Corps de l’article

L’industrie touristique en forte croissance génère 10 % du PIB mondial. Toutefois peu d’études se sont intéressées à sa gouvernance et aux déterminants de la performance de l’offre touristique (Yilmaz et Bititci, 2006). Si elle est souvent abordée par les analyses de chaîne de valeur (Song and al. 2013) ou de clusters, Selen et Ogulin (2015) suggèrent d’utiliser la notion d’écosystème d’affaires (dit ESA) pour répondre aux manques de travaux sur l’analyse des effets des contextes juridiques, économiques, culturels sur la création de valeur pour le touriste. Si la théorie de l’écosystème rejoint celles des clusters ou des réseaux dans leur volonté de dépasser le périmètre de la firme et de prendre en compte les réseaux d’interactions complexes dans lesquelles elle s’intègre, elle va au-delà en faisant référence à un environnement élargi, constitué d’acteurs hétérogènes influant à des degrés divers sur un processus collectif de création de valeur, l’enjeu individuel étant la création de valeur réalisée à l’extérieur de la firme et sa captation. Neumeyer et Corbett (2017) soulignent la concentration des travaux sur les ESA de haute technologie où certains acteurs (Google, Apple…) mettent en oeuvre une intelligence prédatrice pour façonner leur environnement en combinant les ressources et compétences complémentaires. La réflexion en termes d’écosystème semble offrir un cadre pertinent pour comprendre les types de connexions entre individus, organisations et institutions de la destination touristique. Les formes de relations sont très variables, à la différence de ce qui existe dans les clusters ou les réseaux qui privilégient les interactions de compétition et coopération. L’ESA touristique est fait de participants publics et privés, personnes physiques et morales, interconnectés dans des relations compétitives, commensales, mutualistes, amensales ou symbiotiques. Selon Moore (1993), l’ESA est une communauté économique d’organisations et d’individus en interactions diverses qui vont tisser des liens avec une multitude de partenaires, formant ainsi une communauté de destin stratégique.

Le choix du mode de gouvernance de l’ESA est central puisqu’il va déterminer son orientation, sa dynamique et sa survie. Il pose la question des ressources, des relations entre acteurs et du cadre dans lequel ceux-ci opèrent. « Si d’une manière générale le maintien de l’écosystème dépend à la fois des capacités d’entraînement de quelques acteurs, des synergies exploitées collectivement et des capacités individuelles d’adaptation des entreprises… les autorités publiques ont dans le cadre du tourisme pour rôle de permettre la floraison des activités en prévoyant un cadre institutionnel adapté » (Grandval et al. 2018).

La question de recherche porte sur la gouvernance territoriale. Comment une collectivité peut-elle construire une communauté de destin, en l’occurrence une destination touristique en développant les interconnexions entre acteurs autour de ressources mises en commun ? Le recours au concept d’ESA permet d’analyser le rôle des autorités publiques et notamment des collectivités territoriales dans le processus continu d’interactions, de connexions et de coopérations nécessaires entre acteurs hétérogènes. Tout en ciblant l’action départementale, notre analyse inclut les effets du changement de cadre législatif sur le rôle des acteurs publics des différents échelons territoriaux et la nature des relations qu’ils entretiennent. Ainsi que le montrent Grandval et al. 2018, la loi NOTRe a grandement modifié les compétences des collectivités en termes de tourisme en transférant notamment la compétence communale au niveau des EPCI Etablissements Publics de Coopération intercommunale et en prévoyant une articulation entre les niveaux départementaux et régionaux. La Région définit les objectifs à moyen terme du développement touristique et planifie son action par l’entremise du Schéma Régional de Développement du Tourisme et des Loisirs (cf. art. L. 131-1 du code du tourisme) en s’appuyant sur les collectes de données réalisées par le Comité Régional du Tourisme (CRT). Le conseil départemental et son CDT (comité départemental du tourisme) a pour mission de développer le tourisme dans le département. Il contribue notamment à assurer l’élaboration, la promotion et la distribution de l’offre touristique, en lien avec les experts et institutions concernés au niveau départemental et intercommunal et établit, si besoin, un schéma d’aménagement touristique départemental qui tient compte des orientations du schéma régional. Le cycle de vie de l’ESA et l’évolution du rôle des acteurs publics et privés dans le recrutement des membres mais aussi dans les choix en termes de développement et de construction de ressources et compétences et de partage de la valeur sont conditionnés par le cadre institutionnel. Celui-ci détermine les interactions entre les échelles de l’organisation touristique (compétition, prédation, commensalisme, amensalisme, mutualisme).

Nos travaux contribuent ainsi à l’analyse des dynamiques de gouvernance définie comme « la somme des différentes façons dont les individus et les institutions, publics et privés, gèrent leurs affaires communes » (commission sur la gouvernance mondiale, OCDE 1995) et notamment du processus de coopération et d’accommodement entre acteurs aux intérêts divers et conflictuels intervenant dans la gestion des affaires publiques.

Dans une première partie, nous proposons un cadre d’analyse théorique original de la gouvernance publique en nous référant aux travaux académiques sur les ESA et leur gouvernance, pour ensuite analyser le rôle des autorités locales dans l’offre touristique.

Dans une seconde partie, nous prenons le cas de la gouvernance du tourisme dans le département de la Vienne pour démontrer l’intérêt d’une approche de politique publique fondée sur la notion d’ESA. Ce cas est en rupture avec le schéma traditionnel d’un ESA fait d’interactions plus ou moins spontanées d’entrepreneurs privés, gouverné ou non par un leader privé. La collectivité en l’occurrence le département en interaction avec d’autres acteurs publics, dotée par la loi de capacité d’actions définies en termes de territoire et de périmètre d’intervention, a défini le cadre d’actions des acteurs, façonné l’environnement et défini les frontières de l’ESA. L’intelligence mutualiste, commensale et compétitive de l’acteur public, combine et met en synergie les ressources et compétences complémentaires en lien avec ses objectifs d’aménagement du territoire. Le cycle de vie de l’ESA, est le résultat de son leadership mais aussi des interactions avec les autres échelons territoriaux de l’organisation touristique.

Une gouvernance territoriale à la lumière des écosystèmes d’affaires

Il s’agit d’analyser l’intervention des autorités locales dans une activité où la notion de territoire ajoute une dimension fondamentale à l’offre de produits et services. Après avoir présenté les notions de gouvernance territoriale et de proximité, nous analysons la gouvernance territoriale par les ESA avant de l’appliquer à l’offre touristique.

