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On connaissait les excellents Nouveau dictionnaire des synonymes (1971, Hachette-Tchou), le Dictionnaire des synonymes (1978, les Usuels du Robert) et le Dictionnaire de synonymes et contraires (1992, les usuels). Voici une nouvelle oeuvre du même auteur sur le même sujet, mais avec un ajout assez particulier, soit celui de mots de sens voisin. On peut se demander ce que l’auteur entend par ces mots, puisque l’on sait pertinemment que les « vrais synonymes » sont rares dans une langue et que tous les auteurs rappellent que c’est le contexte qui permet de découvrir l’existence de termes substituables (synonymie large) ou interchangeables (synonymie absolue). On sait que l’abbé R. Girard, premier synonymiste du français, voulait mettre surtout en relief la « finesse » des sens des mots, car l’existence de synonymes était très douteuse et on n’admettait que des mots à sens semblable. Son ouvrage, publié en 1718, porte d’ailleurs le titre « La justesse de la langue françoise, ou les différentes significations des mots qui passent pour synonymes ». Il est vrai qu’en 1736, il change de titre : « Synonymes françois, leurs significations et le choix qu’il faut faire pour parler avec justesse ». Ce fut le point de départ de la synonymie en français. L’ouvrage de l’abbé Girard connut de nombreuses réimpressions et a surtout de nombreux imitateurs au cours des siècles. De nos jours les dictionnaires de synonymes sont nombreux. En voici donc un tout nouveau.

Dans son Avant-propos, l’auteur livre sa définition de la synonymie, soit celle de synonymie absolue, c’est-à-dire que le synonyme est un « … mot qui peut remplacer au même endroit de la phrase un autre mot de même nature et de mêmes fonctions grammaticales ». La définition est illustrée par « chanter » et « fredonner ». Ce sont des synonymes « parce qu’ils ont un sens voisin, mais surtout parce qu’ils appartiennent à la même classe grammaticale, celle du verbe ». L’auteur précise bien que, « Contrairement à l’idée reçue, le sens n’est donc pas le critère majeur pour définir la synonymie, il faut d’abord qu’intervienne le critère grammatical ». Il rappelle également que l’analogie qui détermine un rapport d’association d’idées s’appuie sur le sens et ignore le critère grammatical. L’auteur entend donc étendre le sens synonymique vers l’analogie pour des raisons pratiques et ainsi enrichir les données du dictionnaire par des « mots de sens voisin », soit des mots et des locutions qui partagent le même sens, mais aussi les mêmes fonctions grammaticales. Le dictionnaire doit ainsi apporter, à l’usager, une information beaucoup plus riche. L’ouvrage permet alors de réunir autour d’environ soixante mille entrées « un choix de près d’un million de mots et locutions ». Le dictionnaire devient vraiment un outil d’une très grande richesse. C’est, en quelque sorte, un trésor de « mots de sens voisin » puisqu’il recense non seulement les mots de la langue actuelle, mais également un certain nombre de mots anciens, un peu sortis de l’usage – des mots de la seconde moitié du xixe et du début du xxe siècle –, que l’on trouve soit dans des anthologies ou encore parce qu’ils ont servi à assurer un certain « effet ». En plus, les séries sont complétées par des mots d’argot « que l’on rencontre le plus fréquemment en littérature et dans la presse » et qui ont donc quitté leur domaine restreint pour devenir généraux. On nous signale encore que l’auteur s’est servi de la méthode linguistique « clinique », c’est-à-dire qu’il constate l’existence de certains mots, leur attribue une balise d’identification pour éviter des confusions et laisse la liberté de choix à chaque usager ainsi averti. On ne peut qu’approuver cette façon de faire et répéter que chacun est responsable de l’emploi de ses mots. Il y a là également une très grande honnêteté et humilité qui mérite d’être soulignée : qui suis-je pour donner des leçons aux autres ? Qu’est-ce qui me permet de condamner ou d’approuver un usage social ? L’auteur, sans fournir une liste exhaustive – elle serait trop volumineuse et les trop nombreuses et diverses attestations n’apporteraient d’ailleurs qu’une information complètement secondaire aux buts de l’ouvrage –, recense cependant, en fin d’ouvrage, ses principales sources bibliographiques. C’est également une nouveauté qui permet de bien déterminer le poids des sources.

