des diocèses de la RDA (1973-1976). En raison de tensions dans l’épiscopat, les acquis du synode diocésain de Meißen restaient partiellement inexplorés. Cet échec partiel du synode n’en réduit cependant pas la portée théologique et pastorale.

Le livre de Grande et Straube se veut une documentation du synode (p. 12), et comporte par conséquent un certain nombre de documents relatifs à son histoire. Parmi ces documents, on doit notamment mentionner le règlement (p. 48-53) et six décrets : celui sur le renouveau du diocèse de Meißen selon Vatican II, p. 74-99 ; celui sur les conseils, p. 104 ; celui sur la pastorale dans le diocèse, p. 178-213 ; celui sur les ministères et services, p. 232-248 ; celui sur l’administration diocésaine, p. 252-265 ; et enfin, celui sur les constructions d’Églises, p. 289-292. Chacun de ces documents est accompagné d’une introduction et, dans la plupart des cas, on trouve en plus une expertise qui constitue une sorte de relatio.

Le cardinal Bengsch critiqua le synode diocésain. Sa critique, partagée par un certain nombre de catholiques, portait à la fois sur les questions dogmatiques (surtout l’ecclésiologie et la théologie des ministères) et sur les questions liées à la situation difficile de l’Église en RDA (voir p. 293 et suiv.). Pour répondre à ces critiques, on soumit les décrets I et II, théologiquement les plus décisifs, à l’évaluation de quelques théologiens. Tous ces experts étaient des professeurs enseignant en RFA. Trois d’entre eux (Georg May, Leo Scheffczyk, Rudolf Schnackenburg) étaient des prêtres du diocèse de Breslau, ayant trouvé accueil dans d’autres diocèses allemands après que leur diocèse d’origine fut devenu polonais en 1945. Les trois autres professeurs étaient Karl Rahner, Walter Kasper et Joseph Ratzinger. Georg May et Leo Scheffczyk s’exprimèrent d’une manière assez critique sur les décrets, tandis que Rahner, Kasper, Ratzinger et Schnackenburg approuvèrent l’orientation générale du synode et des décrets (de même que, par voie orale, le professeur Karl Lehmann, p. 294). Toutes ces expertises sont désormais d’une valeur non négligeable quand il s’agit de trouver des critères théologiques pour la réception et l’herméneutique du Concile. Car dans ces expertises, des théologiens argumentent « à chaud » à propos des sujets discutés par un synode qui cherche à mettre en oeuvre Vatican II dans une Église locale. Il est vrai que le contexte de ce synode et la situation politico-historique du diocèse sont assez particuliers, mais on trouvera tout de même des éléments d’un intérêt général pour l’herméneutique conciliaire.

Le synode du diocèse de Meißen voulut prendre en compte l’expérience des laïcs. Celle-ci étant toujours marquée par l’actualité, les propos du synode peuvent être dépassés par l’histoire ultérieure. Ceci vaut, mutatis mutandis, pour l’expérience des prêtres ; il ne faut cependant pas oublier que, dans la vie chrétienne, l’actualité est toujours en tension avec la Tradition. Ainsi, même les aspects du synode qui gardent surtout un intérêt historique peuvent impliquer des questions systématiques importantes.

Pour la réception du Concile en Allemagne, on ne se référera donc pas seulement au synode commun des diocèses allemands (de RFA) à Würzburg (1971-1975), mais aussi à son équivalent en RDA (1973-1976), et, en particulier à cause de son caractère pionnier et originel, à celui de Meißen (1969-1971).

Michael Quisinsky

17. Alberto Melloni, Christoph Theobald, dir., Vatican II. Un avenir oublié. Concilium. Paris, Bayard, 2005, 313 p.

Le quarantième anniversaire de Vatican II a donné lieu à de multiples manifestations : colloques, commémorations, et entreprises éditoriales de toutes sortes. La revue Concilium, qui se proposait justement de prolonger le Concile, n’a pas manqué d’offrir à ses lecteurs, comme plusieurs autres revues du reste, une livraison spéciale sur Vatican II. Ces essais ont été recueillis en français dans un volume, la revue n’étant plus publiée en français depuis l’an 2000. Pour l’occasion, la revue faisait appel à 13 collaborateurs, tous d’origine européenne (Italie, France, Pays-Bas, Belgique, Suisse, Allemagne), sauf un seul, Chilien. Parmi eux, plusieurs ont déjà fourni des contributions importantes à l’histoire ou à l’étude de Vatican II.

Le volume est structuré à partir d’un parcours temporel : Vatican II comme événement appartenant au passé ; Vatican II aujourd’hui, ce qui en est le coeur ; et l’avenir de Vatican II. L’ensemble est suivi d’une conclusion à deux voies. Cette structure (passé, présent et avenir) n’est cependant pas tout à fait adéquate, car la plupart des auteurs considèrent le Concile à partir de son passé, de son présent et de son avenir. Cette construction suggère cependant que nous sommes parvenus à un autre moment de la route de l’Église dans l’après-Concile. Comme cela est mis en évidence dans le livre, cette nouvelle conjoncture ne se vérifie pas uniquement dans le fait que les évêques qui ont participé au Concile sont désormais disparus, mais aussi dans le fait que près de la moitié des auteurs de cet ouvrage sont retraités. Comme le souligne Hans Küng dans sa contribution, on parle désormais du Concile de la même manière que ses parents parlaient de la Première Guerre mondiale — qui avait eu lieu trois ou quatre décennies plus tôt — au gamin qu’il était. La nouvelle génération n’a pas vécu ce grand événement et n’en a finalement qu’une très vague impression. Face à cette situation, l’historicisation du Concile est importante pour en restituer l’événement et pour narrer l’expérience qui y a été faite. Cela oblige cependant à se poser de manière différente par rapport à l’événement, de manière à examiner la contribution qu’il peut offrir à l’Église qui affronte aujourd’hui de nouveaux défis.

De ce point de vue, l’ouvrage a beaucoup de mérite. Il reprend quelques-uns des grands défis du Concile : le dialogue avec les Juifs, avec les chrétiens non catholiques, et avec les autres religions ; le rapport de l’Église au monde et sa lecture des signes des temps ; la réforme interne et la rénovation de l’Église ; la pratique théologique inférée par les textes conciliaires, en particulier Gaudium et Spes, etc. Sur chacun de ces sujets, on trouvera des réflexions intéressantes. Plusieurs contributions s’intéressent aussi à l’herméneutique du Concile (ici, la proposition du Prof. Hünermann suscitera sans doute beaucoup de commentaires) ou au jugement que l’on peut porter sur Vatican II et sa signification, à quarante années de distance. Il s’agit donc d’un ouvrage que tout spécialiste de Vatican II doit avoir dans sa bibliothèque.

Gilles Routhier

18. David G. Schultenover, dir., Vatican II. Did Anything Happen ? New York, The Continuum International Publishing Group Inc., 2007, 192 p.

Le débat autour de l’herméneutique de Vatican II donna lieu récemment à plusieurs publications. Au nombre de celles-ci, une série d’articles publiés d’abord dans la revue Theological Studies. Il s’agit bien d’une série, car un premier article, de la main de John W. O’Malley, allait être suivi par un autre de Stephen Schloesser qui répondait au premier, et un troisième de Neil Ormerod qui tentait une synthèse sur la base des deux premiers. Toute cette histoire avait commencé en fait par une prise de position du cardinal Ruini, reprochant l’usage de la catégorie d’événement pour désigner le Concile. C’est précisément à la notion d’événement — au sens fort, suivant l’usage qu’en font les historiens —, distinguée et articulée aux notions d’expérience et de décisions, qu’est consacré le quatrième article qui ouvre cet ouvrage, article signé par J.A. Komonchak et qui reprend largement la réflexion qu’il avait lors d’un colloque à Bologne en 1996. On a donc affaire ici à un ouvrage d’une très grande cohérence et très construit, chacun des chapitres renvoyant aux autres.

Il n’y a toutefois pas que la catégorie d’événement qui soit centrale dans cet ouvrage, mais aussi celle de « style ». Comme il l’avait déjà développé dans des contributions antérieures (en 1987, « Vatican II : Historical Perspectives on its Uniqueness and Interpretation », dans L. Richardet al., Vatican II. The Unfinished Agenda. A Look to the Future ; et en 1996, « Erasmus and Vatican II : interpreting the Council », dans A. Melloniet al., Cristianesimo nella storia. Saggi in onore di Giuseppe Alberigo), J.W. O’Malley soutient que le genre littéraire des textes de Vatican II et son lexique témoignent du caractère unique de ce Concile, un style, souligne-t-il, qui rompt avec ce que l’on connaissait jusque-là. À cette rupture de style des documents conciliaires doit correspondre une rupture similaire de style dans la vie de l’Église à la suite du Concile. De cette manière, O’Malley croit pouvoir réconcilier la lettre et l’esprit du Concile en établissant une correspondance entre le style de ses documents et celui qu’il veut imprimer à la vie de l’Église.

Je dois dire qu’au cours des dernières années, je n’ai rien lu d’aussi suggestif que cette proposition de J.W. O’Malley, proposition qui renouvelle les recherches sur Vatican II et qui les relance. Certes, la question du style des documents conciliaires ou de leur modus loquendi avait été relevée auparavant (on la trouve déjà à plusieurs reprises dans le Journal conciliaire d’H. de Lubac, par exemple, ou plusieurs fois chez les commentateurs de Gaudium et Spes), mais jamais n’avait-on poussé aussi loin cette intuition comme l’a fait John O’Malley.

Ce petit livre au titre un peu provocateur n’est donc pas seulement très cohérent et très construit, il est également fort suggestif.

Gilles Routhier

19. Ermanno M. Toniolo, dir., Maria nel Concilio. Approfondimenti e percorsi a 40 anni dalla « Lumen gentium ». Roma, Centro di Cultura Mariana « Madre della Chiesa » (coll. « Fine d’anno con Maria », 25), 2005, 320 p.

