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INtroduction

Les débats sur la discrimination et le racisme systémiques ont pris le devant de l’actualité québécoise depuis le dépôt, en 2016, d’une pétition à l’Assemblée nationale du Québec réclamant la mise sur pied d’une commission d’enquête publique sur ces enjeux. Les réactions épidermiques d’une partie importante de la population et de la classe politique québécoises face à cette initiative ont mis en évidence le rapport complexe que plusieurs Québécois.es entretiennent à l’égard des enjeux liés à l’histoire et à l’actualité du racisme. Les réflexes de repli, de rejet et de victimisation suscités par ces débats nous incitent à porter une attention particulière au vocabulaire utilisé pour discuter de la persistance des inégalités systémiques fondées sur le racisme[1] dans le contexte spécifique du Québec. Comme le souligne le politologue Mohammad-Mahmoud Ould Mohamedou (2018), la terminologie constitue un enjeu de première importance dans un contexte mondial marqué par le « retour du racisme ». Cela est encore plus vrai au Québec, où la majorité francophone a historiquement mobilisé les concepts associés à la « race » et au racisme dans le cadre des débats sur les droits linguistiques, culturels et constitutionnels des Canadiens français (Mills, 2016).

À partir des expériences, anciennes et récentes, de la Ligue des droits et libertés (LDL), nous proposons une analyse des principaux enjeux liés à la mobilisation du concept de « racisme systémique » dans le cadre des luttes pour la promotion des droits humains au Québec. Après avoir donné un bref aperçu des combats menés par la Ligue dans ce domaine depuis sa fondation, nous analysons l’impact du virage discursif, stratégique et analytique pris récemment par cette organisation vers l’approche systémique du racisme. Nous démontrerons l’intérêt de la perspective systémique sur le plan de la pratique militante, en particulier dans les domaines de l’éducation, de la sensibilisation, du réseautage, de la mobilisation et de l’analyse des enjeux sociopolitiques. Nous présentons par la suite les principaux apports du concept de racisme systémique en matière d’analyse des enjeux de droits humains.

En dépassant les approches formelle, juridique et individuelle du droit à l’égalité, la perspective systémique du racisme permet de prendre en compte les mécanismes, les structures, les institutions et les systèmes sociaux qui participent au maintien du pouvoir et des privilèges des personnes « blanches » dans la société québécoise. Cette approche met également en lumière les impacts multiples, enchevêtrés et cumulatifs du racisme sur les violations de droits des personnes racisées. Envisagée dans sa complémentarité avec les luttes contre d’autres systèmes d’oppression, cette approche s’inscrit résolument dans la perspective politico-morale qui est au fondement de l’idéal universaliste des droits humains. Elle s’arrime également au principe d’interdépendance des droits qui est le socle du droit international et de la pratique militante de la Ligue des droits et libertés.

Une tradition d’un demi-siÈcle[2]

La Ligue des droits et libertés (LDL) est l’une des plus anciennes et des plus importantes associations de défense des droits humains au Canada. Fondée en 1963, en pleine Révolution tranquille, cette organisation a été au coeur de nombreuses luttes contre le racisme et la discrimination qui ont jalonné l’histoire du Québec contemporain. C’est notamment à l’instigation de ses militant.e.s que le gouvernement québécois adopte à l’unanimité, en 1975, la Charte des droits et libertés de la personne, qui interdit formellement toute discrimination fondée sur les motifs liés, entre autres, à la « race », à la couleur de la peau, à la religion et à l’origine ethnique ou nationale (Bosset, 2013). Au début des années 1980, la Ligue a joué un rôle central, sur les plans juridique, médiatique et politique, dans le combat des travailleurs noirs contre le racisme et la discrimination dans l’industrie montréalaise du taxi (Mills, 2016). À une époque où ces enjeux ne suscitaient le plus souvent qu’indifférence, la Ligue s’est également portée à la défense des Premières Nations du Québec, notamment pendant la « guerre du saumon » de 1981-1982 et la Crise d’Oka de 1990. Parallèlement, ses militant.e.s ont joué un rôle pionnier dans plusieurs combats cruciaux pour le droit à l’égalité, que ce soit pour la défense des droits des personnes réfugiées, déplacées et sans statut, dans le combat contre la montée des groupes d’extrême droite et néonazis ou contre le profilage racial. Au début des années 1990, la LDL a par ailleurs milité pour la mise sur pied du Tribunal des droits de la personne et participé au Comité d’intervention contre la violence raciste, qui a débouché sur le rapport Violence et racisme au Québec (CICVR, 1992). L’ouvrage commémoratif publié en 2013, dans le cadre du 50e anniversaire de la Ligue, démontre le rôle d’avant-garde de cette organisation dans l’évolution des débats sur le racisme au Québec (LDL, 2013a).

