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J’ai eu l’occasion, à plusieurs reprises, tant à titre de militant et de bénévole que d’analyste du communautaire, de dire et d’écrire ce que je pensais du bénévolat (Lamoureux 2001 ; 1999 ; 1996 ; 1995 : 23-26). Si ma conception de cette activité n’a pas substantiellement changé, je dois admettre que le contexte dans lequel l’engagement volontaire se réalise n’est plus tout à fait celui qui prévalait quand je présidais aux activités de mon centre local d’action bénévole. J’aimerais préciser d’entrée de jeu qu’en ce qui me concerne, et même si je préfère le dernier terme, « bénévolat », « action bénévole » et « engagement volontaire » sont synonymes. Cela dit, ces différentes appellations sont aussi l’expression des accents, des couleurs que l’on souhaite donner au concept ; par conséquent, elles sont porteuses de sens. Comme le rappellent justement les auteures d’un texte de la Fédération des femmes du Québec, portant sur les « travailleuses du sexe », « […] les mots ont une signification importante parce qu’ils décrivent la façon dont nous concevons la chose […] » (FFQ, 2001). Les mots que l’on utilise pour se nommer ne sont donc pas neutres ; ils annoncent, sinon une intention, une orientation. Il en va ainsi du terme « client » abusivement utilisé par les bureaucraties pour désigner les personnes auxquelles s’adressent les activités sociocommunautaires.

Un peu d’histoire

La pratique de l’action bénévole peut s’analyser en fonction de trois périodes. Cette approche ne doit cependant pas nous faire oublier le caractère dynamique de l’engagement social et nous conduire à une vision linéaire de l’évolution des pratiques bénévoles, mais nous permettre de voir que, dans les faits, l’engagement volontaire a épousé la couleur idéologique de son temps et des lieux de son exercice. Le bénévolat s’est en quelque sorte plié à l’exigence du moment et a pris la forme que lui ont imposé celles et ceux qui s’y sont engagés (Fédération des centres d’action bénévole du Québec [FCABQ]), 2001). Jusqu’au train de réformes qui a accompagné la Révolution tranquille, l’action bénévole est perçue comme l’expression d’une charité qui est, avec l’espérance et la foi, une des vertus théologales. Elle constitue l’un des traits majeurs d’une pratique religieuse d’inspiration chrétienne (Pinault, 1997 : 79-102). Dans ce contexte, l’autre, s’il souffre ou vit un problème particulier, doit être l’objet de notre compassion. Et cette compassion est le regard de Dieu posé sur lui. Ce bénévolat s’exerce généralement à l’intérieur d’institutions caritatives comme la Saint-Vincent-de-Paul, l’Armée du Salut, les soupes populaires, les « refuges » pour clochards, ou dans le cadre d’initiatives paroissiales comme les « vestiaires du pauvre » et les loisirs paroissiaux. Plusieurs personnes engagées dans l’action bénévole sont également à l’oeuvre dans les hôpitaux gérés alors par des communautés religieuses. Elles s’occupent généralement de soins primaires aux malades et, pour les femmes de la bourgeoisie, de collectes de fonds. L’État est alors peu présent dans l’organisation des soins et des services et sa contribution à l’allégement des problèmes causés par la pauvreté se résume, au mieux, au versement de maigres prestations notamment aux mères dites « nécessiteuses ». Le bénévolat est donc non institutionnalisé, au sens où il ne s’inscrit pas dans une logique planifiée de soins et de services, mais plutôt complémentaire d’une entraide familiale dont l’importance est proportionnelle à la taille des familles.

