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Le paludisme est dû à l’infection par un parasite du genre Plasmodium, appartenant au phylum des Apicomplexa. Plasmodium falciparum est la principale espèce pathogène pour l’homme, responsable de 300 à 500 millions de cas de paludisme et de 1 à 3 millions de morts par an, essentiellement en Afrique subsaharienne. Chez l’hôte vertébré, le cycle de Plasmodium passe par deux stades invasifs successifs, les stades sporozoïte et mérozoïte, qui infectent respectivement les hépatocytes et les érythrocytes (Figure 1). Les sporozoïtes, transmis à l’hôte lors d’une piqûre par un moustique femelle du genre Anopheles, passent dans la circulation sanguine puis sont rapidement séquestrés au niveau du foie (en quelques minutes) via l’interaction de la circumsporozoite protein (CSP), protéine majeure de la surface des sporozoïtes, et de la thrombospondin-related anonymous protein (TRAP), avec les glycosaminoglycanes (GAG) proéminents dans les sinusoïdes hépatiques [1]. Les sporozoïtes traversent ensuite l’espace de Disse et pénètrent activement dans les hépatocytes, par invagination de la membrane plasmique aboutissant à la formation d’une vacuole parasitophore (Figure 2). Les sporozoïtes peuvent également pénétrer dans les hépatocytes par effraction membranaire sans formation de vacuole, et migrer ainsi à travers plusieurs cellules avant de finalement infecter un hépatocyte par formation d’une vacuole [2]. Au sein de cette vacuole, les sporozoïtes se différencient en schizontes hépatiques, qui au bout de 2 à 7 jours selon l’espèce, libèrent des milliers de mérozoïtes dans la circulation sanguine. Ces mérozoïtes infectent les globules rouges, également par formation d’une vacuole parasitophore, à l’origine d’une phase de multiplication des parasites dans les globules rouges responsable de la maladie. Certains mérozoïtes se différencient en gamétocytes, qui permettent la poursuite du cycle parasitaire lorsqusont ingérés par un moustique.

Figure 1

Cycle de vie de Plasmodium falciparum.

Cycle de vie de Plasmodium falciparum.

Lors d’une piqûre, un moustique femelle du genre Anopheles injecte des sporozoïtes dans la circulation sanguine de l’hôte. Ces sporozoïtes gagnent le foie en quelques minutes et infectent les hépatocytes, où ils se différencient en schizontes hépatiques. Après 5 à 6 jours de divisions nucléaires, les schizontes matures libèrent dans la circulation sanguine jusqu’à 30000 mérozoïtes. Ces mérozoïtes infectent les globules rouges, où chacun se multiplie pour libérer au bout de 48 heures une trentaine de nouveaux mérozoïtes, qui à leur tour infectent des globules rouges. Ce cycle de multiplication érythrocytaire est responsable de la symptomatologie. Certains mérozoïtes se différencient en formes sexuées, les gamétocytes, qui peuvent être ingérés par un moustique. Dans le moustique, un cycle de multiplication sexuée aboutit en 10 à 14 jours à la formation de sporozoïtes, qui gagnent les glandes salivaires du moustique et peuvent être transmis à un nouvel hôte à l’occasion d’une piqûre.

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Figure 2

Processus d’infection des hépatocytes par les sporozoïtes de Plasmodium.

Processus d’infection des hépatocytes par les sporozoïtes de Plasmodium.

Les sporozoïtes sont séquestrés dans le foie grâce à l’interaction de protéines de surface du parasite (CSP et TRAP) avec les glycosaminoglycanes (GAG) proéminents dans les sinusoïdes hépatiques (1). Après passage dans l’espace de Disse, qui sépare l’endothélium des sinusoïdes des hépatocytes sous-jacents, les sporozoïtes traversent plusieurs cellules par effraction membranaire (2), avant de finalement infecter un hépatocyte par formation d’une vacuole (3). Ce dernier processus est dépendant de l’expression de la tétraspanine CD81 à la surface de l’hépatocyte. Au sein de la vacuole parasitophore, les sporozoïtes se différencient en schizontes hépatiques (4).

