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Introduction

Depuis plus d’une décennie au Canada et dans la province de Québec, la collaboration est une compétence intégrée dans des cadres et des référentiels de professions, notamment, en génie (OIQ, 2005 ; 2021), en sciences de la santé et en sciences psychosociales (ANORP, 2014 ; AIIC, 2011, 2015 ; CanMEDS, 2005 ; 2015 ; CIHC, 2012) et plus récemment en éducation (MÉES, 2018 ; 2020). La collaboration est une compétence déclarée essentielle alors que la présence du numérique s’accentue dans le domaine des études et du travail (UNESCO, 2015).

En milieu universitaire, les recherches menées sur l’apprentissage collaboratif ont démontré que, dans un tel contexte, les étudiants amélioraient leurs résultats académiques, que leur engagement était plus constant et que leur performance dans des tâches de résolution de problème en équipe dépassait celle de ceux ayant travaillé dans un cours magistral plus traditionnel (Kirschner, 2001 ; Strelan et al., 2020). L’apprentissage collaboratif soutenu par le numérique est souvent étudié conceptuellement selon le computer-supported collaborative learning (CSCL) depuis 1989 par O’Malley et Scanlon. Les travaux de Lipponen (2000) ont grandement contribué au concept et à sa méthodologie. Depuis trente ans, les recherches sur le CSCL utilisent principalement des approches méthodologiques de type expérimental, de la recherche-action en passant par le codesign. Les recherches sur le CSCL étudient les milieux d’apprentissage numérique qui appuient la collaboration entre apprenants pour améliorer les processus d’apprentissage et pour faciliter l’apprentissage collectif (Laferrière, 2019). Autrement dit, l’apprentissage collaboratif adopte les principes de pédagogie active et prépare les futures personnes professionnelles à exercer la collaboration en milieu de travail (UNESCO, 2015 ; Scott, 2015).

Parallèlement, la collaboration est aussi un sujet de recherche étudié en contexte professionnel. Malheureusement, les études menées sur le sujet décrivent trop peu les méthodologies utilisées et les concepts de communication, de coopération, de coordination et de collaboration sont trop souvent définis de manière similaire, causant des ambiguïtés dans la rigueur de l’étude du concept (Bedwell et al., 2012). En santé, des questionnaires proposés par Agrément Canada ou par les ordres professionnels permettent surtout d’évaluer globalement les compétences nécessaires au travail interprofessionnel et la collaboration, sans préciser les critères que nécessitent les processus de la collaboration. L’étude de Chiocchio et al. (2012) a permis la création d’un questionnaire rédigé en français pour évaluer les composantes de la collaboration, en se basant sur les recommandations de Bedwell et al. (2012). Ce dernier a montré l’existence de plusieurs preuves de validité dans des contextes interprofessionnels (p. ex. : en gestion et en sciences de la santé) en milieu de travail, permettant de conceptualiser les processus interdépendants de la collaboration (communication, synchronisation, coordination implicite et coordination explicite). Malgré ces preuves de validité scientifique, il n’est pas possible de tenir pour acquis que ce questionnaire est transférable en situation d’apprentissage postsecondaire.

L’étude ciblée dans cet article vise donc à analyser la qualité métrique de ce questionnaire et de définir de quelle manière les quatre composantes fonctionnent dans un contexte de travail d’équipe universitaire se déroulant en ligne et en présentiel. Cet instrument est-il un outil de mesure de la collaboration pertinent pour des étudiants réalisant des tâches de cocréation et de résolution de problème en ligne et en présentiel ?

Les analyses réalisées permettent d’accumuler des preuves de validité montrant que le construit de la collaboration serait composé de quatre composantes. Ces résultats mettent en lumière des connaissances sur la mobilisation des processus de collaboration en ligne et en présentiel, lorsqu’elles sont utilisées dans des tâches de cocréation et de résolution de problème, dans le cadre d’un cours universitaire hybride. S’y ajoutent des recommandations d’études à mener éventuellement.

Problématique

Le numérique et l’apprentissage de la collaboration en éducation interprofessionnelle

À l’échelle mondiale, pour enseigner la collaboration en santé et en services sociaux, les établissements universitaires offrent une formation d’éducation interprofessionnelle (EIP), mieux connue sous le terme anglais de Interprofessional Education (IPE), pour préparer les futurs professionnels à collaborer dans leur milieu de pratique (Reeves et al., 2016). À titre d’exemple, l’Université de Montréal offre depuis plus de 15 ans une formation à l’EIP, en partenariat avec les patients, regroupant trois cours hybrides offerts en classe inversée collaborative (Raynault et al., 2020). Cette formation d’EIP vise le développement des compétences de la pratique collaborative et de partenariat avec les patients en sciences de la santé et en sciences psychosociales (Barr, 2015 ; DCPP-CIOUdeM, 2016 ; Raynault et al., 2020). Il existe plusieurs types de classes inversées. En général, celle-ci (1) déplace la plupart des lectures et des capsules vidéo d’information en mode asynchrone et, avant une séance d’un cours, en mode synchrone ou en présentiel ; (2) utilise le temps de classe ou le temps en mode synchrone pour des activités d’apprentissage actives et sociales ; et (3) exige que les étudiants effectuent des activités avant et/ou après les cours pour profiter pleinement du travail d’équipe et des interactions en classe (Abeysekera & Dawson, 2015).