Par ailleurs, le bénévolat s’exprime aussi ailleurs, sous une forme plus militante. Un certain nombre de personnes sont en effet engagées dans des activités syndicales ou politiques (Rouillard, 1989). La Centrale syndicale nationale (CSN) ne serait pas devenue ce qu’elle est sans l’engagement militant de centaines de travailleuses et de travailleurs s’activant librement et gratuitement dans des conditions souvent difficiles. On retrouve aussi une base bénévole importante, pour ne pas dire indispensable, dans le mouvement coopératif, notamment chez Desjardins. Ces activités touchent l’organisation et l’éducation. Bon nombre des artisans d’un bénévolat plus moderne se formeront à ces écoles et deviendront éventuellement d’importants artisans de la modernisation du Québec. La situation change rapidement et radicalement avec les années 1960. À la suite de réformes majeures, les communautés religieuses sont éjectées des services sociaux et des établissements hospitaliers. On assiste à une modernisation des institutions (Gow, 1992 : 669-690 ; Fluet et Lefebvre, 1992 : 53-85 ) et, réforme de l’éducation aidant, à une professionnalisation accélérée des pratiques sociales. Plusieurs facteurs, notamment l’attrait du mode de consommation d’inspiration américaine – l’American way of life –, l’arrivée massive des femmes sur le marché de l’emploi, l’existence de méthodes efficaces de contraception et une contestation active des diktats religieux en matière de morale, contribuent à la diminution de la taille des familles. La solidarité familiale s’en trouve aussi progressivement affectée.

Par ailleurs, l’État, tant au niveau fédéral que provincial, s’engage dans une réforme majeure du filet de la sécurité sociale (Vaillancourt, 1988), contribuant ainsi non seulement à alléger le poids de la pauvreté, mais encourageant aussi des pratiques de solidarité largement influencées par une vision progressiste du monde (Lamoureux et al., 1996). On admet alors, à l’instar de ce qu’en dit Bruckner, que « mille dévouements exemplaires ne sauraient remplacer une bonne politique sociale » (Bruckner, 1995). D’autant plus que les bonnes politiques sociales ont un important effet économique, étant un facteur majeur de stabilisation d’une économie de marché fondée sur la capacité de consommation des personnes. C’est dans ce contexte de modernisation de l’État québécois et de changement du paradigme idéologique que s’articule une critique parfois radicale d’un bénévolat inspiré par l’idéologie caritative. Le pauvre doit cesser d’être l’objet d’une charité jugée pharisienne. La distribution de paniers de Noël n’a plus la cote. La notion molle d’un bénévolat qui ne remet rien en cause et qui tient les problèmes sociaux pour une fatalité sur laquelle on n’a pas de prise laisse place à l’exigence d’une solidarité active, fondée sur l’exercice d’une conscience critique. L’autre est reconnu comme un sujet et les bénévoles de la nouvelle génération s’engagent dans la voie d’un engagement relativement militant réalisé au nom de l’exercice de la citoyenneté (Lamoureux, 1996).

Suivant un modèle d’analyse inspiré par l’éthique socialiste, le pauvre n’est plus un « damné de la terre », mais une personne opprimée, aliénée, exploitée. La pauvreté n’est pas une fatalité, pas plus d’ailleurs que plusieurs problèmes sociaux et même certaines maladies[1]. Le système qui produit les problèmes sociaux est pointé du doigt et plusieurs découvrent ou admettent que si ce système produit tant de victimes, il doit bien y avoir ici et là quelques individus qui en sont responsables. À l’aube des années 1970 et 1980, le bénévolat traditionnel se remet en question. C’est ce dont témoignent les débats, parfois animés, qui se tiennent lors des congrès de la FCABQ depuis le début des années 1980, notamment sous la présidence de Nicole Côté, et l’orientation nettement plus progressiste que prendra cet organisme sous l’influence de sa base et des mouvements sociaux où se réalisent des pratiques d’action communautaire. Ainsi, la FCABQ participera à diverses tables intersectorielles en compagnie d’autres regroupements nationaux : éducation populaire, réforme de la santé et des services sociaux, etc. Dans certains cas, des Centres d’action bénévole (CAB) seront directement associés à la création de groupes communautaires autonomes : centres de femmes, maisons d’hébergement, maisons de jeunes, défense des droits sociaux, etc. La plupart des CAB participent activement aux grands événements comme les Marches des femmes de 1995 et 2000. Cette remise en question du bénévolat traditionnel s’exprime également par les conflits entre clercs et organisateurs communautaires laïcs qui ont cours dans plusieurs quartiers ouvriers, notamment à Montréal, débats qui débouchent parfois sur la mise en oeuvre de formules d’organisation de l’entraide communautaire particulièrement novatrices et mobilisatrices (Lamoureux, 1991)[2]. Il faut dire à cet égard que les clercs actifs à l’échelle paroissiale réussissent souvent une reconversion admirable, passant d’une perspective éthique fondée sur la charité à une autre marquée par l’impératif de la solidarité active.