Le quarantième anniversaire de Lumen Gentium a aussi été l’occasion de reprendre la question mariale dans un contexte désormais différent. Le présent ouvrage, construit à partir de la dynamique « texte et réception », s’emploie à reprendre la question mariale en retournant d’abord au texte conciliaire lui-même (1er chapitre), pour se terminer par un coup d’oeil sur la réception du chapitre VIII de Lumen Gentium (dernier chapitre). Entre ces deux pôles, diverses questions sont abordées. Notons particulièrement une étude sur les sources scripturaires mises en oeuvre dans le chapitre VIII et sur l’enseignement de Vatican II en matière de théologie mariale. Le premier chapitre présente, en regard, le texte latin et la première traduction italienne du chapitre VIII de Lumen Gentium. Cette ouverture, sous forme de reprise du texte conciliaire lui-même, est significative de la nécessité de revenir à ce texte aujourd’hui, car il est le plus important texte conciliaire en matière de théologie mariale. Cette reprise du texte est suivie d’une brève étude retraçant l’histoire de la rédaction de ce chapitre, depuis la consultation de la phase antépréparatoire jusqu’au texte final. Cette étude fut confiée à E. Toniolo qui a déjà écrit d’importantes contributions sur ce sujet. Cet essai est en lui-même porteur d’un postulat herméneutique, c’est-à-dire que ce texte doit être lu en prenant en compte l’histoire de la rédaction qui nous en fournit les clés de lecture. Le deuxième chapitre revient au texte pour en présenter cette fois les caractères propres et les grandes articulations : d’abord l’étrange proemium du chapitre huitième, mais combien important, qui reprend le motif trinitaire que l’on trouvait au début de la constitution sur l’Église, et ensuite les quatre parties qui structurent ce petit chapitre.

Le chapitre suivant, sur les références bibliques (implicites et explicites) du chapitre VIII, est fort intéressant et mériterait d’être encore développé. Il y a peu d’études sur l’usage de l’Écriture à Vatican II (je n’en connais que quatre), bien qu’il s’agisse d’une question capitale, y compris, pour ne pas dire surtout, en théologie mariale. Suit un chapitre sur les rapports entre Marie et l’Église. Ce chapitre est peut-être celui qui s’éloigne le plus du texte conciliaire lui-même, dépassant souvent la lettre du texte pour adopter des élaborations et des développements théologiques qui ont une réelle valeur, notamment le motif sponsal qui émaille le texte, mais qui n’expriment pas la doctrine commune exprimée en Concile par l’Église catholique. Vient ensuite un important chapitre sur le culte et les formes de dévotion à Marie dans le chapitre VIII de Lumen Gentium. Même si l’on eut pu souhaiter un plus long développement du dernier argument (la crise de la piété populaire), ce chapitre offre un exemple d’examen serré du texte, lié à l’histoire de sa rédaction. Les développements de ce chapitre sur l’enrichissement de l’eucologie du nouveau missel romain sont tout à fait pertinents, surtout au moment où le retour à la « forme extraordinaire » du rite romain risque de priver un certain nombre de fidèles de ces enrichissements de l’eucologie et du lectionnaire. Il s’agit là sans doute d’un sujet encore capital. La même préoccupation est reprise dans le chapitre suivant, mais à partir d’un angle un peu différent, alors que l’on traite cette fois de la spiritualité mariale. À partir du texte conciliaire, on explore ici les grandes lignes d’une spiritualité mariale qui serait fondée sur l’enseignement de Vatican II. L’ouvrage se referme sur le long — le très long (137 p., plus du tiers du volume) — chapitre sur le parcours postconciliaire de la théologie mariale. Si le titre annonce que l’on traitera de la période qui va de Lumen Gentium à aujourd’hui, les cinquante premières pages de ce chapitre sont consacrées à Lumen Gentium (voire à la phase préconciliaire), reprenant parfois ce qui a été dit dans les pages précédentes. On remarquera toutefois, comme c’est le cas aussi dans les autres contributions, mais particulièrement dans celle-ci, la richesse des notes qui, à elles seules, nous conduisent à recommander cet ouvrage qui fait un très bon état de la question à quarante ans de la clôture de Vatican II. On pourra seulement regretter qu’il n’en existe pas d’équivalent en langue française. On constate du reste, en parcourant les notes infrapaginales, que la littérature actuelle dans ce domaine est surtout en langue italienne et espagnole.

Gilles Routhier

Monographies

20. José Oscar Beozzo, A Igreja do Brasil no Concílio Vaticano II 1959-1965. São Paulo, Paulinas, 2005, 611 p.

Après nous avoir offert diverses contributions sur la participation des évêques brésiliens au Concile Vatican II (notamment sur les vota de cet épiscopat et un long article sur la contribution de la conférence épiscopale brésilienne à Vatican II), José Oscar Beozzo publie la thèse qu’il a réalisée sur la participation de cet épiscopat à Vatican II. Ce travail est important non seulement parce qu’il nous déplace en dehors de l’Europe — continent auquel est consacrée la plupart des travaux sur Vatican II —, mais aussi en raison de l’importance de cet épiscopat. En effet, si, sur le plan numérique, cet épiscopat ne comptait que quelques représentants aux conciles de Trente et de Vatican I, il était le troisième plus important à Vatican II.

Le travail présenté ici, qui s’adosse à la fois sur des sources inédites et sur des sources publiées, peut aussi bénéficier des nombreux travaux sur la participation brésilienne à Vatican II, notamment ceux de Luz Carlos Marques sur Helder Camara et sur le plan pastoral conjoint.

Sur le plan de sa systématique, ce travail est classique et l’on voit qu’il s’agit de la publication d’une thèse. En effet, l’auteur suit fidèlement le déroulement du Concile, respectant fidèlement sa périodisation : l’annonce de l’intention de Jean XXIII de convoquer un Concile, le 25 janvier 1959, et les réactions des évêques brésiliens à cette annonce (p. 69-76), ensuite la phase antépréparatoire (p. 77-122) avec une analyse détaillée des vota et consilia des évêques brésiliens et, finalement, la phase préparatoire (p. 123-146) à laquelle participèrent activement dix Brésiliens appelés à siéger à l’une ou l’autre Commission préparatoire, à titre de membre ou de consulteur.

Vient ensuite la partie centrale de l’ouvrage (2e partie, p. 147-368), qui couvre les années conciliaires elles-mêmes (1962-1965). Elle se divise en neuf chapitres, mais la matière pourrait se répartir ainsi : lieux, réseaux, formation, interventions, protagonistes. En effet, les chapitres 3 et 4 sont consacrés à deux lieux significatifs situés Via Aurelia : la Domus Mariae, lieu de résidence, de travail intense et de formation pour la plupart des évêques brésiliens tout au long du Concile, et le Collège brésilien de Rome, lieu de rencontre de l’épiscopat belge. La géographie du Concile Vatican II (lieux de résidence des évêques, proximités avec certains centres ou instituts, etc.) a été trop peu étudiée jusqu’ici. Le chapitre 5 est pour sa part consacré aux différents réseaux : ceux qui existaient avant le Concile, notamment la conférence épiscopale, réseau latino-américain du CELAM, réseaux constitués par l’appartenance à une même famille religieuse ou regroupement par langue et nationalité des évêques missionnaires et le réseau des mouvements spirituels. Viennent ensuite les réseaux constitués au cours du Concile, ceux dans lesquels s’active Helder Camara (l’interconférence et l’Église des pauvres) et enfin, le Coetus internationalis patrum. On regrettera un manque d’approfondissement de cette partie, notamment en ce qui concerne le Coetus, surtout que l’on apprend à la p. 256 que les membres brésiliens du Coetus, Castro Mayer et Sigaud, ont fait, à eux seuls, 40 interventions. Vient ensuite un chapitre sur les conférences de la Domus Mariae, au nombre de 94, dont l’animateur demeure Mgr Camara, et qui indisposèrent parfois des membres de la Curie, voire le Secrétaire général du Concile, Mgr Felici. La liste des intervenants à ces conférences indique bien l’orientation générale de cette initiative qui a constitué un formidable lieu de formation des évêques du Brésil et, plus largement, de plusieurs évêques. Il est d’ailleurs significatif que Beozzo ait traité de tous ces éléments (lieux, réseaux et formation) avant de nous parler de la contribution de cet épiscopat aux travaux du Concile eux-mêmes, comme quoi tout ne se passait pas dans l’aula conciliaire ou dans les commissions officielles. Le chapitre 7 nous introduit cependant à cet aspect en nous offrant une liste et quelques éléments d’analyse au sujet des interventions écrites et orales des évêques brésiliens au cours du Concile. Le travail des Brésiliens en Commission n’est toutefois pas présenté. En revanche, l’auteur nous présente les messages des évêques brésiliens aux fidèles du Brésil. Le chapitre 8, pour sa part, nous fait voir, ce qui est heureux dans un livre presque exclusivement centré sur les évêques, d’autres protagonistes : les periti et les auditeurs. Ainsi, ce chapitre nous permet d’élargir la perspective et d’observer de manière plus globale la dynamique du Concile. Enfin, cette partie se conclut par un court chapitre sur deux thèmes importants : la pastoralité et la collégialité épiscopale. D’après J.O. Beozzo, le Concile a donné lieu à un apprentissage de la collégialité, l’élaboration d’un nouveau plan pastoral conjoint en fournissant un exemple.

La troisième partie (p. 369-514) est essentiellement prosopographique et présente, pour chacun des évêques, les informations de base. L’ensemble est complété par un index onomastique et un index des tableaux, du reste fort nombreux et fort informatifs. On se réjouit aussi de trouver dans ces pages une iconographie importante tirée des fonds d’archives.

Cet ouvrage est important, pour les raisons invoquées en introduction, même si l’analyse n’est pas toujours poussée très loin. On dispose cependant avec cet ouvrage d’une bonne information sur un épiscopat important, une présentation factuelle qui peut servir de base à d’autres études.

Gilles Routhier

21. Michael Bredeck, Das Zweite Vatikanum als Konzil des Aggiornamento. Zur hermeneutischen Grundlegung einer theologischen Konzilsinterpretation. Paderborn, Verlag Ferdinand Schöningh (coll. « Paderborner Theologische Studien », 48), 2007, 490 p.