Les écrits scientifiques indiquent que l’EIP favorise la création d’une interaction positive entre les étudiants de différents programmes, encourage la collaboration interprofessionnelle en milieu clinique (Thistlethwaite, 2012) et améliore les soins de santé et la sécurité des patients (Lapkin et al., 2013 ; Reeves et al., 2016). Cependant, l’EIP est aussi confrontée à des difficultés comme les préjugés entre les professions, l’incompatibilité des horaires et la mauvaise communication qui peuvent entraver la collaboration entre professionnels de la santé et, conséquemment, nuire aux soins offerts aux patients (Lawlis et al., 2014). De plus, l’EIP doit surmonter le défi de la logistique pour rassembler en présentiel de grandes cohortes de personnes étudiantes issues de plusieurs programmes au sein d’un même cours (Reeves et al., 2016). Pour relever ces défis, 13 programmes de l’Université de Montréal ont été regroupés en 800 équipes interprofessionnelles pour collaborer, d’abord en ligne, dans le cadre d’activités de résolution de problème et de cocréation. Deux mois plus tard, leur collaboration s’est poursuivie en présentiel dans un atelier coanimé par un intervenant et un patient. Dans ce contexte, l’utilisation du numérique a pour but de rapprocher les coéquipiers pour leur permettre de collaborer sur une plus longue période en utilisant le potentiel des modes synchrone et asynchrone.

Les grandes instances promouvant leur leadership en enseignement de l’EIP, comme le National Center for Interprofessional practice and Education aux États-Unis, le Canadian Interprofessional Health Collaborative au Canada et le Center for the Advancement of Interprofessional Education au Royaume-Uni mettent en exergue l’important défi que représente l’évaluation de la collaboration pendant la formation à l’EIP. Ces instances font appel à la communauté de recherche afin que des études s’intéressent à la création d’outils de mesure de la collaboration et des autres compétences liées au travail interprofessionnel.

L’apprentissage collaboratif soutenu par le numérique

L’apprentissage collaboratif soutenu par le numérique est :

une démarche active par laquelle l’apprenant travaille à la construction de ses connaissances et le formateur ou l’enseignant joue un rôle de facilitateur des apprentissages alors que le groupe y participe comme source d’information, comme agent de motivation, comme moyen d’entraide et de soutien mutuel et comme lieu privilégié d’interaction pour la construction collective des connaissances

Henri & Lundgren-Cayrol, 2001, p. 34

Grosjean (2004) ajoute qu’il « repose sur la mise en coprésence virtuelle via des échanges asynchrones et synchrones des sujets apprenants et d’un tuteur » (p. 2).

Au cours des 20 dernières années, plusieurs chercheurs ont étudié l’apprentissage collaboratif en ligne et en présentiel sous différentes formes, dont les communautés de pratique (Wenger, 1998), les communautés d’apprentissage en réseau (Bielaczyc & Collins, 1999 ; Laferrière, 2005 ; 2019), la communauté d’enquête (Community of Inquiry) (Garrison et al., 2000), la coélaboration de connaissances (Scardamalia & Bereiter, 2007) et le CSCL (computer-supported collaborative learning) (Laferrière, 2005). Cela a fait évoluer grandement les méthodes pédagogiques favorisant l’apprentissage collaboratif et a permis d’apporter des recommandations. Ainsi, lorsque les étudiants travaillent en équipe et réalisent des tâches d’apprentissage collaboratif (p. ex. : apprentissage par problème, par cocréation, par conception), en modes synchrone et asynchrone, dans un environnement numérique d’apprentissage, l’enseignant doit adopter certaines stratégies ou certains comportements. Ainsi, il doit 1) apporter un encadrement et un soutien aux équipes et proposer des outils d’évaluation/autoévaluation pendant le travail d’équipe ; 2) aider les étudiants dans l’utilisation des outils technologiques nécessaires pour travailler en équipe ; 3) donner à l’avance des consignes claires pour la réalisation de la tâche collaborative et 4) proposer des tâches collaboratives qui nécessitent un travail d’équipe et de l’interdépendance entre les personnes. Les tâches proposées doivent favoriser les interactions entre les membres de l’équipe afin qu’ils résolvent des problèmes authentiques en plus d’engager la coconstruction des connaissances (Evans et al., 2016 ; Hei et al., 2016 ; Jeong & Hmelo-Silver, 2016 ; Kim et al., 2014 ; Kirschner, 2001 ; Laferrière & Resta, 2007  ; Martin et al., 2012 ; Scardamalia & Bereiter, 2007 ; Waterston, 2011).

La collaboration est aussi étudiée dans le secteur professionnel. Ainsi, les travaux de Chiocchio et al. (2012) ont permis de créer un questionnaire démontrant l’interdépendance entre quatre composantes de la collaboration en milieu de travail (communication, synchronisation, coordination explicite et coordination implicite) et la vérification de ces propriétés psychométriques. D’autres études ont souligné la qualité métrique de ce questionnaire dans des contextes interprofessionnels (Caniëls et al., 2019 ; Durand & Fleury, 2021).

En somme, les dispositifs et les instruments sont trop peu nombreux pour évaluer la collaboration, tant en cours d’apprentissage qu’en milieu professionnel. De futures recherches doivent s’intéresser à l’évaluation de la collaboration dans des contextes universitaires d’enseignement pour le développement optimal et en profondeur de cette compétence chez les personnes étudiantes (Resta et al., 2018 ; Scott, 2015).

Cadre théorique

L’apprentissage collaboratif pour développer la compétence à collaborer

Des liens étroits entre apprentissage en profondeur, collaboration et plateformes numériques ont été démontrés dans de nombreuses études provenant des sciences cognitives et de l’approche socioculturelle sur l’apprentissage (Bereiter, 2002 ; Brown, 1994 ; Bruner, 1978 ; Rogoff, 1994 ; Scardamalia & Bereiter, 1994 ; 2007).

