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Depuis une dizaine d’années, les services de proximité sont évoqués par de nombreux chercheurs en sciences sociales et, plus particulièrement, par ceux dont le domaine de recherche fait référence aux notions d’économie sociale et d’économie solidaire. Bien qu’il n’y ait pas consensus quant à leur définition, les services de proximité seraient une réponse à un besoin jugé « d’utilité sociale », impliquant une relation forte entre le prestataire et le bénéficiaire. Ces services seraient offerts au sein d’un territoire restreint, ou pour une population donnée, par un organisme à but non lucratif issu d’un processus d’empowerment collectif dont l’existence repose, notamment à cause d’une demande peu solvable, sur une hybridation des ressources marchandes, non marchandes et non monétaires (Laville, 1992 ; Lévesque et Ninacs, 1997).

Cette définition des services de proximité n’est toutefois pas assez précise pour rendre compte de la diversité de ce champ d’activité. Or, lorsqu’il s’agit d’évaluer l’apport économique et social de tels services, la prise en compte de cette diversité semble d’autant plus nécessaire qu’une définition trop englobante pourrait conduire à une généralisation de certaines observations. Ce problème s’est posé lors d’une recherche empirique effectuée à la fin des années 1990 pour mesurer l’apport des services de proximité en matière de revitalisation socioéconomique des quartiers (Rochefort, 2001). Bien que les services de proximité cherchent principalement à répondre à des besoins sociaux non satisfaits ou insuffisamment satisfaits par l’État-providence ou le marché, il était supposé que leur inscription au sein d’une problématique sociale contemporaine (agir contre l’exclusion sociale et économique, trouver des alternatives au chômage, proposer de nouveaux modes de régulation sociale, réagir contre l’appauvrissement de certains territoires urbains, etc.) entraînait des retombées dépassant largement cette offre de service.

En cours de recherche, il est apparu évident que tous les services de proximité n’ont pas les mêmes impacts socioéconomiques. Or, en observant un certain nombre de variables, il a été possible d’établir une nouvelle typologie permettant de mieux cerner ces différences. Cette typologie, qui sera présentée ultérieurement dans cet article, classe les services de proximité en trois catégories : les organismes communautaires de service, les entreprises communautaires et les services de type « mixte ». En ciblant tout particulièrement le secteur des services de proximité, elle diffère des autres typologies ayant pour objectif de caractériser les multiples composantes de l’économie sociale ou solidaire (D’Amours, 1997 ; Lévesque et Ninacs, 1997).

Quatre variables ont été retenues pour établir cette typologie : la clientèle ou les usagers visés, la forme de travail privilégiée, la place des usagers et des employés au sein de la structure décisionnelle et, enfin, la contribution financière demandée. Ces variables sont liées à des questionnements qui sont apparus principalement mais non exclusivement en cours de recherche ; ces questionnements sont présentés en début d’article. Suivront la présentation de la typologie et de certains résultats de recherche ; ces derniers servent à illustrer la pertinence de notre démarche.

Les services de proximité en tant qu’organismes à but non lucratif

Il y a un fort consensus quant au statut non lucratif des organismes prestataires de services de proximité (Berger et Michel, 1998 ; Laville, 1992, 1994 ; Lévesque et Vaillancourt, 1998). Au Québec, lorsqu’il est question de services de proximité, ce statut juridique recouvre principalement deux réalités : les entreprises à but non lucratif et l’ensemble des groupes ou organismes issus du mouvement communautaire. Ces catégories sont, bien entendu, non exclusives.