Les travaux historiques et théologiques sur Vatican II se multiplient. Même s’il ne faut pas nier les richesses d’une telle diversité d’approches, on peut poser la question de la nécessité d’une certaine vision d’ensemble sur l’interprétation conciliaire. C’est le point de départ de Michael Bredeck. Selon lui, le Concile lui-même livre une base herméneutique, l’aggiornamento. Dans sa thèse, il veut clarifier ce concept et en saisir les potentialités pour l’herméneutique conciliaire (p. 15).

L’étude est divisée en quatre parties. Dans le premier chapitre, l’auteur essaie de voir comment on se sert du concept d’aggiornamento dans les recherches sur Vatican II ; il en propose une première définition (p. 66-70) qui met en évidence la pluridimensionalité du concept. À partir de cette définition, Bredeck réexamine l’herméneutique et la réception du Concile, tout en essayant de surmonter les unilatéralismes qui ont pu marquer les recherches sur Vatican II. S’inspirant de Walter Kasper, il introduit le concept d’une approche herméneutique « intégrale » (p. 138). Le deuxième chapitre présente l’aggiornamento comme « somme de vie » d’Angelo Roncalli - Jean XXIII. Bredeck montre comment les énoncés apparemment classiques et post-tridentins du futur pape expriment, tout au long de sa vie, une sorte de théologie pastorale ouverte au monde.

Deux concepts déterminent en particulier la suite de l’étude : tout d’abord, la « contemporanéité spirituelle » (p. 180 et suiv.), qui permet au pasteur Roncalli de vivre l’Évangile pour les hommes de son temps, et puis, la « mentalité ecclésiale » (p. 234 et suiv.). Le renouvellement de l’Église, souhaité par Jean XXIII, trouve donc ses racines dans la recherche de la sainteté, dans la mission de servante assignée à l’Église, et dans l’ouverture aux contemporains et aux défis de l’époque moderne.

Le troisième chapitre est consacré à l’aggiornamento, tel qu’il apparaît dans les énoncés de Jean XXIII et de Paul VI au moment de Vatican II. En même temps, Bredeck se demande comment les Pères conciliaires ont mis en oeuvre la « mentalité ecclésiale » et la vision profonde d’aggiornamento de Jean XXIII. Le pape a donné au Concile la liberté de s’« autoconstituer » (p. 338) et de chercher la concrétisation de ses intuitions dans un esprit collégial (voir notamment p. 266, 275, 324). À partir de ce postulat, l’auteur esquisse une interprétation théologique de la première session. Bredeck va plus loin et il analyse comment la différenciation, entre la forme et le contenu du depositum fidei dans Gaudet Mater Ecclesia, a pu permettre aux Pères conciliaires de chercher des moyens chrétiennement honnêtes de mettre en lien Tradition et contemporanéité. Ainsi, il estime que les différences entre les Pères conciliaires n’étaient pas tout d’abord des différences dogmatiques, mais bien des différences de mentalité (p. 348). D’ailleurs, peut-on complètement séparer ces deux aspects qui déterminent aussi la réception de Vatican II ? Paul VI, pour sa part, a repris l’intuition de Jean XXIII, tout en contribuant lui-même à préciser le sens de l’aggiornamento. Selon Bredeck, ce qu’on appelle souvent trop sommairement « esprit du Concile » dans la pensée de Paul VI, se réalise dans la « mentalité ecclésiale » (p. 367), mentalité dont le pape met en valeur les aspects de service et de dialogue. Les réflexions de Bredeck sur une certaine négligence progressive de l’aggiornamento « ad intra » (p. 373), suite probablement, selon certains, à des mises en gardes de Paul VI contre un aggiornamento « ad extra » coupé de ses racines spirituelles, sont également très intéressantes.

Le quatrième chapitre développe enfin l’aggiornamento comme « critère herméneutique de base d’une approche intégrale de l’interprétation de Vatican II ». Ce chapitre analyse également le Synode de 1985 et le pontificat de Jean-Paul II. Selon Bredeck, Vatican II est un Concile de « transition dans une phase missionnaire de l’existence ecclésiale » (p. 409). Tirant de son approche « intégrale » des conclusions théologiques lourdes de conséquences, l’auteur présente sept options pour une théologie après Vatican II, options qui explicitent et perpétuent en quelque sorte l’aggiornamento. Par là, il entreprend une relecture de quelques approches herméneutiques. Ce faisant, Bredeck ne met cependant pas l’accent sur ce qu’on peut critiquer dans ces approches (ce qui n’évite évidemment pas leur examen critique), mais essaie de mettre en valeur les mérites de chacune d’entre elles. C’est aussi une manière de rendre fructueuse les tensions inévitables de l’oeuvre conciliaire (voir également, à ce sujet, par exemple p. 326, 396, 406, 415, etc.).

Cette attitude scientifique est en fait une sorte d’adaptation de la « mentalité ecclésiale » aux recherches conciliaires. Elle reflète également le mérite de cette étude, qui est de démontrer de quelle manière Vatican II a été un événement spirituel (voir par exemple p. 158, 281, 298, 307, 315, 390, 396, etc.). Comme le remarque Bredeck à juste titre, il ne suffit cependant pas d’affirmer et de postuler un caractère spirituel à Vatican II ; celui-ci doit être « traduit » dans une terminologie théologique (p. 409). Plus encore, au-delà du Concile, comme dans la pensée de Jean XXIII, l’aggiornamento implique toute une spiritualité dans laquelle s’interpénètrent mutuellement les dimensions humaines les plus concrètes et la dimension universelle du salut voulu par Dieu (voir p. 212).

Michael Quisinsky

22. Massimo Faggioli, Il vescovo e il Concilio. Modello episcopale e aggiornamento al Vaticano II. Bologna, Società editrice il Mulino (coll. « Testi e ricerche di scienze religiose », « Nuova serie », 36), 2005, 476 p.

En retraçant l’histoire rédactionnelle du De Episcopis, Massimo Faggioli fait plus que restituer l’iter conciliaire de multiples schémas qui ont conduit au texte du Décret sur la Charge pastorale des évêques. En effet, c’est l’évolution de la figure de l’évêque elle-même, tout au long du Concile, qu’il reconstruit. Certes, en huit chapitres, suivant les grandes étapes du Concile, depuis la phase antépréparatoire jusqu’aux années post-conciliaires, il retrace l’évolution de la réflexion, mais en filigrane, ce que l’on retrouve, c’est la lente évolution de la conscience et de la compréhension de leur rôle et de leur fonction que font les évêques tout au long du processus conciliaire.

De plus, cet ouvrage à lui seul nous permet de comprendre les tensions ou les rapports dialectiques qui ont marqué le Concile Vatican II : rapports entre la Commission et le pape (Paul VI qui intervient dans le débat au moyen de deux motu proprio), rapports entre deux approches, l’une plus sociologique et juridique, l’autre plus théologique et pastorale, rapports entre évêques romains (surtout évêques de Curie) et évêques diocésains, rapports entre évêques européens et ceux des jeunes Églises, rapports et tensions entre la Commission théologique (et doctrinale) et les autres commissions, rapports entre les commissions qui travaillaient en parallèle sur les mêmes questions, rapports entre les commissions et les groupes informels, dans ce cas le groupe « Les évêques de Vatican II », rapports entre les diverses tendances ou orientations au moment du Concile, rapports entre les textes conciliaires et le droit canonique qui devait suivre, etc. C’est donc toute la dynamique du Concile qui nous est présentée à l’occasion d’un débat crucial.

Quoi qu’on en pense, il ne s’agit pas d’un décret anodin et ce n’est pas pour rien que les débats autour de ce schéma ont été si vifs. En effet, le travail sur ce schéma soulevait la question de la réforme de la Curie, du rapport des évêques avec la Curie et de la compétence propre des évêques, de la mise en oeuvre pratique de la collégialité, du rapport entre les Églises locales et le gouvernement central de l’Église catholique, etc. Autant de questions fort délicates que devait traiter ce schéma, si bien que l’attention à l’Église locale et au ministère pastoral de l’évêque dans son Église a fini par en souffrir un peu. D’un schéma initial sur les évêques diocésains, on a fini par écrire un schéma sur les rapports entre les évêques diocésains et l’Église tout entière.

La reconstruction historique de Faggioli réussit à nous faire saisir de manière fort dynamique ces différents rapports et à dégager les questions essentielles qui ont marqué ce débat. Aussi, ce volume permet au lecteur non spécialiste de saisir sur le vif ce qu’a été Vatican II.

Gilles Routhier

23. Rafael Frick, Grundlagen Katholischer Schule im 20. Jahrhundert. Eine Analyse weltkirchlicher Dokumente zu Pädagogik und Schule. Baltmannsweiler, Schneider Verlag Hohengehren (coll. « Schul- und Unterrichtsforschung », 2), 2006, 357 p.

Vatican II n’apparaît pas dans le titre de cette thèse de doctorat en pédagogie, bien qu’il soit, à plusieurs titres, au centre de cette étude. Rafael Frick examine les documents publiés au 20e siècle par l’Église universelle concernant les écoles et l’éducation. Fort bien documenté, son travail retrace la genèse et le contenu du document le plus important pour son étude, c’est-à-dire Gravissimum Educationis (p. 41-65, voir aussi en annexe, p. 354 et suiv., une liste complète des membres de la Commission conciliaire pour les études et les séminaires). Son travail est d’autant plus important pour l’historiographie et l’herméneutique de cette déclaration qu’il esquisse, s’appuyant en cela sur une évaluation exhaustive, des recherches futures concernant ces deux domaines (chap. 6).

La thèse de Frick présente un grand intérêt pour la compréhension de Vatican II. L’auteur situe en effet le Concile dans un processus qui va de l’encyclique Divini Illius Magistri de Pie XI (1929) jusqu’au document La Scuola Cattolica alle soglie del Terzo Millenio (1997) (chap. 1). Continuités et discontinuités peuvent ainsi être examinées dans un horizon assez large pour éviter la polémique et les clichés.

