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La matrilysine 1 (MMP7) a été identifiée à l’origine dans l’utérus de rat in vivo [1] et dans le milieu de culture de la lignée de carcinome rectal humain CaR-1 [2]. Elle fait partie de la famille des métalloprotéases, enzymes protéolytiques formées de cinq domaines de base : un prédomaine ou séquence signal, un prodomaine ou domaine de latence, un domaine catalytique lié au zinc, une région charnière et un domaine dont la séquence est homologue à celle de l’hémopexine, une protéine plasmatique, et la vitronectine, une protéine d’adhérence. La MMP7 ne présente que les trois premiers domaines, requis pour la sécrétion et l’activité. Cette structure particulière pourrait soit résulter de son évolution à partir de structures ancestrales, soit représenter une forme primitive des métalloprotéases qui se constitueraient alors par ajout d’exons.

Rôles de MMP7 dans la carcinogenèse

Présente dans certains tissus normaux à caractère glandulaire exocrine comme la glande mammaire, la prostate, le pancréas, le foie ou la glande parotide, elle intervient dans la réparation tissulaire et la différenciation osseuse, mais est surtout remarquable pour sa présence ubiquitaire dans divers cancers, notamment digestifs. Son expression, qui est retrouvée dans l’adénome comme dans le carcinome du côlon, concerne aussi l’estomac et les voies aérodigestives supérieures. Elle est impliquée dans la formation des tumeurs et dans la dégradation tissulaire consécutive à l’extravasation des cellules tumorales. Contrairement aux autres métalloprotéases, principalement d’origine stromale [3], elle est synthétisée et exportée par les cellules épithéliales. Si son ARNm est observé dans les tumeurs dès le stade de l’adénome avec dysplasie sévère, son niveau d’expression reste inférieur à ce qu’il est dans les cancers. Des souris Min (multiple intestinal neoplasia), dont 88 % des adénomes expriment l’ARNm de la MMP7, montrent une diminution de 60 % des adénomes, en nombre comme en volume, quand elles sont rendues déficientes pour le gène codant pour la MMP7 par recombinaison homologue, en corrélation avec une diminution drastique de la protéine [4]. L’action de la MMP7 s’expliquerait, dans ce cas précis, par le fait que la protéine étant détectée à la face luminale des glandes adénomateuses, elle activerait des cytokines liées aux membranes ou des facteurs de croissance, contribuant ainsi au développement des tumeurs bénignes.

MMP7 et invasion

Le rôle de la MMP7 a principalement été étudié dans le cadre plus général du processus invasif, comme le soulignent les exemples suivants. En cas de rectocolite ulcéreuse, les cellules épithéliales jouxtant l’ulcération expriment nettement la MMP7, de façon focale ou diffuse en fonction du niveau de la dysplasie [5], et avec une augmentation en relation avec la sévérité de l’inflammation, ce qui pourrait conférer un caractère prédictif de transformation chez les patients souffrant de cette maladie [6].