Les entreprises à but non lucratif seraient issues de l’entrepreneuriat collectif et combineraient les principes d’une association à ceux généralement liés à l’entreprise. Les quatre règles établies par Vienney (1994) précisent bien comment cette combinaison s’effectue. Ces règles sont les suivantes : un fonctionnement démocratique basé sur l’égalité des personnes (un membre, un vote) ; une détermination de l’activité par les membres ; une distribution collective des surplus ; une appropriation durablement collective des excédents réinvestis. Ces quatre règles s’appliquent facilement à ce qu’il est convenu d’appeler l’ancienne économie sociale, c’est-à-dire les coopératives et les mutuelles (Favreau et Lévesque, 1996). Cependant, pour les organismes prestataires de services de proximité, cette combinaison s’exprimerait différemment. En accordant à ces organismes le qualificatif « d’entreprise solidaire », Laville (1992 : 154) les définit ainsi :

Ce sont avant tout de réelles entreprises qui reposent sur l’engagement de véritables entrepreneurs et dont le fonctionnement, régi par l’offre et la demande, n’est pas artificiellement maintenu par des avantages les livrant à l’accusation de concurrence déloyale. [...] Mais ce sont aussi des entreprises solidaires, c’est-à-dire des entreprises d’un nouveau type du fait que leur équilibre de gestion suppose le recours à des ressources que les autres entreprises ne mobilisent pas. Ces ressources résultent de l’association volontaire de personnes s’estimant concernées par un problème social et se traduisent par la participation des usagers, par des modes d’implication bénévole et par les contributions de différents relais collectifs formels ou informels dans la prestation et la diffusion des services.

Les groupes ou organismes issus du mouvement communautaire apparaissent moins homogènes que les entreprises à but non lucratif. Au Québec, plusieurs typologies ont été mises en place pour rendre compte des multiples composantes de ce mouvement, lesquelles se distinguent tant par leur champ d’intervention que par leur stratégie d’action et leur culture d’organisation (Bélanger et Lévesque, 1992 ; Favreau et Lévesque, 1996 ; Fortin, 1991 ; Mathieu et al., 1996). Bien que cette diversité soit l’une des forces du mouvement communautaire québécois, plusieurs convergences peuvent être constatées entre ses composantes, dont la recherche d’un fonctionnement démocratique, un rapport volontaire de l’individu au groupe, une action axée sur la prise en charge des personnes par elles-mêmes (empowerment), un enracinement dans « le milieu », la mise en oeuvre d’un projet collectif formulé à partir des besoins de ce milieu, le désir de faire advenir une société plus juste, la lutte contre la pauvreté et l’exclusion sociale, ainsi que le refus d’une subordination de la dignité humaine à des impératifs purement économiques ou bureaucratiques (Favreau et Lévesque, 1996 ; Mathieu et al., 1996).

Tant les entreprises à but non lucratif que les groupes ou organismes issus du mouvement communautaire peuvent offrir des services de proximité. En effet, bien que certains documents associant les services de proximité à l’économie sociale insistent sur la production concrète de biens ou de services par une entreprise issue de l’entrepreneuriat collectif (Lévesque, 1989 ; GTES, 1996), d’autres documents soulignent l’importance des groupes ou organismes communautaires comme prestataires de services de proximité (COCES, 1996 ; Favreau et Vaillancourt, 1998 ; Lévesque et Mendell, 1999). Dans un mouvement de continuité dans les buts poursuivis et de rupture dans les modes d’expression (Bélanger et Lévesque, 1992 ; Mathieu et al. 1996), l’action des groupes ou organismes communautaires se serait de plus en plus rapprochée, au cours des années 1990, d’une action de type « service ». Plus profondément encore, les services de proximité s’inscriraient, selon Favreau (1994 ; 1994-1995), dans les nouvelles orientations du mouvement communautaire, c’est-à-dire dans cette volonté d’être partie prenante d’une stratégie de développement communautaire reposant sur la mobilisation des ressources humaines et financières d’une communauté locale en vue de susciter des initiatives qui amélioreraient la situation économique et sociale d’un milieu.

Il existe néanmoins une différence majeure entre les entreprises à but non lucratif et la plupart des groupes ou organismes issus du mouvement communautaire au regard de leurs usagers ou de leurs bénéficiaires. En effet, les groupes ou organismes issus du mouvement communautaire s’adressent habituellement à une clientèle restreinte définie en fonction d’une appartenance à une communauté locale économiquement défavorisée, à un groupe social donné (les jeunes, les femmes, les personnes âgées, etc.) ou à un groupe d’intérêt (les sans-emploi, les assistés sociaux, etc.)[1], tandis que les entreprises à but non lucratif cherchent à assurer leur viabilité économique en diversifiant le plus possible les caractéristiques socioéconomiques de leurs usagers ou leurs bénéficiaires.