S’appuyant sur cinq « intégraux », Frick examine le contenu des cinq documents choisis (chap. 2). Par « intégral », il entend un ensemble d’aspects révélateurs qui permettent de comparer des documents pourtant très différents quant à leurs styles et à leurs contenus. Ces intégraux sont la vision du monde sous-jacente aux documents (1), l’anthropologie qui constitue l’arrière-plan des énoncés pédagogiques et théologiques (2), la relation entre foi, savoir et sciences (3), les énoncés concernant la pédagogie (4) et la compréhension de l’école catholique (5).

Le troisième chapitre est consacré à la discussion de plusieurs aspects théologiques en lien avec la pédagogie. Ce faisant, Frick évalue systématiquement les observations du chapitre précédent.

Selon l’observation sans doute la plus importante de Frick, les conceptions pédagogiques sont intrinsèquement liées aux présupposés théologiques ; sont notamment concernées la théologie de la grâce, la vision du monde et l’anthropologie chrétienne, ce qui se concrétise de différentes manières dans la théorie de l’éducation. Frick montre cela notamment dans une comparaison entre Divini Illius Magistri et Gravissimum Educationis, tout en constatant « une rupture nettement marquée entre la pédagogie préconciliaire et la pédagogie conciliaire » (p. 148) : tandis que DIM s’inscrit dans la tradition de la doctrine augustinienne du péché originel, ce sujet est quasiment absent dans les textes de Vatican II. Cela implique des conséquences importantes dans le rapport de la doctrine chrétienne à la pédagogie et à la culture contemporaine. Si cette rupture inaugurée par le Concile est nette, elle n’est pas complète. En renvoyant aux formulations de GE, qui restent marqués par la théologie néoscolastique, Frick démontre que le décret n’est pas un texte soigneusement composé. Comme on peut s’y attendre, cela s’explique par l’histoire de ce document un peu négligé par les Pères conciliaires. À la suite de Frick, on pourrait oser l’hypothèse selon laquelle GE est symptomatique du mouvement général du Concile : un choix courageux en faveur de l’aggiornamento ne mène pas forcément à une mise en oeuvre homogène de cette alternative. Vu le déroulement d’un tel événement, on pourrait même se demander si une certaine homogénéité est possible. Cependant, et la sphère de la pédagogie le prouve clairement, une fois l’historicité et la contemporanéité reconnues, même imparfaitement, comme constitutives de la foi chrétienne, la théologie et l’Église ne peuvent plus faire marche arrière, même si c’est justement à partir de ce moment-là que maints problèmes surgissent. Frick montre très bien comment il faut mesurer les éléments de continuité et de discontinuité : il ne faut ni renoncer à explorer les acquis majeurs de Vatican II et insister clairement sur ses intuitions centrales, ni négliger les détails qui amènent une synthèse trop facile.

Un autre constat de Frick mérite d’être présenté, parce qu’il renvoie à un problème de fond : dans les documents ecclésiaux sur l’éducation, y compris GE, on ne trouve guère de références à la littérature spécialisée, ni un vrai dialogue scientifique prenant en considération la pédagogie contemporaine. Serait-il possible que ce manque d’information et de documentation de la part de l’Église (p. 247-249) explique une réception quasiment absente de ces documents ecclésiaux, parfois même au sein de l’Église, mais en tout cas de façon certaine dans la littérature de pédagogie scientifique (p. 250) ? Ceci est d’autant plus grave que l’éducation et les écoles sont des points de contact privilégiés entre l’Église et le monde. On pourrait continuer à poser des questions importantes, comme par exemple celle de savoir quel impact aurait une prise en considération plus déterminée des acquis des sciences humaines (pédagogie dans notre cas) sur la théologie et sur la compréhension de la foi. D’ailleurs, la pédagogie est aussi un lieu de théologie fondamentale, comme le remarque très bien Roman A. Siebenrock dans son commentaire sur GE[5].

L’étude de Frick mène directement au coeur de quelques questions propre à l’herméneutique de Vatican II. On peut donner deux exemples à partir de la comparaison de Gravissimum Educationis avec les documents postconciliaires. Premièrement, le document La Scuola Cattolica (1997), à la suite de Vatican II, incite les écoles catholiques à oeuvrer en vue d’une synthèse entre foi, culture et vie (p. 217 et suiv.). Comme d’autres problèmes abordés par Frick, notamment celui de la relation entre grâce et nature, nous avons là un défi fondamental pour l’Église et la théologie entières, bien au-delà du seul domaine de l’éducation et des écoles. En ce qui concerne le Concile et sa réception, on voit clairement dans cette thèse que ce n’est pas seulement dans ses grandes constitutions qu’on trouve des défis centraux et des pistes de recherche. Deuxièmement, toujours dans le domaine de l’éducation et de l’école, c’est dans la réception de Vatican II, et suite aux mutations sociologiques, que surgissent les interrogations autour de l’identité catholique qui semblent se superposer, dans le document de 1997, aux intuitions de Vatican II (p. 238). Reste à savoir comment cette question importante de l’identité peut être abordée sans négliger les acquis du chemin parcouru depuis DIM en 1929, notamment cette synthèse entre foi, culture et vie revendiquée à la suite de Vatican II.

Michael Quisinsky

24. Ansgar Kreutzer, Kritische Zeitgenossenschaft. Die Pastoralkonstitution Gaudium et spes modernisierungstheoretisch gedeutet und systematisch-theologisch entfaltet. Innsbruck, Tyrolia Verlag (coll. « Innsbrucker theologische Studien », 75), 2006, 493 p.

Avec Vatican II, l’Église catholique a inauguré une nouvelle relation avec le monde moderne. Si cette affirmation est fréquente et commune, les enjeux qu’elle implique sont de taille et les concrétisations de ce programme conciliaire ne sont pas toujours faciles. La thèse d’Ansgar Kreutzer démontre que le Concile, sans avoir pu ni voulu préciser et concrétiser tous les aspects de son programme, a donné à l’Église les moyens nécessaires pour vivre et penser chrétiennement et humainement les relations avec le monde moderne. Dans ce but, l’auteur développe, à partir de Gaudium et Spes, la notion d’une « contemporanéité critique » (« kritische Zeitgenossenschaft »), notion qu’il définit progressivement dans les différents chapitres de sa thèse.

Dans un chapitre préliminaire (p. 15-64), en se demandant si la culture moderne et la foi chrétienne sont « compatibles », l’auteur propose deux pistes de recherche : d’abord, il insiste sur le fait que, dans l’herméneutique conciliaire, on met en valeur le « contexte » (p. 28) de Vatican II. Ensuite, il met en évidence le développement de « théologies contextuelles » (p. 35 et suiv.), déclenchées et encouragées par le Concile. Kreutzer pousse la réflexion plus loin en se posant une question fondamentale : comment peut-on mettre en lien la foi chrétienne et les sociétés modernes sans trahir la foi d’un côté, mais aussi sans mal comprendre d’emblée la société moderne et, par la suite, se placer en dehors d’elle ? Méthodologiquement, l’auteur combine les approches sociologique et théologique d’une manière qui est déjà une réponse à sa question. Pour cela, il s’inspire de la différenciation opérée par David Tracy entre « wider society », « church » et « academy » (voir le tableau p. 74, successivement élargi p. 163 et p. 344).

Dans la première partie de sa thèse, afin de préciser la compréhension du monde « moderne », l’auteur présente plusieurs théories sociologiques. Ne s’appuyant sur aucun auteur de référence, Kreutzer esquisse un panorama équilibré de la sociologie dans lequel il analyse les aspects positifs et négatifs de l’époque moderne. Dans sa description, le pluralisme typique des sociétés modernes se reflète bien.

Dans une deuxième partie, Kreutzer expose notamment la description de la société moderne telle qu’elle est faite par Gaudium et Spes. Si son but est de trouver des points de comparaison entre la constitution pastorale et la systématisation sociologique, la dynamique propre du Concile est respectée, de même que celle de la méthodologie théologique. Kreutzer part de la crise moderniste qu’il interprète comme un refus du monde moderne ; en se refermant sur elle-même, l’Église a rendu impossible une théologie « sensible au contexte de la culture et de la société modernes » (p. 177). Ainsi, en tant que résultat imprévu de Vatican II, Gaudium et Spes met en évidence un « changement de paradigme » (p. 220 et suiv.). En s’appuyant sur plusieurs commentateurs, Kreutzer discute également des enjeux théologiques de Gaudium et Spes, ce qui lui permet, pour utiliser des termes assez simplificateur, de mettre en lien les aspects « optimistes » et « pessimistes » de la constitution pastorale. Quand on compare la façon d’appréhender le monde moderne dans la constitution pastorale et dans les théories sociologiques, on trouve — exprimés en des langages différents — quelques ressemblances importantes qui permettent d’affirmer une « compatibilité » (pour la terminologie, voir par exemple p. 340) entre la foi chrétienne et l’époque moderne, notamment à travers l’affirmation de la juste autonomie des réalités terrestres (GS 36) et l’appel à l’interprétation des signes des temps (GS 4). Cela implique évidemment un vaste programme de travail pour les théologiens, à la fois sur le plan de la méthodologie et sur celui des concrétisations. Kreutzer donne ici en exemple Marie-Dominique Chenu, o.p., et Hans-Joachim Sander, respectivement théologien du Concile et théologien allemand contemporain.

La troisième partie est une reprise systématique des intuitions majeures de Gaudium et Spes. Cependant, quarante ans après Vatican II, le diagnostic de la société moderne sous-jacent à la constitution pastorale n’est plus actuel. Toutefois, la méthode utilisée dans la constitution ou, comme l’a décrit Joseph Ratzinger, son « ethos » (p. 339 et suiv.) l’est d’autant plus : solidaire de l’humanité contemporaine, la foi chrétienne est « compatible » avec les temps modernes tout en ayant un potentiel critique — la « contemporanéité critique ». Suite à Gaudium et Spes et à sa mise en valeur de l’autonomie des réalités terrestres, l’Église peut accepter la différenciation au sein des sociétés modernes et y trouver sa place. En même temps, comme l’énoncent certaines théories sociologiques, cette différenciation ne doit pas avoir le dernier mot. Une « interpénétration » des secteurs de la société est possible. Kreutzer dégage quelques exemples d’un tel enrichissement mutuel en présentant la méthodologie théologique de Clodovis Boff, la théo-logie (au sens strict du terme) de Hans-Joachim Höhn, et la pensée de Charles Taylor, dont il met en valeur le potentiel pour une ecclésiologie fidèle à Gaudium et Spes. Dans cette partie, l’auteur s’éloigne du discours de la constitution pastorale, mais dans le but de l’actualiser.

