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La plupart des cellules épithéliales présentent une polarité apico-basale évidente. Elles présentent parfois également une polarité dont l’axe est schématiquement orienté perpendiculairement à l’axe apico-basal. Cette seconde polarité, appelée polarité planaire, décrit l’orientation vectorielle d’une cellule épithéliale, ou d’une structure multicellulaire simple, dans le plan d’un épithélium. Ainsi, les poils épidermiques qui couvrent la cuticule des insectes sont tous orientés selon l’axe du corps. Il en est de même des écailles des poissons, des plumes des oiseaux ou des cellules auditives dans l’oreille interne des mammifères. Ces exemples illustrent la grande cohérence de la polarité planaire présentée par chacune des cellules d’un même tissu, d’où le nom de polarité tissulaire, synonyme de polarité planaire. Cette cohérence suggère que les cellules communiquent entre elles pour adopter une même orientation vectorielle dans le plan de l’épithélium et/ou répondent de manière convergente à un signal de polarisation agissant sur l’ensemble du tissu. Ces observations soulèvent plusieurs questions intéressantes. Comment est établie une polarité perpendiculairement à l’axe de polarité apico-basale des cellules épithéliales ? Quels sont les mécanismes moléculaires qui sous-tendent la polarisation planaire des cellules épithéliales ? Comment la direction dans laquelle les cellules s’orientent est-elle déterminée ? Quel est le degré de coordination (ou d’autonomie) de chaque cellule au sein d’un épithélium dans l’adoption d’une orientation planaire ? Plusieurs études récentes menées chez la drosophile permettent d’ébaucher des réponses à ces questions [1, 2].

Polarisation planaire à l’échelle d’une cellule épithéliale

La cuticule de la drosophile est recouverte de fines extensions en forme de poil qui sont sécrétées par les cellules épidermiques qui forment un épithélium monocouche à la surface de l’organisme (Figure 1). Dans l’aile, chaque cellule épidermique sécrète une seule extension, appelée poil épidermique. Cette structure, riche en microfilaments, est formée durant la métamorphose au pôle distal de chacune des cellules de l’aile [3]. Il en résulte que chaque poil épidermique présente une orientation proximo-distale à la surface de l’aile. La polarité planaire de cet épithélium est donc aisément visualisable. Cette propriété a facilité l’identification de mutations affectant la polarité planaire dans ce tissu (Tableau I) [1, 4]. Les mutations inactivant la fonction des gènes frizzled, dishevelled, prickle, strabismus, flamingo ou diego conduisent à la formation du poil épidermique en position centrale à l’apex de chaque cellule épidermique [3] et à la désorganisation de la polarité planaire de l’aile. Ainsi, dans le mutant frizzled, il est possible de distinguer des régions au sein desquelles les poils pointent dans des directions quasi aléatoires et d’autres où les poils pointent de manière convergente dans une direction atypique. L’observation de régions au sein desquelles les poils pointent de manière convergente dans une direction atypique suggère qu’en l’absence d’information de polarisation planaire, les cellules restent capables de coordonner l’orientation de leur cytosquelette dans le plan de l’épithélium. Frizzled code pour un récepteur à sept domaines transmembranaires, déjà connu pour être l’un des récepteurs du ligand extracellulaire de la famille Wnt, Wingless. Cette donnée suggère donc que Frizzled participe à la réception d’un signal de polarisation planaire de nature encore inconnue [5]. L’analyse de mouches génétiquement mosaïques composées de cellules sauvages et de cellules mutantes pour frizzled indique que la mutation frizzled agit de manière non autonome au niveau cellulaire. En effet, les cellules sauvages localisées en position distale par rapport au clone de cellules homozygotes mutantes pour frizzled présentent une polarité planaire altérée (et donc un phénotype mutant). Cet effet non autonome est directionnel car les cellules sauvages localisées en position proximale par rapport au clone de cellules mutantes ont une polarité planaire intacte. Cet effet est donc qualifié de non-autonomie distale [5, 6]. La non-autonomie distale de frizzled suggère donc que frizzled participe à la transmission d’un signal qui se propagerait des cellules proximales vers les cellules distales. Cette observation suggère en outre que les poils épidermiques sont orientés vers les cellules possédant un niveau plus faible de Frizzled. Cette hypothèse a été testée en surexprimant le gène frizzled dans la partie distale de l’aile. Il en a résulté une inversion de la polarité des poils qui, au lieu de pointer vers la partie distale de l’aile, ont poussé vers la partie proximale de l’aile qui, dans cette situation expérimentale, exprimait un niveau plus faible de frizzled [7].

