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Dans le but d’offrir un programme éducatif complet à tous les enfants francophones de quatre ans, le Conseil des écoles catholiques de langue française du Centre-Est de l’Ontario (CECLFCE) a innové en mettant sur pied un programme à temps plein pour les enfants de quatre ans, misant sur l’intégration des services de garde au programme de « maternelle quatre ans demi-temps » déjà existant. Le présent article s’intéresse à l’intégration de ces services éducatifs en présentant la structure du programme proposé, de même que les avantages et les difficultés de cette intégration.

Le contexte des services éducatifs destinés aux jeunes enfants

Au Canada, l’école tend à offrir des services éducatifs aux enfants de plus en plus jeunes. Au cours des trente-cinq dernières années, on a assisté à la création de programmes pour les enfants de cinq ans, puis, dans certaines provinces, pour ceux de quatre ans. Ainsi, la « maternelle cinq ans à demi-temps » existe dans toutes les provinces canadiennes, mais le Québec et, surtout, l’Ontario ont fait des efforts substantiels pour favoriser l’accès à des services scolaires aux enfants de quatre et cinq ans. Dans ces deux provinces, les enfants de cinq ans peuvent fréquenter la maternelle cinq ans à temps plein. Au Québec, les maternelles quatre ans accueillent principalement les enfants de milieux défavorisés ou ayant des besoins spéciaux. En Ontario, dans le but de contrer l’assimilation linguistique et culturelle, tous les conseils scolaires de langue française admettent depuis plusieurs années, les enfants de quatre ans au programme de « maternelle à demi-temps » et, depuis 1998, plusieurs ont mis en place un programme « quatre ans à temps plein ».

Au Canada, l’école n’a pas l’exclusivité des services offerts aux enfants âgés entre trois et cinq ans. En effet, elle partage cette responsabilité avec les services de garde qui recrutent la majorité de leur clientèle dans cette tranche d’âge (Cloutier, 1987). En Ontario, les services de garde et les niveaux maternelle et jardin d’enfants constituent les principaux milieux éducatifs pour les enfants d’âge préscolaire, mais ils présentent des différences importantes tant au plan de la structure que de la perception sociale de leur rôle. En effet, alors que la maternelle-jardin est offerte dans les écoles et qu’elle fait partie du système public d’éducation avec un programme et des enseignantes ayant une formation universitaire, le réseau des garderies est fort diversifié. Les parents peuvent choisir entre trois types de services de garde : soit la garderie publique ou privée, la garderie en milieu familial ou la garde de leur enfant à la maison. Cependant, même si ces types de garderie répondent à un besoin, la qualité des services offerts aux enfants varie grandement. De plus, il n’existe pas réellement de programme officiel pour les services de garde et la formation des intervenants est très variée (Palacio-Quentin et Coderre, 1989). La maternelle-jardin et la garderie diffèrent également au plan de la perception sociale. La maternelle-jardin est considérée comme le lieu d’intégration de l’enfant au milieu scolaire et perçue par le public comme étant préparatoire à l’apprentissage scolaire. La garderie, quant à elle, est considérée comme un service de garde utilisé par la famille. Son rôle éducatif consiste à développer, par le jeu, les habiletés sociales et l’autonomie de l’enfant, dans un milieu sécuritaire (Cloutier, 1987). Bien que fréquentés successivement ou simultanément par un grand nombre d’enfants, ces deux réseaux (la maternelle et la garderie) fonctionnent souvent de façon parallèle sans qu’il y ait de véritable collaboration entre eux ni d’intégration des services (Betsalel-Presser et Joncas, 1997).

L’intégration des services

Il existe plusieurs définitions de l’intégration des services (Gray, 1985 ; Ellisson et Barbour, 1992). Sans toutes les présenter, il est possible d’en extraire les éléments communs. L’intégration des services exige qu’au moins deux organisations travaillent ensemble et partagent des ressources (personnel, fonds, information, expertise, locaux et équipements). Ces organisations cherchent à résoudre un problème vaste qu’aucune ne peut régler seule. Elles conviennent de buts communs pour guider leur action et créent une structure administrative qui coordonne l’ensemble des actions visées par le projet (Cameron, Vanderwoerd et Peters, 1995).