Avec un « ethos » théologique et spirituel tel que Gaudium et Spes l’a inauguré, la théologie a désormais des moyens de penser la foi tout en étant fidèle à la Tradition et aux contemporains. C’est dans ce but que Kreutzer clôt sa thèse avec quelques réflexions supplémentaires et fondamentales : ainsi, à la suite de Pierre Bourdieu, il propose un « habitus » théologique et spirituel comme appropriation personnelle de la constitution pastorale. En même temps, il renvoie à un point faible du texte conciliaire, qui n’aurait peut-être pas assez pris en considération la dimension « apocalyptique » du temps, tel que cela est souligné par Walter Benjamin. Car plus que jamais les chrétiens, pleinement conscients de leur place dans l’histoire humaine depuis Vatican II, devraient aussi être solidaires des victimes de l’histoire.

Michael Quisinsky

25. Santiago Madrigal Terrazas, Memoria del Concilio. Diez evocaciones del Vaticano II. Madrid, Universidad Pontificia Comillas de Madrid ; Paris, Desclée de Brouwer (coll. « Biblioteca de Teología Comillas », 13), 2005, 334 p.

L’idée qui préside à cet ouvrage est assez originale : il s’agit, en dix petits chapitres et à travers les écrits de dix personnages, de restituer la mémoire du Concile. Dans toute la littérature consacrée à Vatican II, je n’ai en effet vu aucun ouvrage conçu de cette manière et l’on doit avouer que le projet est fort intéressant. Comme le souligne l’auteur en introduction, l’idée de laisser parler du même événement dix auteurs différents indiquera à souhait la complexité et la richesse de l’événement qui ne se laisse pas saisir facilement, mais qui représente un phénomène d’une telle ampleur qu’il a besoin, pour être saisi, de l’apport de plusieurs regards et de plusieurs points de vue. Cette variation sur un même thème, à travers la diversité des approches, permet, au terme, une vue « kaléidoscopique » du Concile.

Ceci dit, ce projet qui avait pour but de nous faire saisir la complexité de cet événement, comportait plusieurs défis. D’abord, le choix des acteurs, si l’on voulait offrir réellement une diversité de points de vue. Ici, on a choisi de faire intervenir différents protagonistes du Concile : théologiens, évêques, auditeurs et, un acteur des coulisses, les chroniqueurs. Les conditions sont aussi diverses, neuf hommes et une femme, religieux, clercs et laïcs, théologiens, philosophes, hommes de lettres, prélats, etc. : Yves Congar, Jean Guitton, Hans Küng, Karl Rahner, Léon-Joseph Suenens, Pilar Bellosillo, Karl Barth, Pedro Arrupe, pour les plus connus. Certains ont été très engagés dans tout le processus conciliaire, on pense à Y. Congar, K. Rahner ou L.J. Suenens, par exemple, d’autres n’y ont participé que sur le tard — P. Bellosillo (1964) ou P. Arrupe —, ce dernier étant plus actif au cours de la période post-conciliaire, alors que d’autres se sont invités post festum, comme le disait K. Barth ou n’ont suivi l’événement qu’à distance — on pense à H. Küng — ou en l’observant de l’extérieur, comme c’est le cas pour les chroniqueurs. La sélection est donc hétérogène, comme le remarque l’auteur de ce volume. Toutefois, on se rend vite compte que, dans cette galerie de personnages, tous sont Européens. Les Églises orientales sont absentes, comme le sont du reste les Églises du silence, celles d’Amérique (du Nord ou du Sud), de l’Asie ou de l’Afrique. On demeure en France, en Suisse, en Allemagne, en Belgique et en Espagne. Le monde anglo-saxon (Europe, Amérique, Asie et Afrique confondues) est totalement absent de cet ouvrage, comme le monde italophone (pourtant l’épiscopat numériquement le plus important) ou le monde lusophone qui ne manquait pas lui non plus de représentants. De plus, aucun membre de la Curie — ce point de vue compte aussi lorsque l’on veut saisir le Concile — pas plus du reste qu’on ne trouve de participants au Coetus internationalis patrum ou de sympathisants de ce groupe de pression. On n’a pas non plus le point de vue de l’évêque lambda, qui a pourtant eu une manière originale de voir et de saisir cet événement comme l’a montré la publication du journal conciliaire de Marion F. Forst (Daily Journal of Vatican II). On le voit, c’est là sans doute le véritable défi que doit affronter une telle entreprise.

Ce ne sont pas que les perspectives qui sont diverses ; le genre littéraire des divers textes et le statut des sources sont également fort différents. On relève ici la diversité des genres littéraires (journal conciliaire, témoignage, réflexions philosophiques ou littéraires, commentaires, chroniques, etc.), mais on néglige peut-être trop, même si on le relève, la diversité de statut de tous ces textes auxquels on fait appel. En effet, les notes quotidiennes de Congar ont un autre statut que les Mémoires de Suenens ou de Küng. Les premières sont écrites à chaud, jour après jour, alors que les autres sont des reconstructions vingt, trente ou quarante ans après le Concile. On réécrit alors l’histoire, souvent à son avantage, taisant ce qu’on ne veut pas montrer et grossissant ce que l’on veut mettre en valeur. Il s’agit de mémoires sélectives qui, souvent, veulent mettre au centre de l’action leur auteur. Ici, on n’est sans doute pas suffisamment critique des sources mises à contribution.

Quant aux différents chapitres, ils sont réellement construits par l’auteur à partir des sources, plus ou moins abondantes ou diversifiées, suivant le cas. Pour certains — on pense à Congar — le matériau est plus qu’abondant (mais c’est vrai également pour Suenens, Guitton, Küng, etc.). Dans ce cas, on puise aux sources premières. Pour d’autres en revanche, Madrigal doit davantage recourir à des chroniques, notamment celles de J.L. Martín Descalzo ou de G. Caprile, ou à l’histoire du Concile, comme c’est le cas, par exemple, pour le chapitre mettant en scène P. Bellosillo. Le traitement des sources m’a toujours semblé rigoureux, si bien que la construction que fait Madrigal est crédible et apparaît tout à fait honnête. Certes, il fait parler les auteurs en sélectionnant des extraits de leurs oeuvres, mais leur pensée sur le Concile m’apparaît bien restituée.

En somme, un ouvrage suggestif qui donne envie qu’une telle initiative soit reprise et augmentée.

Gilles Routhier

26. Michael Quisinsky, Geschichtlicher Glaube in einer geschichtlichen Welt. Der Beitrag von M.-D. Chenu, Y. Congar und H.-M. Féret zum II. Vaticanum. Münster, Berlin, LIT Verlag (coll. « Dogma und Geschichte », 6), 2007, 576 p.

La littérature sur Congar et Chenu au Concile Vatican II est déjà fort abondante, si bien que l’on se demande ce que l’on peut ajouter encore à ce qui a déjà été dit. Dans cet ouvrage, M. Quisinsky parvient excellemment à relever le défi de renouveler le propos en offrant une perspective à la fois théologique et historique, et en mettant à jour des sources peu utilisées jusqu’ici.

Contrairement aux perspectives habituelles, il ne s’agit pas d’abord d’une étude sur la contribution de Congar et Chenu, auxquels il faut ajouter ici le nom de Féret, à Vatican II. L’ambition est plus grande, puisque Quisinsky enracine sa recherche (première partie) dans le projet de Chenu, Congar et Féret, au début des années 1930, au Saulchoir, d’écrire une histoire de la théologie. Pour cela, non seulement l’A. dispose des sources publiées, notamment le Journal d’un théologien de Congar, mais il a recours à plusieurs sources d’archives inédites. Ce projet, qui n’aboutit pas comme le trio l’avait imaginé au point de départ, permet cependant, comme le montre Quisinsky, de renouveler profondément la théologie. Ainsi, on passe du projet initial d’une histoire de la théologie à une appréhension de la théologie dans l’histoire et de l’histoire. Le sens de l’historicité des choses, y compris des doctrines, devient alors la découverte la plus importante. L’Église, comme la foi, est dans l’histoire. Pour Quisinsky, plus que telle ou telle intuition ecclésiologique, ou que tel ou tel développement en matière d’oecuménisme, c’est à ce chapitre que la contribution des théologiens du Saulchoir est la plus importante.

Une fois cette base solidement posée, l’A. voudra montrer comment Chenu, Congar et Féret, contribueront à faire passer dans les textes conciliaires cette vision de la foi dans l’histoire qu’ils ont développée. Quisinsky documente comment le trio contribue, dans des textes majeurs, notamment Lumen Gentium et Dei Verbum, à situer dans la perspective de l’histoire du salut ouverte à la dimension eschatologique, aussi bien la Révélation, la Tradition et l’Église. Plus surprenante à première vue est l’insertion de cette perspective dans le schéma sur le ministère et la vie des prêtres. Enfin, ici nul ne s’en surprendra, la reprise de cette perspective dans la Constitution Gaudium et Spes. Ici, les développements de l’auteur sur le débat avec les évêques et periti allemands (Volk, Frings et Ratzinger) sont d’une grande importance tant ils déterminent par la suite l’herméneutique de ce texte capital objet de bien des controverses.

Ainsi, aux yeux de Quisinsky, on pourrait croire que le Concile constitue la synthèse du travail du trio et l’aboutissement le plus achevé de l’École de théologie du Saulchoir. Élaboré au début des années 1930, ce projet, qui n’a pas abouti de la manière prévue à cette époque, trouve ainsi son achèvement dans le Concile.

Le travail met en lumière le rôle important joué par Mgr Elchinger (lors de la rencontre du Mont Saint-Odile), évêque auxiliaire de Strasbourg, véritable médiateur et passeur entre l’épiscopat allemand et l’épiscopat français. On regrettera que, outre les travaux de l’historien K. Wittstadt, trop peu d’attention n’a été porté à son rôle au Concile. L’ensemble est complété par une bibliographie impressionnante, mais plus impressionnante encore, la liste des sources consultées. Le volume dispose également d’un index des noms propres et de quelques illustrations.