Parallèlement, la collaboration permet de réaliser une tâche et d’atteindre des buts communs ainsi que des consensus d’équipe. Elle représente un processus évolutif par lequel deux ou plusieurs entités sociales participent activement et réciproquement à des activités conjointes visant à atteindre au moins un objectif commun (Bedwell et al. 2012). Autrement dit, la collaboration est un processus qui peut évoluer, s’améliorer et changer au cours de son cycle de vie. Elle est réservée seulement aux entités sociales travaillant de façon interdépendante en contribuant suffisamment à ce processus réciproque de va-et-vient. Afin de mieux définir la collaboration, ses quatre composantes interdépendantes, soit la communication, la synchronisation et les coordinations explicite et implicite, (Chiocchio et al. 2012) sont présentées ci-dessous.

La communication

Premièrement, Chiocchio et al. (2012) présentent la composante de la communication en cinq énoncés : a) dans notre équipe, nous nous donnions de l’information utile qui a fait progresser le travail ; b) dans notre équipe, nous partagions des connaissances qui ont fait avancer le travail ; c) dans notre équipe, nous nous comprenions lorsque nous parlions du travail à faire ; d) dans notre équipe, nous partagions des ressources qui aidaient à la réalisation des tâches et e) dans notre équipe, nous nous communiquions nos idées au sujet du travail à faire. Les analyses factorielles confirmatoires (AFC) de second ordre originales ont permis de définir la structure de la composante de la communication comme processus de la collaboration. Le lien entre le construit de la collaboration et la composante de la communication se situe à 0,98 et une mesure de consistance interne est de α = 0,91.

La communication vise à ce que les membres partagent leurs idées librement, qu’ils s’écoutent, se comprennent et rétroagissent de manière constructive (Chiocchio et al., 2012). Lorsque les membres d’une équipe interagissent pour communiquer, ils ont plus de difficulté à partager de l’information et à échanger des connaissances quand ils font partie d’une équipe hétérogène que lorsqu’ils appartiennent à une équipe homogène (Edmondson, 2018). À ce sujet, les travaux de Mesmer-Magnus et Dechurch (2009) ont relevé une importante divergence entre ce que font réellement les équipes et ce qu’elles devraient faire pour maximiser leur efficacité lorsqu’elles effectuent des tâches très complexes qui nécessitent généralement des experts. De fait, leur étude montre que des membres d’une équipe communiquent et interagissent davantage lorsque tous les membres connaissent déjà l’information, qu’ils savent qu’ils sont aptes à prendre des décisions précises de manière indépendante et lorsque les membres se ressemblent les uns les autres. La pression de conformité, l’identité sociale et la motivation relationnelle sont des causes qui expliquent ces divergences. En revanche, la communication efficace entre différents professionnels repose sur le respect mutuel et sur la reconnaissance des contributions exclusives à chacun, sur la clarté, la précision et la validation des messages, sur un comportement calme et sur une attitude de soutien en situation de stress (Robinson et al., 2010).

La communication avec le numérique

En EIP, communiquer avec le numérique de manière asynchrone sur une plateforme de discussion soutient la réflexion des équipes puisqu’elles ont davantage de temps pour comprendre un message et pour partager des connaissances (Evans et al., 2016). De plus, la communication en ligne synchrone offre aux membres d’une équipe interprofessionnelle l’occasion d’interagir entre eux, de prendre des décisions éclairées et de favoriser l’atteinte de consensus (Hanna et al., 2013). D’ailleurs, l’utilisation de la caméra Web lors de sessions de collaboration en mode synchrone personnalise les échanges entre coéquipiers et enrichit les interactions et la prise de décisions (Martin et al., 2012).

La communication représente donc la courroie de transmission pendant le processus de collaboration. Le fait de l’évaluer semble être une voie pour mieux comprendre comment elle fonctionne en ligne et en présentiel.

La synchronisation

Deuxièmement, Chiocchio et al. (2012) présentent la composante de la synchronisation en trois énoncés à savoir, a) dans notre équipe, nous faisions le travail que nous devions faire au bon moment ; b) dans notre équipe, nous faisions en sorte que nos tâches soient terminées à temps et c) dans notre équipe, nous nous ajustions afin de respecter les échéances. Les AFC de second ordre originales ont permis de définir la composante de la synchronisation comme processus de la collaboration dans l’instrument de Chiocchio et al. (2012). La relation entre le construit de la collaboration et celui de la synchronisation se situe à 0,77 et la consistance interne est de α = 0,82.

Ainsi, ces énoncés évalués pendant la collaboration sont essentiels dans la mesure où la synchronisation est un processus de la collaboration par lequel les membres de l’équipe exécutent leurs tâches à temps, à un certain rythme et conformément aux tâches des autres, en se fixant un calendrier commun, ce qui se rapporte à la gestion du temps (McGrath, 1990).

La synchronisation avec le numérique

Le confinement pendant la pandémie de COVID-19 a nécessité la mise en oeuvre de moyens et d’outils numériques pour favoriser une synchronisation efficace pendant la collaboration. Déjà en 2017, Courville a cherché à savoir dans ses travaux de thèse de quelle manière les fonctionnalités offertes par la technologie mobile modifiaient les actions et les comportements des utilisateurs. Ses résultats montrent que les équipes interprofessionnelles utilisant une technologie mobile peuvent notamment améliorer leur gestion du temps et leur rendement d’équipe quand ils collaborent. La synchronisation est une composante de la collaboration par laquelle les membres de l’équipe exécutent leurs tâches à temps, à un certain rythme et conformément aux tâches des autres, en se fixant un calendrier commun, ce qui se rapporte à la gestion du temps (McGrath, 1990). En 2022, le numérique et les outils technologiques permettent à des étudiants de se synchroniser en alternant entre les modes synchrones, asynchrones en ligne et en présentiel. Évaluer la synchronisation pendant la collaboration en ligne et en présentiel consiste à mieux comprendre de quelle manière les membres de l’équipe réalisent les tâches dans les délais prévus.