Figure 1

Polarité planaire dans l’aile de drosophile.

Polarité planaire dans l’aile de drosophile.

Les cellules épidermiques hexagonales de l’aile présentent une polarité planaire orientée selon l’axe proximo-distal. Chaque cellule synthétise à son pôle distal un poil orienté vers l’extrémité distale de l’aile. La distribution polarisée des protéines Strabismus et Prickle (pôle proximal, rouge) et celle des protéines Frizzled et Dishevelled (pôle distal, en bleu) définissent deux domaines corticaux opposés.

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Tableau I

Gènes de polarité planaire chez la drosophile.

Gènes de polarité planaire chez la drosophile.

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La formation au pôle distal de la structure apicale qui donnera naissance au poil épidermique indique que cette région du cortex apical a des propriétés particulières. En particulier, les protéines Frizzled et Dishevelled sont localisées de manière prédominante au pôle distal du cortex apical (Figure 1, Tableau I) [8-10]. Inversement, les protéines Prickle et Strabismus sont exclues de ce domaine cortical distal et sont préférentiellement accumulées au pôle proximal du cortex apical [11, 12]. Enfin, les protéines Flamingo et Diego présentent un enrichissement aux deux pôles [13, 14]. La localisation polarisée de ces protéines est observée aux stades durant lesquels les poils épidermiques sont formés et l’activité des gènes de polarité planaire est requise. Par ailleurs, la localisation asymétrique de chacune de ces protéines dépend de l’activité des autres gènes de polarité planaire. Ces données indiquent que la formation de domaines opposés au niveau du cortex apical des cellules épithéliales sous-tend la mise en place d’une polarité planaire.

Comment ces gènes contrôlent-ils la formation des poils au pôle distal des cellules épidermiques ? Le site cortical à partir duquel le poil est formé présente une forte accumulation de microfilaments d’actine. Il est donc probable que Frizzled et Dishevelled règlent l’activité et/ou la localisation de régulateurs positifs du cytosquelette d’actine. Dans de très nombreuses situations expérimentales, les petites GTPases de la famille Rho/Rac/Cdc42 jouent un rôle essentiel dans la régulation du cytosquelette d’actine. Trois études récentes indiquent que Dishevelled interagit avec une GTPase de la famille Rho via la protéine Daam1 [15], et que RhoA et un effecteur de RhoA, la Rho-associated kinase de drosophile, sont requis en aval de Frizzled et Dishevelled pour restreindre la formation du poil à un seul site apical [16, 17]. La principale cible de cette kinase lors de la polarisation planaire de l’aile semble être la chaîne régulatrice légère de la myosine (MRLC) [17]. Ces données suggèrent un modèle moléculaire simple de régulation spatiale du cytosquelette d’actine qui découle de l’activation localisée de Frizzled.

Coordination de la polarisation planaire à l’échelle d’un tissu

La localisation asymétrique des produits des gènes de polarité planaire soulève deux questions importantes.

  1. Quel mécanisme permet de définir deux domaines corticaux opposés l’un à l’autre au niveau du cortex apical de chaque cellule épithéliale ? Cette question importante n’est pas encore résolue. Des modèles simples basés sur les propriétés d’auto-assemblage et/ou d’exclusion réciproque de ces molécules permettent de rendre compte de la distribution unipolaire de complexes protéiques au niveau du cortex des cellules [18].