Pour certains auteurs, l’intégration des services en milieu scolaire aurait pour avantage de rendre accessible des programmes de petite enfance à tous les jeunes enfants, tout en assurant le contrôle de leur qualité (Herry, Vincent-LeBlanc et Levesque, 1996). Elle permettrait aussi de diminuer la redondance, d’augmenter la coordination, de prévenir les efforts inutiles et l’inefficacité, de diminuer les coûts des programmes et de mieux répondre aux besoins de la communauté (Bouchard, 2000). De plus, l’intégration des services est l’une des grandes tendances actuelles (Baillargeon et al., 1993) et le gouvernement ontarien l’encourage fortement par divers projets comme Better Beginnings, Better Futures (Peters, 2000), Early Years Study : Reversing the Real Brain Drain (Secrétariat à l’enfance de l’Ontario, 1999) et la création des centres de la petite enfance. Toutefois, l’intégration des services pose des défis et crée des conflits et des tensions entre les différents groupes de personnes qui la vivent (Cameron, Vanderwoerd et Peters, 1995). Il est donc important de décrire le processus d’intégration des services destinés aux enfants de quatre ans, de même que ses avantages et ses inconvénients.

Les résultats des recherches antérieures sur l’intégration des services offerts par les services de garde et par l’école

Bien que l’école côtoie les services de garde depuis plusieurs années, peu de recherches ont porté sur les relations entre ces deux milieux éducatifs. Parmi ces études, deux ont exploré ces relations dans des programmes pour les enfants de cinq ans (Cloutier, 1987 ; Johnson et Mathien, 1999), mais aucune ne s’est intéressée aux programmes destinés aux enfants de quatre ans, principalement parce qu’au Canada, peu de conseils scolaires offrent un programme aux enfants de ce groupe d’âge.

Johnson et Mathien (1999) ont mené des entrevues téléphoniques auprès de 275 parents, 73 éducatrices des services de garde et 49 enseignantes de maternelle de quatre provinces (Nouveau-Brunswick, Québec, Ontario et Alberta), afin de recueillir leur opinion sur un programme de « maternelle cinq ans temps plein », dans lequel les enfants étaient en classe avec une enseignante une demi-journée et avec des éducatrices du service de garde de l’école, l’autre demi-journée. Il faut cependant noter qu’il n’y avait pas d’intégration des services à proprement parler, puisque les deux services étaient cloisonnés. Les résultats démontrent que les parents et les intervenants (éducatrices et enseignantes) s’entendent sur les domaines prioritaires à développer dans les programmes de petite enfance, soit la socialisation et la communication et précisent que les apprentissages scolaires ne devraient pas être une priorité. Les parents sont très favorables à un programme qui intègre la maternelle et les services de garde parce qu’il permet aux enfants de cinq ans de fréquenter l’école à temps plein, alors que les enseignantes de maternelle et les éducatrices des services de garde sont beaucoup moins enthousiastes. En effet, les différences au plan de la formation, des salaires, des conditions d’emploi, des bénéfices et de la reconnaissance sociale entre les deux types d’intervenants constituent les principaux arguments des enseignantes. Les éducatrices souhaitent avoir accès à un système de formation commune pour elles et les enseignantes, mais celles-ci s’y opposent. Au plan de la formation, les parents s’attendent à ce que les intervenants en service de garde aient obtenu un diplôme collégial en petite enfance et que les enseignants aient un diplôme universitaire. Dans les quatre provinces participant à la recherche, les parents s’opposent catégoriquement au remplacement du personnel enseignant par le personnel des services de garde dans les programmes de petite enfance. Ils soulignent tout de même qu’il serait important que les deux types d’intervenants travaillent en équipe et que l’enseignante assume un rôle de supervision. Les trois types de répondants (parents, enseignantes et éducatrices) s’accordent sur les principales différences entre la maternelle et les services de garde. Selon eux, la maternelle développe davantage des apprentissages structurés alors que les services de garde sont plus axés sur les activités libres et la socialisation.