L’empowerment collectif et la construction conjointe de l’offre et de la demande

Les services de proximité seraient issus d’une construction conjointe de l’offre et de la demande qui sous-entend la prise en compte des besoins des usagers et des conditions dans lesquelles ils souhaitent que la prestation leur soit rendue (Laville 1992, 1994 ; Berger et Michel, 1998). Vus ainsi, les services de proximité se distingueraient à la fois des services marchands et des services publics puisque, dans ces deux cas, la définition du service se fait par les producteurs alors que les usagers en sont réduits à l’état, plus ou moins passif, de consommateur ou de bénéficiaire (Lévesque, 1994-1995). En donnant lieu à des rapports qui transgressent le cadre traditionnel d’une prestation de service, cette construction conjointe représenterait une source d’innovation sociale (Favreau et Lévesque, 1996).

Cette construction conjointe de l’offre et de la demande est à rapprocher de la notion d’empowerment collectif. Shragge (1993) définit la notion d’empowerment collectif comme un processus de changement dans les relations de pouvoir entre les individus, les groupes et les institutions sociales de façon à ce que ces individus et ces groupes puissent prendre position dans l’arène sociale et politique pour, notamment, exercer un certain contrôle sur les institutions locales. Plus particulièrement, cet empowerment collectif permet « à des personnes relativement démunies d’acquérir ou de récupérer un pouvoir afin d’améliorer leurs conditions de vie » (Bouchard et Gagnon, 1999 : 16).

Cet empowerment collectif ainsi que cette construction conjointe de l’offre et de la demande ne s’expriment pas toujours de la même façon. En confrontant l’identité des promoteurs (groupe ou individu) à celle des usagers, trois modes d’expression des services de proximité peuvent être établis : les services auto-organisés destinés à certains individus issus du groupe promoteur, les services hétérogénérés destinés à un groupe d’usagers autres que les promoteurs et les services cogénérés destinés à un groupe d’usagers qui, tout en ne faisant pas partie du groupe promoteur, reçoivent un service dont la prestation repose en partie sur l’auto-organisation (Laville et Marchat, 1995).

La mise en relief de ces trois modes d’expression de la construction conjointe de l’offre et de la demande paraît nécessaire pour diverses raisons. D’abord, cette différence prend une certaine importance lorsque les services de proximité sont perçus comme l’un des moyens pouvant être utilisés pour développer une citoyenneté plus active (Eme, Gardin et Gounouf, 1994 ; Laville, 1992, 1994) puisque ces trois modes d’expression n’induisent pas les mêmes rapports entre les travailleurs, les usagers, les administrateurs et les autres acteurs sociaux en présence. Il en est également ainsi lorsque les services de proximité sont définis en fonction des valeurs démocratiques inhérentes à l’organisation de leurs activités (Favreau et Lévesque, 1996). En effet, si les services auto-organisés mettent éventuellement en place un processus décisionnel se rapprochant de la démocratie participative, les services hétérogénérés et cogénérés peuvent opter pour une organisation hiérarchisée qui exclut du processus décisionnel les travailleurs et / ou les usagers.