  2. Quelle est l’information de position qui détermine les positions proximale et distale de ces deux domaines corticaux dans les cellules épithéliales de l’aile ? Deux hypothèses générales ont été formulées pour rendre compte de l’établissement de la polarité planaire à l’échelle d’un tissu. La première hypothèse suggère qu’il existe un gradient de concentration d’une molécule X (de nature inconnue) et que les cellules interprètent la différence de concentration de « X » aux deux pôles de la cellule. L’interprétation de cette différence est supposée être indépendante de la valeur, faible ou élevée, de la concentration de « X ». Cette propriété est importante, car elle conditionne l’interprétation correcte de l’information de polarité planaire par les cellules proches de la source de « X » (pour lesquelles la concentration en « X » est élevée) aussi bien que par les cellules qui en sont éloignées (pour lesquelles la concentration en « X » est très faible). Une seconde hypothèse suggère que la polarité planaire se propage de cellules en cellules à partir d’un centre organisateur de la polarité, l’organisation du cortex d’une cellule donnée induisant ou contraignant l’organisation des cellules voisines. Ces deux modèles ne sont pas exclusifs. Aucune molécule « X » ni aucun centre organisateur de la polarité n’ont à ce jour été clairement identifiés. Toutefois, des travaux récents ont permis d’identifier un groupe de molécules importantes pour l’organisation de la polarité planaire à l’échelle d’un tissu entier, l’oeil de drosophile. Ces travaux apportent donc un éclairage moléculaire sur ces deux modèles.

Polarité planaire de l’oeil de drosophile

L’oeil à facettes (ou ommatidies) de la drosophile présente une polarité planaire qui est reflétée par l’arrangement en miroir, de part et autre de l’équateur qui sépare les parties ventrales et dorsales de l’oeil, de deux formes chirales[1] d’ommatidies (Figure 2A) [19]. La base cellulaire de cette disposition en miroir des facettes est bien comprise. Le développement de l’oeil la drosophile se fait par passage (du postérieur vers l’antérieur) d’un sillon morphogénétique qui déclenche la différenciation des ommatidies par recrutement successif. Au cours du développement larvaire, de petits groupes de cellules différenciées photoréceptrices, d’abord symétriques et orientés de manière identique, apparaissent au sein du disque imaginal d’oeil qui, à ce stade, forme un épithélium monocouche. Chacun de ces groupes de cellules subit un mouvement coordonné de rotation de 90°, dans le sens des aiguilles d’une montre si la future facette est localisée dans la partie dorsale du disque, ou dans le sens inverse des aiguilles d’une montre si elle se trouve en position ventrale (Figure 2A). La polarité planaire de l’oeil est donc le résultat d’un mouvement de rotation des facettes au cours du développement larvaire. Le sens de rotation des facettes dépend de la position, dorsale ou ventrale, de la cellule appelée R3. Après rotation, cette cellule occupe la pointe du trapèze formé par les photorécepteurs. La cellule R3 est choisie parmi les deux cellules antérieures de l’ommatidie, avant la rotation. Ces deux cellules antérieures sont équipotentes et peuvent adopter l’identité R3 ou R4. La décision cellulaire R3/R4 dépend de l’activation différentielle du récepteur Notch. En situation sauvage, un niveau élevé d’activation de Notch est observé dans la cellule polaire (la plus éloignée de l’équateur). Cette cellule polaire adopte en conséquence l’identité R4. Inversement, un niveau plus faible d’activation de Notch est observée dans la cellule équatoriale (la plus proche de l’équateur), qui exprime un niveau élevé de Delta, le ligand de Notch. Cette cellule équatoriale adopte en conséquence l’identité R3.

Figure 2

Polarité planaire de l’oeil de drosophile.

Polarité planaire de l’oeil de drosophile.