Ces résultats concordent avec ceux obtenus par Cloutier (1987) dont l’étude avait pour but de recueillir, grâce à des entrevues, l’opinion de 23 parents, de 10 enseignantes de maternelle et de neuf éducatrices de garderie sur les différences existant entre la garderie et la maternelle et les acquis réalisés par les enfants dans chacun de ces milieux. Il est important de noter que, dans cette recherche, il n’y avait aucune intégration des services. Cependant, les enfants de cinq ans fréquentaient la maternelle à demi-temps et une garderie (située à l’extérieur de l’école) l’autre demi-temps, cinq jours par semaine. Selon les résultats de cette étude, les enseignantes de maternelle et les parents croient que la maternelle contribue au développement intellectuel et général, alors que la garderie développe la socialisation par le jeu, mais peu ou pas les apprentissages scolaires. Chez le personnel de garderie, cette différence de représentation est beaucoup plus nuancée. Il mentionne la socialisation, mais insiste aussi sur le développement général et la connaissance de soi. Tous les répondants (parents, enseignantes, éducatrices) estiment que la maternelle offre un encadrement plus dirigé que la garderie et qu’elle est davantage à vocation éducative, alors que la garderie a une vocation plutôt sociale. Tous s’entendent également sur l’importance du développement langagier et du développement de l’autonomie tant à la maternelle qu’à la garderie.

Ces deux études se sont donc intéressées à la participation de deux types de service (service de garde et école) à un programme éducatif destiné aux enfants de cinq ans. Cependant, dans les deux cas, les services étaient dispensés en alternance, sans qu’il y ait une réelle intégration des services faisant appel à une concertation entre les intervenants des deux services et à un partage des ressources. La présente étude devient alors importante dans la mesure où elle évalue un programme à temps plein destiné à des enfants de quatre ans qui misait sur l’intégration des services offerts conjointement par l’école et les services de garde. Le caractère francophone minoritaire de la population visée constitue également une originalité de la recherche, car un des objectifs du Conseil scolaire est de freiner l’assimilation des enfants et de favoriser le développement de la langue. Il faut préciser qu’en Ontario français plusieurs enfants qui entrent à l’école ne parlent pas ou peu français. Finalement, l’étude se démarque par le nombre de personnes interrogées, le nombre d’écoles participantes et la variété des répondants (parents, enseignantes de maternelle, éducatrices, directions d’école et des services de garde, conseillère en petite enfance). La prochaine section présente la méthodologie utilisée pour mener ces entrevues.

La méthodologie

La méthodologie présente le choix des écoles et des participants à l’étude, ainsi que le contenu, le déroulement et l’analyse des entrevues.

Le choix des écoles et des participants à l’étude

Le CECLFCE compte une quarantaine d’écoles situées sur un territoire qui couvre une partie importante de l’est de l’Ontario, mais dont la plupart se situent dans la région d’Ottawa et ses environs. Un total de 81 personnes ont accepté de participer aux entrevues dans les 13 écoles retenues pour l’étude, soit 17 enseignantes et enseignants, 40 parents, 10 directrices et directeurs d’école, neuf éducatrices, quatre directrices des services de garde et une conseillère en éducation de la petite enfance. Les écoles ont été choisies en fonction des différentes régions géographiques du Conseil scolaire afin d’obtenir une représentation de la diversité des milieux (milieu rural versus milieu urbain, milieu francophone versus milieu anglophone, milieu défavorisé versus milieu favorisé, etc. ).

Le contenu des entrevues

Afin de connaître le point de vue des personnes interrogées, nous avons utilisé des entrevues de groupe menées selon le cadre de référence Multiple Case-study Framework proposé par Yin (1988). Les entrevues incluent deux entrevues de groupe avec le personnel enseignant, quatre entrevues de groupe avec les parents, une entrevue de groupe avec les directions d’école et une entrevue individuelle avec la conseillère pédagogique. Le choix du contenu des entrevues reposait sur les objectifs de la recherche et sur les résultats des recherches antérieures. Afin de valider le protocole d’entrevue, nous en avons soumis une première version à des enseignantes, des parents et des directions d’école afin d’obtenir leurs commentaires et d’apporter les modifications souhaitées.

Le contenu des entrevues se regroupait par thèmes. Les thèmes portaient sur : 1) l’organisation du programme « quatre ans, à temps plein », 2) l’adaptation des enfants, 3) l’apprentissage et l’enseignement, 4) la langue, 5) l’appui aux intervenantes (enseignantes et éducatrices) et aux enfants du programme « quatre ans, à temps plein », 6) les relations entre les intervenants (enseignantes, éducatrices, parents, directions d’école et des services de garde).