De la gouvernance territoriale

Le terme de gouvernance est apparu dans le champ des politiques publiques pour rendre compte des transformations de l’action publique et du processus de coordination des acteurs. Prenant sa source dans les travaux de Coase (1937) sur les origines de la firme, le terme de gouvernance désigne ici des modes de coordination et de partenariat alternatifs au marché mis en oeuvre par les autorités publiques, incluant les formes intermédiaires entre le marché et la hiérarchie conformément à l’analyse néo-institutionnelle des firmes (Williamson, 1991). Cette approche est en rupture avec celle de gouvernement où les autorités politiques ont la capacité de prendre des décisions et de les appliquer en vertu d’un pouvoir coercitif légitime. Selon Le Galès, 1995, la gouvernance est « l’ensemble des arrangements formels et informels entre acteurs privés et publics à partir desquels sont prises et mises en oeuvre des décisions », visant à la construction d’actions et d’objectifs communs (Rey-Valette, Mathé, 2012). Au-delà de la pluralité d’acteurs, la gouvernance, rend compte en tant que processus dynamique d’ajustement et de coordination, de la possible émergence d’un acteur pivot ou d’une structure commune visant à prendre des décisions collectives répondant aux attentes des acteurs publics et privés. Cette question se situe dans le contexte dit de nouvelle gouvernance territoriale privilégiant une implication croissante des acteurs locaux — privés, publics, associatifs — dans les dynamiques de développement local fondées sur leur capacité à se mobiliser et à se coordonner. Le territoire est une entité active qui puise son potentiel de développement dans ses ressources locales (ses activités, ses acteurs, ses réseaux) et contribue à réduire les coûts de transaction entre les acteurs.

Selon Leloup et al. 2005, la gouvernance territoriale est : « un processus non seulement de coordination entre acteurs, mais aussi d’appropriation des ressources et de construction de la territorialité. […] La gouvernance territoriale repose sur le réseau c’est-à-dire une configuration de connexions entre les différents acteurs avec des flux circulant. »

L’économie de la proximité (Bouba-Olga et al, 2008) considère que la coordination entre acteurs passe par l’articulation de deux formes de proximité qualifiées respectivement de géographique et d’organisée ou « relationnelle ». La proximité géographique se mesure par la distance entre les acteurs, valorisée en termes de coût monétaire et de temps. La proximité organisationnelle se construit selon les interactionnistes (Rallet, Torre, 2004) sur les bases d’appartenance (le fait que deux ou plusieurs acteurs appartiennent à un même graphe de relations directes ou intermédiées) et de similitude (les acteurs ont des traits communs et partagent des représentations, des savoirs, des valeurs). Les auteurs institutionnalistes, distinguent deux formes de proximité organisée : l’organisationnelle et l’institutionnelle qui représente l’ensemble des valeurs, codes, règles et contraintes (Mendez, Mercier, 2006).

A la gouvernance d’un écosystème territorial

Ecosystème d’affaires public territorial

Sur le plan conceptuel, l’ESA est un concept issu de la biologie. L’écosystème écologique est défini par Tansley en 1935 comme « un système d’interactions entre les populations de différentes espèces vivant dans un même site, et entre ces populations et le milieu physique ». Selon Moore (2005), les écosystèmes constituent avec « le marché » et « la hiérarchie » les trois piliers structurant de l’action stratégique. Selon Moore (1993), l’ESA est une communauté économique soutenue par une base d’organisations et d’individus en interaction — les organismes du monde des affaires qui vont tisser des liens avec une multitude de partenaires, formant ce que l’on nomme une communauté de destin stratégique. Ces interconnexions mènent à un destin commun au sens où les participants interconnectés dépendent les uns des autres pour leur efficacité et leur survie mutuelles (Iansiti et Levien, 2004). Adner (2017) définit un ESA comme « la structure d’alignement de l’ensemble des partenaires multilatéraux devant interagir pour qu’une proposition de valeur centrale se matérialise ». Cette communauté économique va produire des biens et des services en apportant de la valeur aux clients qui feront eux-mêmes partie de cet écosystème. Gueguen et alii (2004) définissent l’ESA comme un ensemble de relations (verticales, horizontales et transversales; directes ou non; formalisées ou non) entre acteurs hétérogènes guidés par la promotion d’une ressource commune et d’une idéologie qui entraîne le développement de compétences partagées.

Les organisations, similaires aux organismes biologiques, fonctionnent au sein d’un riche réseau d’interactions, formant l’économie locale. Il comprend les consommateurs, les fournisseurs et les fabricants de certains produits ou services, les entreprises qui jouent le rôle de prestataires de services et d’intermédiaires, les agences gouvernementales, les régulateurs, les fournisseurs de technologie, les communautés, les consultants, le cadre institutionnel et réglementaire et une plate-forme facilitant la coopération, le partage de connaissances et le développement de technologies ouvertes pour les organisations en réseau. Les interactions prennent des formes analogues à celles observées en biologie : la compétition (interaction de concurrence entre deux espèces exploitant les mêmes ressources limitées), le commensalisme (interaction entre deux espèces dont une seule tire profit, sans nuisance pour l’autre), l’amensalisme (interaction directe ou indirecte entre deux espèces, sans impact pour l’une et négative pour l’autre), le mutualisme (interaction indirecte à directe de nature mutuellement profitable entre organismes d’espèces différentes) et de symbiose (interaction obligatoire de nature mutuellement profitable). Elles sont marquées pour celles ancrées dans le territoire par une proximité géographique, organisationnelle et institutionnelle.

D’un point de vue dynamique les membres de l’ESA voient leurs compétences, leurs rôles et leurs interactions co-évoluer au fil du temps sous l’action ou la direction d’une ou plusieurs organisations focales. La nature des partenaires (fournisseurs, concurrents, indépendants, distributeurs, clients…) et leur rôle (apport de ressources, compétences, complémentarité de l’offre, accès au client, contribution à l’effet de réseau…) évoluent en permanence. Ses frontières sont susceptibles d’évoluer au gré des coalitions.

Gouvernance et leadership d’un ESA : le rôle de l’acteur public

Selon Vos (2006), la gouvernance des ESA vise à donner aux membres du réseau une motivation et une vision leur permettant d’atteindre un objectif commun. Elle prend des formes variées avec le recours soit à un acteur focal, le chef d’orchestre qui parmi les acteurs joue un rôle structurant, soit à des règles formelles, soit à des normes informelles de type valeurs partagées. La collectivité peut en tant qu’entrepreneur institutionnel structurer l’interaction et la participation des acteurs par la création et la diffusion de règles et normes d’application partagées qui soutiennent la co-création de valeur dans le réseau.