L’hybridation des ressources économiques

Considérée comme l’une des caractéristiques majeures des services de proximité, la notion d’hybridité renvoie principalement à l’utilisation conjuguée des ressources économiques marchandes, non marchandes et non monétaires (le marché, la redistribution et la réciprocité). En effet, si certains services peuvent être marchands lorsqu’ils s’adressent à une clientèle solvable, ou publics lorsqu’ils sont jugés d’intérêt général pour la collectivité, les services de proximité se caractérisent généralement par l’existence d’une demande peu solvable qui les mène à se faire rejeter à la fois par le marché, pour leur manque de rentabilité, et par l’État en cette période de restriction budgétaire. C’est pour surmonter ces obstacles que les services de proximité comptent sur une hybridation des ressources économiques visant à mettre à profit les différentes qualités qui leur sont associées (Laville, 1992, 1994, 1995). Le recours au marché, en mobilisant pour les activités moins rentables les ressources issues de la vente des services, permettrait l’élargissement des champs d’action et des publics touchés. Les ressources publiques et les revenus de transfert serviraient à maintenir l’égalité d’accès aux services. Quant aux ressources non monétaires (réciprocité et bénévolat), elles tempéreraient les contraintes marchandes liées aux coûts de production du service. En somme, le recours conjoint aux principes de marché et de redistribution conférerait, en introduisant des possibilités de péréquation entre ces formes économiques, des marges de manoeuvre supplémentaires (Laville et Marchat, 1995).

L’hybridation des ressources irait plus loin que la simple juxtaposition de celles-ci. Cette dernière serait utilisée par les organismes à but non lucratif pour assurer leur survie tandis que l’hybridation créerait une nouvelle dynamique conduisant à une implication contractualisée et régulée de plusieurs partenaires publics et privés (Séguin, 1995). Bien qu’elle résulte de la crise des finances publiques, cette hybridation témoignerait d’un changement encore plus profond : celui d’une modification des valeurs au sein des mouvements sociaux alternatifs issus des années 1960 (Laville, 1995). Ces derniers, n’étant plus rébarbatifs à une alliance avec l’État ou le marché, rendraient possible l’établissement d’un partenariat basé sur une « coopération de type conflictuel » où tous les acteurs, sans renoncer à leur visée respective, font des compromis (Doré, 1992 ; Favreau et Lévesque, 1996).

Cette hybridation des ressources économiques soulève néanmoins certaines questions. En effet, tout se passe comme si les revenus des organismes prestataires de services de proximité résultaient d’un juste équilibre entre les ressources marchandes, non marchandes et non monétaires. Or, dans la pratique, plusieurs organismes s’adressent à des usagers économiquement défavorisés et leurs ressources monétaires sont quelquefois si modestes que le prix de la prestation a tendance à être fixé de manière symbolique (Berger et Michel, 1998). Par conséquent, ces organismes peuvent rarement exiger un tarif qui équivaut au coût de production du service, ce qui les rend largement dépendants des sources de financement public. Ces sources de financement pouvant être modifiées au gré des priorités du gouvernement, la pérennité de ces organismes est périodiquement remise en cause. Il en va ainsi de leurs impacts socioéconomiques, d’où l’importance de bien mettre en relief le niveau de contribution monétaire des usagers ou bénéficiaires.

Emploi durable, mesure d’insertion à l’emploi ou bénévolat

Tous les organismes prestataires de services de proximité n’accordent pas la même importance à la création d’emplois durables ; ce débat se trouve également dans les documents cherchant à définir ce champ d’activité. Pour Berger et Michel (1998), la création d’emplois durables n’est pas un a priori des services de proximité, mais l’une de ses conséquences souhaitables puisque l’objectif prioritaire du service demeure la réponse à un besoin social non satisfait. Étant donné que les organismes d’insertion sont en train de constituer un « tiers secteur insertionnel » fermé sur lui-même et ne donnant pas accès à une réelle intégration dans la sphère économique, les services de proximité devraient même être perçus comme l’un des moyens privilégiés pour explorer de nouvelles activités qui ne se réfèrent pas uniquement à l’emploi salarié (Eme, 1996a). A contrario, les services de proximité peuvent être perçus comme un moyen de lutter contre le chômage en utilisant de nouveaux créneaux d’emplois demeurés jusqu’ici peu viables (Bailly, 1996 ; CCE, 1995 ; COCES, 1996 ; GTES, 1996).