Le déroulement des entrevues

Les entrevues se déroulaient selon la méthode développée par Patton (1990) appelée Méthode du guide d’entrevue. Cette méthode prévoit l’identification de thèmes de discussion à couvrir lors de l’entrevue. Avant chaque rencontre, les participantes et les participants ont reçu un document qui présentait les buts de la recherche, la procédure à suivre lors des entrevues et les thèmes à discuter pendant la rencontre. Deux personnes de l’équipe dirigeaient les rencontres. Une d’entre elles était responsable du bon déroulement de l’entrevue. Elle s’assurait de couvrir tous les thèmes proposés dans le guide d’entrevue, tout en posant des questions et en intervenant de façon à permettre aux participantes et aux participants de formuler librement leur point de vue (Patton, 1990). La seconde personne prenait des notes sur le contenu des discussions. Chaque entrevue durait environ deux heures.

L’analyse du contenu des entrevues

Les informations recueillies lors de ces entrevues ont été soumises à la technique d’analyse des protocoles verbaux concourants développée par Ericsson et Simon (1984). Cette méthode d’analyse exige la transcription de façon « semi-verbatim » du contenu des discussions afin de permettre une analyse « inter-entrevues ». Chaque entrevue est alors divisée en éléments d’information renfermant des idées complètes. L’analyse de ces éléments d’information se fait à l’aide d’une grille d’analyse qui repose sur des catégories découlant des thèmes couverts et des propos tenus. L’analyse du contenu des entrevues permet de relever les points de vue communs et les points de vue divergents qui émergent des propos tenus par les différents groupes interrogés.

Les résultats

Les entrevues ont permis de recueillir de nombreux commentaires portant sur la mise en oeuvre du programme « quatre ans à temps plein ». Ces commentaires provenaient de tous les groupes interrogés et couvraient une grande variété de thèmes. Pour la présentation, nous les avons regroupés en trois grandes sections. La première regroupe les commentaires visant à décrire et à mieux comprendre l’organisation des services au sein du programme « quatre ans à temps plein ». Cette présentation est nécessaire à la compréhension des deux sections suivantes qui traitent tour à tour des avantages de l’intégration des services et des difficultés engendrées par sa mise en oeuvre.

Les modalités de mise en oeuvre du programme « quatre ans à temps plein »

Le défi du Conseil scolaire consistait à offrir un programme éducatif complet à tous les enfants francophones de son territoire, tout en respectant les allocations budgétaires accordées par le ministère de l’Éducation de l’Ontario. Le Conseil offrait déjà un programme « quatre ans à mi-temps » et, dans plusieurs écoles, les enfants de quatre ans pouvaient bénéficier d’un service de garde payant avant et après l’école. Dans d’autres écoles, il n’y avait pas de service de garde. Le conseil scolaire a donc défini deux modalités de mise en oeuvre du programme « quatre ans à temps plein ». Dans les écoles où il n’y avait pas de services de garde avant et après l’école, les enfants de quatre ans passaient toute la journée avec une enseignante. Pour les écoles qui offraient des services de garde, le Conseil scolaire a choisi d’intégrer les services de garde déjà offerts au programme scolaire existant, afin de minimiser l’impact du programme sur ces services (perte de clientèle pour les services de garde). Ainsi, les enfants passaient la moitié de la journée avec une enseignante et l’autre moitié de la journée, avec des éducatrices provenant des services de garde. Ceux-ci ont maintenu les services payants avant et après les heures de classe pour les enfants de l’école. La tâche des éducatrices des services éducatifs était donc différente de celle des éducatrices de ces services de garde.

La plupart des commentaires émis par les participants aux entrevues sur la mise en oeuvre du programme « quatre ans à temps plein » ont porté sur les avantages et les inconvénients de l’intégration des services offerts par les enseignantes et par les éducatrices. Les parents et les enseignantes des écoles dans lesquelles les enfants demeuraient toute la journée avec leur enseignante se sont dits très satisfaits du mode de fonctionnement. Par conséquent, ils en ont très peu parlé lors des entrevues et ont surtout discuté des apprentissages réalisés par les enfants. De ce fait, les sections suivantes présentent les avantages et les inconvénients de cette intégration des services au sein du programme « quatre ans à temps plein ».