Il s’agit, à mon point de vue, du travail le plus original sur la contribution de Chenu et Congar (et Féret) au Concile Vatican II et peut-être davantage, sur leur contribution à la théologie au xxe siècle. En prenant du champ et en enracinant la recherche dans les années 1930, l’A. se libère des perspectives trop limitées qui consistent à considérer les choses à partir d’un horizon historique trop étroit. De plus, l’approche combinée théologique et historique se révèle très féconde et fructueuse. En somme, un ouvrage à lire et dont on souhaite la traduction en français.

Gilles Routhier

27. Norman Tanner, The Church and the World. Gaudium et Spes, Inter Mirifica. New York, Mahwah, N.J., Paulist Press (coll. « Rediscovering the Vatican II », 2), 2005, xii-131 p.

À l’occasion du quarantième anniversaire de Vatican II, la maison d’édition Paulist Press a lancé une collection (8 volumes) qui reprend les 16 documents de Vatican II. Il ne s’agit pas d’un nouveau commentaire, ni à proprement parler d’une histoire de la rédaction des textes, mais d’un genre mixte où se rencontrent le passé et le présent, l’histoire, les questions contemporaines, la présentation et le commentaire des documents conciliaires. Tous les volumes de la série sont structurés de la même manière : une première partie présente le document (en particulier l’histoire de sa rédaction), avant de dégager, dans la seconde partie, sa structure, ses parties, sa cohérence, ses articulations et ses thèmes principaux. Vient ensuite une troisième partie sur la mise en oeuvre — ou application (implementation) — des documents, ce qui est différent de la réception. Finalement, l’ouvrage se termine par l’état actuel de la question sur le thème traité.

Le présent volume, le deuxième de la série, est rédigé par Norman Tanner, historien spécialisé dans l’histoire des conciles et spécialement de Vatican II. Il s’intéresse ici à deux documents conciliaires qu’on n’a pas l’habitude d’associer, car beaucoup de choses les opposent : Gaudium et Spes et Inter Mirifica. L’essentiel du volume est toutefois consacré à Gaudium et Spes (90 p.). Dans la première partie, N. Tanner parvient à rendre compte de manière simple et compréhensible, mais sans schématisme ou raccourci, du long et très complexe iter conciliaire du document. La deuxième partie, assez classique, présente la structure du document et son enseignement principal. La troisième partie, davantage sujette à interprétation et plus risquée, mériterait une discussion plus ample. L’auteur essaie en effet de voir comment Gaudium et Spes a été mis en oeuvre. Mais pour cela, il se limite à un examen bien sommaire de la littérature (essentiellement les commentaires), de l’enseignement magistériel (surtout romain), et de la théologie. Naturellement, l’auteur ne peut aller au fond des choses en quelques pages. Il est cependant malheureux qu’il doive se contenter d’un survol ou de simples impressions. L’autre problème tient à la définition de ce qu’est Gaudium et Spes : des énoncés que l’on peut reproduire, ou un style ? À deux reprises, l’auteur met en avant le fait que l’importance de Gaudium et Spes « tient davantage dans son ton et son approche que dans ses énoncés particuliers (in the details of what it said) » (p. 63) ou que « dans l’imaginaire populaire, c’est le ton du décret qui a le plus d’importance » (p. 67). Par ailleurs, l’appréciation de sa mise en oeuvre dans le discours magistériel ne tient pas compte de la reprise de cette approche ou de ce ton, mais seulement de la reprise de ses thèmes dans les encycliques ou la reprise de ses énoncés particuliers (dans le catéchisme par exemple) (p. 64-65). Il s’agit sans doute là de la limite de cet exercice, car on sait bien que la reprise d’un énoncé ou d’un thème ne garantit en aucune manière la fidélité à l’enseignement de Gaudium et Spes si la reprise est faite dans un cadre d’énonciation étranger ou contraire à celui de la constitution pastorale. Enfin, la dernière partie sur l’état actuel de la question aborde trois points importants : celui du dialogue de l’Église avec le monde dans lequel elle s’inscrit, celui du ton ou de l’approche pastoral qui caractérise la constitution, et celui de la théologie inductive. Sur ces trois questions, la partie n’est sans doute pas encore gagnée.

La deuxième section du volume est consacrée à Inter Mirifica, décret beaucoup moins important et, dans une large mesure, décevant. Je m’abstiens de recenser ici sa présentation qui suit exactement le même schéma que la présentation de Gaudium et Spes. Je termine, avant de conclure par une appréciation générale, en signalant simplement que l’ouvrage, comme tous les autres de la série, comprend une courte bibliographie qui donne des orientations de lectures à ceux qui voudraient poursuivre la réflexion, ainsi qu’un index des thèmes et des noms propres.

Avant de manifester une quelconque réserve, il faut saluer la publication de cette collection consacrée à Vatican II. Parmi toutes les initiatives reliées au quarantième anniversaire de la clôture du Concile, celle-là mérite une attention particulière. En effet, davantage que le commentaire spécialisé publié en Allemagne ou que les colloques francophones dont les actes ont été publiés, cette collection se veut avant tout pour le grand public. De ce point de vue, le pari est gagné, car elle permettra à des fidèles cultivés, mais non spécialistes, de reprendre contact avec le Concile et ses documents.

Même s’ils sont tous structurés de la même manière, chacun des volumes porte cependant la marque de son auteur (nous n’avons pu prendre connaissance que des deux premiers volumes envoyés à la rédaction). Le deuxième volume, rédigé par un historien, développe davantage les deux premières parties consacrées au document et à son enseignement que le premier, écrit par un cardinal de la Curie, qui met davantage en valeur la mise en oeuvre du Concile à travers les initiatives des papes et de la Curie romaine.

De plus, nous regrettons que l’auteur ait choisi de présenter la mise en oeuvre des documents conciliaires à partir essentiellement des initiatives romaines, plutôt qu’à partir de leur réception, ce qui nous aurait permis de retracer le travail d’assimilation et d’appropriation de cet enseignement par les Églises locales.

Enfin, ces volumes ont le défaut de leur qualité. Conçus pour le grand public, ils peuvent décevoir les spécialistes qui trouveront que certaines questions sont survolées et que d’autres sont trop rapidement traitées, sans enquêtes approfondies. Cela est vrai, mais les orientations bibliographiques permettront justement aux lecteurs curieux d’aller plus loin et d’approfondir ce qui peut paraître ici trop général. En somme, l’immense mérite de cette collection est précisément de susciter la curiosité pour Vatican II qui risque d’être ignoré de la nouvelle génération.

Gilles Routhier

28. Guido Treffler, dir., Julius Kardinal Döpfner. Konzilstagebücher, Briefe und Notizen zum Zweiten Vatikanischen Konzil. Regensburg, Verlag Schnell und Steiner (coll. « Schriften des Archivs des Erzbistums München und Freising », Band 9), 2006, li-730 p.

Après avoir publié l’inventaire du Fonds Döpfner en 2004[6], les archives diocésaines de l’archevêché de Munich et de Freising offrent aux chercheurs un instrument de travail tout à fait remarquable, avec la publication de plusieurs documents du Fonds Döpfner. Le cardinal Julius Döpfner (1913-1976) fut en effet non seulement l’un des modérateurs du Concile, mais il joua également un rôle déterminant dans la contribution allemande à Vatican II.

Dans la préface de cette nouvelle publication (p. vii-ix), le cardinal Friedrich Wetter, actuel archevêque de Munich, insiste sur l’importance des recherches archivistiques pour mieux saisir la portée de Vatican II. Guido Treffler, à qui l’on doit cette imposante publication, présente ensuite un portrait dense et hautement suggestif du cardinal Döpfner à travers les actes qui se trouvent dans le Fonds (p. xi-xxvi). Ce faisant, il évalue ses prises de position et ses préoccupations théologiques et pastorales au moment de la préparation du Concile — Döpfner étant évêque de Berlin jusqu’en 1961 —, il met en relief la participation du cardinal dans les institutions conciliaires, il présente un premier bilan des partenaires de correspondance et de dialogue théologique et il donne enfin des indications concernant les activités du cardinal après le Concile. Treffler nous présente également quelques réflexions concernant le retard de l’institutionnalisation des recherches sur Vatican II en Allemagne par rapport à d’autres pays (p. xii). Si on regrette fortement qu’il n’y ait pas d’autres inventaires de fonds conciliaires allemands publiés présentement, ce volume, actuellement assez unique, marque une étape supplémentaire dans la mise à disposition des sources conciliaires.

Le corpus de cette collection de sources est constitué de huit parties d’un journal conciliaire (p. 3-55) ainsi que de 474 lettres, notices et comptes rendus de la période allant de janvier 1959 à janvier 1967 (p. 57-714). Les notices et lettres écrites par Döpfner permettent de suivre ses activités conciliaires, son évolution théologique et ses initiatives de coordination et de communication au sein de l’épiscopat allemand. Un grand nombre de lettres ou d’expertises faites par d’autres évêques et théologiens contribuent à renseigner sur d’autres centres de réflexion. Plusieurs documents concernent les activités de Döpfner dans l’immédiat après-Concile, un index des noms propres et des lieux (p. 715-725), ainsi qu’un index des schemata et documents du Concile (p. 727-730) font de cette publication un outil précieux.

Une simple recension ne peut pas donner un aperçu de la richesse historique et théologique de cette publication. Essayons quand même d’en dégager quelques aspects importants.

Par rapport aux journaux conciliaires déjà connus, celui du cardinal Döpfner est plutôt sobre. Si ce journal est assez sommaire pendant les sessions, il contient néanmoins des informations intéressantes sur les intersessions, par exemple sur les rencontres de la Commission de coordination ou des évêques germanophones.

