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Le misérabilisme dans l’action sociale : un racisme d’État contemporain ?L’exemple de la prise en charge des SDF depuis 1992[Notice]

  • Stéphane Rullac

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  • Stéphane Rullac
    Éducateur spécialisé
    Formateur chercheur, BUC Ressources (78), École supérieure du travail social des Yvelines, France
    stephane.rullac@buc-ressources.org

La double abrogation des délits de vagabondage et de mendicité en 1992, dans le nouveau Code pénal, a engendré une rupture historique en matière de traitement social des sans-abri, qui sont devenus progressivement des usagers d’un secteur du travail social innovant. Cette évolution consiste à définir une urgence sociale située à la frontière de l’action humanitaire. En instituant une prise en charge relevant du travail social, mais en excluant structurellement le sacro-saint « suivi social », les SDF constituent le support d’une véritable révolution culturelle du travail social. Cette révolution contemporaine a été justifiée par l’évocation d’une fracture sociale qui produit une culture spécifique de la pauvreté extrême : le phénomène contemporain des sans domicile fixe (SDF). Victimes de la société, ces « naufragés » composeraient un groupe culturel particulier, symbole de l’exclusion en sa qualité « d’exclus des exclus ». Ce paradigme est construit à partir d’une vision misérabiliste des SDF qui bénéficient d’un service social en rapport avec leur culture de l’indigence extrême. La mobilisation de l’association des Don Quichotte au coeur de l’hiver 2006-2007 a sonné le rejet de l’urgence sociale, pour affirmer celui de l’asile inconditionnel. En passant d’une offre unique à une autre (de l’urgentiste à l’asile), la réponse sociale perpétue la négation des besoins hétérogènes d’une population qui continue d’être ignorée et réduite dans ses réalités culturelles, par le regard biaisé d’un misérabilisme triomphant. Nous verrons en quoi cette approche idéologique se situe dans une appréhension raciste de la diversité culturelle : phénomène bien connu en dehors de nos frontières, mais rapatrié aujourd’hui à domicile. Le travail social étant l’une des missions financées par les pouvoirs publics, nous montrerons que l’alibi culturel permet aujourd’hui, en matière d’assistance aux SDF, l’application d’une politique publique au service du biopouvoir. Ce développement d’un système punitivo-assistanciel institutionnalise une délinquance inédite simultanément assistée et punie. En constatant dès 1993 que le droit des sans-abri de vivre à plein temps dans la rue s’accompagne du droit d’y mourir, un mouvement de panique a saisi les responsables politiques et caritatifs. L’urgence sociale est née de cette prise de conscience (Rullac, 2004). Le Service d’aide médicale urgente social de Paris (Samusocial de Paris ou SSP) a ainsi ouvert le 22 novembre 1993, pour être pérennisé plus tard dans un statut officiel, le 19 décembre 1994. La fondation du SSP marque le point de départ institutionnel de l’urgence sociale, puisqu’elle a nécessité la constitution d’une ligne budgétaire gérée par la Direction départementale des affaires sanitaires et sociales (DDASS). Dans le sillage de l’institution parisienne, le monde associatif s’est très vite engouffré dans la logique urgentiste pour devenir le principal développeur des quatre principales modalités de prise en charge (Damon, 2002) : L’avènement de l’urgence sociale a modifié profondément l’action sociale en enrichissant le secteur de l’hébergement qui reposait jusqu’alors exclusivement sur les CHRS. En articulant une prise en charge en aval (accueil limité à quelques jours) et en amont (accueil sans limitation temporaire), l’urgence sociale s’articule aux CHRS pour composer un secteur toujours à visée d’insertion, mais qui accepte les personnes les plus désocialisées, dans le cadre d’un accueil à bas seuil d’exigence. Les dispositifs relevant de l’urgence sociale interrogent depuis leur création, car ils reposent sur une logique de traitement en urgence d’une problématique sociale qui se caractérise avant tout par la chronicité de la situation sociale de ses usagers : il s’agit du paradoxe institutionnel de l’urgence chronicisée (Rullac, 2004). Au fil des années, les critiques se sont radicalisées. La mobilisation de l’association des Enfants de Don Quichotte au coeur de l’hiver 2006-2007 a sonné la fin du modèle triomphant de …

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