Les avantages de l’intégration des services

Les recherches sur l’intégration des services soulignent que ce sont souvent les conseils scolaires qui prennent l’initiative de l’intégration des services, lorsque la clientèle visée est d’âge scolaire (Adelman, 1993 ; Gardner, 1993). Adelman (1993) propose trois raisons à ce phénomène : les écoles ont accès à cette population plus facilement et plus efficacement que les autres agences, elles ont de meilleures informations globales sur les enfants et leurs familles, et elles réalisent plus rapidement que les autres agences l’importance d’intégrer les services pour répondre aux multiples besoins de cette clientèle. En ce qui concerne les garderies, le manque de places disponibles et les frais exigés nuisent à l’universalité de leurs services, contrairement à ceux du système scolaire. Depuis quelques années, la nécessité d’offrir des services universels et de qualité à tous les enfants devient de plus en plus pressante et l’on remarque que le système scolaire tend à s’impliquer auprès des enfants de plus en plus jeunes.

Lors des entrevues, les participants ont convenu que l’intégration des services comportait des avantages pour les deux organismes. En effet, grâce à cette intégration, le Conseil scolaire a pu étendre la gamme des services éducatifs aux enfants de son territoire tout en respectant les limites de son budget. De leur côté, les services de garde ont pu maintenir et augmenter les services offerts aux enfants de leur quartier respectif. L’intégration des services a donc permis à chaque organisme de raffermir sa position dans la communauté, de justifier ses services et d’améliorer le rendement de ceux-ci (Herry, Vincent-LeBlanc et Lévesque, 1996).Tous les participants aux entrevues reconnaissent que l’intégration des services dans le programme « quatre ans à temps plein » a permis aux enfants de fréquenter le milieu scolaire quotidiennement, de bénéficier d’un environnement francophone et de rencontrer des enfants de leur âge, en plus de réaliser de nombreux apprentissages au plan de la socialisation, du langage, de l’autonomie et des acquis scolaires. Les participants ont reconnu l’importance de l’universalité du programme. Même si l’inscription au programme à temps plein n’était pas obligatoire, près de 98 % des enfants s’y sont inscrits. Les participants associent l’universalité du programme à la disponibilité d’un service éducatif ou de garde en français et dans leur quartier, ce qui, en milieu francophone minoritaire, est loin d’être disponible pour tous. Les participants ont aussi souligné l’importance d’offrir aux enfants des services régis par des règles strictes comme le sont les écoles et les services de garde scolaires. Pour les participants, cela vise autant la qualité des programmes que la sécurité des enfants. Finalement, les parents ont fait remarquer que la mise sur pied du programme à temps plein leur a permis de bénéficier d’une diminution importante de leurs frais de garde.

Les difficultés liées à l’intégration des services

Les prochains paragraphes s’intéressent aux difficultés rencontrées lors de la première année de mise en oeuvre du programme « quatre ans à temps plein » dans les écoles qui devaient intégrer les services offerts par les enseignantes et ceux offerts par les éducatrices. Le programme « quatre ans, à temps plein » proposé par le Conseil scolaire résulte non pas de l’intégration de deux services dans une nouvelle structure organisationnelle, mais plutôt de l’intégration d’un nouveau service offert par les éducatrices au sein d’une structure déjà en place (le programme « quatre ans à mi-temps »). Le lieu de cette intégration est l’école. Tout changement au sein d’une structure crée une incertitude et une certaine méfiance chez les personnes qui y travaillent (Maltais, Herry et Lévesque, 2001). L’annonce de la mise en place d’un programme « quatre ans à temps plein » et ses modalités de fonctionnement n’ont pas fait exception à cette règle. Le court laps de temps entre l’annonce de la création d’un tel programme et son organisation a probablement contribué à créer chez les enseignantes un climat de méfiance à l’égard des services de garde. Plusieurs personnes ont perçu la participation des services de garde au programme scolaire comme un empiétement dans le champ de compétences des enseignantes et du système scolaire. De plus, certains considéraient qu’il s’agissait là d’un premier pas vers le remplacement des enseignantes du programme « quatre ans à temps plein » par des éducatrices. Le contenu des entrevues a mis en évidence deux principales sources de difficultés et de conflits rencontrées lors de l’intégration des services. Ce sont les différences organisationnelles entre les services de garde et l’école et le manque de communication entre le personnel des deux organisations.