Elle peut être le chef d’orchestre d’une communauté stratégique, d’intérêts ou de valeurs, structurée en réseau. Le rôle du leader est d’attirer des partenaires à travers la vision du business qu’elle promeut — et d’orchestrer les relations d’affaires en développant les rôles d’appui mutuels. Ce rôle est valorisé par les membres de la communauté dans la vision d’un destin partagé (l’intérêt de tous). Selon Suominen et al. (2016), il exerce son action à différents niveaux : (1) la gestion écosystémique avec les activités liées à sa création (2) l’établissement de partenariats, (3) la gestion d’une plate-forme nécessaire au bon fonctionnement de l’ESA (4) la gestion de la valeur en dotant l’écosystème de mécanismes permettant à d’autres acteurs d’acquérir de la valeur à partir de leurs intrants. Les institutions publiques peuvent être ces leaders qui participent à la création de l’écosystème, à l’établissement des règles de gouvernance et à la coordination des interactions. Elles peuvent développer une plateforme, un centre de ressources commun, visant à créer un environnement qui facilite la coopération et le partage de connaissances entre les organisations en réseau.

Reprenant la typologie de Moore, on distingue quatre formes d’écosystèmes publics territorialisés en prenant pour critères le caractère centralisé ou non du contrôle exercé sur les ressources essentielles et le type d’interdépendance des acteurs (réciproque ou « pool »). Le mode d’interdépendance de type pool, favorise la multiplication d’initiatives indépendantes, chaque contribution peut être améliorée de façon pratiquement indépendante.

Figure 1

Typologie des écosystèmes d’affaires

Typologie des écosystèmes d’affaires
Adaptée de Moore par Koenig, G. (2012)

-> Voir la liste des figures

Dans le système d’offre, l’écosystème commercial est contrôlé par un principal qui délègue à ses mandants certaines contributions complémentaires pour mener à bien l’activité stratégique.

Dans le système plate-forme, l’organisation qui contrôle l’ESA ne définit plus les contributions des acteurs extérieurs, elle met simplement à disposition d’autres acteurs, un actif clé (la plateforme soit un service ou un ensemble de solutions techniques), selon des règles précisées ex ante, afin que ceux-ci puissent développer une activité propre.

Dans le cas de communauté de destin, le système décentralisé réunit un groupe d’acteurs hétérogènes unis par une solidarité existentielle indépendante de la volonté des acteurs.

Dans le quatrième cas dit des communautés foisonnantes, il y a un très grand nombre de membres autour d’une ressource essentielle, bien commun caractérisé par son caractère non exclusif.

Dans une perspective de coévolution, des entreprises peuvent vouloir quitter l’ESA ou essayer de ravir le leadership. Iansiti et Levien (2004) distinguent deux stratégies de leadership : la « keystone » qui vise à créer de la valeur pour l’ESA et à la partager avec les autres par la création de nouvelles ressources et compétences et les « physical dominator » qui tend à diminuer la diversité de l’ESA et à occuper un grand nombre de noeuds du réseau pour capter la valeur créée par l’ensemble.

Comment cette analyse permet-elle d’appréhender l’offre touristique et sa gouvernance ?

A la gouvernance de l’ESA touristique

Les dimensions et caractéristiques d’un ESA touristique

Il convient en premier lieu d’identifier ses acteurs, ses frontières, ses ressources et compétences crées et partagées.

Alors que l’analyse par la chaîne logistique touristique se focalise sur les fournisseurs de tous les biens et services fournis aux consommateurs finaux — (les touristes) et leurs propres fournisseurs, l’ESA touristique s’intéresse à un large spectre d’entités incluant les touristes, les organismes gouvernementaux, les régulateurs, les fournisseurs de technologie, les communautés résidentes…

Presque toutes les expériences d’un touriste sont le résultat d’une interaction avec l’écosystème. Il se déplace en utilisant les transports locaux, les routes; il traverse des espaces urbains, visite des sites historiques, culturels et naturels; il parle aux gens, interagit avec les entreprises locales, s’arrête pour admirer une vue, observe des animaux; nage, fait du vélo, marche, mange, boit, dort, fait du shopping, assiste à des événements, regarde des sports, va à des spectacles, fait et vit à peu près la même chose que les résidents…. ». Cet écosystème est composé de membres partageant pour partie les mêmes valeurs, infrastructures, ressources et participent à la création collective de valeurs pour le touriste. Utilisant l’analyse Moore (1993), on distingue trois niveaux d’engagement dans l’offre touristique.

Les caractéristiques des clients sont variables en fonction de l’objet, de la durée, du type de déplacement, etc. Les fournisseurs de service touristique, très hétérogènes en termes de type et de taille, offrent un produit qui fait partie de l’expérience de voyage. Ils peuvent être classés en fournisseurs de service de base (hébergement, transport, restauration. divertissements, etc.) ou complémentaire (assurance, services financiers, vente au détail, etc.).

Le groupe des intermédiaires et canaux de distribution réunit les entreprises (tours opérateurs, voyagistes, agences de voyage) qui assemblent les éléments d’une expérience de voyage dans un ensemble complet avant de les vendre.

Sont inclus dans l’ESA les agences gouvernementales ou locales, les régulateurs, les associations, les organismes de normalisation et les représentants de la communauté d’accueil (les résidents et gouvernements). L’écosystème comprend des concurrents directs et indirects qui parfois collaborent.

Un ESA est performant quand il est capable de réunir de manière cohérente toutes les ressources requises (technologies, hébergement, restaurants, infrastructures, cadre légal et règlementaire, loisirs et nature…) et ses différents acteurs pour les transformer en une expérience touristique. Selon Iansiti et Levien (2002), trois dimensions permettent de cerner sa performance : sa robustesse ou capacité d’un écosystème à faire face et à survivre aux perturbations, l’efficacité avec laquelle un écosystème convertit les intrants en extrants, et sa capacité de créer des niches et une diversité significative.

Les acteurs d’une même espèce (par exemple les gestionnaires de site touristique) mènent entre eux une lutte concurrentielle, mais doivent aussi coopérer pour mutualiser leurs ressources et échanger du savoir et ainsi contrer d’autres destinations concurrentes (Lado et al. 1997). Les prestataires en termes de restauration et d’hébergement, sont dans une logique de complémentarité de l’offre et d’externalités de réseau vis-à-vis des sites touristiques, mais peuvent être en situation de concurrence.

