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Le grand nombre d’articles que Meta reçoit et publie a conduit à prendre plusieurs mesures : outre le fait que nous demandons maintenant aux auteurs de nous faire parvenir leur article formaté à l’aide des styles de la revue (et dont nous rappelons qu’ils peuvent être téléchargés sur Internet), nous avons entrepris d’accélérer la sortie des articles déjà acceptés. Le présent numéro ainsi que les trois prochains numéros réguliers accueilleront donc un certain nombre de pages supplémentaires. L’effort implique autant l’équipe de Meta que les Presses de l’Université de Montréal, et nous remercions chaleureusement tous ceux et celles qui contribuent à la sortie de chaque numéro.

Le présent volume regroupe seize articles et quatre comptes rendus, pour un total de 259 pages. Il nous a paru intéressant de regrouper, dans la mesure du possible, des articles traitant de thématiques proches : trois articles traitent de publicité, quatre, de traduction audiovisuelle, deux, d’interprétation et un autre, d’une comparaison entre interprétation et traduction à vue. Deux articles se penchent sur la question des néologismes et de leur mode de composition, tandis que deux autres s’intéressent à certaines problématiques particulières aux langues africaines.

Au-delà de ces regroupements évidents, quelles sont les autres voies par lesquelles il est possible d’appréhender le contenu du présent numéro ? Outre le fait qu’il a la particularité de mettre en perspective le texte, l’image et l’oralité sous différents angles, un mot est devenu évident au fil de sa préparation, celui de « contraintes » : tous les travaux font état, d’une façon ou d’une autre, de contraintes auxquelles sont soumis les différents acteurs de la communication multilingue : psychocognitives, culturelles, matérielles. Si elles se manifestent parfois de façon distincte, elles se chevauchent assez souvent. Il pourrait être intéressant de se demander si ces trois catégories de contraintes ne constituent pas, en fait, les « universaux » de tout transfert interlinguistique, quel qu’il soit. On pourrait ainsi imaginer l’ensemble des contraintes dans une situation donnée comme la résultante de trois vecteurs représentatifs de chacune de ces catégories.

Parmi les contraintes psychocognitives, les capacités mémorielles des interprètes limitent tout naturellement leur pratique, mais elles semblent dépassées chez certains professionnels – ce dont doit rendre compte la théorisation (Wu et Wang). L’anxiété liée à l’usage d’une autre langue semble d’ailleurs être un facteur jouant sur les performances des étudiants en interprétation (Chiang). Faut-il classer la question des « alioculturèmes » (Prieto del Pozo) dans la catégorie des contraintes psychocognitives en raison des motivations (d’ordre pratiquement psychologique) sous-jacentes à la publicité multilingue, ou dans celle des contraintes culturelles ? Il semble bien qu’à un certain point il ne puisse y avoir de culturel sans cognition et inversement ! Assez proche de cette problématique se trouve la rencontre, dans certaines situations de traduction publicitaire, entre la rhétorique publicitaire, destinée à influencer le public cible, et le code linguistique (Ventura). Les contraintes culturelles pèsent lourd dans la réception des oeuvres traduites ou adaptées : la valeur accordée aux adaptations a des conséquences directes sur le rôle de ces dernières selon les cultures et les époques (Chan). Par ailleurs, la distance séparant différentes composantes endogènes et exogènes des sociétés africaines constitue une contrainte d’importance aux résonnances multiples : problématique de santé publique résultant de structures conceptuelles et terminologiques opposées (Antia, Mahamadou et Tamdjo), dénominations des langues elles-mêmes (Halaoui). Les néologismes, enfin, sont bien le reflet de différentes contraintes sur la langue, qu’il s’agisse de composition populaire (Estopà) ou de composition lexicale hybride, le plus souvent savante (Kortas). Glissons de la culture à la technique : la mondialisation et Internet influent sans conteste sur la traduction publicitaire (Guidère). Le sous-titrage (Mubenga) et le doublage (Matamala, Soh-Tatcha) représentent peut-être la quintessence des contraintes multiples, en raison des exigences d’espace pour le premier et de synchronisme dans le second, qui viennent poser un défi à la conservation du sens. Les contraintes méthodologiques ou techniques sont également présentes dans différentes situations. Ainsi, la confection des dictionnaires n’échappe pas aux contraintes issues de l’ampleur des données à traiter : les mots présents très fréquemment dans les corpus posent des problèmes spécifiques au lexicographe bilingue (Royle, Richardson, Boisvert et Bourguignon). La rapidité croissante exigée des traducteurs professionnels aura peut-être pour conséquences le recours à la dictée vocale, ce qui soulève la question de la qualité des traductions faites « à vue » (Dragsted et Gorm Hansen). Enfin, le recours généralisé aux logiciels en traduction audiovisuelle mérite qu’on s’attarde à en améliorer les performances (Martí Ferriol).

Plus précisément, le contenu des articles se décline comme suit.

Tak-hung Leo Chan soulève la question de l’adaptation et de la valeur qui lui est accordée selon les époques et les cultures. Il appuie sa réflexion par une mise en perspective des adaptations modernistes entreprises par les écrivains occidentaux au xxe siècle, des séries d’adaptations romanesques répandues en Corée et au Japon grâce aux romans classiques chinois et, enfin, des adaptations des romans européens par Lin Shu.

