Recensions

Yves Carrier, Lettre du Brésil. L’évolution de la perspective missionnaire. Relecture de l’expérience de Mgr Gérard Cambron. Louvain-la-Neuve, Academia Bruylant (coll. « Sillages »), 2008, 376 p.[Notice]

  • Marcel Viau

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  • Marcel Viau
    Université Laval, Québec

Comme son titre l’indique bien, cet ouvrage raconte « l’évolution » de l’activité missionnaire d’un homme hors du commun : Gérard Cambron. Mais en réalité, il est question de beaucoup plus que l’itinéraire d’un seul homme. Nous sommes en présence d’une tranche de vie (surtout de 1958 à 1960) significative du réveil d’un peuple. L’A. a fait une oeuvre d’archéologie du savoir en reprenant de façon systématique les commentaires que Cambron a couchés sur le papier pendant l’intense période de ses activités dans les milieux alors très défavorisés de Peri-Mirim et de Bequimaõ. Nous faisons des découvertes passionnantes non seulement sur la mentalité missionnaire d’alors, mais aussi sur l’état de la situation du christianisme brésilien. Pour un occidental du Nord, il est toujours étonnant de constater que ce que nous tenions pour acquis, par exemple que le Brésil est une terre bénie du catholicisme, baignait jusqu’à un tel point dans un climat de syncrétisme ou même d’incroyance pratique. Les observations de Cambron, et son étonnement également, sont significatives. Les premières lettres montrent un homme presque désemparé face à ce qu’il a devant les yeux. Il ne trouve dans son milieu missionnaire qu’ignorance et amoralité. Sa formation le rendant dans un premier temps incapable de lire avec précision la situation, il ne voit que l’intertexte, les blancs, les espaces, les vides : absence totale de pratiques sacramentelles, désorganisation sociale, pauvreté extrême, manque de culture du peuple. On touche presque du doigt son désarroi. La mise en situation que représente le premier chapitre du livre est très éclairante pour comprendre l’état d’esprit du missionnaire. Une courte mais instructive description des différents courants religieux et spirituels qui agitent le Brésil de l’époque nous aide à comprendre un peu mieux le contexte intellectuel. Il n’y a aucun doute que Cambron, un intellectuel d’abord, ait été marqué par ses découvertes. Toutefois, il se rendra vite compte, on le voit dans le deuxième chapitre, que ces courants influencent peu le peuple plus défavorisé du Nordeste brésilien. Le déplacement historique du développement économique du Nord vers le Sud a ravagé littéralement ces communautés. Comme il le laisse entendre dans ses écrits, le petit peuple est laissé à lui-même, sans élite, sans référence morale, sans but. C’est du moins sa première lecture de la situation. Or, la vie sait nous réserver bien des surprises, c’est bien connu. C’est ainsi que Cambron se laissera prendre au jeu de son insertion missionnaire et se mettra peu au peu au service des communautés qu’il dessert. Or, comme l’a écrit Lamarck : « la fonction crée l’organe ». Il parvient à structurer de véritables communautés de personnes qui se prendront peu en peu en main, faisant lever de la sorte les prémices de la nouvelle Église latino-américaine comme on la connaît aujourd’hui. Particulièrement à partir du chapitre V, on voit surgir sous nos yeux les grands déplacements de la pensée de Cambron. Le tout débute par une extraordinaire faculté d’écoute. Pas une écoute rhétorique qui ne cherche qu’à capter l’attention de l’auditeur. Une véritable écoute de l’état actuel des lieux. En parcourant sans relâche son territoire, il apprend à analyser en profondeur les raisons faisant que les communautés sont si détériorées. Surtout, il apprend à estimer ces gens rudes et simples chez qui il découvre un potentiel inné de développement. Cambron est déjà un fidèle de Lebret et de ses théories du développement. Pendant cette période, il devient un inconditionnel de la Légion de Marie, cette création irlandaise qui enseigne avant tout le monde à faire confiance « au génie des petites gens et aux cellules d’évangélisation » (p. 233) ainsi qu’à …