Le tourisme : un ESA au destin ancré territorialement

Du point de vue de la politique publique, l’écosystème d’une destination touristique est caractérisé par son ancrage dans un produit cohérent délivré sur un territoire (Pavlovich, 2003) et valorisé en amont dans la proposition faite aux futurs visiteurs. Dans le secteur touristique, le territoire est une ressource qu’il est nécessaire de valoriser. Il est un construit social reflet des projets touristiques et de la complémentarité et de la diversité des acteurs (Clergeau, Violier, 2013). Les acteurs entrent dans une double logique, une de micro-valorisation de leur propre activité, l’autre de méso-valorisation d’un territoire comme destination touristique. Nous définissons l’écosystème touristique comme « un ensemble de relations verticales et horizontales et directes ou indirectes, formalisées ou non, entre acteurs publics et privés orienté par la promotion d’une ressource commune un territoire et régi par des mécanismes de gouvernance visant à créer et développer une destination touristique ». Sa performance dépend du réseau de connexions entre une grande variété de parties prenantes et pas seulement des caractéristiques intrinsèques de la destination (ses ressources) ou de celle des acteurs participant à l’offre de services touristiques. Pour analyser l’ESA, nous distinguons trois strates : la strate primaire des ressources et des différents prestataires mobilisés dans l’offre touristique, celle secondaire de la plateforme technologique visant à créer un environnement facilitant la mobilisation de ressources, la coopération, le partage de connaissances et le développement d’interconnexions, et celle tertiaire constituée des acteurs et outils de la gouvernance de l’ESA.

Cette présentation en strates offre un cadre d’analyse de la gouvernance et du mode d’exercice du leadership. Il convient en s’appuyant sur la distinction management simple et stratégique d’une destination touristique de Ritchie et Crouch (2000), d’examiner comment s’exercent les fonctions politiques de la strate tertiaire (délimitation du système, élaboration d’une vision partagée, définition des stratégies de développement et des choix de coopération-compétition) et les fonctions managériales simples de la strate secondaire (gestion des ressources, organisation des acteurs et marketing de la destination). La gouvernance pose la question du leadership. Quel est l’agrégateur qui joue un rôle transactionnel au sein de l’écosystème, est-il un acteur de la strate primaire ? Existe-t-il un chef d’orchestre qui construit la plateforme et assemble les partenaires ? Y-a-t-il une compétition pour le leadership lors des différentes phases du cycle de vie de l’ESA ?

Figure 2

Ecosystème d’affaires de Moore appliqué au tourisme

Ecosystème d’affaires de Moore appliqué au tourisme

-> Voir la liste des figures

Le leadership de l’ESA touristique

Le système d’offre de la grille de Moore correspond à une destination touristique contrôlée par un principal qui délègue à ses mandants certaines contributions complémentaires. Ce système d’offre s’apparente en partie au corporate model de la gestion des destinations où une entreprise cherche à atteindre des objectifs de profit par une gestion intégrée ou contractuelle des entreprises de services. La prééminence de l’entreprise focale lui vient d’un accès privilégié à une ou plusieurs ressources clé. Une variante est celle d’un opérateur public qui définit par voie conventionnelle, le rôle de chaque acteur et assure de façon intégrée la gestion de la destination avec des objectifs d’intérêt général. Dans le système de plate-forme, l’organisation qui contrôle l’ESA spécifie les règles que le contributeur doit observer. La collectivité peut être cet acteur principal en charge de la centralisation, elle est parfois en lutte avec d’autres collectivités pour cette mission dans le cas de compétences partagées. Elle peut recourir à une structure publique (un syndicat, une SEM, un GIE) ou privée comme une association pour exercer conjointement ce rôle de pivot de l’écosystème avec d’autres acteurs. La communauté de destin est faite d’acteurs hétérogènes au destin lié, il n’y a pas de vision modulaire de l’offre. Le système n’est pas centralisé, même si certains acteurs contribuent davantage au leadership. La destination est organisée autour d’unités de production indépendantes et spécialisées opérant de façon décentralisée, sans pouvoir de domination. Dans le cas des communautés foisonnantes, les membres interagissent autour d’une ressource essentielle, bien commun non exclusif. Si a priori il n’y a aucun acteur focal, le droit donne généralement aux autorités publiques, un rôle règlementaire dans la gestion de cette ressource et notamment dans sa conservation.

Les ESA touristiques sont animés par des logiques concurrentielles, tant au niveau intra-écosystème (pour acquérir la place de leader) qu’au niveau inter-écosystèmes (concurrence de plusieurs écosystèmes d’affaires). Les organisations pivot ont une forte influence sur le processus de coévolution. Elles se positionnent sur les noeuds du réseau de relations et structurent l’ESA comme un modèle d’organisation (Moore, 1996). Elles contribuent à la santé de l’ESA qui peut s’exprimer en termes de chiffre d’affaires, d’emplois, de bénéfices ou de création de niches. Elles sont la « clé de voûte » de l’ESA au sens où elles permettent, par leur vision stratégique et leurs capacités relationnelles, de mettre sur pied un nouveau réseau de valeur. Elles décident des modalités d’interconnexion les plus en adéquation avec leurs intérêts et ceux des membres de la communauté (Isckia, 2006).

Tableau 1

Les strates de l’ESA touristique

Les strates de l’ESA touristique

-> Voir la liste des tableaux

Gouvernance Publique d’un écosystème d’affaires territorial : le tourisme dans la Vienne

La stratégie de recherche : l’étude de cas

Yami (2006) souligne que la méthode la plus pertinente pour saisir la complexité des stratégies collectives est l’étude de cas approfondie, avec plusieurs niveaux d’analyse.

Le cas de l’écosystème d’affaires du tourisme en Vienne a été sélectionné pour sa pertinence :

  • il est représentatif d’un ESA où la dimension territoriale est primordiale dans la création de valeur et où l’acteur public joue un rôle important.

  • il permet une multi-angulation au sens où diverses sources d’information peuvent être utilisées pour bien appréhender le phénomène.

  • il est riche de par la continuité sur longue période d’une gouvernance publique de l’écosystème qui permet de saisir sa dynamique avec les évolutions des positions des acteurs et ses déterminants endogènes ou exogènes.