La coordination explicite et la coordination implicite

Le modèle de la cognition partagée (shared mental model) (Salas & Fiore, 2004), issu de l’approche sociocognitive, a permis à Chiocchio et al. (2012) de distinguer et de définir les processus de coordination explicite et de coordination implicite dans la collaboration. Ainsi, Chiocchio et al. (2012) présentent en trois énoncés la troisième composante, celle de la coordination explicite pendant le processus de la collaboration : a) dans notre équipe, nous faisions le point au sujet de la progression du travail ; b) dans notre équipe, nous échangions de l’information sur « qui fait quoi » et c) dans notre équipe, nous discutions de l’échéancier. Les AFC de second ordre de l’étude ont permis de définir la composante de la coordination explicite comme processus de la collaboration. Le lien entre le construit de la collaboration et celui de la coordination explicite se situe à 0,86 et la consistance interne est de α = 0,78.

Ces énoncés présentent la coordination explicite comme étant un processus dans le cadre duquel les membres d’une équipe échangent sur leurs rôles et sur les tâches à réaliser, ce qui les amène à coconstruire des connaissances (Salas & Fiore, 2004). La coordination explicite est un processus par lequel les membres de l’équipe échangent des informations sur leur contribution au travail commun (Chiocchio et coll, 2012 ; Salas et al., 2004). À titre d’exemple, les équipes qui partagent et qui échangent des connaissances et des informations de manière efficace sur leur rôle dans une équipe coordonneront mieux leurs actions et se synchroniseront plus facilement (Kozlowski & Bell, 2003 ; 2008).

Quatrièmement, la coordination implicite est un processus par lequel les membres de l’équipe anticipent les besoins des autres et s’adaptent aux situations et aux personnes sans coordination explicite (Chiocchio et al., 2012). C’est le processus selon lequel les membres d’une équipe anticipent les tâches ou les besoins de leurs coéquipiers sans avoir à échanger préalablement avec eux, en plus de s’adapter aux situations rencontrées et aux personnes concernées (Chiocchio et al., 2012). En interagissant d’abord entre eux, les membres d’une équipe améliorent leur expérience de communication au fur et à mesure qu’ils développent la collaboration. Selon Espinosa et al. (2004), ils développent ainsi des mécanismes de coordination implicite, c’est-à-dire qu’ils anticipent les besoins de leurs collègues sans que ceux-ci les aient manifestés explicitement. Ainsi, Chiocchio et al. (2012) décrivent la coordination implicite en trois énoncés : a) dans notre équipe, nous anticipions les besoins des autres sans qu’ils aient à les exprimer ; b) dans notre équipe, nous réorganisions nos tâches instinctivement lorsque des changements étaient nécessaires et c) dans notre équipe, nous avions une compréhension implicite des tâches à réaliser. Les AFC de second ordre originales ont permis de confirmer la composante de la coordination explicite comme processus de la collaboration. Le lien entre le construit de la collaboration et la composante de la communication se situe à 0,80 et la consistance interne est de α = 0,78.

La coordination avec le numérique

Breen (2013) et Shaffer (2014) ont démontré l’efficacité et la performance accrues de certaines équipes d’étudiants en sciences de la santé lorsqu’elles travaillaient en mode synchrone par visioconférences (p. ex. : Google Hangout, Skype, Messenger, FaceTime) ou encore en utilisant des outils d’organisation en ligne, comme iCal ou Doodle, et d’écriture collaborative comme Google Docs et Word Online. D’autres outils en ligne combinant les modes synchrone et asynchrone sont aussi appelés en renfort pour contrer les défis de logistique et de coordination, mais il semble qu’il est préférable d’utiliser le numérique en mode synchrone lorsque vient le temps de se coordonner en équipe. Développer des outils d’évaluation est une voie prometteuse afin de mieux comprendre de quelle manière la coordination s’effectue en ligne et en présentiel pendant la collaboration.

Objectif général de l’étude

L’objectif de cette étude consiste à recueillir des preuves de la validité et de la fidélité des scores du questionnaire sur la collaboration pendant un travail en équipe interprofessionnelle, selon qu’il se soit déroulé en ligne et en présentiel, dans le cadre d’un cours universitaire en mode hybride.

Méthodologie

Le contexte

Un cours universitaire ayant pour objectif de permettre aux étudiants de s’exercer à la collaboration interprofessionnelle en partenariat avec le patient a commencé pendant la deuxième semaine de la session d’hiver 2017. Cette formation en ligne a officiellement été lancée avec l’envoi d’un courriel aux 1435 étudiants provenant de 13 programmes en sciences de la santé et sociales. Elle s’est échelonnée sur six semaines (de la mi-janvier à la fin février). Pendant cette période, les étudiants devaient réaliser quatre modules en ligne axés sur les compétences suivantes : la planification et la mise en oeuvre des soins et des services, la clarification des rôles, l’éducation thérapeutique ainsi que la prévention et la résolution de conflits. Ces modules interactifs créés dans l’outil Captivate Adobe contiennent des vidéos, des quiz, des lectures et des mises en situation cliniques de patients et de professionnels de la santé travaillant en partenariat patient. Parallèlement, il fallait effectuer deux activités collaboratives interprofessionnelles en ligne dans un journal de bord collaboratif conçu avec l’application Google Docs, en équipes de cinq étudiants provenant des programmes différents. Les équipes (n = 188) ont donc collaboré de manière autonome en ligne, c’est-à-dire sans la supervision d’un animateur. Ces activités de cocréation et de résolution de problème réalisées en ligne étaient préparatoires à deux autres activités collaboratives réalisées lors de l’atelier interprogramme en présentiel, coanimé par un patient-partenaire formateur et par un professionnel de la santé. Enfin, soulignons que l’équipe de recherche a dû obtenir un certificat d’éthique délivré par le comité d’éthique et de la recherche de l’université d’attache pour mener cette étude.

