Recensions

Tzvetan Todorov, La signature humaine. Essais 1983-2008. Paris, Éditions du Seuil, 2009, 474 p.[Notice]

  • Yves Laberge

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  • Yves Laberge
    Université Laval, Québec

Historien des idées et philosophe, mais aussi directeur de recherches honoraire au CNRS, Tzvetan Todorov regroupe dans La signature humaine. Essais 1983-2008 une série de textes, essais, portraits et hommages rédigés depuis trois décennies et réécrits pour la présente édition. Dans l’introduction, l’auteur évoque brièvement ses années de formation dans la Bulgarie communiste entre 1944 et 1963, dont il retira pour toujours « un intérêt soutenu pour les comportements humains en régime totalitaire » (p. 12). Pour son quarante et unième livre, Todorov veut analyser une multitude de dimensions qui rendent les humains uniques, c’est-à-dire distincts des autres représentants du règne animal (p. 17). Pour les énumérer succinctement, ces caractéristiques propres aux humains seraient : « […] notre capacité d’imaginer des oeuvres, du sens, des idéaux, une spiritualité, une continuité temporelle » (p. 17). Afin d’expliquer le titre de son ouvrage, Todorov rappelle d’abord que notre besoin de connaître la signature humaine « en elle-même est une joie » (p. 17), et il ajoute que « les valeurs humanistes ne sont pas inventées, elles sont découvertes » (p. 18). La première partie de cet ouvrage riche contient plusieurs portraits juxtaposés d’écrivains et de théoriciens de diverses origines, que Todorov présente globalement comme « une manière de dessiner mon propre autoportrait » (p. 14). Sa galerie d’invités est très éclectique : l’ethnologue française Germaine Tillion, le sociologue Raymond Aron, l’écrivain palestinien Edward Saïd, les linguistes russes Roman Jakobson et Mikhaïl Bakhtine. Pourquoi inclure ces portraits d’intellectuels déjà illustres que Todorov, dans certains cas, n’aurait pas ou peu connus personnellement ? Sans doute pour rendre hommage à des penseurs qui l’ont autrefois influencé, nourri, formé, inspiré autant par leurs écrits que par le courage dont ils ont parfois fait preuve au cours de leur vie publique respective. Ainsi, de Bakhtine, Tzvetan Todorov retient sa maxime sur le refus de la célébrité, voulant que « le philosophe ne doit être personne, parce que s’il devient quelqu’un, il commence à adapter sa philosophie à son poste » (p. 127). Le texte le plus touchant et le plus sensible de La signature humaine se trouve — significativement — au centre de l’ouvrage et porte sur le problème du mal, sous le titre « La mémoire comme remède contre le mal » (p. 251). Passant en revue une série de génocides ayant marqué le siècle précédent, de l’Arménie jusqu’au Cambodge, sans négliger les siècles d’esclavage et la Shoah, Todorov constate que ces traumatismes collectifs et les commémorations qui nous les rappellent n’empêchent pas pour autant d’autres dérives similaires de se produire. Parmi les exemples fournis par Todorov, les conflits récents et les épisodes des prisons en Irak nous forcent à admettre que les leçons du passé n’ont pas totalement porté leurs fruits. Or, afin d’expliquer pourquoi l’histoire semble se répéter même dans ses pires épisodes, Todorov rejette le manichéisme ou les accusations de folie envers les soldats les plus cruels pour affirmer que « ce ne sont pas les individus ou les peuples qui sont mauvais, mais leurs actes qui le deviennent » (p. 272). La dernière section comprend entre autres des portraits de deux génies universels : Mozart et Goethe. De ce dernier, Todorov en retiendra surtout la bienveillance, qualité qui semble guider sa propre manière d’appréhender la vie, avec ouverture et modestie, sans vouloir dédaigner systématiquement l’autre : « L’admiration de Goethe va donc, de préférence, non à ces esprits qui se targuent de leur lucidité pour mépriser le genre humain et vilipender le monde, mais à ceux qui incarnent cette même bienveillance » (p. 428). Par ailleurs, méditant sur la spiritualité de Goethe, …