Guangjun Wu et Keifei Wang soulèvent le problème du dépassement de la capacité mémorielle au-delà de sa présumée saturation, parfois observé en situation professionnelle d’interprétation consécutive. Ils proposent de compléter le modèle d’efforts proposé par Gile afin que la théorie puisse rendre compte de ces situations.

Mathieu Guidère retrace l’évolution théorique et pratique de la traduction publicitaire sous l’effet de la mondialisation et de l’Internet, en soulignant le changement de perspective qui en a découlé, notamment sous l’angle de la communication multilingue. Il cherche à montrer que ce changement de perspective requiert une méthode d’analyse et de travail différente, dont il expose brièvement les tenants et les aboutissants.

Lourdes Prieto del Pozo s’intéresse à la présence d’expressions et de mots étrangers, qu’elle nomme « alioculturèmes », dans la publicité présente dans les magazines de cinq pays d’Europe. Selon elle, il s’agit d’une stratégie de non-traduction partielle délibérée renvoyant à un processus de fétichisation et « d’exhibition linguistique ».

Daniela Ventura s’est penchée sur une problématique similaire, c’est‑à‑dire sur les modifications plus ou moins importantes subies par les publicités traduites du français vers l’espagnol, et met en relief la tension entre les exigences du code linguistique et celles de la rhétorique.

Kajingulu Somwe Mubenga explore le discours cinématographique et de sa traduction en contexte du sous-titrage. Il présente « l’analyse pragmatique plurimodale » sous l’angle de la théorie et montre son application à l’aide de deux exemples tirés du film-culte de la Nouvelle vague réalisé par Jean-Luc Godard, Pierrot le fou.

Anna Matamala compare le traitement des interjections dans les comédies de situation soit doublées en catalan, soit enregistrées d’emblée dans cette langue et elle évalue les contraintes imposées par le doublage.

Charles Soh-Tatcha s’est penché sur deux paramètres fondamentaux du doublage cinématographique et audiovisuel, à savoir l’équivalence de son et de sens, qu’il exemplifie à l’aide de deux grandes productions à succès, Gone with the Wind, de David Selznick (pour le cinéma), et All Saints, une série télévisuelle réalisée par Julian Pringle.

Phaedra Royle, Isabelle Richardson, Sophie Boisvert et Nicolas Bourguignon font état d’une problématique rencontrée lors de la constitution de dictionnaires bilingues, à savoir la présence d’expressions ou de mots très fréquents dans les corpus utilisés pour compléter les dictionnaires unilingues. Ils proposent une méthodologie permettant de résoudre les difficultés qui en découlent.

Jan Kortas explore la question des hybrides lexicaux en français contemporain. Après avoir délimité le concept et l’avoir situé par rapport à la question générale de la néologie, il en propose une typologie prenant en compte, notamment, l’allogénicité des éléments hybridogènes.

Rosa Estopà présente un travail d’envergure, le recueil et l’analyse de néologismes dans la presse catalane sur une période de quinze ans. Il s’agit, plus précisément, des néologismes formés par « composition populaire ». Elle montre qu’ils ont essentiellement une structure nominale et que leur productivité diminue avec le temps.

Nazam Halaoui soutient que l’existence de différentes dénominations des langues africaines est sous-tendue par des dynamiques d’acculturation, résultant soit de l’influence des colonisateurs, soit des pratiques des langagiers impliqués dans différentes activités ayant traits à ces langues, et ce malgré le fait que ces langues possèdent en elles-mêmes leur propre nom.

Bassey E. Antia, Yaya Mahamadou et Tioguem Tamdjo font état d’un problème au coeur de la santé publique en Afrique, celui du fossé séparant la terminologie et la description des maladies bovines utilisées soit par les éleveurs, soit par les professionnels vétérinaires.

Barbara Dragsted et Inge Gorm Hansen s’interrogent sur le lien entre qualité des traductions et rapidité d’exécution d’une manière originale, en comparant, chez des traducteurs expérimentés, la qualité de traductions écrites directement et de traductions faites à vue puis transcrites. Étant donné les résultats obtenus, elles plaident pour l’intégration de la traduction à vue dans la formation des traducteurs.

Yung-nan Chiang soulève la question du rôle que l’anxiété peut jouer chez les étudiants en interprétation, selon qu’ils sont asiatiques, européens ou américains ou d’autres origines. Il explore les implications pédagogiques des résultats obtenus.

Enfin, José Luis Martí Ferriol évalue les logiciels utilisés dans le cadre de différentes modalités de la traduction audiovisuelle (audiodescription, voix superposée et doublage) et propose deux possibilités d’automatisation.

Pour ce qui est des comptes rendus, Annie Brisset analyse Theories on the Move. Translation’s Role in the Travels of Literary Theories, de Sebnem Susam-Sarajeva, John Humbley présente un collectif dirigé par François Maniez, Pascaline Dury, Nathalie Arlin et Claire Rougement, et intitulé Corpus et dictionnaires de langues de spécialité, Louis Jolicoeur examine l’ouvrage de Jane Koustas, Les Belles étrangères et Serge Marcoux se penche sur un autre collectif, La traductologie dans tous ses états. Mélanges en l’honneur de Michel Ballard, dirigé par Corinne Wecksteen et Ahmed El Kaladi.

Bonne lecture !