La collecte de données s’est faite à partir de documents, d’observations sur le territoire et d’entretiens semi-directifs menés auprès des représentants du comité départemental du tourisme, de communautés des communes, de directeurs de sites touristiques, de responsables de communication de site, de responsables de formation, de managers d’hébergements et de restaurants, d’élus, de responsables d’office du tourisme. Les entretiens réalisés auprès de 34 de ces acteurs ( . liste en annexe) ont été faits par téléphone (durée de 20 à 30 minutes) ou en face à face (durée de 3 heures). La conduite de l’entretien semi-directif s’est basée sur une grille avec des questions ouvertes thématiques laissant une grande liberté d’expression aux témoins (en annexe figure la grille d’entretien).

Le tourisme en Vienne : les acteurs de l’écosystème d’affaires

La Vienne 16e plus grand département de la France métropolitaine, se caractérise par un peuplement moyen dont le chef-lieu Poitiers bénéficie de par sa situation géographique sur l’axe Paris-Bordeaux-Espagne d’un certain dynamisme. Sur le plan administratif, la Vienne département français rural, comprend 450 000 habitants et est divisée en 19 cantons, 7 intercommunalités et 274 communes. Le tourisme y est un secteur d’activité florissant, aux retombées économiques considérables : 870 millions d’euros de chiffre d’affaires, 1 700 entreprises liées au tourisme, 7,8 millions de nuitées, 4,6 millions de visites dans les lieux touristiques. Le département comprend 500 sites d’activités touristiques, dont 50 sites accueillant plus de 10 000 visiteurs. Le Futuroscope est le site le plus attractif, il est à l’origine de 40 % des visites contre 33 % pour le tourisme sportif (randonnée…), 11 % pour le culturel, 9 % pour les parcs animaliers, 4 % pour le thermalisme et 3 % pour le tourisme de terroir.

On recense 132 établissements, d’hôtellerie, 51 campings, 1 171 meublés ou gîtes.

Tableau 2

Répartition des capacités d’hébergement de la Vienne en 2015

Répartition des capacités d’hébergement de la Vienne en 2015
Source : Département101 - Observatoire de la Vienne - Tableau CRC

-> Voir la liste des tableaux

Figure 3

Carte des principaux sites touristiques

Carte des principaux sites touristiques

-> Voir la liste des figures

Le département, à l’origine de l’ESA et acteur central de la strate primaire par ses apports de ressources financières et son rôle d’intermédiaire

Un ESA construit en rupture avec l’identité rurale

Il convient d’analyser quelles sont les ressources contrôlées par le département car selon la théorie du management par les ressources, le développement d’une destination dépend en grande partie des ressources qu’elle mobilise pour son offre touristique.

Reprenant la dichotomie d’Edvardsson (1994) entre services de base et périphériques, nous distinguons les ressources environnementales et culturelles répondant aux besoins primaires du touriste (l’eau pour les activités de nautisme, le patrimoine architectural pour la visite de sites, la forêt, la faune et la flore pour les promenades), des autres ressources permettant de délivrer les services périphériques d’agrément ou de facilitation (services de restauration, boutiques, accueil, hébergement). Les premières sont souvent à l’origine de l’attractivité d’une destination.

Sur ce plan le département possède une variété de milieux naturels ou semi-naturels (bocages, plaines, forêts, marais, landes…) dont 500 km² de milieux patrimoniaux classés à dominante humide. Concernant la richesse architecturale, le territoire comprend 79 Églises et Cathédrales remarquables, 25 sites et monuments dont l’abbaye de St Savin classée à l’UNESCO, 23 musées d’histoire, d’art ou spécialisées, 18 châteaux…

Toutefois le développement de la destination touristique s’est fait en rupture avec cette identité. Historiquement, l’idée du département de la Vienne était, au début des années 80, de bâtir et développer un tourisme en l’absence de ressources naturelles touristiques traditionnelles que sont la montagne ou la mer, dixit le directeur de l’ATV (Agence touristique de la Vienne opérateur départemental en charge de la commercialisation des produits touristiques et du développement des projets structurants). Il s’agissait même de construire au travers de la destination touristique un territoire et une image qui s’affranchiraient de leur dimension rurale. René Monory, président du Conseil Général de la Vienne en 1987, homme politique français, ministre plusieurs fois, et ancien président du Sénat (1992-1998) a initié ce projet du Futuroscope (Leroux et Pupion, 2010) qui comprend un parc de loisirs à thème technologique, scientifique, dont les attractions mélangent approches sensorielles et projections d’images (Hertrich, et Mayrhoffer, 2008). « Ilimagine un site tourné vers le futur avec une aire de loisirs, une zone d’activité économique et une aire de formation, pour développer l’esprit d’entreprise dans le département » (un élu). Les élus, OT et responsables de site, ont suite au succès de fréquentation adhèré en très grand nombre à cette vision du tourisme.

Toutefois, certains élus et responsables d’OT notent et regrettent un manque de valorisation collective de la culture et du patrimoine (enquête citée par l’APAC ex ATV dans son plan 2018-2021). Aussi, des territoires et leurs édiles ont-ils organisé de façon autonome et indépendante par l’entremise d’associations ou l’aide d’acteurs privés un tourisme fondé sur les ressources naturelles (Village Flottant de Pressac, parcours de canoë-kayak,…) avec cependant peu d’interconnexions en dehors du territoire. Le département reste, toutefois, un acteur majeur de la préservation des espaces naturels sensibles par son schéma départemental et octroie des subventions aux communes pour la préservation du patrimoine (entretien des Eglises, musées, forêts). L’autre grand acteur est l’Etat et ses opérateurs (forêts domaniales gérées par l’ONF, cathédrales et musées nationaux gérés par le ministère de la Culture). L’écosystème s’est bâti sur les ressources financières du département. Le département a financé par investissements directs l’aménagement, le foncier et le bâti du Futuroscope. Il a été le pivot de développement d’un ESA à dominante touristique en réunissant toutes les ressources et les différents acteurs (hôtel, restaurant, liens avec les fournisseurs locaux) pour créer une expérience touristique. Sa position initiale de gestionnaire de parcs d’attractions, lui a donné une position de pivot de l’ESA qui capte le flux de touristes sur le site central et le dessert sur l’ensemble du territoire. Depuis 2011, le département n’est plus qu’un actionnaire minoritaire de la société gestionnaire du parc mais reste propriétaire des installations au travers d’une société d’économie mixte. Ce modèle a été ensuite répliqué sur tout le territoire au sens où le département est souvent l’un de premiers investisseurs dans les nouveaux sites.