Les différences entre les deux types d’organisations

Selon les participants aux entrevues, les différences entre l’école et les services de garde touchaient la culture des deux organisations, la méconnaissance de la culture d’un groupe par l’autre groupe, la formation et les exigences d’obtention du diplôme des différentes intervenantes, leurs conditions de travail et de rémunération. La culture organisationnelle d’une école est très différente de celle d’un service de garde. Chaque organisation a des règles dites et non dites qui les régissent. Par exemple, la tâche d’une enseignante comprend le temps d’enseignement en classe, le temps de préparation, leur participation aux réunions du personnel, les rencontres avec les parents, la surveillance des enfants avant et après les heures de classe, etc. La tâche des éducatrices est différente et comprend principalement le travail qu’elles effectuent en présence des enfants. Elle n’inclut pas les rencontres après l’école ni les journées pédagogiques. Au début de l’année, les enseignantes et les éducatrices ne connaissaient pas la culture de l’autre groupe. Elles ont dû découvrir ces règles d’organisation au fur et à mesure, ce qui a pu contribuer à créer des mésententes et des frustrations.

La formation et les exigences d’obtention du diplôme ont aussi fait l’objet de discussions lors des entrevues. En Ontario, les exigences de formation des enseignantes et des éducatrices sont différentes. Les enseignantes doivent détenir un baccalauréat en éducation, et la compétence linguistique (communication orale et écrite) est une condition d’obtention de leur diplôme. Les éducatrices, quant à elles, doivent détenir un diplôme d’études collégiales et la compétence linguistique n’est pas une condition d’obtention de leur diplôme. Lors des entrevues, les éducatrices ont souhaité une meilleure reconnaissance de leur formation, car elles estiment pouvoir offrir des activités riches et variées dans tous les domaines, y compris le domaine scolaire. De leur côté, les enseignantes mentionnent que la formation des éducatrices n’est pas suffisante pour travailler en milieu scolaire. Elles estiment que la formation des éducatrices est insuffisante pour transmettre les notions du programme du ministère de l’Éducation de l’Ontario et pour évaluer les apprentissages des enfants. Finalement, les conditions de travail et de rémunération des enseignantes sont différentes de celles des éducatrices. Le salaire de ces dernières est moindre que celui des enseignantes et les éducatrices ne sont rémunérées que pour le temps passé avec les enfants. De ce fait, les enseignantes et les parents ont déploré que les éducatrices des services éducatifs ne soient pas disponibles avant ou après les heures de classe, lors des rencontres avec les parents et lors des journées pédagogiques. Cependant, les éducatrices expliquent qu’elles ne peuvent pas assister à ces rencontres, car plusieurs d’entre elles travaillent aussi au service de garde de l’école avant ou après les heures de classe ou dans une autre garderie. Toutes ces différences entre les deux milieux ont causé des divergences d’opinion et exigé des rajustements de la part des enseignantes et des éducatrices.

Le manque de communication entre les intervenants

Le manque de communication a été une autre source de conflit, dont les principales répercussions se sont fait sentir au niveau de la définition du rôle de chacun et du partage des ressources et des locaux. La définition des rôles des enseignantes et des éducatrices a fait l’objet de nombreux commentaires. Au début de l’année scolaire, le Conseil scolaire a présenté un document qui portait sur les rôles respectifs des enseignantes et des éducatrices. Cependant, l’interprétation de certaines définitions et l’exercice quotidien des tâches a créé de nombreuses tensions entre les intervenantes qui réclament des précisions quant à leurs tâches respectives. Lors des entrevues, les enseignantes ont demandé l’entière responsabilité du programme des activités scolaires et n’admettent pas que les éducatrices en assument une partie. Elles jugent que le rôle de ces dernières devrait plutôt se limiter à proposer aux enfants des activités ludiques mettant l’accent sur la socialisation et l’expression artistique. De leur côté, les éducatrices, tout en reconnaissant que l’enseignante est responsable du programme scolaire, veulent assumer un rôle différent de celui du service de garde. Elles ne veulent pas seulement proposer des jeux libres aux enfants, mais aussi des activités d’apprentissage destinées à approfondir les notions explorées par l’enseignante. Ces différences de perception rendent difficiles les relations entre les enseignantes et les éducatrices des services éducatifs et nuisent à la communication entre les deux groupes.