Dans la pratique, ces prises de position demeurent beaucoup plus flexibles, voire ambiguës, puisque la plupart des services de proximité souhaitant offrir des emplois dits durables utilisent des mesures d’insertion à l’emploi pour trouver les ressources monétaires qu’ils n’arrivent pas à négocier ailleurs (Laville, 1992). Or, bien que ces mesures d’insertion participent à l’hybridation des ressources économiques dont il a été question précédemment, les emplois découlant de ces mesures demeurent précaires vu la durée limitée de ces dernières.

Il convient toutefois de maintenir une distinction entre les organismes souhaitant créer des emplois durables, les organismes faisant appel aux mesures d’insertion à l’emploi pour offrir une expérience de travail aux personnes en situation d’exclusion et les organismes faisant reposer leurs prestations de services sur le bénévolat. En effet, il ne pourrait y avoir une bonne évaluation de leurs retombées sans prendre en compte cette distinction puisque l’organisme faisant appel à des mesures d’insertion pour offrir des expériences de travail aux personnes en situation d’exclusion demeurera centré sur ces personnes à qui la tâche est confiée tandis que l’organisme cherchant à garantir des emplois durables sera centré sur le client pour qui le travail est exécuté (Bailly, 1996).

La définition d’une nouvelle typologie en matière de services de proximité

La considération des éléments soulevés précédemment, à savoir le type d’usagers à qui le service est offert (un groupe restreint défini par des caractéristiques socioéconomiques ou l’ensemble de la communauté), le type de construction conjointe de l’offre et de la demande (la place des usagers et des employés au sein de la structure décisionnelle d’un organisme prestataire de services), la contribution financière des usagers (la part des ressources monétaires dans le budget d’un organisme) ainsi que la forme de travail privilégiée (emploi durable, mesure d’insertion à l’emploi, bénévolat), permet de définir trois modèles de services de proximité : 1) les organismes communautaires de service, 2) les entreprises communautaires et 3) les services de type mixte.

Les organismes communautaires de service s’adressent à une clientèle restreinte ayant généralement peu de ressources monétaires. Par conséquent, ces organismes comptent sur le travail bénévole et insistent sur la notion d’empowerment individuel et collectif afin de limiter leurs coûts de production. Cette notion d’empowerment individuel et collectif se traduit notamment par une forte implication des usagers et des travailleurs dans la structure décisionnelle de l’organisme. À l’inverse, les entreprises communautaires cherchent à offrir des emplois durables à leurs travailleurs et, de ce fait, s’adressent à une clientèle diversifiée afin de garantir leur viabilité économique ; leurs usagers versent une contribution financière proportionnelle au service rendu et occupent moins de place dans la structure décisionnelle de l’entreprise. Cependant, il existe des services de type mixte qui combinent un certain nombre de caractéristiques reliées aux deux autres modèles. La figure suivante illustre ces trois modèles de services de proximité.

Trois modèles de services de proximité

Trois modèles de services de proximité

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Les conséquences pratiques de cette typologie

Cette typologie a été appliquée lors d’une recherche visant à mesurer l’apport des services de proximité en matière de revitalisation socioéconomique des quartiers (Rochefort, 2001)[2]. Pour ce faire, a été constitué un cadre d’évaluation regroupant 14 paramètres d’analyse autour des notions de cohésion sociale, d’insertion sociale, de liens sociaux individuels et de développement économique local. Il serait fastidieux et hors propos de présenter en détail tous les résultats obtenus lors de cette recherche. Notons néanmoins que les services de proximité semblent contribuer à enclencher un processus de développement économique communautaire, soit un processus conduisant à la recomposition du tissu social, au soutien à l’économie locale et à la formation qualifiante des populations résidantes (Favreau et Lévesque, 1996). D’après nos observations, les services de proximité ont un impact plus que substantiel sur la recomposition du tissu social à l’intérieur d’un territoire donné en favorisant la création d’un lien civil[3], en participant à l’émergence d’une identité territoriale et en ménageant des espaces de médiation. Par ailleurs, les services de proximité concourent au développement d’une économie locale en proposant des activités économiques qui répondent aux besoins des populations résidantes et qui se traduisent par la création d’emplois. De plus, en participant activement à des actions concertées de nature économique et en créant, seuls ou en partenariat, de nouveaux services, les services de proximité soutiennent cette économie locale en contribuant à la mise en place d’une dynamique collective et territorialisée de développement. Cependant, l’apport des services de proximité en matière de formation qualifiante des populations résidantes demeure mitigé puisque les données recueillies tendent à démontrer que les individus en situation de marginalisation ont rarement accès à des formations transférables sur le marché du travail.