Or, si la Ligue et ses allié.e.s ont combattu plusieurs manifestations brutales du racisme au Québec, l’essentiel du chemin à parcourir pour atteindre l’égalité réelle entre tous les citoyen.ne.s reste encore devant nous. La situation des personnes racisées au Québec démontre en effet les limites des approches classiques en matière de militance pour les droits humains, centrées sur la quête d’égalité juridique et formelle, sur la contestation des pratiques discriminatoires et sur la condamnation des manifestations ouvertes ou déclarées de racisme. Bien que ces approches restent pertinentes pour combattre la montée actuelle de la xénophobie, du racisme et de l’islamophobie, elles ne remettent pas en cause les fondements historiques, structurels et macro-sociétaux du racisme, qui par ailleurs les perpétuent. Le récent virage opéré par la LDL vers l’approche systémique du racisme est une réponse directe à ce constat, établi après plus d’un demi-siècle d’engagement pour la défense des droits humains au Québec.

Un nouveau paradigme : l’approche systÉmique du racisme

Lors de l’Assemblée générale annuelle de la LDL du printemps 2016, ses membres ont érigé la lutte contre le racisme au rang des dossiers prioritaires. Cette décision intervenait dans un contexte marqué notamment par l’éclosion de groupuscules identitaires et islamophobes au Québec (La Meute, les Soldats d’Odin, Pegida Québec, Table Rase, Atalante-Québec, les III% et la Fédération des Québécois de souche, etc.), par la montée de l’extrême droite dans le monde et par la recrudescence des discours racistes et islamophobes au Canada, en particulier dans le cadre de l’accueil des réfugiés syriens.

En s’inspirant des théories sur le racisme systémique développées depuis la fin des années 1960, dans la foulée des travaux pionniers des militants afro-américains Stokely Carmichael et de Charles V. Hamilton, la LDL a alors opéré un virage discursif, stratégique et analytique vers l’approche systémique du racisme. Plutôt que de s’intéresser uniquement aux actes de discriminations et aux manifestations de racisme ouvert ou déclaré, ses militants considèrent le racisme systémique comme « un ensemble de structures, d’actions et de croyances économiques, politiques et culturelles qui systématisent et perpétuent la répartition inégale des privilèges, des ressources et du pouvoir entre les personnes blanches et les personnes de couleur (racisées) » (Hilliard, 1992 cité dans LDL, 2017). Centrée sur l’analyse du pouvoir, l’approche systémique évite de réduire le racisme à une forme de « psychopathologie » portée par une minorité d’individus ou à une croyance ancienne destinée à disparaître grâce à l’évolution des lois, de la culture et des mentalités (Taguieff, 1998). Pour reprendre les termes de l’un des fondateurs de la théorie du racisme systémique, Joe Feagin, l’approche systémique permet d’exposer les caractères à la fois « profond », « complexe » et « institutionnalisé » du racisme et la manière dont il structure l’ensemble d’une société (Feagin et Elias, 2013).