Les responsables de sites et les élus citent ces apports de ressources de la collectivité, « la collectivité est propriétaires des murs : elle entretient les bâtiments ». Un gérant de site confirme : « un jour, le directeur du Département de la Vienne est venu me voir, en me disant « on aimerait avoir ce parc dans la Vienne…. Puis le département a réalisé des montages mixtes ». Dans la dernière grande opération, dite du center parcs des Daims inauguré en juin 2015 et réalisé avec « Pierre & Vacances SA » le département s’est porté acquéreur par l’entremise d’une société d’économie mixte locale des équipements collectifs du Center parcs (source CRC 2017). Cette vision de l’acteur public apporteur de ressources est absente dans des propos des acteurs de l’hôtellerie et de la restauration.

Tableau 3

Vision des ressorts de l’ESA selon les différents acteurs

Vision des ressorts de l’ESA selon les différents acteurs

-> Voir la liste des tableaux

Le Département un investisseur pivot d’une extension de l’ESA et d’une proximité

Cette politique de subvention et d’investissements directs s’est traduite par une multiplication de sites sur tout le département.

Cette politique d’extension de l’ESA va de pair avec la volonté de créer une valeur collective supplémentaire par un allongement de la durée de séjours des touristes. Le responsable de l’ATV met en évidence cette stratégie de faire rester le touriste 4 à 5 jours dans le département en multipliant les sites et expériences. Selon un responsable de site, cette stratégie d’interconnexion entre sites permet de passer d’un tourisme à la journée à un tourisme à la semaine. L’idée de destin commun portée par l’ATV, est partagée par les différents acteurs de l’ESA qui perçoivent cette interdépendance et adhèrent à cette valorisation collective de la destination prenant appui sur le site attractif du Futuroscope et l’allongement des séjours.

Un responsable d’OT remarque : « on sait que le Futuroscope est un pôle d’attraction et qu’une partie du public du Futuroscope va couper ses vacances en deux au niveau des thématiques et visiter un peu de patrimoine ». Le directeur d’un site mentionne « le but du Département, c’est qu’une partie de la clientèle du Futuroscope puisse se déplacer, traverser le département de la Vienne, consommer de l’hébergement, de la restauration ».

Les entreprises ont intérêt à coopérer, pour accéder à ces ressources touristiques ce qui les place en situation d’interdépendance. Certaines soulignent les difficultés pour le département d’associer les acteurs à l’écosystème sans privilégier l’un d’entre eux. « Après, je pense que c’est compliqué, pour l’ATV, et son site, de mettre en avant un établissement plutôt qu’un autre » (un gérant de restaurant). Le département a créé par l’extension de l’ESA à de nouveaux sites une dynamique d’acteurs qui ont développé des interconnexions de type commensale (profiter de l’attractivité du futuroscope), mutuel (chaque acteur d’hébergement ou de restauration bénéficie des sites touristiques) voire symbiotique.

Cette vision des bienfaits de l’extension est partagée par les élus et par les responsables de site mais est moins ressentie par les prestataires de l’hôtellerie et la restauration qui citent davantage une demande locale.

Des OT posent la question de la frontière géographique de l’ESA et doutent de son intérêt comme support pour un autre forme de tourisme.

La proximité géographique conditionne le circuit de visites du touriste, leurs activités, leurs consommations et le sentiment in fine des acteurs d’appartenir à un même ESA. Les OT « mettent en avant les sites proches et ceux pour lesquels il faut pousser un peu plus loin » (source OT). La distance géographique à l’épicentre façonne en grande partie la relation à l’ESA. Certains responsables de politique touristique situés loin de l’épicentre mentionnent une non exclusivité et l’appartenance à un tourisme dépassant les frontières du département. « On est au service de l’usager et non pas uniquement de la Vienne; on va avoir les informations sur le site d’à côté, avoir de la documentation sur les sites à proximité » (responsable OT). D’autres ne partagent pas la proximité institutionnelle entre membres de l’ESA, ils notent que le positionnement en termes de parcs d’attractions “ne correspond pas complètement à la dimension « monuments historiques qu’ils souhaiteraient mettre en action ».

L’ATV un intermédiaire au service des connexions des membres de l’ESA pays du futuroscope

L’ATV a par sa fonction de commercialisation, multiplié les interconnexions et flux entre opérateurs (hébergement, restauration, sites, offices de tourisme, associations) ce que confirment les hôtels, restaurants, OT et responsables de site. Selon les premiers « Il est un site de référencement des établissements, une vitrine qu’ils mettent à la disposition de leurs clients… » ‘Elle nous envoie des clients (service de réservation)’. Les responsables de site et les OT soulignent les apports de compétences en termes de communication, de promotion, de commercialisation (salons…), Ce rôle d’intermédiaire renforce la position de leadership du département en lui permettant de contrôler une partie de la commercialisation et du partage de valeur.

L’ATV apparaît auprès des responsables de site, d’OT, des élus et d’hôtels comme un intermédiaire qui rend cohérente une offre fragmentée et crée de la valeur collective en vendant notamment des packages de visites de plusieurs sites, incluant l’hébergement et la mise à disposition d’un véhicule, et ce via son site internet et sa plateforme de réservation. Il est le pivot de l’offre commerciale. Le responsable commercial d’un site souligne : « on propose sur notre site internet les billets des autres sites, via l’interface de réservation de l’ATV, qui propose des tarifs préférentiels; on dispose ainsi de l’offre complète, on travaille en synergie avec les autres sites ». Certains déplorent le manque d’interconnexions réalisées de façon centralisée. Un hôtelier note : « l’objectif, c’est d’organiser un maillage entre les différents interlocuteurs et opérateurs : et cela n’existe pas suffisamment et cela a un effet délétère sur les parcours touristiques des individus. ». L’interaction se fait en partie de façon décentralisée à l’initiative de chacun sans médiation de l’ATV. Les témoignages des acteurs sur les publicités réciproques des différents sites vont de pair avec nos propres observations sur 15 sites et 35 lieux d’hébergements.

Le département aux sources de la plateforme habilitante, strate secondaire de l’ESA

L’ingénierie touristique du département est au coeur de la dynamique de l’ESA et du rôle attribué à l’ATV dans son plan de développement touristique de 2018. « L’ATV doit valoriser son rôle de centre de ressources pour accompagner les changements et favoriser la mise en synergie des acteurs ». Le département a participé au développement d’un système de plateforme facilitant la coopération, le partage de connaissances et le développement des organisations en réseau conformément à la typologie de Moore.