Par ailleurs, il a été montré que la surexpression de la MMP7 par une lignée de cancer de la prostate normalement peu invasive multipliait par 6 son invasivité, suggérant un rôle fonctionnel de la protéase au stade initial de l’invasion [3]. Dans le cancer gastrique, le niveau d’expression est 5 à 40 fois supérieur à celui des MMP1, 2, 3 et 9, toutes impliquées dans la progression tumorale [7]. Dans une étude sur l’oesophage de Barrett, les auteurs ont montré que la MMP7 était exprimée en abondance dans 12 tumeurs primitives sur 15, ainsi que dans 4 métastases ganglionnaires sur 6 [8]. Principale métalloprotéase détectée avec la MMP9 [9], elle est exprimée non seulement au niveau du front d’invasion, mais par l’ensemble de la tumeur. Son ARNm est détecté dès le stade métaplasie, ce qui montre une régulation précoce au cours du phénomène de l’oncogenèse. Localisée à l’interface de la tumeur avec le stroma dans environ un cas sur deux, son expression est significativement (p=0,004) corrélée avec la profondeur de l’invasion, mais aussi avec l’envahissement ganglionnaire [8], le stade d’avancement et la récidive dans la première année qui suit le traitement chirurgical. Son identification se révèle alors utile au pronostic et à la prédiction des rechutes [10]. Dans les tumeurs colorectales, le taux d’ARNm de la MMP7 augmente avec le stade d’avancement, montrant une expression particulièrement forte dans les métastases hépatiques [11]. La présence de MMP7 est également significativement corrélée avec l’invasion des voies lymphatiques et l’existence de métastases ganglionnaires. Sa localisation au front de la tumeur prédit un pronostic défavorable, les cellules pouvant alors exercer leur action protéolytique sur les molécules matricielles directement à leur contact, à l’interface de la tumeur et du stroma [12]. Par ailleurs, la MMP7 induit une agrégation des cellules tumorales en s’accrochant à leur surface, formant alors des colonies cellulaires qui vont s’implanter dans les sites métastatiques [13]. La polarisation de la MMP7 se retrouve dans les systèmes in vitro : nous avons ainsi montré une concentration de la protéase à l’extrémité des lamellipodes des cellules cancéreuses coliques humaines Isreco-1 [14] (Figure 1). Ce résultat rappelle ce qui est observé dans des cultures de cellules gastriques infectées par Helicobacter pylori, qui montrent une augmentation de l’expression de la MMP7 au front de migration des colonies cellulaires, préférentiellement au niveau des lamellipodes, ainsi qu’une vitesse d’étalement accrue par rapport à celle des cellules non infectées, ce phénomène étant inhibé par des antisens de la MMP7 [15]. Ces observations mettent clairement en évidence le lien existant entre la propension des cellules tumorales à produire des expansions cytoplasmiques et une régulation positive de la MMP7.

Figure 1

Concentration de la MMP7 (matrix metalloproteinase 7) à l’extrémité d’un lamellipode de cellule de carcinome de côlon humain Isreco-1 en culture.

Concentration de la MMP7 (matrix metalloproteinase 7) à l’extrémité d’un lamellipode de cellule de carcinome de côlon humain Isreco-1 en culture.

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MMP7 et angiogenèse

Au-delà de l’invasion localisée, le support de la dissémination métastatique repose sur l’angiogenèse tumorale, phénomène dans lequel la MMP7 joue un rôle très important. Les cellules endothéliales des vaisseaux adjacents aux tumeurs exprimant la MMP7 l’expriment elles-mêmes, ainsi que son ARNm, à la différence des cellules endothéliales adjacentes à des tumeurs ne l’exprimant pas. Les cellules endothéliales et tumorales seraient donc régulées de façon paracrine par des facteurs solubles communs, favorisant l’angiogenèse tumorale et donc l’envahissement métastatique [16]. Des travaux plus récents du même groupe ont montré que la culture de cellules endothéliales de veine ombilicale humaine (HUVEC) sur du collagène I ou IV en présence de MMP7 recombinante provoque une prolifération dose-dépendante de ces cellules [17]. La MMP7 ne faisant pas croître le taux de VEGF (vascular endothelial growth factor), on peut supposer que son action sur l’angiogenèse est directe, sans toutefois exclure une possible prolifération des HUVEC sous l’action d’autres métalloprotéases (MMP1, 2 et 9), dont les formes latentes sont activées par la MMP7 recombinante. À ce jour, le mécanisme demeure inconnu. D’un autre côté, la MMP7 produit in vivo de l’angiostatine à partir du plasminogène circulant, inhibant ainsi la prolifération des cellules endothéliales, et ce sous le contrôle de l’intégrine α1β1. En effet, des souris invalidées α1β1 null montrent une nette augmentation de la synthèse d’angiostatine [18]. L’effet de la MMP7 sur l’angiogenèse est donc complexe : si elle fait proliférer les vaisseaux in vitro, son effet peut être opposé in vivo, lorsque la possibilité d’accroître la synthèse d’angiostatine lui est donnée.

