Comptes rendus

Sexe Inc., Marie-Pierre Boucher, Montréal, Éditions Poètes de brousse, 2010, 82 p.[Notice]

  • Marie-Ève Gauvin

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  • Marie-Ève Gauvin
    Professionnelle de recherche, Institut de recherches et d’études féministes
    Diplômée de deuxième cycle avec concentration en études féministes, Université du Québec à Montréal
    Membre du conseil d’administration Stella
    Membre fondatrice de l’Alliance féministe solidaire pour les droits des travailleuses et travailleurs du sexe (AFS)

Stéréotype, sexitude, diversité sexuelle et de genre, sexisme, stigmatisation, hiérarchisation, systèmes patriarcal et capitaliste, travail du sexe, prostitution, échange économico-sexuel, exploitation, libre choix, monnaie, marchandisation des corps et des plaisirs, libération sexuelle, sexualités allumées, luttes pour l’abolition de la prostitution ou pour la décriminalisation du travail du sexe… Marie-Pierre Boucher ratisse large dans Sexe Inc. J’invite donc les lectrices et les lecteurs à parcourir les 80 pages de l’histoire en demeurant conscients que plusieurs concepts, évènements historiques, personnages et groupes sociaux sont présentés de façon partielle. Pour ma part, c’est à la lumière de mon expérience spécifique en tant que militante féministe pour les droits et l’autonomie des femmes, notamment des travailleuses du sexe, de même que de mon bagage théorique et pratique en travail social que j’aborde cette intéressante contribution au sujet du travail sexuel. Je rendrai compte dans un premier temps de l’analyse particulièrement intéressante de certains problèmes sociaux et économiques effectuée par l’auteure. Dans un deuxième temps, je mettrai en évidence comment ces réflexions revêtent un intérêt pour la pratique du travail social. Peu importe le contexte historique dans lequel elle s’est organisée, la prostitution a été marquée par la honte et la stigmatisation de celles qui l’exercent et très peu de ceux qui en profitent. Du Moyen-Âge à aujourd’hui, la morale a servi de remparts aux gardiens et gardiennes des bonnes moeurs pour assurer leurs privilèges. Les quelques exemples de l’auteure au sujet des institutions prostitutionnelles nous forcent à reconnaître que la fonction sociale du travail sexuel enrichit les caisses du crime organisé et des institutions étatiques corrompues depuis la nuit des temps. Elle permet aux hommes de mousser leur virilité et renforce la hiérarchisation à l’intérieur de la classe sociale des femmes, distinguant celles qui sont dignes et domestiquées de celles qui sont accessibles et souillées. La moralisation et la stigmatisation prostitutionnelle s’expliquent aussi par la place fondamentale qu’occupe la norme hétérosexuelle dans bon nombre de sociétés. Comme l’explique l’auteure, cette hétéronorme, consacrée dans le mariage et la monogamie, entraîne non seulement la stigmatisation des « prostituées », mais aussi de toutes les femmes qui transgressent cet idéal normatif. Un double standard teinte la manière dont les prostituées sont jugées. Elles sont accusées de renforcer les stéréotypes de genre et les attitudes sexistes, voire la violence à l’égard des femmes parce qu’elles jouent les « allumeuses » dans l’espace public. En réalité, de telles attitudes voilent deux problèmes. Premièrement, celui qu’une majorité de femmes ont des rapports professionnels et de couples traversés par le sexisme et que la plupart d’entre elles renforcent les canons de beauté à un moment ou à un autre. Deuxièmement, le fait que notre stigmatisation des putes en raison de leur transgression des normes sexuelles participe à l’assignation des femmes et des hommes à des rôles de genre et à des modèles de sexualité prescrits. Les travailleuses et travailleurs sociaux pourront certes prendre conscience de cette problématisation de la norme hétérosexuelle pour amorcer une réflexion critique bénéfique à leur pratique. Par exemple, sommes-nous conscients des jugements que nous portons sur les femmes auprès desquelles nous intervenons ? Sans doute est-il nécessaire d’identifier les valeurs sur lesquelles reposent nos considérations morales, de même que l’exclusion et la marginalisation qu’entraîne notre aliénation aux modèles de genre et de sexualité prescrits. La critique de Marie-Pierre Boucher permet aussi de mieux comprendre comment cette stigmatisation s’immisce dans les rapports sociaux de sexe en reconduisant, comme dans le rapport de classe antagoniste bourgeoisie / prolétariat, la hiérarchisation hommes / femmes. Ce sont encore les hommes qui aménagent la disponibilité sexuelle des femmes, étant ceux qui …

Parties annexes