Le questionnaire : la collaboration en équipes interprofessionnelles

Cet article s’inscrit dans le cadre d’une étude doctorale plus vaste dans laquelle un questionnaire comprenant plusieurs volets a été proposé à un échantillon de participants (Raynault, 2020). Nous avions demandé aux étudiants de répondre une seule fois au questionnaire La collaboration en équipes interprofessionnelles, séparé en trois volets. Les deux premiers volets de ce questionnaire font l’objet de cet article. Le volet 1 contient quatre questions démographiques (genre, programme d’étude, langue maternelle, numéro d’équipe). Le volet 2 contient les quatorze énoncés liés aux quatre composantes de la collaboration : la communication, la synchronisation, la coordination explicite et la coordination implicite (Chiocchio et al, 2012). Une échelle de Likert de quatre choix (totalement en accord, en accord, en désaccord, totalement en désaccord) a été utilisée évaluant l’accord 1) en ligne et 2) en présentiel pour chaque énoncé.

Tableau 1

Items des composantes de la collaboration (Chiocchio et al., 2012) utilisés pour comparer leur mobilisation pendant les activités en ligne (L) et l’atelier interprogramme en présentiel (P)

Items des composantes de la collaboration (Chiocchio et al., 2012) utilisés pour comparer leur mobilisation pendant les activités en ligne (L) et l’atelier interprogramme en présentiel (P)

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Les participants et la procédure

À l’hiver 2017, nous avons proposé à l’ensemble des 1435 étudiants de remplir une seule fois le questionnaire La collaboration en équipes interprofessionnelles (Raynault, 2020) au moyen de l’outil de sondage en ligne SurveyMonkey après le cours, soit à la fin de l’année académique. Nous avons suivi les recommandations de Chiocchio et Essiembre (2009) qui suggéraient de laisser quatre semaines comme seuil minimal pour répondre au questionnaire afin que la dynamique de l’équipe se stabilise. Ainsi, 320 personnes ont répondu, divisées de la façon suivante : 256 femmes, 62 hommes et 2 personnes dont le genre est « autre », répartis dans treize programmes (9 personnes en audiologie, 21 en ergothérapie, 3 en kinésiologie, 43 en médecine, 20 en médecine dentaire, 8 en nutrition, 10 en optométrie, 16 en orthophonie, 34 en pharmacie, 21 en physiothérapie, 2 en psychologie, 94 en sciences infirmières et 40 en travail social).

Les analyses statistiques descriptives, la fidélité des scores et les comparaisons

Des statistiques descriptives ont été calculées sur les items et sur les composantes. Cette étude emprunte la perspective traditionnelle de la validité de Cureton (1951) soutenant le principe selon lequel la validité est l’idée qu’un test mesure bien ce qu’il doit mesurer. Le test t pour échantillons appariés a été utilisé afin de comparer les participants avec eux-mêmes sur les composantes de la collaboration, selon les deux contextes (en ligne et en présentiel). Le d de Cohen, de son côté, a permis de caractériser les magnitudes des différences. S’il se situe autour de 0,2, son effet est faible, moyen s’il se situe autour de 0,5 et fort s’il est autour de 0,8.

De plus, le test de khi carré (χ2) a été utilisé pour tester l’hypothèse nulle d’absence de relation entre chaque item, selon les deux contextes, soit 1) en ligne et 2) en présentiel. La valeur du V de Cramer pour quantifier la taille de l’effet a été ajoutée aux analyses. Compris entre 0 et 1, il indique dans quelle mesure deux variables catégorielles sont associées. Une valeur proche de zéro signifie qu’il est très peu probable que les variables ne soient pas du tout associées dans une population donnée. Enfin, la fidélité des scores a été estimée à l’aide des coefficients alpha de Cronbach et oméga de McDonald. Rappelons que l’estimation de la fidélité des scores est satisfaisante lorsque la valeur du coefficient est supérieure à 0,7.

Les analyses factorielles confirmatoires (AFC) de second ordre

Tout d’abord, les AFC de second ordre effectuées dans l’étude de Chiocchio et al. (2012) ont permis d’appuyer l’utilisation d’une structure en quatre composantes (estimateurs robustes : Satorra-Bentler χ2 = 125,8, p < ,0001 ; NNFI = 0,95 ; IFI = 0,96 ; CFI = 0,96 ; RMSEA = 0,05).

Les AFC de second ordre ont permis d’analyser les relations entre les composantes et la collaboration en ligne pendant quelques semaines et en présentiel. Étant donné que la structure a déjà été appuyée par la théorie (Chiocchio et al. 2012), des analyses confirmatoires de second ordre ont été réalisées pour confirmer cette dernière. La méthode d’estimation du modèle factoriel du maximum de vraisemblance (ML) a été sélectionnée puisqu’elle suppose la normalité multivariée. Une échelle contenant uniquement les 14 énoncés du questionnaire de Chiocchio et al. (2012) a été reproduite pour chacun des deux contextes (en ligne et présentiel). La première échelle comprend les questions qui portent sur la collaboration en ligne (L) et la seconde sur la collaboration en présentiel (P).

Nous avons utilisé cinq indices d’ajustement pour déterminer l’adéquation du modèle d’AFC aux données (Kline, 2016). Premièrement dans le test de khi carré, l’hypothèse nulle stipule que le modèle a une adéquation parfaite aux données. Ainsi, il est souhaitable que la valeur de p soit plus grande que le seuil de rejet habituel de 0,05 ou de 0,01. Deuxièmement, l’indice d’ajustement comparatif (CFI) est acceptable lorsqu’il se situe entre 0,95 et 1. Troisièmement, lorsque l’indice de Tucker-Lewis (TLI) se situe entre 0,95 et 1, le modèle présente un très bon indice d’ajustement. Enfin, un modèle est considéré acceptable lorsque l’erreur quadratique moyenne de l’approximation (RMSEA) est inférieure à 0,08 et que la valeur moyenne quadratique pondérée (SRMR) est inférieure à 0,08 (Kline, 2016).