En l’absence d’une typologie efficace différenciant entre eux les organismes prestataires de services de proximité, ces observations auraient pu être généralisées à l’ensemble des organismes étudiés. Toutefois, lorsque ces observations sont réparties selon nos deux modèles de base, à savoir les organismes communautaires de service et les entreprises communautaires, il est possible de constater que les organismes communautaires de service contribuent davantage à l’émergence d’une identité territoriale, à l’offre de nouveaux services et à l’éclosion d’un lien civil. Par conséquent, ils semblent avoir une plus grande incidence en ce qui a trait à l’amélioration de la cohésion sociale et à l’épanouissement d’une dynamique territorialisée de développement économique. À l’inverse, les entreprises communautaires fournissant des services de proximité ont moins d’influence sur la dynamique d’un quartier, mais contribuent davantage à l’insertion professionnelle des individus marginalisés en créant proportionnellement plus d’emplois durables. Quant aux services de type mixte, la nature de leurs impacts économiques et sociaux dépend du modèle duquel ils se rapprochent le plus.

Par ailleurs, l’usage d’une approche typologique a permis de faire ressortir certains faits qui seraient autrement passés inaperçus. Par exemple, lorsque les services de proximité étudiés dans le cadre de cette recherche sont classés selon leur année de fondation, il est intéressant d’observer un passage progressif des services de type « organisme communautaire » vers des services de type « entreprise communautaire ». Cette observation n’est pas anodine. Elle permet de constater une diminution de l’importance relative des usagers dans la structure décisionnelle des services au fur et à mesure que l’intérêt envers le développement de l’employabilité et la création d’emplois augmente, ce qui concorde avec la plupart des études décrivant plus globalement l’évolution du mouvement communautaire québécois au cours des trente dernières années (Bélanger et Lévesque, 1992 ; Favreau et Lévesque, 1996 ; Mathieu et al., 1996).

Conclusion

Dans cet article, nous avons tenté de démontrer l’utilité de mettre en place une typologie des services de proximité. En émettant l’hypothèse que leurs impacts économiques et sociaux dépendent de certaines caractéristiques qui leur sont propres, nous avons, dans un premier temps, cherché à mettre en relief ces caractéristiques, à savoir le type d’usagers à qui le service est offert, la place des usagers et des travailleurs dans la structure décisionnelle de l’organisme, l’importance relative de la contribution financière des usagers ainsi que la forme de travail privilégiée. Trois modèles de services de proximité ont, par la suite, été définis : les organismes communautaires de service, les entreprises communautaires et les services de type mixte. Pour démontrer l’utilité de cette typologie, les observations tirées d’une recherche mesurant l’apport des services de proximité en matière de revitalisation socioéconomique des quartiers ont été évoquées. En répartissant ces observations selon le modèle de service considéré, force est de reconnaître que cette typologie permet de faire un pas de plus vers l’évitement de généralisations abusives lorsqu’il est question d’analyser les impacts économiques et sociaux imputables aux organismes prestataires de services de proximité. Il va sans dire que cette typologie pourrait également être utilisée au sein d’une tout autre démarche. Puisqu’il apparaît désormais possible d’évaluer quel modèle de service de proximité est le plus susceptible d’avoir des répercussions dans un domaine donné, une démarche pouvant être qualifiée de proactive conduirait à mieux définir, dans la période précédant la mise sur pied d’un nouvel organisme, les caractéristiques que celui-ci devrait posséder pour obtenir les retombées escomptées.