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Les sporozoïtes représentent une cible vaccinale potentielle majeure, car le blocage du cycle du parasite avant l’infection hépatique permettrait de prévenir à la fois la symptomatologie et la transmission au moustique, deux étapes réalisées pendant la phase érythrocytaire. De nombreux vaccins sous-unitaires visant à induire la production d’anticorps dirigés contre la CSP ont été testés, mais jusqu’à présent aucun n’a fait la preuve d’une réelle efficacité. Il est désormais évident que d’autres molécules parasitaires sont impliquées lors de la pénétration dans l’hépatocyte, via des interactions de type ligand-récepteur entre le sporozoïte et l’hépatocyte, la nature de ces interactions n’étant pas élucidée à l’heure actuelle.

Nous venons de démontrer l’implication de la tétraspanine CD81 lors de la pénétration des sporozoïtes dans les hépatocytes, ce qui ouvre de nouvelles perspectives pour l’élucidation des mécanismes moléculaires mis en jeu lors d’une infection par Plasmodium [3]. Dans un modèle murin d’infection par Plasmodium yoelii, nous avons en effet montré que les souris déficientes en CD81 (cd81-/-), produites par le laboratoire de Shoshana Levy à Stanford (CA, USA), sont réfractaires à l’infection in vivo par les sporozoïtes. En utilisant une méthode d’infection in vitro des hépatocytes mise au point au laboratoire [4, 5], nous avons observé que les sporozoïtes de P. yoelii n’infectent pas les hépatocytes cd81-/-. De plus, des anticorps anti-CD81 bloquent in vitro la pénétration des sporozoïtes de P. yoelii dans les hépatocytes murins et de P. falciparum dans les hépatocytes humains. CD81 n’est pas impliqué dans la migration des sporozoïtes à travers les cellules mais est en revanche indispensable à la pénétration des parasites par formation d’une vacuole parasitophore, elle-même indispensable à la différenciation des mérozoïtes potentiellement pathogènes. Jusqu’à présent, notamment par l’utilisation de protéines recombinantes, nous n’avons pas pu mettre en évidence d’interaction directe entre CD81 et les sporozoïtes. Sans pouvoir exclure formellement l’existence d’un ligand parasitaire qui ne serait accessible qu’après interaction de la CSP ou de TRAP avec les GAG, ces résultats suggèrent que CD81 ne jouerait pas un rôle de récepteur pour le parasite mais interviendrait de manière indirecte. Bien que leurs fonctions ne soient pas clairement établies, les tétraspanines semblent jouer un rôle d’organisateurs membranaires, par l’intermédiaire de la formation de complexes multimoléculaires constituant le réseau des tétraspanines (tetraspanin web) à la surface des cellules [6]. Le CD81 pourrait ainsi être nécessaire à la formation des vacuoles parasitophores en général. Cependant, on peut rejeter cette hypothèse car les hépatocytes de souris cd81-/- sont sensibles à l’infection par Toxoplasma gondii (parasite du phylum des Apicomplexa), et surtout par Plasmodium berghei, un autre Plasmodium de rongeurs. Ce dernier résultat n’est pas surprenant, car, à la différence de P. yoelii et de P. falciparum, P. berghei peut se développer in vitro dans les cellules de la lignée d’hépatome humain HepG2, lignée qui n’exprime pas CD81. CD81 est donc spécifiquement requis pour l’infection par P. falciparum et P. yoelii. Il est probable que l’infection hépatique par P. vivax, une autre espèce importante en pathologie humaine, ne nécessite pas CD81, puisque P. vivax est capable de se développer dans les cellules HepG2 [7].

CD81 a été décrit comme jouant un rôle de récepteur hépatique pour la glycoprotéine d’enveloppe E2 du virus de l’hépatite C [8]. De manière intéressante, un seul parmi plusieurs anticorps monoclonaux anti-CD81 testés inhibe la pénétration de P. falciparum dans les hépatocytes humains [3], et l’épitope reconnu par cet anticorps contient précisément le site de fixation de E2 sur CD81 [9]. Le fait que CD81 ne semble ni être un récepteur pour le sporozoïte ni contrôler un mécanisme général de formation de vacuole parasitophore, conduit à l’hypothèse selon laquelle cette tétraspanine serait indispensable à l’expression d’un récepteur pour le parasite à la surface des hépatocytes. Un tel récepteur pourrait être une molécule partenaire de CD81 au sein du réseau des tétraspanines. Des molécules partenaires de CD81 ont déjà été identifiées [10], et leur rôle au cours de l’infection par Plasmodium reste à définir. L’identification d’un récepteur hépatocytaire, et surtout de son ligand parasitaire, est d’un intérêt majeur dans la recherche de nouvelles cibles vaccinales ou thérapeutiques pour bloquer précocement l’infection par Plasmodium.