RÉSULTATS

Les statistiques descriptives pour chaque composante du processus de collaboration en ligne et en présentiel

Des analyses statistiques à l’aide du test t (Tableau 2) permettent d’observer une différence significative entre les échelles des composantes de la communication, de la synchronisation et de la coordination implicite selon qu’elles se soient déroulées en ligne ou en présentiel. Cependant, il n’y a pas de différence significative entre le fait de se coordonner explicitement en ligne et en présentiel pendant le processus de collaboration. Le d de Cohen pour l’échelle de communication est celui qui témoigne de la plus grande taille de l’effet.

Les résultats des statistiques descriptives montrent précisément au Tableau 3 qu’en moyenne (M), la majorité des répondants ont communiqué, se sont synchronisés et coordonnés explicitement et implicitement pour collaborer en équipe avec des similarités tant en ligne qu’en présentiel. Cependant, les scores obtenus pour la communication, pour la synchronisation et pour la coordination implicite en présentiel sont légèrement plus élevés que ceux qui ont été obtenus en ligne. De plus, les résultats présentent des écarts-types (E-T) similaires.

Tableau 2

Test t pour échantillons appariés

Test t pour échantillons appariés

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Les répondants sont majoritairement en accord quant aux questions portant sur la composante de la communication en ligne. En effet, les moyennes se situent entre 2,90 et 3,41 et les écarts-types entre 0,58 et 0,79 et en présentiel les moyennes sont entre 2,95 et 3,42 et les écarts-types entre 0,55 et 0,75. Pour les questions portant sur la synchronisation, la majorité des étudiants s’accordent pour affirmer qu’ils se synchronisent lorsqu’ils collaborent en équipe en ligne. Pour cette composante, les moyennes se situent entre 3,44 et 3,60 avec des écarts-types entre 0,53 et 0,66 et en présentiel, les moyennes se situent entre 3,59 et 3,64 avec des écarts-types entre 0,49 et 0,51. De son côté, la coordination explicite génère des données statistiques descriptives similaires aux deux autres composantes, soit en ligne avec des moyennes se situant entre 3,12 et 3,35 et des écarts-types entre 0,64 et 0,76 qui sont légèrement plus élevés en ligne qu’en présentiel, avec des moyennes se situant entre 3,19 et 3,23 et des écarts-types entre 0,63 et 0,71. Les moyennes se situant entre 2,69 et 3,14 et les écarts-types entre 0,67 et 0,90 indiquent que les répondants se coordonnent implicitement lorsqu’ils collaborent en équipe en ligne et se coordonnent implicitement en présentiel puisque les moyennes se situent entre 2,82 et 3,23 et les écarts-types entre 0,62 et 0,75.

Tableau 3

Statistiques descriptives pour chaque item des composantes de collaboration en ligne et en présentiel

Statistiques descriptives pour chaque item des composantes de collaboration en ligne et en présentiel

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Les tests de khi carré sont statistiquement significatifs au seuil p < 0,01. Puisque nous rejetons l’hypothèse nulle, nous observons qu’il y a une relation entre la collaboration en ligne et la collaboration en présentiel. Les résultats du V de Cramer (tous les V se situent entre 0,394 et 0,714) indiquent que la relation entre les variables est d’intensité moyenne à élevée.

Les analyses de la fidélité des scores

Nous avons calculé un alpha de Cronbach de 0,92 et un oméga de McDonald de 0,92 pour la collaboration en ligne. Un alpha de Cronbach de 0,91 et un oméga de McDonald de 0,91 ont été obtenus pour la collaboration en présentiel. Les analyses de fidélité pour chacune des composantes de la collaboration en ligne et en présentiel (huit échelles) sont présentées au Tableau 4. Les résultats montrent que l’outil de Chiocchio et al. (2012) présente des scores fidèles dans nos deux contextes.

Tableau 4

Analyses de fidélité des scores pour chaque composante de la collaboration en ligne et en présentiel (huit échelles)

Analyses de fidélité des scores pour chaque composante de la collaboration en ligne et en présentiel (huit échelles)

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Les analyses factorielles confirmatoires (AFC) de second ordre

Pour l’AFC de second ordre de la collaboration en ligne, la valeur de p du khi carré est p <0,05, l’indice d’ajustement comparatif (CFI) est de 0,965, celui de Tucker-Lewis est de 0,946, tandis que le SRMR est de 0,048 et le RMSEA, de 0,065. Ces résultats montrent que le modèle s’ajuste bien aux données. En ce qui concerne l’AFC de second ordre de la collaboration en présentiel, nous observons que la valeur de p du khi carré( χ2) est égale à 0,0001, le CFI se situe à 0,922 et l’indice TLI est de 0,903, tandis que le SRMR est de 0,056 et le RMSEA, de 0,084. Ces résultats excèdent un peu les valeurs habituelles, mais sont néanmoins acceptables.

Pour la collaboration tant en ligne qu’en présentiel, les AFC de second ordre affichent des saturations similaires entre chacune d’elles et le construit de la collaboration. Ces résultats sont illustrés à la Figure 1 pour la collaboration en ligne (C-L) (CL-SL-CEL-CIL) et à la Figure 2 pour la collaboration en présentiel (C-P) (CP-SP-CEP-CIP). Dans les deux cas, la composante de la coordination explicite est celle qui est la plus élevée avec une valeur de 0,91 en ligne et de 0,93 en présentiel. Les autres composantes sont expliquées de manière similaire par la collaboration, mais les coefficients de saturation sont légèrement plus élevés pour la collaboration en présentiel. De plus, les quatre composantes affichent des coefficients de saturation similaires pour chacun de leur énoncé, mais ces derniers sont légèrement plus élevés en ligne qu’en présentiel. Tant en ligne qu’en présentiel, les coefficients de saturation sont plus élevés pour la synchronisation.