Le dictionnaire présente plusieurs types d’entrées : 1) des entrées suivies d’une série de mots classés par ordre alphabétique puisque le sens sera déterminé par le contexte (CAGIBIS n.m. appentis, cabane, cabinet, cafoutchi (mérid.), cage, cagna, case, chambre, guichet, local, mansarde, penderie, placard, réduit, resserre, souillarde, soupente) ; 2) des entrées suivies d’un renvoi indiquant que le mot a sa propre entrée (BRASSIÈRE n.f. o cache-coeur, camisole, chemisette, gilet, liseuse . québ. > soutien-gorge o bretelle, bricole, courroie, lanière) ; 3) des entrées suivies de plusieurs séries de mots séparés par le signe o indiquant une acception de sens ou encore par le signe . signalant des sous-séries ou apportant des précisions d’emploi (CHANTER o v.intr. . aubader, barytonner, bourdonner, chantonner, cultiver/ développer/ travailler sa voix, déchiffrer, entonner, fredonner, interpréter, lourer ou lurer, moduler, nuancer, psalmodier, roulader, solfier, solmiser, ténoriser, vocaliser . fam. et péj. beugler, brailler, braire, bramer, chevroter, couaquer, crier, dégoiser, dégosiller, goualer, gringotter, hurler, machicoter ou machicotter, miauler, roucouler . rég. et partic. brioler, jodler . oiseaux et divers animaux > crier o v.tr.. exécuter . péj. conter, dire, rabâcher, raconter, radoter, répéter o loc.. chanter victoire se glorifier, louer, se vanter . chanter pouilles engueuler (fam.), gronder, injurier, invectiver, quereller, réprimander).

Ainsi, tout a été mis en oeuvre pour faciliter la recherche et permettre à l’usager de faire le choix voulu et donner la teinte régionale recherchée ou le niveau de langue désiré. Le dictionnaire a également certaines entrées qui frisent tout à fait l’encyclopédisme. Par exemple, l’entrée VIN comporte une colonne de cinquante-deux lignes qui donnent des synonymes, des acceptions o selon l’aspect blanc, blanc de blanc, clairet, …, o selon le cépage . il n’est pas d’usage, en France, de désigner les vins par le cépage, sauf exception comme en Alsace et en pays nantais, mais à l’instar de l’étranger des vins de pays sont commercialisés sous le nom du cépage dominant intervenant dans la vinification, les plus courants sont apremont, cabernet, chardonnay, gamay, … . > raisin o selon la région, les plus courants . l’usage est d’écrire le nom sans majuscule s’il n’est précédé de « vin de ou du » alsace, anjou, arbois, …vins d’Auvergne/ des Charentes/ des fiefs vendéens/ des landes/ …. > alsace . > bordeaux, … o vins étrangers cités par des écrivains français alicante, amontilla ou amontillado, asti (spumante), chianti … o arg. ou fam. et péj. . aramon, beaujolpif, beaujolpince, bibine, bistouille, … . vx bacchus, lait des vieillards, purée de septembre …, o par ext. bilboquet, chopine, kil, … o qualifications > agréable et > désagréable o loc. . vin chaud bischof (vx), sang de boeuf . entre deux vins > ivre.

C’est à ne pas donner un ouvrage colossal (listé dans le dictionnaire avec comme synonymes : … babylonien, …, considérable, cyclopéen, … étonnant, fantastique, faramineux ou pharamineux, formidable, gargantuesque, … monumental, … prodigieux o arg. … maousse) qui, ou l’un ou l’autre synonyme, peut s’appliquer au travail fait. Il y a là un aide-mémoire incommensurable qui rendra de très grands services à tous ceux qui écrivent ou traduisent. On ne saurait trop en recommander l’achat ; le prix convient d’ailleurs à toutes les bourses. C’est également un plus !