A. L’oeil de la drosophile présente une polarité planaire qui résulte de la symétrie en miroir, de part et d’autre de l’équateur, de l’arrangement des deux formes chirales d’ommatidies (facettes de l’oeil). Cette symétrie en miroir résulte de la rotation de 90° des ommatidies. Chaque ommatidie subit un mouvement coordonné de rotation, dans le sens des aiguilles d’une montre si la future facette est localisée dans la partie dorsale du disque, ou dans le sens inverse des aiguilles d’une montre si elle se trouve en position ventrale. Le sens de rotation est imposée par la position de la cellule R3 (en bleu), qui est localisée au sommet du trapèze après rotation. Chez une mouche sauvage, avant la rotation à 90°, la cellule R3 (en bleu) est toujours en position équatoriale par rapport à R4 (en rouge) : elle est ventrale dans la partie dorsale de l’oeil, et dorsale dans la partie ventrale de l’oeil. B. Les molécules Dachsous (Ds) et Four-jointed (Fj) forment un gradient d’activité selon l’axe pôle-équateur. L’expression en gradient de Fj serait sous le contrôle du gradient de concentration de Wingless (Wg) qui agirait avec un pic de concentration décroissant des pôles vers l’équateur. C. Représentation schématique des niveaux d’activité relatifs de Fj, Ds, Fat (Ft), Frizzled (Fz) et Notch (N) dans les cellules équatoriales (bleu) et polaires (rouge). Un niveau élevé d’activité est figuré en gras et en couleur (rouge ou bleu). Les flèches indiquent le sens de la régulation telle qu’il a pu être établi génétiquement. Par exemple, un niveau élevé de Fj dans la cellule équatoriale (Fj en bleu) conduit à un niveau faible d’activité Ds dans cette même cellule (Ds en noir). Inversement, un niveau faible de Fj dans la cellule équatoriale (Fj en noir) conduit à un niveau élevé d’activité Ds dans cette même cellule (Ds en rouge). Fj pourrait soit inhiber « en cis » Ds dans la cellule équatoriale, soit activer « en trans » Ds dans la cellule polaire. Ainsi, un niveau élevé d’activité Fj au pôle conduit à une inactivation de N dans la cellule polaire, qui adopte donc l’identité R3 (en bleu).

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Les gènes de polarité planaire décrits précédemment contrôlent la détermination des cellules R3 et R4, la rotation des facettes et la polarité planaire de l’oeil (le gène strabismus tire ainsi son nom de ce défaut de polarité planaire). En contexte mutant pour frizzled, par exemple, la décision R3/R4 n’est plus orientée dans l’espace par rapport à la ligne médiane de l’oeil. Il en résulte que chaque ommatidie adopte de manière aléatoire l’une ou l’autre des deux formes chirales sans tenir compte de sa position dorsale ou ventrale dans l’oeil. L’analyse de mouches génétiquement mosaïques composées de cellules sauvages et de cellules mutantes pour frizzled indique qu’un niveau élevé d’activité frizzled est requis dans la cellule équatoriale. Dans cette cellule, Frizzled inhiberait Notch. Cette inhibition pourrait être relayée par Dishevelled car Dishevelled se lie à la partie intracellulaire de Notch et interfère avec l’activité de signalisation du récepteur Notch. Ainsi, une différence faible et relative d’activité Frizzled introduirait un biais spatial dans la décision R3/R4 [20-22]. Inversement, Strabismus et Prickle agiraient dans la cellule polaire pour stimuler l’activité de signalisation de Notch [21]. Les données de localisation subcellulaire des différentes protéines de polarité planaire sont en accord avec ces données génétiques. Les protéines Frizzled et Dishevelled sont accumulées dans la cellule R3 à l’interface avec la cellule R4, tandis que Prickle et Strabismus sont préférentiellement accumulées dans la cellule R4 [12, 21]. La répartition asymétrique de ces protéines à l’interface des cellules R3/R4 est formellement similaire à l’asymétrie observée dans les cellules épidermiques de l’aile (Figure 1). Ces données suggèrent fortement que la formation de domaines corticaux distincts dans le plan de la cellule sous-tend l’établissement d’une polarité planaire de l’oeil.