Figure 1

Résultats de l’AFC de second ordre pour les composantes de la collaboration en ligne

Résultats de l’AFC de second ordre pour les composantes de la collaboration en ligne

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Figure 2

Résultats de l’AFC de second ordre pour les composantes de la collaboration en présentiel

Résultats de l’AFC de second ordre pour les composantes de la collaboration en présentiel

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DISCUSSION

Nos résultats montrent les qualités métriques du questionnaire original dans un contexte d’apprentissage de la collaboration interprofessionnelle en sciences de la santé pendant un cours universitaire se déroulant en classe inversée. Les preuves de validité des composantes (Cureton, 1951) montrent aussi qu’il peut évaluer la collaboration certes en présentiel, mais aussi en ligne où des étudiants collaborent dans le cadre d’activités de cocréation et de résolution de problème pour développer la collaboration interprofessionnelle. Le questionnaire original de Chiocchio et al. (2012) affiche un coefficient d’alpha de Cronbach α = 0,92 qui est similaire à ceux obtenus dans notre étude α = 0,92 et α = 0,92 pour la collaboration en ligne et α = 0,91 et α = 0,91 pour la collaboration en présentiel. Les analyses du khi carré sur les items ont montré une relation entre les formats en ligne et en présentiel, avec une taille d’effet de moyenne à élevée. Autrement dit, cela signifie que mobilisées tant en ligne qu’en présentiel, les composantes mesurent ce qu’elles ont à mesurer, et, par le fait même, demeurent fidèles pendant le processus de collaboration. Nous demeurons toutefois prudents avec cette interprétation puisqu’il serait pertinent d’utiliser le questionnaire dans un contexte similaire et de réaliser les mêmes analyses afin de comparer les résultats.

Le modèle de second ordre à quatre composantes de la collaboration Chiocchio et al. (2012) s’ajuste bien aux données du contexte de la présente étude. Ainsi, les coefficients de saturation entre la collaboration et les quatre composantes et les coefficients de saturation entre chacune des composantes et leurs variables montrent que le modèle s’ajuste bien aux données.

La relation entre chaque composante et la collaboration

En ligne comme en présentiel, la composante de la coordination explicite est davantage expliquée par la collaboration que par les autres composantes (en ligne 0,91 et en présentiel 0,93). Pour la coordination explicite, la relation est donc un peu plus forte en présentiel qu’en ligne. De plus, entre le moment 1 (collaboration en ligne) et le moment 2 (collaboration en présentiel), les saturations ont augmenté pour chaque composante, sauf pour la synchronisation, où elles ont baissé (en ligne 0,77 et en présentiel 0,69). Ceci s’explique possiblement par le contexte de cette étude, car les équipes ont collaboré de manière autonome en ligne et de manière plus dirigée en présentiel. En effet, en ligne, les équipes devaient collaborer de manière autonome pendant deux mois alors qu’en présentiel, les tâches à réaliser pour collaborer en travail d’équipe étaient coanimées par un patient-partenaire et par un professionnel de la santé. Ainsi, après avoir collaboré pendant deux mois en ligne, les équipes ont poursuivi leur collaboration pendant un atelier en présentiel encadré, ce qui les a possiblement amenées à moins devoir mobiliser la synchronisation (gérer le temps).

Plus précisément, les saturations se sont renforcées entre la collaboration et les coordinations explicite (0,91 versus 0,93) et implicite (0,87 versus 0,92). Ceci vient appuyer certaines études sur la coordination lorsque la collaboration s’est déroulée en présentiel et apporte des nouveaux résultats en contexte de collaboration en ligne. Les étudiants ont eu la possibilité de collaborer pendant une longue période dans un contexte hybride (en ligne et en présentiel). Par exemple, l’étude de Levesque et al. (2001) a observé que plus des coéquipiers interagissent et gagnent de l’expertise en lien avec la tâche commune à réaliser, plus ils développent des connaissances sur le sujet de l’activité et sur les membres de l’équipe, ce qui peut favoriser la coordination implicite dans l’équipe. De plus, l’étude de Chiocchio et al. (2015) souligne que la coordination implicite et la clarté des objectifs de collaboration augmentent en fonction de la formation reçue. Autrement dit, plus les buts de l’équipe sont communs, plus les étudiants se coordonnent implicitement. Cette coordination augmente donc au fur et à mesure et en fonction de la formation reçue. Le contexte de notre étude a permis à des équipes d’étudiants de collaborer pendant plus de 60 jours, pour effectuer des tâches de cocréation et de résolution de problème en ligne, pour réinvestir ce travail d’équipe dans une autre activité collaborative pendant un atelier en présentiel deux mois plus tard. Ces renforcements des relations entre les composantes de la collaboration et ces composantes en ligne et en présentiel auraient permis aux équipes d’enrichir la coordination explicite et la coordination implicite et de bonifier la communication, qui sont trois des quatre composantes de la collaboration de Chiocchio et al. (2012).