Il met à disposition des maîtres d’ouvrage son ingénierie touristique c’est-à-dire un ensemble de compétences variées acquises dans le projet et la gestion du Futuroscope. Ses cadres en charge du tourisme ont « acquis une expérience fine du réseau, local et national, des acteurs publics et privés du secteur du tourisme… il peut ainsi accompagner, principalement via l’ATV, les acteurs du tourisme notamment dans leur projet de création ou de modernisation d’équipements touristiques » (rapport CRC 2017). Ces compétences sont mobilisables à toutes les phases d’un projet touristiques : stratégie territoriale, études de marché; conception des projets, programmation, mise en oeuvre; accompagnement et assistance auprès de la maîtrise d’ouvrage, formation, gestion, commercialisation, communication, évaluation… Son apport et aide technologique consiste en « l’accès au réseau des professionnels du tourisme, l’aide au montage du volet financier d’une opération d’investissement, l’accompagnement administratif et juridique, les conseils pour l’adaptation au marché local, les aides au classement et à l’obtention de labels, la contribution à l’élaboration d’outils de promotion ». Cette compétence est détenue par des cadres à haut potentiel ayant eu des fonctions au sein de la direction des projets structurants ou dans les sites cogérés par le département. Le département propose les labels Qualité Vienne et « Pays du Futuroscope », le dernier certifiant les sites proposant via le numérique une expérience enrichie au touriste. Son apport technologique se fait auprès des membres de l’ESA dans le cadre de séminaires de formations « L’ATV a proposé des formations assurées par ses collaborateurs sur l’anglais, la création de site web, le rôle des réseaux sociaux ou le mediatraining » (source ATV). Elle a équipé les OT volontaires d’un système wifi sécurisé permettant de récolter des informations sur les personnes se connectant.

Cette ingénierie est reconnue par les sites, les élus et responsables touristiques communaux et nombre d’hébergeurs qui affichent le label qualité Vienne (34).

Le département met à disposition des acteurs des infrastructures dédiées exclusivement ou non (routes numériques) au tourisme. Le rapport de la CRC (2017) illustre cette action dans le cas de l’installation du centersparcs. IL faut ajouter aux dépenses d’investissement et de fonctionnement sur la période récente des dépenses « indirectes » ou « mixtes » c’est-à-dire utiles à l’exploitation de Center parcs, mais bénéficiant également à la population locale environnante : participation financière au déploiement du haut-débit, cofinancement de la construction d’une nouvelle station d’épuration des eaux, amélioration du réseau routier local, aides au développement d’un parc locatif. Les compétences du département en termes de gestion des infrastructures, sont limitées par la loi, mais il peut subventionner les collectivités qui financent des infrastructures (gestion des déchets, distribution d’eau potable…). Il est par « ses plans départementaux d’aménagements routiers un acteur majeur de la proximité physique des sites » (responsable de site).

L’ATV organise l’ESA via son système de communications (mails, news letters,…) et les commissions qu’elle créée. « Notre problématique c’est que les sites nous fassent remonter l’information pour que nous la rediffusions. Notre rôle stratégique, c’est remonter l’information et la diffuser envers les offices de tourisme, les professionnels, les hébergeurs, les sites quels qu’ils soient, ludiques, culturels, naturels… » (directeur de l’ATV)

Ce travail d’interconnexion et de fédération se déroule dans le cadre des instances associatives de l’ATV et de ses neuf commissions dans lesquelles les représentants des professionnels du tourisme ou impactés par celui-ci se rencontrent et échangent sur des sujets d’intérêt commun. La commission des sites incluant les représentants des seize sites touristiques les plus fréquentés a ainsi proposé une campagne de communication par voie d’affichage du Pays du Futuroscope à Paris avec une mutualisation des coûts entre les acteurs privés et publics. « Ces échanges et le travail commun dans ces commissions ont constitué des facteurs de plus grande cohérence entre les initiatives des acteurs du secteur » (CRC 2017). Ce travail en commission est l’occasion d’élargir l’ESA aux producteurs locaux. “La commission hébergement a amorcé une réflexion sur l’élaboration d’une charte pour que les restaurateurs utilisent les produits locaux et privilégient de spécialités du Poitou et créent un réseau de restaurants « Terroir » (source ATV).

L’ATV est en charge du marketing de la destination. Ses plans marketing et campagnes de communication (salons professionnels, sites internet, campagnes d’affichage, radio…) délivrent la vision collective de la destination, du territoire et de ses habitants et créent une proximité institutionnelle. Après avoir développé une proximité identitaire autour du pays du futuroscope, le département a décidé de valoriser par le développement de la marque Poitou, l’histoire, la culture et le patrimoine constitutifs d’une identité partagée par les résidents. Ce changement incarne une évolution de l’ESA valorisant davantage les ressources patrimoniales.

Une gouvernance de l’ESA conditionnée par la loi (strate tertiaire)

On distingue deux structures possibles pour l’organisation de l’ESA :

  • un réseau de partenaires dominé par un organisme, ou une entreprise qui détient la majorité des activités de la chaîne de valeur et coordonne l’offre collective de l’ESA.

  • une structure communautaire ou auto-organisée, où aucun acteur n’est dominant. les interactions étant gérées de façon décentralisée.

L’ESA a longtemps été dominé par l’ATV qui l’a orienté vers le développement de parcs de loisirs sur le modèle du Futuroscope. Le département a étendu les frontières de l’ESA en multipliant les projets de sites touristiques sur le territoire et ce afin de capter une partie des flux de de visiteurs du Futuroscope. Sont ainsi apparus avec son soutien, les Géants du Ciel à Chauvigny, la Vallée des Singes à Romagne qui visent un grand public. Témoin de cette époque, le directeur de l’ATV souligne : « Dès le départ, il y a l’idée de valoriser l’ensemble du territoire et très vite ils m’ont dit il faut vraiment qu’on fasse du tourisme un outil d’aménagement du territoire et ils m’ont donné pour mission, de lancer des projets structurants… avec pour critère des produits grands publics… parce qu’on peut avoir un outil culturel exceptionnel en termes de patrimoine mais qui ne suscite pas une forte fréquentation ». Toutefois, dans un contexte de développement de préoccupations écologiques et de nature, le département a initié lors des dix dernières années une politique de valorisation collective de la trame paysagère et architecturale du territoire au travers du Plan Départemental des Itinéraires de Promenade et de Randonnée (PDIPR). Celui-ci avec ses 7 500 km de sentiers favorise la découverte de ce patrimoine dans le cadre de randonnées cyclistes, équestres, pédestres ou nautiques. Cette évolution permet selon nous de rendre l’ESA plus performant en réduisant sa dépendance à une seule forme de tourisme et en créant une diversité significative dans le type de touristes accueillis.