Envisageant les dimensions historiques, cumulatives et macro-sociétales de ce système de maintien du pouvoir, cette approche prend en compte les articulations entre le racisme individuel ou ordinaire (inscrit dans la psychologie et les interactions sociales concrètes des individus), le racisme institutionnel (porté par les normes, les procédures, les façons de faire et les pratiques des organisations et des institutions) et le racisme sociétal (véhiculé par les valeurs, les croyances, les idéologies et les cultures dominantes d’une société) (Dunezat et Gourdeau, 2016 ; CODP, 2005). Comme le souligne Fabrice Dhume : « L’approche systémique présente l’intérêt de pouvoir combiner plusieurs niveaux d’appréhension et plusieurs séries de mécanismes concourant à produire et entretenir un ordre inégalitaire. » (2016, p. 36) C’est précisément cet ordre inégalitaire global qu’il convient de remettre en cause si nous voulons espérer réaliser les promesses d’égalité portées par l’idéal universaliste des droits humains.

L’originalité de la perspective de LDL tient à sa volonté d’arrimer cette approche systémique au principe d’interdépendance des droits humains, qui « consiste à reconnaître que la réalisation d’un droit est intimement liée à celle des autres droits » (LDL, 2013b). Cette approche conjointe a fait l’objet d’une analyse approfondie dans le cadre d’un numéro spécial de la revue Droits et libertés consacré à la thématique du racisme (LDL, 2016). Comme l’affirme Lysiane Roch dans la présentation de ce numéro : « Le racisme est l’expression de rapports de domination et la contribution de la LDL sera de mettre en lumière ces rapports afin de participer à la lutte pour les abolir et non de se limiter à en dénoncer les manifestations. » (p. 7) À travers les écrits et les réflexions de chercheur.se.s et de militant.e.s d’horizons divers, ce numéro thématique explore plusieurs mécanismes de perpétuation du racisme au Québec : des inclinaisons psychologiques (biais implicites) aux relations asymétriques Nord-Sud, en passant par les processus de silencisation/invisibilisation des personnes racisées et les diverses formes de violences physiques ou symboliques perpétrées par l’État, la police, les services sociaux, l’école et le système de justice. Cette publication consacrait l’adoption, par la Ligue, de l’approche systémique comme cadre central de sa pratique militante antiraciste, en fournissant les outils analytiques permettant d’arrimer cette approche à sa perspective centrée sur l’interdépendance des droits humains.

Éducation et sensibilisation aux droits humains

Les expériences récentes de la LDL démontrent l’intérêt de l’approche systémique du racisme comme outil d’éducation et de sensibilisation aux droits humains, en particulier auprès des personnes non racisées. À l’automne 2017, la Ligue publiait une brochure intitulée Le Racisme systémique… Parlons-en ! (LDL, 2017). Visant à sensibiliser la population aux inégalités systémiques fondées sur le racisme au Québec, ce texte expose quelques-uns des mécanismes qui contribuent à les perpétuer et propose des pistes d’actions pour les combattre. En plus de présenter plusieurs concepts centraux de la théorie du racisme systémique (racisation, biais implicites, privilège blanc, blanchité, etc.), la brochure met en lumière le caractère souvent caché, indirect, institutionnel et systémique (et non uniquement ouvert, direct, intentionnel et individuel) du racisme, en tant que système.

Le succès important, et à bien des égards inattendu, de cette publication (tirée à plus de 10 000 exemplaires, traduite en anglais) montre qu’elle répondait à un besoin de clarification de ce concept, encore méconnu, mais largement mobilisé dans l’espace public médiatique. On constate en effet que la notion de racisme systémique ne réfère pas à une réalité aussi tangible que celle de discrimination qui, elle, « renvoie à des actes et des pratiques sociales concrètes » (Labelle, 2016, p. 29). L’idée même de système comporte par ailleurs le désavantage de l’abstraction et de la complexité ; c’est pourquoi il est difficile à expliquer sur le plan théorique et à exemplifier sur le plan empirique (Dhume, 2011).