Les groupes interrogés ont souligné un manque de communication entre les enseignantes et les éducatrices. Les parents, les directions d’écoles et les services de garde souhaitent que tous les intervenants travaillent de façon concertée afin d’offrir aux enfants un programme le plus riche possible et d’assurer la continuité des actions posées par les différentes intervenantes. Cette continuité devrait favoriser la constance des interventions auprès des enfants (discipline) et éviter un doublement des activités et du matériel proposés aux enfants, ce qui n’aurait pas toujours été le cas. Plusieurs raisons ont été évoquées pour expliquer ce manque de communication, dont le manque de temps pour se rencontrer, la compétition qui peut exister entre les deux groupes d’intervenantes et le manque de soutien pour les aider à travailler ensemble. Finalement, le partage des ressources et des locaux a aussi soulevé des difficultés. Le Conseil scolaire a attribué un budget d’implantation pour l’achat de matériel et de fournitures, mais ce budget n’a pas été géré de façon uniforme. Certains groupes ont senti qu’ils ne recevaient pas leur juste part. De plus, lorsque les services éducatifs étaient offerts dans le même local que celui de l’enseignante, le partage du matériel a constitué une autre source de mésentente.

Discussion des résultats et conclusion

Le présent article portait sur l’intégration de deux services, l’école et le service de garde, afin d’offrir un programme éducatif à temps plein à tous les enfants de quatre ans. Après avoir proposé un retour sur les études antérieures, il a résumé la structure du programme et présenté les avantages et les difficultés de l’intégration des services de garde à la « maternelle quatre ans ».

Les participants aux entrevues ont reconnu que l’intégration des services a été bénéfique pour les enfants, les parents, le Conseil scolaire et les services de garde. Ils sont unanimes à reconnaître les nombreux avantages d’un programme « quatre ans à temps plein ». Tous mentionnent les progrès langagiers des enfants, ce qui revêt une grande importance pour les écoles de langue française en contexte minoritaire. Cette amélioration langagière leur permet, d’une part, d’avoir le sentiment de contrer l’assimilation linguistique et culturelle et, d’autre part, de favoriser la réussite scolaire. Pour les parents, l’intégration des services a éliminé le casse-tête que constitue la recherche d’un service de garde de qualité, en français et à des coûts raisonnables. De plus, les parents se sont montrés plus favorables à l’intégration des services que les enseignantes et les éducatrices. Johnson et Mathien (1999) avaient fait la même observation lors de leur étude sur l’intégration des services dans le cadre d’un programme destiné aux enfants de cinq ans. L’intégration des services a permis au Conseil scolaire d’offrir un programme de qualité à tous les enfants de quatre ans de son territoire et de s’attirer une plus grande clientèle, et ce tout en respectant les budgets alloués par le ministère de l’Éducation de l’Ontario. Ce programme comporte aussi l’avantage de franciser les enfants en offrant deux années de scolarisation à temps plein (maternelle et jardin d’enfants) avant la première année.

Malgré ces avantages certains, l’intégration des services a connu des difficultés lors de la première année d’implantation du programme « quatre ans à temps plein ». Vivre et surmonter ces défis et ces difficultés ont exigé un investissement personnel important chez plusieurs intervenantes, de même qu’une réorganisation de leur travail. Les recherches concernant l’intégration des services indiquent que la deuxième année de mise en oeuvre d’une intégration soulève moins de difficultés, car la première année a permis d’en aplanir plusieurs, en tout ou en partie (Cameron, Vanderwoerd et Peters, 1995). Parmi les difficultés notées, on compte la méfiance des enseignants à l’égard des éducatrices, les préjugés touchant leurs rôles respectifs, ainsi que leur formation et la non-continuité de leur action. La méfiance des enseignantes à l’égard de l’intégration des services avec les éducatrices découle en partie de leur crainte que le Conseil ne les remplace au profit de ces dernières. Cependant, le Conseil n’a jamais mentionné une telle intention et, selon les résultats de Johnson et Mathien (1999), les parents des quatre provinces (Nouveau-Brunswick, Québec, Ontario et Alberta) participant à la recherche s’opposent catégoriquement au remplacement du personnel enseignant par le personnel des services de garde dans les programmes de petite enfance.

