Recensions

Marc Angenot, En quoi sommes-nous encore pieux ? Sur l’état présent des croyances en Occident. Québec, Les Presses de l’Université Laval (coll. « Verbatim »), 2009, 136 p.[Notice]

  • Christian Vandendorpe

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  • Christian Vandendorpe
    Université d’Ottawa

Le procès de sécularisation entamé en Occident depuis le siècle des Lumières est parfois remis en cause par des analystes qui soutiennent que nous assistons plutôt à une remontée du religieux. Ce n’est certes pas le point de vue de Marc Angenot, même si celui-ci reconnaît d’emblée que le terme de sécularisation prête à bien des confusions. Pour asseoir sa réflexion sur des bases solides, il commence donc par distinguer trois acceptions du terme. La sécularisation-1 désigne la prise en charge par la société civile de domaines qui étaient autrefois sous la responsabilité de l’Église (écoles, hôpitaux) ou fortement influencés par elle (morale, droit, législation, coutumes). Ce mouvement de séparation de l’Église et de l’État est de toute évidence irréversible dans les sociétés occidentales. Plus encore, pour Angenot : « […] c’est cet aboutissement même qui permet de circonscrire objectivement la catégorie d’Occident par rapport au reste du monde » (p. 13). La sécularisation-2 correspond à « l’abandon des pratiques religieuses par la majorité de la population » (p. 14). Ce mouvement est amplement attesté par des enquêtes sociologiques. Dès les années 1950, la pratique religieuse était tombée à 5 % dans les pays scandinaves. Cet étiage de la pratique a été observé avec plus ou moins de décalage dans les diverses sociétés occidentales, y compris dans la société états-unienne, où, en dépit d’une exceptionnelle « instrumentalisation politique de la pratique religieuse » (p. 64) le pourcentage des pratiquants, toutes religions confondues, se situe aux alentours de 20 %. Si ces deux niveaux de sécularisation sont parfaitement observables, il n’en va pas de même de la sécularisation-3 qui relève du progrès de l’incroyance « dans les têtes ». Certaines enquêtes permettent toutefois d’affirmer que, là aussi, on assiste à une érosion constante dans la plupart des pays occidentaux. Ce déclin du sentiment religieux marque une « désacralisation des esprits » ou un « désenchantement du monde » (p. 19). Angenot met en garde toutefois contre une analyse qui ferait de ces trois sens de la sécularisation trois étapes historiques aboutissant nécessairement à l’éradication du sentiment religieux. Plus encore, il voit dans cette conception triomphaliste de la sécularisation une variante de ces « grands récits » hérités d’un xixe siècle qui avait inventé la religion du progrès. Loin de partager l’optimisme naïf des penseurs de cette époque, il estime que la sécularisation « engendre autant de perplexité que de satisfaction sous certains points de vue » (p. 24). Il ajoute qu’il n’est d’ailleurs pas évident pour tout le monde que la sécularisation ait bien eu lieu dans le triple sens décrit plus haut, certains penseurs croyant pouvoir repérer des avatars de la religion dans les philosophies du progrès, les idées démocratiques, le socialisme ou le nationalisme. Ce « paradigme de la persistance », qui voit dans les idéologies contemporaines des « religions séculières ou politiques » a été notamment développé par Marcel Gauchet, qui a montré la concomitance entre l’expansion des idéologies à partir de 1880 et le déclin du religieux. Cette marche triomphante de l’idéologie a atteint son apogée dans les années 1950 pour ensuite faire place à un effondrement des religions politiques. Le vide ainsi laissé par la dissolution des religions suivie de celle des idéologies est interprété très différemment par les penseurs qui se sont intéressés au phénomène. Alors qu’un Régis Debray s’est récemment fait le prophète d’un retour en force du religieux, lequel répondrait à un besoin essentiel de communion sociale, Angenot partage plutôt le point de vue de Marcel Gauchet pour qui la dissolution des religions est un phénomène irréversible. En même temps, il …