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Guerre des sexes chez une fourmi : reproduction clonale des mâles et des reinesBattle of the sexes with clonal reproduction by males and females in an ant species[Notice]

  • Arnaud Estoup et
  • Denis Fournier

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  • Arnaud Estoup
    INRA, Centre de Biologie et de Gestion des Populations,
    Campus International de Baillarguet,
    34988 Montferrier/Lez, France.
    estoup@ensam.inra.fr

  • Denis Fournier
    INRA, Centre de Biologie et de Gestion des Populations,
    Campus International de Baillarguet,
    34988 Montferrier/Lez, France.
    Adresse actuelle :
    Behavioral and Evolutionary Ecology,
    CP 160/12, Université Libre de Bruxelles,
    Belgique.
    Denis.Fournier@ulb.ac.be

La reproduction sexuée est indispensable à la survie de nombreuses espèces végétales et animales et représente le mode de reproduction le plus répandu dans le monde du vivant. Elle est néanmoins la source de conflits évolutifs majeurs tant entre sexes qu’au sein des génomes. Une étude à laquelle ont participé des chercheurs de l’INRA, du CNRS, de l’IRD, et de l’Université de Lausanne, a mis en évidence chez une espèce de fourmi, Wasmannia auropunctata, un système de reproduction unique. Les reines sont des clones de leur mère, les mâles sont des clones de leur père et seules les ouvrières, stériles, sont issues d’une reproduction sexuée entre reines et mâles. Dans ce système de reproduction, la transmission des gènes d’une génération à l’autre semble avoir été optimisée au prix d’une étonnante guerre des sexes entre reines et mâles. La petite fourmi de feu Wasmannia auropunctata est originaire des forêts d’Amérique centrale et du Sud (Figure 1). Introduite par l’homme, elle a envahi la ceinture tropicale, aux Antilles, en Afrique et dans les milieux insulaires du Pacifique [1]. Son invasion parmi les autres espèces locales représente une menace pour la biodiversité. C’est pour étudier les facteurs évolutifs à l’origine de ce succès invasif que nous avons analysé à l’aide de marqueurs génétiques hypervariables (c’est-à-dire des microsatellites [2]) les structures populationnelles et reproductives de cette espèce. Chez les fourmis, comme chez tous les hyménoptères sociaux, les reines pondent deux types d’oeufs : des oeufs haploïdes, non fécondés, qui ne contiennent par conséquent que le patrimoine génétique de la mère, et des oeufs fécondés, diploïdes, qui contiennent pour moitié le patrimoine génétique de la mère et pour l’autre le patrimoine génétique du père (Figure 2). Les oeufs haploïdes donneront naissance à des mâles, alors que les oeufs diploïdes conduiront soit à la production de reines qui assureront la reproduction, soit à la production d’ouvrières, souvent stériles, qui assureront les soins aux jeunes. Le passage vers la voie royale ou vers la voie ouvrière est piloté par des gènes qui sont eux-mêmes sous l’influence de l’environnement. De par ce déterminisme haplo-diploïde du sexe, les mâles n’ont pas de père et leur unique moyen pour transmettre leurs gènes à la génération suivante implique la production de femelles reproductrices via la reproduction sexuée (Figure 2). Nos recherches menées sur le mode de reproduction de W. auropunctata ont mis en lumière un système de reproduction particulier et unique : les mâles ont un père mais pas de mère, et les reines ont une mère mais de père. Le détail de ces résultats a été récemment publié dans la revue Nature [3]. Des fourmis issues de 34 nids répartis dans 5 sites en Guyane ont été collectées et génotypées à 11 locus microsatellites. L’analyse génétique de 142 reines a montré que leurs génomes étaient toujours identiques au sein d’un nid, et pour 3 sites sur les 5 étudiés. Ces résultats révèlent que les reines sont issues d’une reproduction clonale par parthénogenèse améiotique, c’est-à-dire sans ou avec de très rares événements de recombinaison (Figure 2). Un système de reproduction clonale des reines a récemment été décrit chez une autre espèce de fourmi, Cataglyphis cursor [4], mais, chez cette espèce, l’occurrence de nombreux cas de recombinaison indique un mécanisme de type parthénogenèse automictique [4]. Les génotypes des ouvrières comporte à chaque locus analysé un des deux allèles portés par les reines, mais également un allèle nouveau. En disséquant la spermathèque des reines (réceptacle où sont stockés les spermatozoïdes après que la reine a été inséminée) et en génotypant son contenu spermatique, on s’aperçoit que ce nouvel …

Parties annexes