Regards croisés France-QuébecConférences

Éthique et dépistage précoce des enfants déviantsQuelques remarques en marge de la tournée « La prévention précoce en question »[Notice]

  • Raymond Massé

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Bénéficiant des avancées scientifiques dans le champ de la prévention, en particulier d’outils de dépistage et d’intervention préventive efficaces, les sociétés modernes se laissent séduire par les promesses de bénéfices majeurs en termes de prévention de déviances, de comportements ou d’habitudes de vie à risque. L’intervention précoce est effectivement une avenue logique, et souvent efficace, pour améliorer la santé, physique, mentale et sociale, en particulier celle des populations vulnérables. Et ce, surtout si l’on souhaite ne pas être confrontés à la simple gestion coûteuse des dommages liés à la consolidation de ces comportements déviants par rapport aux normes. Tout en reposant sur des justifications éthiques solides (devoir d’aide aux vulnérables, bienfaisance, justice sociale, responsabilité paternaliste de l’État, solidarité sociale, etc.), ces programmes de prévention et d’intervention précoce ne sont toutefois pas à l’abri de possibles abus et dérapages. Tel semble tout au moins être le cas, pour les programmes de dépistage précoce, chez les jeunes enfants (et leur famille), d’éventuelles difficultés d’adaptation sociale pouvant consacrer une carrière de délinquance, de violence, voire de criminalité. Le collectif Pasde0deconduite a depuis une dizaine d’années dénoncé les dérapages associés avec certaines de ces initiatives préventives en France et ailleurs. Dans le présent texte, je proposerai quelques lignes de réflexion critiques sur les dangers et les limites de cette forme de prévention, mais aussi sur les lacunes des discours critiques qui lui sont adressés. Le Québec est très actif dans le champ du soutien aux parents et aux enfants dans une perspective de prévention précoce. Un exemple en est le programme Avenir d’enfants financé conjointement par la Fondation Chagnon et le ministère de la Santé et des Services sociaux. Ses objectifs sont de soutenir et de financer des activités, des projets et des initiatives qui visent à : Tout comme le Programme de services intégrés en périnatalité et pour la petite enfance (PSIPPE) à l’intention des familles vivant en contexte de vulnérabilité (qui fait suite au programme Naître égaux – Grandir en santé et qui intègre le Programme de soutien aux jeunes parents), ces programmes s’inscrivent dans une approche dite écologique, qui repose sur l’accompagnement régulier des familles (p. ex. : visites à domicile régulières par des professionnels dès la naissance), la mobilisation des communautés locales, mais aussi sur diverses interventions visant le développement des « compétences sociales », cognitives et langagières, des habiletés de communication ou de l’attachement parents-enfants. L’un des objectifs majeurs est la promotion de l’« adaptation sociale » des enfants. Le document officiel présentant le programme demeure toutefois totalement silencieux quant à la nature des « mal adaptations » qu’il faudrait prévenir (délinquance, violence, vol). Il comporte des activités interactives de stimulation précoce des enfants de moins de cinq ans visant à prévenir les retards de développement pouvant entraver l’intégration sociale et scolaire des enfants. Ces programmes, s’inscrivant dans une approche écologique, globale et intégrée, n’oublient pas l’importance de favoriser le développement de conditions de vie favorables à l’épanouissement des compétences cognitives et sociales des enfants. Toutefois, plusieurs interventions ciblent très directement les « compétences » des mères et des enfants en mettant l’accent sur les déterminants individuels et familiaux au risque de minimiser l’influence des conditions générales d’existence. À l’image du mot d’ordre qui prévaut en psychologie sociale, le mot d’ordre demeure la promotion de l’empowerment des parents et des enfants, soit la possibilité pour ces personnes de contrôler leur vie et de devenir des agents propres de leur destinée. Se posent alors des questions comme celles-ci : de quelles compétences parle-t-on ? compétences définies par qui ? pour quelles finalités ? Or, dans plusieurs cas, la prévention …

Parties annexes