Comptes rendus

Hélène Thomas, Les vulnérables : la démocratie contre les pauvres, Paris, Éditions du Croquant, 2010, 254 p.[Notice]

  • Audrey Gonin

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  • Audrey Gonin
    École de travail social, Université du Québec à Montréal

Dans cet ouvrage, Hélène Thomas apporte une analyse des usages et effets de la notion de vulnérabilité qui, depuis environ trente ans, prend une place importante dans les politiques sociales nationales et internationales. L’auteure développe un regard critique sur la catégorisation des populations défavorisées en termes de « vulnérables », en exposant en quoi la notion de vulnérabilité, mais aussi celles d’équité, de dignité et de responsabilité (qui lui sont associées) peuvent être problématiques du point de vue de la vie démocratique, et tout particulièrement dans les usages actuels qui en sont faits. Hélène Thomas vise en effet à montrer, dans ce livre, que les politiques s’appuyant sur une telle rationalité rompent avec un idéal de justice sociale, en remplaçant, en particulier, la visée d’égalité des droits des citoyens et citoyennes par une visée d’égalité des chances (équité) d’individus qui ne sont alors plus considérés comme sujets politiques. Parallèlement à ce mouvement, l’usage de la notion de dignité est analysé comme participant d’un renouvellement du contrôle social des populations pauvres, en ce que « protéger universellement la dignité revient en l’occurrence à imposer la conception des élites et les canons juridiques de celles-ci. […] La question se pose des raisons pour lesquelles plus la dignité des pauvres est proclamée, plus cette affirmation réduit, dans les faits, leur accès aux moyens de leur propre émancipation sociale et politique » (p. 161 et 133). Cet ouvrage vient ainsi questionner des conceptions qui se sont constituées comme des principes incontestables, et qui orientent fortement les politiques visant les populations défavorisées, de l’aide internationale jusqu’aux programmes d’action sociale nationaux. Le livre d’Hélène Thomas permet de rouvrir, de manière fort utile à notre sens, l’interrogation suivante : au-delà du secours apporté à celles et ceux qui se trouvent dans une situation difficile, ces politiques servent-elles un projet démocratique ? L’auteure examine les points d’achoppement, au regard d’une visée de justice sociale et d’émancipation, de la rationalité qu’elle qualifie d’« épistémè de la vulnérabilité », actuellement dominante dans le traitement de la question sociale. Elle opère ce geste dans une analyse en trois temps : fondements, développements et effets de cette épistémè. Le travail d’Hélène Thomas est construit à partir d’un examen des discours portés au sein d’organisations internationales (rapports du Programme pour le développement des Nations Unies, du Programme alimentaire mondial, de la Banque mondiale, du FMI et de l’OCDE), ainsi qu’au niveau de politiques sociales européennes et françaises. La première partie de l’ouvrage, parfois difficile d’accès, retrace l’investigation menée par l’auteure sur les fondements de cette rationalité, qui instaure à son sens une nouvelle approche des populations défavorisées. La perspective archéologique adoptée permet de situer les ancrages de cette approche, ainsi que les modalités selon lesquelles elle s’est installée, sur le plan international tout d’abord, puis dans les politiques sociales étatiques. Si cet ouvrage étudie ensuite plus spécifiquement les politiques de l’État français, les analyses que l’on y trouve peuvent cependant être pertinentes dans le contexte québécois, car les politiques sociales canadiennes et québécoises s’appuient également sur cette rationalité mondialisée. La deuxième partie consiste en une étude détaillée des enjeux liés à l’usage des notions d’équité, de dignité et de responsabilité au sein de politiques sociales. Tout d’abord, l’auteure avance l’idée que la notion d’équité, auparavant utilisée comme outil conceptuel technique référé à la visée d’égalité, n’a plus cette fonction. Hélène Thomas soutient que l’équité s’est déconnectée du principe d’égalité, pour s’articuler à la notion de responsabilité : « [L’argument de l’équité] justifie l’abandon de la visée égalitariste souvent résumée sous la formule “À chaque citoyen selon ses besoins” et son remplacement par …

Parties annexes