Le développement spectaculaire des réseaux de groupes populaires et d’organismes communautaires autonomes traduit la réalité d’un autre bénévolat qui se confond avec l’activité militante. C’est ainsi que des milliers de personnes s’engagent dans la création d’organismes de défense de droits, d’éducation populaire et de lutte qui se structurent rapidement en réseaux régionaux et nationaux constituant d’importants et souvent d’incontournables lobbies. Le passage de l’action caritative à l’action communautaire autonome traduit dans les faits un changement de perspective en ce qui concerne le rapport que les individus doivent entretenir entre eux. Le troisième temps de l’action bénévole est marqué par l’institutionnalisation des pratiques bénévoles. La diminution du rôle de l’État modifie la vision supplétive que l’on a du bénévolat (Lamoureux, 2001), d’autant plus que, d’une part, les nouveaux bénévoles sont souvent des gens instruits et compétents et que, d’autre part, les milieux d’exercice de l’action volontaire deviennent des lieux de travail plus stables et mieux considérés par les personnes qui en assument la permanence, surtout dans un contexte de chômage endémique. Certains politiciens avouent même que, dans bien des cas, le bénévolat offre une réponse plus adéquate que l’action de l’État à certaines problématiques.

Une des principales priorités de mon gouvernement sera la révision complète des programmes sociaux afin d’économiser autant que possible. Une façon d’atteindre cet objectif consiste à encourager le secteur du bénévolat à participer davantage à la réalisation de nos programmes sociaux. […] Le secteur du bénévolat au Canada représente une ressource inutilisée qui peut réduire les dépenses du gouvernement, mais peut aussi créer des emplois en même temps. [...] Le bénévolat représente aujourd’hui la méthode la plus rentable de fonctionnement du Canada[3]

Même si l’on doit prendre ce discours politicien pour ce qu’il est, c’est-à-dire opportuniste, force est de reconnaître que plusieurs initiatives sociales majeures sont originellement le produit de l’action volontaire de type militant : garderies, maisons d’hébergement pour femmes victimes de violence, centres de femmes, ressources alternatives en santé mentale, maisons de jeunes, centres de santé communautaire, médias communautaires, cuisines collectives, etc. Par ailleurs, dans des domaines comme la défense des droits et la protection de l’environnement, ce sont les organismes largement dominés par des militants bénévoles qui sont la conscience de la société. Pour illustrer l’ampleur de l’engagement volontaire, les indicateurs les plus récents montrent que 30 250 personnes, encadrées par 924 employés, réalisent des activités bénévoles uniquement dans le cadre des centres d’action bénévole, soit une moyenne de 275 personnes par centre, plus de 70 % d’entre elles étant des femmes (FCABQ, 2000). Des dizaines de milliers d’autres citoyennes et citoyens agissent également sur une base volontaire dans les quelque 5000 autres organismes communautaires autonomes oeuvrant dans presque toutes les sphères de l’activité humaine.

Ce qui est ici troublant, c’est que la compréhension utilitariste de l’activité volontaire exprimée par plusieurs politiciens, tant à l’échelle provinciale que fédérale, unanimement décriée par les milieux progressistes jusqu’au milieu des années 1980 comme étant particulièrement réactionnaire, a ensuite été plus ou moins reprise par plusieurs universitaires et technocrates. De telle manière que cette vision tronquée du bénévolat est finalement devenue l’un des éléments essentiels de la restructuration des politiques sociales (SACA, 2001). Faire travailler des bénévoles à la réalisation de tâches complémentaires à celles des institutions constitue l’une des assises de la réorganisation du rôle de l’État dans un contexte de réorientation de la providence étatique. Circonscrire l’engagement bénévole dans un cadre d’intervention déterminé par les priorités gouvernementales semble aujourd’hui relativement acceptable, malgré la résistance évidente de plusieurs milieux où s’activent des citoyennes et des citoyens sur une base volontaire ; au premier chef, les membres de la Fédération des centres d’action bénévole (FCABQ, 2001).