Le directeur de l’ATV est le chef d’orchestre de l’ESA, position confirmée par les élus. C’est d’ailleurs la métaphore employée par celui-ci qui met en avant son rôle au sein de l’écosystème. « Exactement,… on est le chef d’orchestre,.. j’ai envie de prendre cette analogie avec l’orchestre : vous savez, on a créé des tas d’instruments de musique, superbes : la trompette, le piano et donc maintenant notre rôle : c’est de mettre tout ça en musique, pour attirer les spectateurs au concert, il faut qu’on fasse la plus belle harmonie possible. Alors derrière il y a plein de plans, il y a la commercialisation, la communication, les marques, tout le travail de l’ATV ». L’ATV est l’organisation focale qui donne la vision collective et facilite les interconnexions. Sa stratégie est celle d’un leadership de type keystone qui vise à créer de la valeur pour l’ESA et à la partager avec les autres acteurs par la création de nouvelles ressources et compétences.

Il agit en rivalité et en complémentarité avec les autres échelons territoriaux. Par sa composition, le conseil départemental permet de s’assurer que les projets structurants soient portés par les élus du territoire. Il faut « que le projet soit porté et qu’il y ait une fédération d’élus, que l’ensemble des collectivités territoriales y adhèrent, vous connaissez le millefeuille » (un élu)”.

Le schéma d’aménagement et de développement touristique départemental expression de la stratégie départementale doit être construit selon les élus et les OT en cohérence avec les niveaux inférieurs et supérieurs du millefeuille territorial et notamment en collaboration avec les EPCI. Les séminaires, réunions et concertations par internet préalables à son élaboration sont autant de moyens de forger cette proximité institutionnelle infra-départementale. Ainsi, le comité de pilotage du plan PDIPR, qui fédère les acteurs départementaux en charge de l’environnement, de l’agriculture et du tourisme (les Comités Départementaux de Randonnée, de cyclotourisme, de Canoë Kayak…), assure une interconnexion entre acteurs, concurrents dans l’usage et la valorisation des ressources (comme l’agriculteur et le canoë pour l’eau) et pris souvent dans des relations amensales.

Par son pouvoir législatif et règlementaire, l’Etat définit le cadre légal et institutionnel de l’activité touristique et les compétences des collectivités. Il influe ainsi sur la position des acteurs publics et privé au sein de l’ESA. Ainsi, la loi du 7 août 2015 dite NOTRe fragilise la position du département en tant que pivot de l’ESA en rendant plus difficile son rôle d’apporteurs de ressources financières. Les aides à l’immobilier d’entreprise sont désormais de la compétence des communes et de leurs groupements, aussi le département de la Vienne doit-il créer des structures des sociétés d’économies mixtes, avec ces EPCI et opérateurs privés pour financer des infrastructures touristiques. Son schéma stratégique doit désormais s’inscrire dans les orientations retenues par la Région pour son schéma régional de développement du tourisme et des loisirs. La question de coopération et compétition mais aussi de proximité institutionnelle ou représentation partagée des missions et objectifs entre échelons territoriaux se pose au niveau de la grande Région. Les 12 agences départementales de développement touristique de la région ont créé en 2015 un réseau « volontaire et informel » d’échanges, de mutualisation et de coordination adossée à une charte pour défendre des objectifs communs. Une des limites de l’étude, c’est que le cas retenu ne peut mettre en lumière toutes les dynamiques de concurrence entre ESA et collectivités qui peuvent exister dans le domaine du tourisme sur certains territoires.

Préconisations managériales

Nous suggérons aux managers de cartographier l’ensemble des sites touristiques et des structures d’hébergement et de restauration avec les flux de touriste entre sites et les ressources (eau, nature, patrimoine…) utilisées et valorisées en mettant en évidence les types d’interaction (rivalité, mutualisme, symbiose, commensalisme). Cette cartographie réalisée à partir d’une base de données collective, faite d’informations collectées auprès de l’ensemble des sites en formulant une question sur les sites précédemment visités, le lieu d’hébergement, les modes de consommation pourrait permettre en lien avec les acteurs publics en charge des infrastructures ressources d’identifier par analyse structurale les ponts et les trous structuraux. Elle permettrait à la collectivité de se positionner sur les noeuds nécessaires au développement de l’ESA.

Le développement de commissions spécialisées et transversales, et l’usage d’un système d’information partagé entre les acteurs sur la base d’un outil proposé par la collectivité pourraient faciliter les interconnexions et le partage de connaissances. Pour améliorer la gouvernance de réseau, nous suggérons que l’autorité publique élabore un tableau de bord de la destination avec des mesures de flux d’activité touristique (nuitées, visites…), des ressources potentiellement valorisables et utilisées, de l’activité de fournisseurs de services pour le touriste, des investissements des fournisseurs d’infrastructures. Conjointement, elle peut élaborer un tableau de bord de sa gouvernance qui mesure sa capacité et son activité de développement de connaissances, ses actions d’inclusion de nouveaux membres, de développement d’interconnexions entre membres et de partage d’une vision commune (mesure par enquête annuelle).

Conclusion

La recherche menée au sein du département de la Vienne apporte un éclairage nouveau sur le rôle d’une collectivité dans l’offre touristique par son action de développement d’un centre de ressources et des interconnexions entre acteurs au service d’un destin commun. Historiquement, ce département a su profiter de son expérience de création d’un parc d’attractions pour développer un véritable réservoir de savoirs, de ressources et de compétences au service des firmes. Elle a pu ainsi permettre l’émergence de stratégies collectives et favoriser la création d’opportunités de développement individuel et collectif.

Notre approche par l’ESA permet de mieux appréhender le concept de nouvelle gouvernance en montrant comment les collectivités peuvent être le pivot de réseaux d’acteurs publics et privés valorisant collectivement un ensemble de ressources alors même qu’ils peuvent être dans des positions de rivalité, de coopération ou commensale. La collectivité peut être le leader de l’ESA en attirant les partenaires indépendants et en orchestrant les relations d’affaires à travers du modèle qu’elle promeut et du contrôle qu’elle exerce sur les ressources de la plateforme. Ces relations, rôles et positions au sein de l’ESA évoluent de façon endogène en fonction de l’investissement de chacun, mais aussi exogène en raison de l’évolution du cadre règlementaire et législatif.