MMP7 et apoptose

Les cellules exprimant la MMP7 sont moins sensibles que les autres à l’apoptose. L’expression de la protéase à des stades très précoces de la transformation tumorale permettrait une sélection de cellules ayant une sensibilité très réduite à la destruction par le système de surveillance immunitaire, avec la possibilité d’acquérir des modifications génétiques additionnelles leur permettant de proliférer en tumeurs [19].

Cibles de la MMP7

Comme toute protéase, la MMP7 exerce sur ses cibles des actions généralement dépendantes de facteurs externes. Sa participation à la progression tumorale revêt deux aspects essentiels : une action directe sur les systèmes d’adhérence de la tumeur, aussi bien au niveau intercellulaire qu’à l’interface avec le stroma (dans ce dernier cas, elle clive les composants matriciels et certains récepteurs à l’origine de l’adhérence des cellules sur ces composants), et une action indirecte, en modulant l’action d’autres protéases.

Ces actions sont influencées par des facteurs externes, dont certains sont essentiels puisque la MMP7, synthétisée sous une forme immature (28 kDa), ne peut agir que sous sa forme activée (19 kDa). D’autres, plus optionnels, accélèrent ou freinent sa production. La description des cibles moléculaires de la MMP7 et des facteurs régulant son action permet de la positionner dans la nébuleuse protéolytique de la maladie cancéreuse (Figure 2).

Figure 2

La MMP7 (matrix metalloproteinase 7) et ses interactions.

La MMP7 (matrix metalloproteinase 7) et ses interactions.

MMP : matrix metalloproteinase ; APMA : 4-aminophenylmercuric-acetate ; TM4SF : transmembrane 4 superfamily.

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Dégradation de la matrice extracellulaire

L’un des mécanismes les plus précoces conduisant à l’invasion dans les carcinomes est la perte des contacts intercellulaires. La MMP7 clive la E-cadhérine [20], principale molécule responsable de l’adhérence intercellulaire, au niveau de son ectodomaine, isolant un fragment soluble de 80 kDa. Ce clivage provoque la dissociation des cellules en culture et inhibe de façon paracrine l’agrégation cellulaire et l’invasion du collagène I. Au cours de la réparation tissulaire, le clivage de l’ectodomaine de la E-cadhérine par la MMP7 favorise la migration des cellules engagées dans un processus de cicatrisation [21]. Au niveau stromal, les principales cibles de la MMP7 sont les différents composants de la matrice extracellulaire et de la membrane basale des épithéliums et des endothéliums. Elle dégrade notamment la fibronectine, le collagène de type IV, la laminine, l’élastine, l’entactine, la ténascine C, la vitronectine et les protéoglycanes [22]. D’une efficacité remarquable, elle clive l’entactine, protéine liant la laminine au collagène IV, 600 fois plus rapidement que ne le ferait la MMP9. Elle clive également certains récepteurs intégrines liant les cellules épithéliales aux composants matriciels. Ayant observé dans le carcinome prostatique une forte expression de la MMP7 corrélée à une absence de la sous-unité d’intégrine β4, des auteurs ont montré in vitro que la sous-unité β4 était clivée, isolant un fragment de 90 kDa [23]. Cela n’est pas sans conséquence sur l’adhérence des cellules à certains composants de la membrane basale, notamment à la laminine 5. Ces interactions de la MMP7 avec les divers composants matriciels ont un effet promoteur sur la migration. Ainsi, une colocalisation de la MMP7 avec la chaîne γ2 de la laminine 5 au front de tumeurs coliques a été observée [12]. Cela ne préjuge toutefois pas d’un clivage de la laminine 5 à ce niveau : en effet, des travaux en cours au sein de notre équipe tendent à montrer qu’un tel clivage concernerait plutôt la chaîne β3 dont l’association en dimère avec γ2 pourrait alors expliquer les observations précédentes.

Activation d’autres systèmes protéolytiques

En plus de ses effets directs sur la dégradation de la matrice extracellulaire, la MMP7 active la pro-MMP2, produite par 81 % des adénocarcinomes de l’oesophage, et potentialise fortement l’action de l’APMA (4-aminophenylmercuric-acetate) dans ce processus, en quintuplant le niveau d’activité de la MMP2 obtenu avec l’APMA seul [24]. Elle active également les pro-MMP1 et 9 [17].