Au centre des préoccupations théologiques abordées dans les consilia et vota du cardinal Döpfner (no 11) se trouve l’anthropologie chrétienne. Selon l’archevêque de Munich, cette dernière devrait répondre aux difficultés que rencontre la foi dans le monde moderne. Döpfner s’exprime d’ailleurs dans ce sens lors d’une rencontre des évêques d’Allemagne de l’Est (no 35) qu’il préside en 1960. Il demande également des expertises d’évêques (Lorenz Jaeger, no 18 ; Otto Spülbeck, no 19) et de théologiens (Johannes B. Hirschmann, no 17 ; jésuites de Francfort, no 19 ; Michael Schmaus, no 24) par rapport à ce sujet.

Avant le Concile, Döpfner demande à plusieurs reprises à Jean XXIII de donner assez de temps à sa préparation ; il préfère incontestablement que l’ouverture du Concile soit retardée plutôt qu’avancée. Il demande également à plusieurs reprises la création d’une Commission pastorale ; il voulait un Concile bref et efficace.

Les audiences que Jean XXIII et Paul VI accordent au cardinal Döpfner sont assez bien documentées. Outre les notices faites par Döpfner avant les audiences, on trouve parfois des commentaires « d’après-coup » indiquant quels sujets pouvaient être réellement abordés.

Tout au long du Concile, Döpfner organise plusieurs rencontres de la conférence épiscopale allemande, auxquelles s’ajoutent des évêques scandinaves, autrichiens ainsi que des représentants hollandais, belges, suisses et français. Parmi les évêques allemands, Michael Keller (Münster) et Albert Stohr (Mayence) moururent avant le Concile, non sans avoir apporté une contribution majeure à la préparation de l’événement ; les documents publiés permettent de mieux saisir leur rôle.

Le cardinal Döpfner s’appuie sur le conseil de plusieurs théologiens, ce que Guido Treffler démontre bien dans son introduction. Comme on peut s’y attendre, les sources publiées révèlent des détails intéressants : Döpfner aurait apprécié avoir Karl Rahner comme expert personnel. Celui-ci étant déjà peritus du cardinal König (Vienne), il conseille à Döpfner de choisir Heinrich Fries (no 219, 220), mais celui-ci refusa. Rahner insiste d’ailleurs beaucoup sur la nécessité du travail en équipe. Pour lui, il serait important de travailler notamment avec Joseph Ratzinger et Hermann Volk, nouvel évêque de Mayence. C’est ainsi que certains centres de gravité allemands à Vatican II s’annoncent.

Nous sommes également informés sur les raisons pour lesquelles des théologiens refusaient d’être peritus, offrant toutefois d’autres contributions précieuses (no 118, 122). Derrière les periti de premier rang, on découvre donc tout un réseau informel de théologiens connus ou inconnus. La correspondance de Döpfner nous permet de mieux connaître le rôle de théologiens comme Michael Schmaus, Klemens Tilmann, Joseph Pascher ou de Johannes B. Hirschmann en vue des travaux du Concile, même si leur travail est indirect. Certains de ces théologiens formaient toute une génération de prêtres, désormais porteurs de la réception du Concile sur le terrain.

En parcourant le volume, on trouve des informations sur le plan de la communication conciliaire. Souvent, elles sont très précieuses, même s’il n’est pas possible de les résumer ici. À titre d’exemple, Döpfner écrit le 6 décembre 1962 au cardinal Montini en le remerciant d’une intervention. Il souhaite vivement qu’une collaboration internationale pour le bien de la mission de l’Église en résulte (no 172). De telles lettres peuvent aider à saisir l’impact réel des interventions sur la prise de conscience conciliaire. La valeur de pareils détails qu’on peut trouver dans ce volume ne réside pas uniquement dans les informations qu’ils donnent des activités conciliaires du cardinal Döpfner lui-même. Ainsi, une lettre révélatrice est celle du patriarche Maximos IV Saigh, qui, n’étant pas électeur au conclave de 1963, demanda au cardinal Döpfner, au nom de la tradition orientale, d’élire un pape favorable au Concile (no 286). Au-delà des activités de Döpfner, d’autres documents sont très importants, notamment les lettres de Hans Urs von Balthasar en 1959 (no 2, 4), qui nous permettent de comprendre son attitude envers le Concile : en insistant sur la « sainteté », il soulève un élément-clé de la vie chrétienne. Se sentant quelque peu écarté des structures de communication théologiques, Balthasar n’avait pas l’occasion de traduire concrètement cette attitude dans la participation aux travaux conciliaires.

Ce volume peut donc enrichir les recherches sur Vatican II, tout d’abord quant au rôle du cardinal Döpfner, ensuite quant à la communication au sein de l’épiscopat allemand et à l’enracinement de celui-ci dans la pragmatique conciliaire. Avec cette publication, on trouvera désormais publié et facilement accessible beaucoup de détails qui auraient risqué de rester inaperçus lors de consultations spécialisées d’archives.

Michael Quisinsky

29. Marco Vergottini, dir., La Chiesa e il Vaticano II. Problemi di ermeneutica e recezione conciliare. Milano, Glossa Editrice s.r.l., 2005, 368 p.

À l’occasion du 40e anniversaire du Concile Vatican II, l’Association italienne de théologie a choisi de faire porter son congrès annuel sur l’ecclésiologie conciliaire, sa réception et son herméneutique. Différents thèmes ont été abordés, notamment des questions méthodologiques, en particulier ceux inhérents aux études sur la réception de Vatican II. Sur le plan thématique, le congrès a ouvert une discussion intéressante sur la catégorie qui parvient le mieux à désigner l’ecclésiologie conciliaire : s’agit-il de la catégorie de « peuple de Dieu », privilégiée au moment du Concile et qui s’impose dans Lumen Gentium ? S’agit-il plutôt de celle de « sacrement du salut », qui intervient déjà dans l’introduction de la même constitution, non sans quelques nuances et sans réticence de la part des observateurs protestants — et qui est reprise par la suite ? Ou encore, est-ce la notion de communion, qui a voulu prendre le relais à partir de l’assemblée extraordinaire du synode des évêques de 1985 ? Laquelle de toutes ces notions parvient le mieux à désigner l’ecclésiologie du deuxième Concile du Vatican ? Dans cette discussion, la contribution de G. Canobbio se distingue alors que celle de G. Calabrese laisse le lecteur sur son appétit.

Viennent ensuite deux contributions sur l’épineuse question du rapport entre « Église universelle » et « Église locale ». D. Valentini fait une bonne synthèse des débats sur la question et offre une périodisation de ce débat. On retrouve dans cette contribution les pièces essentielles du dossier. On observe toutefois un certain flottement dans le vocabulaire, comme c’est souvent le cas : d’une part, la notion d’Église universelle qui traduit deux expressions latines, « Ecclesia universa » et « Ecclesia universalis », n’est jamais clarifiée. D’autre part, on passe de l’expression « Église locale » dans le titre du chapitre à « Église particulière » dans le développement. Je me demande si une part du problème que l’on veut résoudre ne réside pas aussi dans ce flou terminologique qui parasite toute cette discussion. Quant à la contribution de D. Vitali sur le même sujet, l’étude fine de l’histoire de la rédaction de certains documents, notamment de la Lex Fundamentalis Ecclesiae, constitue un véritable apport dans ce débat.

Trois autres questions cruciales de l’ecclésiologie conciliaire sont abordées : l’Esprit Saint, principe de l’unité de l’Église, Vatican II et le dialogue oecuménique, et les laïcs dans l’enseignement de Vatican II. Dans cet ensemble, la contribution d’A. Maffeis se distingue en considérant le Concile lui-même comme fait de réception.

Bref un ouvrage qui saisit plusieurs questions importantes ouvertes par l’ecclésiologie conciliaire. Un ouvrage qui n’est pas qu’une littérature répétitive sur les thèmes choisis, mais apporte souvent une véritable contribution à l’étude de ces questions ecclésiologiques.

Gilles Routhier

Synthèse

30. Giuseppe Alberigo, dir., Histoire du Concile Vatican II (1959-1965). Tome V. Concile de transition. La quatrième session et la conclusion du Concile (septembre-décembre 1965). Version française sous la direction d’Étienne Fouilloux. Louvain, Peeters ; Paris, Les Éditions du Cerf, 2005, 836 p.

Le cinquième et dernier volume du monument historique dirigé par Giuseppe Alberigo présente la quatrième session et la conclusion du Concile, période décisive qui s’étendit de septembre à décembre 1965. Comme les précédents, cet ouvrage tient ses promesses et c’est un beau bilan historique que nous offrent encore une fois les historiens et théologiens qui se sont attelés à la gigantesque tâche de bâtir une Histoire du Concile Vatican II en cinq volumes. Dans cet ouvrage, après la traditionnelle introduction de Giuseppe Alberigo, Giovanni Turbanti présente différents aspects de l’intersession 1964-1965. Il expose tout d’abord les difficultés de la première réception, caractérisée par une grande attention accordée aux thèmes oecuméniques, par de nombreux débats sur un possible renouvellement des organes de la potestas ecclésiastique, alors que les divisions nées pendant la troisième session restaient un critère d’interprétation non négligeable et que des pays comme la France voyaient une vigoureuse opposition au renouveau conciliaire. Malgré tout et bien que le tissu ecclésial soit tiraillé de toutes parts, au risque de se rompre en certains endroits, l’attente de la nouvelle session conciliaire était chargée d’espérance, et l’activité des conférences épiscopales en vue de la dernière session s’était intensifiée. De son côté, Paul VI semblait craindre une réception incontrôlée des innovations proposées par le Concile et il s’interrogeait sur le problème d’un juste rapport de l’Église avec le monde moderne. Pendant ce temps, les diverses Commissions conciliaires travaillaient intensément et spécialement la Commission de coordination, la Commission doctrinale, la Commission mixte pour le schéma XIII et le Secrétariat pour l’unité des chrétiens.