C’est ainsi que, de supplétive, l’action volontaire deviendra complémentaire à celle de l’État et de l’entreprise privée. Parfois, on l’assimilera, abusivement à mon avis, au tiers secteur. Si plusieurs affirment que le bénévolat appartient à l’économie du don, d’autres assimilent l’action bénévole à l’économie sociale (Vaillancourt, 1999). En certains milieux, l’intérêt de l’engagement volontaire se mesurera à l’aune de sa valeur économique et les pratiques bénévoles seront de plus en plus évaluées en fonction de leur capacité à créer des « étangs d’employabilité » et à découvrir des « filons d’emplois potentiels » devant être occupés par des cohortes d’exclus du paradis néolibéral. On en arrivera même à calculer la valeur du travail bénévole, au tarif minimal bien sûr, pour faire valoir des projets à la « bourse des subventions ». De cette manière, à mon avis très réductrice, la valeur du bénévolat atteint les milliards. Même si le bénévolat se fonde sur une éthique de la gratuité et de la liberté, il arrive qu’il se fasse sanction. En effet, le bénévolat est aussi conçu comme une obligation faite à des condamnés de purger des peines de travaux communautaires, souvent dans le cadre d’activités des organismes communautaires autonomes et des centres d’action bénévole. Peut-on, ici, parler d’imposture ? Ou doit-on accepter le paradoxe au nom de la règle du moindre mal ?

Par ailleurs, l’effritement des vieilles solidarités familiales et institutionnelles, combiné à l’apparition de nouvelles problématiques sociosanitaires bonifient, si besoin était, l’importance du bénévolat. On l’a bien vu lors d’une crise comme celle du verglas en 1996 : les bénévoles ont fait la différence. Alors que les cadres de l’humanitaire et les politiciens se querellaient dans les corridors, les personnes bénévoles, elles, étaient à l’oeuvre dans les cuisines et les dortoirs des centres temporaires d’hébergement auprès des milliers de réfugiés de l’hiver québécois. Enfin, dans plusieurs secteurs, l’absence de bénévole compromettrait la tenue d’événements majeurs : Jeux du Québec, Jeux olympiques, tours cyclistes, etc. Dans le domaine si socialement négligé de la culture, qui donc ferait fonctionner les bibliothèques publiques et les associations d’artistes s’il n’y avait pas de bénévoles ?

Un nouvel environnement pour le bénévolat

Plusieurs facteurs contribuent à la valorisation du bénévolat en ce début de millénaire. D’abord, la reconfiguration du rôle de l’État ouvre de nouveaux horizons, parfois piégés, à l’action bénévole. Un de ces pièges serait d’accepter la conscription étatique en ne tenant pas compte des exigences requises pour la prestation de certains soins et services. Certains parlent d’une « fonction publique parallèle » (Coalition syndicale, 2001) qui accepterait d’accomplir des actes à ce jour réservés à des employés de l’État. L’exemple du remplacement des auxiliaires familiales en Centre local de services communautaires (CLSC) par des salariés du « tiers secteur » et des bénévoles actifs dans les centres d’action bénévole continue de hanter certains promoteurs de l’économie sociale (Fournier, 1999). Par ailleurs, si l’on continue d’avoir besoin de professionnels qualifiés en santé mentale, dans le travail auprès des jeunes, dans le soutien aux toxicomanes et aux itinérants, pour l’encadrement des élèves et pour les soins aux malades, la tentation est grande de réduire le nombre de salariés de l’État affectés à ces services et d’orienter une fraction de la « clientèle » vers le secteur de l’action bénévole. La tentation est grande aussi, virage ambulatoire oblige, d’élargir plus ou moins sournoisement le champ d’activité du bénévolat à la famille, c’est-à-dire aux femmes, de leur confier une large part de la responsabilité des malades et des personnes en perte d’autonomie (Conseil du statut de la femme, 2000). S’il est bien évident que la solidarité familiale est la condition première de la vie sociale, que doit-on penser d’une société qui menacerait l’autonomie des personnes, notamment des femmes, en les obligeant à un bénévolat rendu nécessaire par l’incohérence éthique de nos choix d’investissements sociaux ? De plus, le vieillissement de la population et l’incapacité de l’État à assurer aux personnes âgées, notamment à celles qui sont en perte d’autonomie, une gamme de services adéquats, ouvre un nouveau et exigeant chantier au bénévolat communautaire. Ce nouveau chantier introduit deux plans de réflexion.

