Les comptes rendus

Michèle Charpentier, Priver ou privatiser la vieillesse ?, Presses de l’Université du Québec, Sainte-Foy, 2003, 206 pages.[Notice]

  • Marie-Noëlle Ducharme

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  • Marie-Noëlle Ducharme
    Professionnelle de recherche
    Université du Québec à Montréal

Cet ouvrage porte sur la privatisation des ressources privées d’hébergement pour les personnes âgées au Québec, et sur la pertinence de l’intervention étatique dans ce secteur. À sa lecture, on ne peut que saluer la qualité de l’entreprise et surtout, son grand intérêt, son absolue pertinence. Comment un thème aussi central dans nos débats publics a-t-il pu échapper si longtemps à l’intérêt de la recherche universitaire ? Depuis peu professeure à l’École de travail social de l’Université du Québec à Montréal, l’auteure, Michèle Charpentier, s’intéresse aux personnes âgées depuis une douzaine d’années. Le livre, tiré de sa thèse de doctorat, se divise en quatre chapitres. Le premier chapitre retrace l’évolution des modes d’hébergement au cours du dernier siècle. Si les années 1960 à 1980 ont été marquées par le développement des centres d’accueil, au cours des vingt dernières ont a plutôt insisté sur les politiques de maintien à domicile et sur le resserrement des critères d’admissibilité dans les CHSLD. Pour nous permettre de mieux nous y retrouver, l’auteure dresse l’inventaire complexe des différentes ressources d’hébergement publiques et privées pour les personnes âgées. Ne serait-ce que pour cette section, ce livre est une bénédiction ! Avec près de 100 000 places, le secteur des résidences privées sans permis représente 75 % du secteur de l’hébergement pour les aînés, les CHSLD occupant les autres 25 %. Michèle Charpentier rappelle que, contrairement à la situation qui prévaut aux États-Unis et en Grande-Bretagne, il n’existe pas, au Québec, de loi régissant le secteur des résidences privées pour aînés. Bien que le ministère de la Santé et des Services sociaux affirme que les résidences privées sont destinées aux personnes autonomes, Charpentier rappelle, études à l’appui, que 64 % de la clientèle des résidences privées est en perte d’autonomie. C’est d’ailleurs de cette contradiction que provient l’expression « foyers clandestins » puisque l’article 437 de la Loi sur les services de santé et les services sociaux stipule que nul ne peut exercer les fonctions propres à celles d’un établissement (dont les CHSLD). À cet effet, l’auteure fait valoir que pour l’État : « […] il y a dénégation du rôle croissant joué par le secteur privé sans permis dans l’hébergement et les soins dispensés aux personnes âgées et en perte d’autonomie. On y retrouve aucune mesure directe de soutien et d’assistance aux ressources, aucune norme minimale de qualité mais seulement une procédure de surveillance a posteriori lorsqu’on soupçonne qu’elles empiètent sur les champs de compétence des établissements publics » (p. 44). Le deuxième chapitre resitue la question des résidences privées sans permis dans le cadre théorique des enjeux sociaux, éthiques et juridiques. Ces enjeux renvoient ici à la pertinence d’une régulation étatique visant les résidences abritant des aînés vulnérables. Dans quelle mesure les droits fondamentaux de ces personnes sont-ils assurés au regard de leur liberté de choix, de leur autonomie, de l’accès aux services, de la protection contre les abus et les mauvais traitements ? Ici, les principes d’égale liberté et de prise en compte de la différence, tirés de la théorie de John Rawls sur la justice sociale, sont convoqués. Pour l’auteure, l’intérêt de cette théorie est « […] de proposer un ordre de priorité de valeurs visant à harmoniser l’apparente opposition entre les droits individuels et les droits collectifs pour atteindre une plus grande justice sociale » (p. 82). Appliqué au contexte de l’hébergement privé non agréé, le principe d’égale liberté devrait garantir à chacun l’accès à des milieux de vie décents ; le principe de la différence devrait prendre en compte les besoins des aînés en situation de vulnérabilité. C’est dans cette perspective …