Régulation de la MMP7

L’expression de la MMP7 dépend de l’environnement tumoral. Ainsi, la culture de cellules d’adénocarcinome squameux de la langue en présence de fibroblastes de prépuce multiplie par 40 le taux de pro-MMP7 exprimé par les cellules cultivées seules. L’induction de pro-MMP7 est due aux interactions intercellulaires, avec mise en jeu des N- et E-cadhérines, ainsi qu’aux interactions entre les cellules et la matrice extracellulaire par le biais des intégrines. Le fait de neutraliser ces deux facteurs ramène la pro-MMP7 à son niveau basal, tandis qu’en neutraliser un seul réduit partiellement l’expression de la MMP7 mature dans la coculture [22].

Activation

Au cours des stades précoces de la tumorigenèse colorectale, la MMP7 est régulée positivement via la voie de signalisation de la β-caténine [25]. La mutation du gène APC (adenomatous polyposis coli), dont la conséquence est une surexpression du complexe β-caténine/TCF4, facteur de transcription pour les gènes promoteurs de la protéase, entraîne une augmentation de l’expression de la MMP7 dans 80 % des cancers [26]. Cette surexpression est particulièrement marquée au front d’invasion des tumeurs où les cellules expriment fortement la β-caténine dans leur noyau et la MMP7 dans leur cytoplasme [27]. Par ailleurs, l’oncoprotéine c-jun, composant du facteur de transcription AP-1 (activating protein 1), est elle-même un activateur fort de la transcription de la MMP7 [28], tout comme le facteur de transcription Ets-1, notamment dans le carcinome hépatocellulaire [29]. Les facteurs de croissance ont également une action importante sur l’expression de la pro-matrilysine : c’est le cas du FGF-1 (fibroblast growth factor1), dont la signalisation passe par la ERK/MAP-kinase (extracellular signal-regulated kinase/mitogen-activated protein kinase) et le facteur de transcription STAT3 (signal transducer and activator of transcription3) [30], et de l’EGF (epidermal growth factor), dont la signalisation passe par le facteur de transcription PEA3 (polyoma enhancer activator 3) [31]. L’action de la MMP7 ne peut se faire que sous sa forme mature. Différents activateurs de la pro-MMP7 (28 kDa) ont été répertoriés : l’APMA permet l’obtention d’une forme intermédiaire de 21 kDa et d’une forme active de 19 kDa. La trypsine active également entièrement la pro-MMP7 [32], tandis que la plasmine et l’élastase leucocytaire ne l’activent que partiellement [33]. Par ailleurs, le TM4SF (transmembrane 4 superfamily) capture la pro-MMP7 sur la surface des cellules carcinomateuses, où elle s’attache via des heparan sulfate proteoglycans [34] et est activée [35]. La présence de MMP3 dans les macrophages et les cellules stromales à proximité immédiate des cellules tumorales suggère une interaction privilégiée avec la MMP7, conduisant probablement à son activation [2].

Inhibition

L’inhibition de la MMP7, qui dépend préférentiellement du TIMP1 (tissue inhibitor of metalloproteinase1) [8], a un effet négatif important sur l’invasion, en raison d’une inhibition de la protéolyse directement due à la MMP7 et de celle relevant des autres MMP qu’elle régule. Toutefois, et à la différence des autres MMP, la MMP7 ne possède pas de domaine carboxyterminal, et aura donc moins d’affinité pour son inhibiteur physiologique : il en résulte probablement une plus grande résistance à l’inhibition [22], ce qui peut expliquer son efficacité particulière dans la protéolyse matricielle.

Conclusions

De par la diversité de ses cibles, la MMP7 se trouve au centre et aux commandes d’un vaste système ayant pour finalité globale de favoriser la migration et l’invasion. Toute action qu’elle subira aura de ce fait un retentissement particulièrement important sur des systèmes de protéolyse à la fois indépendants et complémentaires, dont le dénominateur commun reste la progression tumorale. Cela souligne l’intérêt d’appliquer à la MMP7 des stratégies antisens et de la soumettre à l’action d’inhibiteurs spécifiques.