D’une part, il me semble important d’encourager l’activité volontaire de celles et ceux qui le peuvent. Alors que des milliers de babyboomers atteignent l’âge de la retraite, sans doute faudrait-il les inciter à considérer l’engagement volontaire dans leur milieu comme une occasion à saisir de se donner d’autres voies de réalisation personnelles et de développement de l’estime de soi que le travail salarié. Cela est souhaitable, dans la mesure évidemment où ces bénévoles ne polluent pas ce qui fonde l’action volontaire en y introduisant le germe de la vision bureaucratique ou technocratique de l’univers qui était souvent le leur auparavant. Le danger est réel puisque certains organismes où oeuvrent des bénévoles sont maintenant, à l’image des grandes corporations et des régies régionales de la santé, dirigées par des PDG[4]. Ce qui n’est pas sans soulever l’ire des milieux concernés. Dans d’autres milieux, une organisation verticale du travail produit les mêmes rapports de pouvoir que dans le privé. Les notions de productivité, d’efficience et d’efficacité prennent parfois le pas sur des valeurs comme le respect des personnes, le fonctionnement démocratique, la solidarité. À ce propos et au risque de me tromper, je constate avec d’autres une érosion dangereuse de la solidarité sociale : « Un consensus se dégage chez les principaux analystes des sociétés occidentales : dans le contexte actuel de mutations profondes, le maintien de la cohésion sociale apparaît comme étant l’un des principaux défis que ces sociétés devront relever […] » (Bélanger, Sullivan et Sévigny, 2000).

La qualité de notre capital social s’érode sous l’effet des changements sociaux et structurels de notre société. Elle s’érode aussi sous la pression d’une éthique de la consommation qui oblige l’individu à plus de productivité, à plus de temps travaillé, à l’élaboration d’une identité personnelle fondée sur l’avoir plutôt que sur l’être. Accordant un temps démesuré au façonnage de l’image de soi, à ce narcissisme social dont on pourrait rigoler si ce n’était si triste : on en arrive à ne plus avoir de temps pour les autres, fussent-ils nos proches[5]. Certaines problématiques, notamment celles liées au vieillissement de la population et plus généralement à l’isolement des personnes vieillissantes peuvent devenir très sérieuses. À cet égard, on ne doit pas confondre avec le faux problème de la pression exercée par le vieillissement de la population sur le système de santé, mais plutôt voir que ce vieillissement commande un soutien modulé du milieu le plus immédiat à des personnes vieillissantes dont l’autonomie, forcément, diminue au fur et à mesure qu’ils avancent en âge. Dans ce contexte, les milieux où se pratique l’engagement social volontaire devront faire ce qu’ils ont souvent fait de façon exemplaire : innover. L’action bénévole doit se redéployer dans le sens d’un engagement en faveur d’une sociabilité nouvelle. Une sociabilité qui tienne compte de la nécessité d’intégrer toutes les citoyennes et tous les citoyens à la vie d’une communauté. Il faut que chacun devienne bénévole pour l’autre. Peut-être peut-on parler d’inter-bénévolat ou d’une économie de rapports humains fondée sur l’échange bénévole. Des expériences inspirées de ce modèle sont en cours aux États-Unis, en France, en Belgique et sans doute ailleurs et l’idée des éco-villages me paraît favoriser cette forme d’économie de la sociabilité. Une nouvelle sociabilité me semble la seule réponse que l’on peut donner au déficit de solidarité qu’entraînent des choix sociaux dictés par les impératifs néolibéraux. Le bénévolat doit être l’expression de ce que nous avons de meilleur, de cette volonté partagée de rendre notre univers immédiat le plus vivable possible pour tout le monde.

Pour réaliser cet objectif et pour être cohérent avec ce qu’il exprime, le bénévolat doit donc conserver toute son autonomie et continuer à être le fait d’une personne qui s’engage librement et gratuitement au service de ses semblables. Cette liberté du bénévole rend donc son activité aléatoire dans le sens où il ne peut en garantir formellement la pérennité. Ce qui justifie le refus de la conscription et nous oblige collectivement à exiger de l’État qu’il assume sa responsabilité en n’inscrivant pas le bénévole dans la logique de l’élaboration de sa politique sociale. Le bénévolat devrait constituer non pas un palliatif aux ratés du système, ou à des choix sociaux aberrants, mais une bonification, un ajout à ce que nulle politique sociale ne saurait donner : un rapport direct entre les personnes, un rapport fondé sur la reconnaissance de l’humanité de l’autre et sur l’exigence de la solidarité humaine.