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On pourrait dire que l’histoire a commencé par le maïs dans les années mille neuf cent cinquante. Alexander Brink découvrait alors un mode d’hérédité échappant aux lois de Mendel [1]. Était-ce la mémoire des chromosomes ? C’était en tout cas les prémisses de l’épigénétique. Tel un phénomène « paranormal », cette capacité d’un allèle non transmis de continuer à s’exprimer dans la descendance avait alors été appelée « paramutation ». Il fut suggéré bien plus tard que ce phénomène pourrait aussi exister chez l’homme, notamment dans certaines formes de diabète. L’équipe de Minoo Rassoulzadegan et de François Cuzin (Nice, France) vient de démontrer ce phénomène chez la souris, ouvrant des perspectives qui se révéleront peut-être essentielles pour la compréhension de l’épigénétique [2]. La protéine kit, parmi différents rôles, contrôle la coloration du poil de la souris. Lorsqu’une souris porte un gène kit intact et un gène muté (par insertion d’un gène traceur), l’animal hétérozygote présente un phénotype tacheté blanc au niveau des pattes et de la queue (Figure 1). Ce phénotype est associé à une réduction d’expression du récepteur kit. Si une souris hétérozygote est croisée avec un animal sauvage, la descendance portant deux allèles sauvages peut néanmoins présenter un pelage tacheté blanc. Elément plus étonnant encore, ce phénotype est transmis au cours des générations successives. Les auteurs ont tout d’abord constaté que les animaux paramutés, qui sont donc porteurs de deux allèles sauvages mais du phénotype muté, présentaient également une baisse de la protéine kit. Pour comprendre la nature du signal permettant de transférer ce phénotype, les auteurs ont étudié la transcription du gène kit au cours de la spermatogenèse, révélant ainsi une expression plus importante chez les hétérozygotes. Cette expression correspond en réalité à l’accumulation de molécules non poly-adénylées, de taille anormale et maintenue à des stades tardifs de la spermatogenèse où le gène est normalement éteint. Restait à démontrer que ces transcrits anormaux étaient responsables du phénotype héritable observé. Les auteurs ont alors micro-injecté dans des oeufs fécondés normaux des ARN préparés à partir de sperme ou de cerveau d’hétérozygotes. Environ 50 % de la descendance présente alors des extrémités blanches. Il faut néanmoins souligner qu’une petite proportion d’animaux a le même phénotype après injection d’ARN non pertinents, le phénotype n’étant alors pas transmissible. Enfin, l’injection dans des oeufs murins fécondés de deux micro-ARN, connus pour cibler l’ARN messager du gène kit, est suffisante pour retrouver un phénotype transmissible.

Figure 1

Phénotype des souris mutées et de leur descendance paramutée.

Phénotype des souris mutées et de leur descendance paramutée.

Les souris hétérozygotes (kit tm1Alf/+) et paramutée (kit*) sont reconnues par leur queue et leurs patte blanches. En fond d’image, technique de marquage des complexes ARN-protéine en microscopie électronique dans les spermatozoïdes.

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Ainsi, l’exposition du génome embryonnaire à des micro-ARN suffit-elle à induire une modification épigénétique héritable et transmissible. L’hypothèse du rôle de différents ARN (dont des micro-ARN) d’origine paternelle dans la modulation de l’expression génique de l’embryon a été émise récemment [3]. Certes, ces résultats étonnants soulèvent de nombreuses questions : quel est le mécanisme par lequel ces micro-ARN induisent le phénotype? Une empreinte est-elle induite au niveau de l’allèle sauvage ? Peut-on généraliser ce mécanisme à d’autres modes de transmission non mendélienne observés chez les mammifères ?

Le XXe siècle avait été celui de la génétique et de la découverte du code secret à quatre lettres de l’ADN. On pensait alors, naïvement, que le séquençage des parties codantes nous apporterait la connaissance universelle. Puis, avec le rôle joué par le junk ADN et surtout l’implication récente, mais de plus en plus prégnante, des siARN et des micro-ARN dans notre quotidien, vint le temps du doute… Le XXIe siècle sera donc celui de l’ARN, qui devrait nous contraindre à redéfinir le concept de gène dans toute sa complexité, mais aussi nous émerveiller puisque « La plus belle chose que nous puissions éprouver, c’est le mystère des choses » (A. Einstein).

En attendant, voici une découverte stimulante d’une équipe française qui, à l’heure où les étudiants de ce pays désertent la recherche, aurait sûrement poussé Johann Mendel à sortir de son jardin monastique pour venir sur les bancs de la Faculté apprendre les nouvelles lois de l’hérédité !