Les coefficients de saturation des énoncés pour chaque composante

Pour tous les énoncés de chacune des composantes, les coefficients de saturation sont légèrement plus élevés en ligne qu’en présentiel. Ceci montre que les énoncés sont plus favorablement expliqués par leur composante en ligne qu’en présentiel. En ligne, les coefficients de saturation de la synchronisation sont légèrement plus élevés et les trois autres composantes montrent des niveaux de saturation similaires pour tous les énoncés. Les coefficients de saturation sont moins élevés en présentiel qu’en ligne pour les énoncés de la communication. À ce sujet, Martin et al. (2012) ont indiqué que l’utilisation de la caméra Web lors de sessions de collaboration en mode synchrone personnalise la collaboration entre coéquipiers et favorise la communication entre eux. Il a d’ailleurs été démontré que la performance de la communication et de la coordination explicite en ligne lors d’échanges asynchrones pour réaliser une tâche commune prédisent la performance de l’équipe (Chiocchio, 2007). Dans le cadre de cette étude, les étudiants ont consacré davantage de temps à communiquer en ligne en utilisant les modes synchrones et asynchrones pour se préparer à collaborer en présentiel. De plus, les étudiants ont mobilisé les quatre composantes de la collaboration en présentiel dans un contexte encadré alors qu’en ligne, les équipes étaient autonomes, sans coanimateur, ce qui a peut-être modifié l’intensité des interactions étant donné que la rencontre était dirigée par des personnes formatrices.

Nous demeurons prudents avec ces résultats, car d’autres études sont nécessaires afin de mieux comprendre dans quels contextes les étudiants ont alterné entre les modes synchrone et asynchrone pour communiquer en ligne.

Il n’est actuellement pas évident de déterminer quelles caractéristiques de la personnalité affectent différemment la communication, la synchronisation, la coordination explicite et la coordination implicite. Le modèle de second ordre à quatre composantes de la collaboration atténue ce problème et, d’autre part, au niveau de l’équipe, les théoriciens et les praticiens peuvent désormais mieux circonscrire de quelle manière les composantes ont un impact sur la collaboration (Chiocchio et al., 2012). Tout comme celui de Chiocchio et al. (2012) notre instrument pourrait apporter plus de nuances sur ces prédictions pour la collaboration en ligne et en présentiel.

Les limites méthodologiques

À l’origine, Chiocchio et al. (2012) ont procédé à la validation de leur outil selon deux niveaux (individuel et en équipe) afin de mesurer la performance de collaboration au sein d’une équipe de travail. À cette fin, ils ont réalisé deux AFC : une analyse de performance au niveau individuel par répondant et une analyse de performance par équipe. Dans notre étude, quand un étudiant répondait, tous les membres de son équipe n’avaient pas nécessairement remplí le questionnaire. Cela nous a donc amenés à procéder aux AFC au niveau individuel seulement. Par conséquent, le niveau de collaboration au sein des équipes n’a pas été observé. Autrement dit, des analyses descriptives et factorielles confirmatoires par grappe ou par équipe n’ont pas été réalisées. Notre étude se limite donc à présenter des résultats portant sur la performance de collaboration sur le plan individuel qui offrent une représentation de la collaboration au sein de l’équipe de travail (Allen & Hecht, 2004 ; Chiocchio et al., 2012). En effet, nous avons été en mesure de rassembler des équipes de trois à quatre membres, mais seulement à très petite échelle (environ six équipes parmi les 320 répondants). Cette limite méthodologique est importante à considérer dans le domaine de la collaboration puisque, d’un point de vue éthique, il est impossible d’obliger tous les membres d’une équipe à répondre à un questionnaire dans le cadre d’une étude. Cependant, la consistance interne des scores et les AFC de notre outil présentent des résultats satisfaisants autant pour la collaboration en ligne qu’en présentiel et permettent d’affirmer que l’adaptation de l’outil original de Chiocchio et al. (2012) dans notre contexte est transférable.

CONCLUSION

Cette étude montre une structure factorielle conforme à celle de Chiocchio et al. (2012) dans un contexte d’apprentissage de la collaboration interprofessionnelle en sciences de la santé pendant un cours hybride universitaire pour trois raisons. Premièrement, la consistance interne des scores est très similaire à celle de Chiocchio et al. (2012). Deuxièmement, les résultats des AFC de second ordre présentent de bons indices d’ajustement. D’ailleurs, les fortes relations entre la collaboration et ses composantes contribuent de manière significative à la collaboration en ligne et en présentiel. De plus, le renforcement des relations entre les composantes pour la collaboration en ligne et en présentiel indique qu’en ayant la possibilité d’apprendre à collaborer pendant une période accrue, les équipes interprofessionnelles ont développé et renforcé la communication, la coordination explicite et la coordination implicite. C’est cependant moins le cas pour la synchronisation. Cette différence peut s’expliquer par le fait que les équipes ont eu à gérer leur temps de manière autonome en ligne, mais qu’en présentiel, les périodes de collaboration étaient organisées par des coanimateurs. Troisièmement, les coefficients de saturation des énoncés pour chaque composante ont été expliqués de manière significative pour la collaboration tant en ligne qu’en présentiel, mais sont plus élevés pour la collaboration en ligne. Cela s’explique peut-être par le fait que les équipes ont collaboré pendant une période plus longue en ligne. Ainsi, à l’instar des résultats, ce questionnaire peut mesurer la collaboration en ligne et en présentiel pendant un cours universitaire hybride dans lequel des équipes interprofessionnelles ont réalisé des activités d’apprentissage collaboratif de résolution de problème et de cocréation.

Pour d’éventuelles études, il faudrait aviser la population ciblée lors du recrutement de l’importance que plusieurs membres des équipes répondent au questionnaire afin de vérifier la qualité de la collaboration pour l’équipe. Pour des études supplémentaires dans un contexte de collaboration où le travail d’équipe s’est d’abord réalisé en ligne, puis en présentiel, il serait préférable que les coéquipiers remplissent le questionnaire en deux ou trois temps, afin d’analyser les données en utilisant un modèle de courbes de croissance (latent growth model).