Les préjugés touchant les rôles des enseignantes et des éducatrices sont tenaces tant chez les intervenantes que chez les parents. Chez les parents, les enseignantes bénéficient d’une reconnaissance sociale beaucoup plus grande que les éducatrices. Les résultats de la présente recherche indiquent que les premières veulent assurer seules le rôle pédagogique et elles jugent que les secondes ne devraient s’occuper que des activités de jeux libres. De leur côté, les éducatrices tout en reconnaissant que les enseignantes sont responsables du programme tiennent tout de même à faire reconnaître le côté éducatif de leurs activités et exigent une certaine reconnaissance sociale de leur rôle. La formation des éducatrices est probablement un obstacle à la reconnaissance de leur travail. En effet, elles sont moins scolarisées et leurs conditions d’emploi sont moins avantageuses que celles des enseignantes. Selon Cloutier (1987), pour favoriser la reconnaissance du travail des éducatrices, la garderie aurait avantage à mieux faire connaître au public sa contribution au développement de l’enfant, ce qui lui permettrait d’acquérir une accréditation éducative la situant au rang d’une véritable ressource préscolaire. De leur côté, Betsasel-Presser et Joncas (1997) croient que tant que l’ambiguïté qui entoure la définition de leur rôle respectif durera, les enseignantes de maternelle et les éducatrices auront de la difficulté à s’entendre.

Selon Futrell (1987), le succès des programmes préscolaires ne peut être assuré que par un programme axé sur les besoins des enfants de quatre ans, commun pour les intervenantes de la petite enfance et les enseignants du préscolaire. Dans la situation décrite dans le cadre de cet article, cela représente un défi de taille puisqu’en Ontario il n’y a pas de programme officiel destiné à la « maternelle quatre ans » ni de programme destiné aux services offerts par les services de garde. L’intégration des services peut être une solution viable à condition que les parents, les intervenantes scolaires et les éducatrices définissent un programme commun intégré, puis s’entendent sur l’opérationnalisation de ce programme dans un contexte d’intégration des services. Au cours des entrevues, les parents, les directions d’écoles et de services de garde ont mentionné l’importance d’une concertation entre les enseignantes et les éducatrices, afin d’assurer une certaine continuité dans les programmes de petite enfance. Selon Betsasel-Presser et Joncas (1997) et Betsasel-Presser, Lavoie, et Jacques (1989), cette continuité pourrait être assurée en veillant à ce que ces milieux (école et service de garde) remplissent des fonctions particulières, mais complémentaires. Les parents, dans l’étude de Johnson et Mathien (1999), sont du même avis et souhaitent que les enseignantes et les éducatrices travaillent en équipe. Cependant, ces auteurs se demandent qui doit en assumer le leadership. Lors des entrevues réalisées dans le cadre de la présente étude, les directrices des services de garde ont insisté sur le fait que les directions d’écoles, à cause de leur position d’autorité au sein de l’école, seraient les mieux placées pour favoriser la coopération entre les enseignantes et les éducatrices. Elles pourraient favoriser les rencontres pour planifier les activités, pour préciser les rôles de chacune et pour régler les difficultés qui se présentent. Cela contribuerait à harmoniser les relations entre les intervenantes et ainsi à favoriser la réussite de l’intégration des services au sein du programme « quatre ans à temps plein ».

L’enjeu de l’intégration des services est de taille : fournir aux jeunes enfants des programmes éducatifs de qualité à des coûts raisonnables. L’intégration des services de garde au milieu scolaire est l’une des formules pour y arriver et permettre aux enseignantes et aux éducatrices de poursuivre un objectif commun, celui de favoriser le développement global de l’enfant. Sa réussite repose sur la communication, la coopération et sur une vision commune des besoins des jeunes enfants chez tous les intervenants.