Quelle est la nature de l’information de position qui contrôle la polarité planaire à l’échelle du tissu ? Récemment, l’analyse de la fonction des gènes fat, dachsous et four-jointed(Tableau I) indique que ces gènes donnent une information de polarité planaire globale dans le tissu le long de l’axe équateur-pôle [23]. Le gène four-jointed code pour une protéine sécrétée exprimée en gradient de l’équateur vers le pôle [24] (Figure 2B). Les gènes fat et dachsous codent pour des protéines de la superfamille des cadhérines. Alors que Fat est distribuée de manière uniforme, la protéine Dachsous présente une distribution en gradient complémentaire du profil d’expression du gène four-jointed. L’expression en gradient de dachsous et four-jointed serait sous le contrôle du gradient de concentration de Wingless qui agirait ici comme un morphogène avec un pic de concentration allant décroissant des pôles vers l’équateur. Le gradient d’expression de dachsous résulterait d’une régulation positive par Wingless tandis que le gradient de four-jointed résulterait de l’inhibition de l’autorégulation du gène four-jointed par Dachsous [23, 24]. L’analyse de mouches génétiquement mosaïques composées de cellules sauvages et de cellules mutantes indique que ces trois gènes contrôlent la polarité planaire de l’oeil [23-25] et suggère un modèle dans lequel Four-jointed inhibe Dachsous, Dachsous inhibe Fat, et Fat active Frizzled (Figure 2C) [23]. Ainsi, un gradient d’activité Four-jointed/Dachsous/Fat à l’échelle du tissu serait interprété localement au niveau de chaque cellule par Frizzled. Enfin, ces travaux suggèrent que les produits des gènes four-jointed et dachsous possèdent certaines des propriétés de la molécule « X » discutée ci-dessus.

Polarité planaire dans l’aile et l’abdomen chez la drosophile

L’étude récente de la fonction des gènes fat, dachsous et four-jointed dans l’aile et dans l’abdomen montre que l’orientation globale de la polarité planaire des cellules épidermiques est déterminée par la pente des gradients d’expression des gènes dachsous et four-jointed [26, 27] (Figure 3). Les gènes fat, dachsous et four-jointed constituent ainsi une cassette fonctionnelle susceptible d’agir en aval de différents morphogènes pour établir et orienter une polarité planaire au niveau de tout un tissu en réglant l’activité d’une seconde cassette de gènes, formée des gènes frizzled, dishevelled, prickle, strabismus, flamingo ou diego, qui sont eux responsables de la mise en place d’une asymétrie planaire au sein de chaque cellule épithéliale.

Figure 3

La pente du gradient de Four-jointed (Fj) détermine l’orientation des poils épidermiques.

La pente du gradient de Four-jointed (Fj) détermine l’orientation des poils épidermiques.

A. Fj est exprimé en gradient selon l’axe antéro-postérieur au sein de chaque segment abdominal. Les cellules épidermales de l’abdomen sécrètent plusieurs poils orientés vers le pôle postérieur (un seul est représenté ici par souci de simplicité). Dans le cas représenté ici, ce poil pointe vers un niveau élevé de Fj (en rose) au pôle postérieur. B. Les cellules mutantes et sauvages localisées à l’extrémité antérieure des clones de cellules mutantes pour fj présentent une inversion de polarité. La réorientation de ces cellules est indépendante de leur génotype. En revanche, cette réorientation reflète la pente prédite du gradient résultant de la présence du clone (en rose). En effet, la présence de cellules mutantes pour fj doit modifier le gradient de Fj, provoquant ainsi une inversion locale de la pente du gradient. C. Les cellules surexprimant Fj (cerclées de rouge ; notées Fj high) ainsi que les cellules sauvages localisées à l’extrémité postérieure des clones de cellules exprimant fj présentent une inversion de polarité. Cette réorientation peut être corrélée avec la pente prédite du gradient résultant de la surexpression de Fj (en rose).