Après le travail thermodynamique de Giovanni Turbanti qui donne une bonne indication de la température ambiante au seuil de la dernière session conciliaire, Gilles Routhier pousse résolument la porte en se penchant sur « L’éprouvante expérience de la quatrième session ». Cette session, qui devait être l’ultima, s’ouvrit dans un climat d’inquiétude, car « la fin de la troisième période avait laissé de mauvais souvenirs dans les esprits » (p. 71). L’ambiance ne pouvait de toute façon pas être la même que pour les périodes précédentes, car le Concile était désormais entré dans une nouvelle phase, celle de la mise en oeuvre des décisions et des réformes conciliaires. Dans cette atmosphère chargée d’appréhension, la crainte quasi unanime des Pères conciliaires était l’heureux aboutissement de l’événement, heureux aboutissement qui ne signifiait évidemment pas la même chose pour les uns et pour les autres. C’est dans ce climat que Paul VI prit tous les Pères par surprise en annonçant, à la veille de la première congrégation générale, la constitution du synode des évêques pour le lendemain. Une fois les cérémonies d’ouverture achevées, les débats commencèrent immédiatement avec l’étude du schéma sur la liberté religieuse qui avait connu une refonte importante au cours de l’intersession. Avant même que les discussions ne fussent commencées, deux pressions contradictoires pesaient sur les débats : la détermination de la minorité et les attentes du monde contemporain. Devant les assauts de la minorité, la déclaration ne sera promulguée qu’à la fin du Concile. Ainsi, malgré tous ses efforts, Paul VI n’a pas réussi à rassembler le consensus qu’il avait tant espéré sur un schéma qui sera encore discuté après la clôture du Concile. La question fondamentale qui se posait en filigrane derrière les différentes conceptions de la liberté religieuse était celle-ci : était-ce la vérité ou bien les personnes qui avaient des droits ? Alors que pour la minorité, seule la vérité avait des droits, la majorité estimait que seules les personnes pouvaient en posséder. Le schéma XIII, alors que la plupart estimaient que le Concile avait trouvé à travers lui un mode d’expression apte à parler au monde contemporain, ne suscita pas moins de commentaires et de débats, face à deux lectures du monde contemporain. Le schéma sur la charge pastorale des évêques et le gouvernement des diocèses était porteur de moins d’enjeux que les précédents, même s’il posait la question de la collégialité et de la primauté pontificale. Aussi donna-t-il lieu à moins de débats dans l’aula, d’autant plus que les précédentes discussions conciliaires avaient largement contribué à améliorer le texte qui donnera le décret Christus Dominus. Au milieu de tous ces débats, deux questions essentielles émergeaient : « […] le problème du régime collégial de l’Église catholique et de l’articulation de l’activité primatiale dans un cadre collégial » (p. 231) et la conception de la Tradition. Derrière chacune des questions disputées, Gilles Routhier met en évidence les enjeux théologiques et philosophiques qui les présupposent, donnant ainsi toute la mesure du fossé qui séparait la minorité de la majorité conciliaire.

Mauro Velati prend ensuite le relai pour présenter « L’achèvement de l’ordre du jour conciliaire ». Il présente tout d’abord les débats sur la cinquième rédaction (depuis la phase préparatoire) du schéma sur la rénovation de la vie religieuse, sujet qui préoccupa beaucoup les évêques, si l’on en croit les quatorze mille modi envoyés par les Pères à ce sujet. Le schéma sur la formation des prêtres avait lui aussi été révisé lors de la troisième intersession, suite aux amendements des Pères conciliaires, mais il avait recueilli au terme l’approbation quasi unanime des Pères. Le texte sur l’éducation chrétienne eut également une histoire mouvementée, et ne semblait pas pouvoir recueillir l’approbation générale des Pères dans ses lignes essentielles. Ainsi, la brève déclaration (3 p.) qui fut votée ne ressemblait plus beaucoup à celle qui avait été préparée lors de la phase préparatoire. Ce texte portait alors le titre De Scholis Catholicis et se préoccupait exclusivement de la question des écoles catholiques. Il était aussi marqué par une forte réprobation envers la prétention au monopole des États dans le domaine de l’éducation. Velati présente ensuite le schéma sur les relations avec les religions non chrétiennes, au parcours rédactionnel très complexe. Lors de la dernière session, le Coetus internationalis patrum mobilisa encore une fois toutes ses ressources pour faire obstacle au sens général de cette déclaration, qui reçut finalement un résultat positif lors du scrutin final. Velati accorde toute une section de son chapitre à la séance publique du 28 octobre et à la promulgation définitive des documents consacrés aux évêques, à la formation des prêtres, aux religieux et à l’éducation chrétienne. Ces votes furent suivis de l’étude de la sixième version du De Ministerio et Vita Presbyterorum dont le texte réélaboré avait connu un refus assez catégorique lors de la troisième session. Malgré les premières discussions qui n’étaient pas encourageantes, les Pères conciliaires se montrèrent satisfaits du schéma, si l’on en croit le vote quasi plébiscitaire de l’assemblée le jour de la promulgation : il y eut seulement onze non placet. Tout comme ce schéma, celui sur les laïcs reçut finalement un consensus lors du vote final, malgré une histoire également tourmentée.

Le quatrième chapitre est composé par Christoph Theobald, qui consacre son étude tout d’abord aux péripéties qui entourèrent la dernière révision du schéma De Divina Revelatione, avant de s’attarder sur le débat qu’il suscita en 1965 ; il met particulièrement l’accent sur l’amendement du texte par la Commissio parva advisoria, sur les impasses de la Commission doctrinale, sur le « climat conciliaire » qui prévalait, sur les débats de la Commission doctrinale du 19 octobre dans laquelle le cardinal Bea joua un rôle important, et sur la relatio du 29 octobre et les derniers votes lors desquels le texte fut adopté à la quasi-unanimité. Dans son bilan, Christoph Theobald estime que Dei Verbum est un « compromis doctrinal » au moins dans quatre champs : tout d’abord dans la relation entre la Révélation comme événement kérygmatique ou pastoral et comme explication doctrinale de la foi selon une diversité de vérités ; dans la difficulté à déterminer exactement la fonction normative des Écritures ; dans l’histoire des genres littéraires et autres formes d’expression (chapitre III) et dans l’histoire de la rédaction des évangiles (chapitre V) ; enfin, dans ce qui a trait à la fondation historique de l’Église (chapitre II), sujet éliminé tacitement. La Constitution Dei Verbum fut promulguée solennellement lors de la séance publique du 18 novembre, le même jour que le décret Apostolicam Actuositatem. Dans le discours qu’il fit ce jour-là, Paul VI envisageait déjà l’après-Concile et les réformes institutionnelles permettant la réforme de l’Église : commissions post-conciliaires, synode épiscopal, réforme de la Curie, etc.

Dans le chapitre V, Peter Hünermann s’intéresse aux dernières semaines du Concile. Dans une assemblée déjà en atmosphère de congé, le pape et la Curie déploient une forte activité. Il en est de même dans les commissions qui jouent un rôle déterminant dans les derniers travaux du Concile. Les travaux sont nombreux, alors que la Constitution pastorale Gaudium et Spes doit encore être révisée, après des débats qui trainèrent en longueur. Finalement, lors de la session publique du 7 décembre, les derniers documents conciliaires furent promulgués : la déclaration sur la liberté religieuse, et les décrets sur l’activité missionnaire de l’Église, sur le ministère et la vie des prêtres, ainsi que la Constitution sur l’Église dans le monde de ce temps. La célébration finale du Concile a lieu le lendemain sur la place Saint-Pierre.

Pour Lukas Vischer, qui présente le chapitre VI sur « Le Concile comme événement oecuménique », « à la fin du Concile, il ne pouvait plus y avoir de doute que l’Église catholique romaine s’était ouverte au dialogue avec les autres Églises chrétiennes » (p. 591). Cela est illustré par la place de plus en plus importante que prirent les observateurs de session en session. Cependant, la nouvelle atmosphère ouverte dans les relations entre les Églises ne s’imposait pas partout avec la même force et le mouvement le plus important s’est produit en Europe occidentale et en Amérique du Nord. Le Concile eut des répercussions sur le mouvement oecuménique en général, et représentait un défi particulièrement important pour le Conseil oecuménique des Églises, où les discussions s’engagèrent très tôt pour savoir « comment le concept d’une communion d’Église pourrait se maintenir face aux conceptions de l’Église catholique romaine » (p. 606). Le Conseil oecuménique des Églises prit également plusieurs initiatives pour engager la coopération oecuménique avec l’Église dont le virage conciliaire conférait « une nouvelle signification aux alliances confessionnelles mondiales » (p. 620).

Giuseppe Alberigo conclut brillamment ce volume et l’ensemble de l’oeuvre réalisée sous sa direction. Dessinée avec un recul mesuré, son évaluation de l’événement conciliaire permet de réaliser le tournant opéré par le Concile Vatican II dans l’histoire du catholicisme. En terminant sa réflexion il estime que :

L’historisation de Vatican II permet de saisir la place qu’il occupe dans la tradition conciliaire. Les éléments de continuité avec cette tradition sont considérables, mais les éléments de nouveauté sont importants aussi, et peut-être davantage. La physionomie historique de ce Concile, reconstruite sans idées préconçues sur la base des sources, contribue à sa connaissance approfondie.

p. 779

L’ouvrage comprend un excursus fort utile sur les sources ayant trait au Concile Vatican II. Ce court texte d’une dizaine de pages présente l’ensemble des sources disponibles sur le Concile et signale celles qui ne sont pas encore disponibles. Cet ouvrage, comme les précédents, a tenu ses promesses et présente un excellent bilan de la quatrième session conciliaire.

Comment conclure, sinon par un lieu commun en affirmant que cette oeuvre titanesque (cinq volumes, 38 chapitres et plus de 3 500 pages) marquera l’historiographie du Concile Vatican II d’une façon durable. Malgré tout, de nombreux points peuvent encore être précisés et développés. Ainsi, malgré son ampleur, l’Histoire du Concile Vatican II est loin d’être achevée : elle suggère plutôt de nouveaux travaux, notamment sur la minorité conciliaire qui reste un aspect plutôt négligé des études sur le Concile.

Nous ne pouvons finalement qu’encourager les chercheurs sur Vatican II à se réunir à nouveau pour suivre le voeu de Giuseppe Alberigo qui souhaitait, en introduction de ce dernier volume, que cette Histoire du Concile Vatican II soit suivie d’une histoire de sa réception.

Philippe Roy