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Polarité planaire chez les vertébrés

Un enjeu important est de déterminer dans quelle mesure le modèle de polarisation planaire proposé chez la drosophile est transposable aux vertébrés et à l’homme. Des homologues des gènes frizzled, dishevelled, prickle, strabismus, flamingo ou diego ont été récemment identifiés chez les vertébrés, et des travaux récents indiquent que ces gènes pourraient agir de manière concertée pour contrôler différents mouvements cellulaires au cours de la gastrulation et de la fermeture du tube neural [15, 28-35]. Toutefois, les similitudes pouvant exister entre la polarité planaire des cellules épithéliales et la régulation de ces mouvements cellulaires ne sont pas claires. En revanche, deux études récentes montrent que des homologues de strabismus et flamingo règlent la polarité planaire dans l’oreille interne chez la souris. Chez une souris sauvage, chaque cellule auditive de l’oreille interne présente à sa surface apicale un faisceau de villosités orienté de manière stéréotypée dans le plan du tissu. Dans les souris Loop-tail et crash, mutantes respectivement pour un homologue de strabismus et de flamingo, ces faisceaux se forment mais leur orientation relative est perturbée (Figure 4) [36, 37]. Ces défauts sont formellement identiques à ceux décrits pour les mutants de polarité planaire chez la drosophile. Les gènes qui contrôlent la polarité planaire chez la drosophile pourraient donc avoir la même fonction chez les mammifères. Il sera intéressant de déterminer si les produits de ces gènes sont également localisés de manière polarisée dans le plan du tissu dans ces cellules épithéliales.

Figure 4

La mutation Loop-tail affecte la polarité planaire des cellules de l’oreille interne chez la souris.

La mutation Loop-tail affecte la polarité planaire des cellules de l’oreille interne chez la souris.

Images de surface des cellules de l’oreille interne chez une souris sauvage (en haut) ou homozygote pour la mutation Loop-tail (en bas) montrant les défauts d’orientation planaire des faisceaux de villosités présents à la surface apicale des cellules de l’oreille interne. L’orientation de chacun de ces faisceaux est figurée schématiquement par une flèche de couleur bleue (orientation correcte) ou rouge (orientation inversée) à droite des photographies. La mutation Loop-tail touche un homologue du gène strabismus de drosophile. Chez ces souris mutantes, les faisceaux se forment, mais leur orientation planaire est perturbée.

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Conclusions et perspectives

L’analyse génétique de la polarité planaire chez la drosophile a permis d’identifier et de disséquer les mécanismes moléculaires qui sous-tendent la polarisation des cellules épithéliales dans le plan du tissu. Les données préliminaires obtenues chez les vertébrés confortent l’idée que ces mécanismes ont été conservés au cours de l’évolution et que le mécanisme de polarisation planaire caractérisé chez la drosophile est impliqué dans la polarisation planaire de certains épithéliums chez les mammifères. Plusieurs questions importantes restent à résoudre. Il serait par exemple utile de comprendre comment Four-jointed inhibe Dachsous, comment Dachsous inhibe Fat, et comment Fat active Frizzled. De même, il semble important de comprendre comment est contrôlée la localisation asymétrique des protéines Frizzled, Dishevelled, Prickle et Strabismus, et de déterminer les cibles moléculaires de Frizzled, Dishevelled, Prickle et Strabismus qui sont impliquées dans la réalisation de la polarité planaire. Enfin, il reste à déterminer le degré de polarisation planaire des différents épithéliums chez l’homme et à évaluer le rôle physiologique de cette polarisation pour la biologie de ces épithéliums.