Les commentaires recueillis au sujet de cette brochure indiquent que son principal apport est d’exposer aux personnes « blanches » le fait qu’elles évoluent dans un système complexe, qui les dépasse individuellement, mais auquel elles participent de manière indirecte, involontaire, voire inconsciente. Ce concept permet d’aborder la question du racisme en évitant d’engendrer une réaction défensive comme c’est habituellement le cas lorsque le qualificatif de raciste est vu comme un tort personnel. Il est à noter que le style, le ton et la forme de cette publication visaient volontairement à éviter les réactions de rejet et de victimisation liées au phénomène de la « fragilité blanche » (Di Angelo, 2018), qui sont trop souvent le premier obstacle à la prise de conscience, par les personnes non racisées, de la réalité et des conséquences du racisme.

Fruit d’un important travail collectif de recherche, de réflexion et de consultation, la brochure Le racisme systémique… parlons-en ! est devenue l’un des piliers des activités d’éducation et de sensibilisation de la Ligue. Au lendemain de sa publication, la LDL a organisé une soirée de réflexions autour du concept de racisme systémique, une conférence publique sur « Le racisme systémique et l’islamophobie » et plus d’une trentaine d’ateliers de formation et de sensibilisation auprès de différents groupes (son contenu a également été repris dans une capsule-vidéo du même titre, produite par la LDL en 2019). Ces activités ont permis de mieux circonscrire l’analyse systémique du racisme, de susciter des discussions sur ses manifestations au Québec et d’enrichir la compréhension de ce système grâce aux savoirs, aux récits et aux expériences de personnes issues de différents milieux, et en particulier des communautés racisées.

Mobilisation, rÉseautage et mise en cohÉrence des luttes

Les expériences récentes des militant.e.s de la LDL témoignent également de l’intérêt de l’approche systémique du racisme comme outil de mobilisation, de création d’alliances et de mise en cohérence des luttes. En effet, en attirant l’attention sur un système « que nous n’avons pas choisi », mais dont nous sommes complices si nous n’intervenons pas, l’approche systémique ouvre la porte à la mobilisation de vastes secteurs de la population qui ne se seraient pas sentis concernés parce qu’ils ne se considèrent pas comme racistes. Dans le cadre de son combat contre le racisme, la LDL s’est alliée récemment à plusieurs groupes issus des milieux féministes, syndicaux, communautaires, universitaires, artistiques, etc. Bien que ces groupes s’intéressent à des enjeux spécifiques (sous-représentation médiatique, appropriation culturelle, profilage racial, discrimination à l’embauche, islamophobie, intégration des personnes migrantes, droits des Premières Nations, etc.), leurs efforts individuels participent, lorsqu’ils sont envisagés dans une perspective d’interdépendance, à combattre plusieurs mécanismes ou manifestations du racisme systémique au Québec.

Les alliances établies dans le cadre des revendications en faveur d’une commission d’enquête provinciale sur le racisme systémique, puis d’une consultation publique de la Ville de Montréal, témoignent de l’étendue et de la diversité des réseaux de militant.e.s engagés dans ce combat collectif. La Ligue est par ailleurs impliquée, depuis 2017, dans la Table de concertation sur le racisme systémique, un collectif qui regroupe près de cinquante organismes travaillant à la mise sur pied d’une commission d’enquête sur le racisme systémique issue de la société civile. Ces récentes coalitions démontrent la portée mobilisatrice et fédératrice de l’approche systémique du racisme, et annonce l’émergence d’un véritable mouvement social antiraciste au Québec. Pour reprendre certains concepts fondamentaux de la sociologie des mouvements sociaux, on constate que le « racisme systémique » est devenu le cadre (frame) privilégié des militant.e.s pour circonscrire la réalité du racisme au Québec (cadre diagnostic), pour proposer des pistes de solutions pour le combattre (cadre pronostic) et pour encourager la mobilisation citoyenne et la création de réseaux d’alliances (cadre motivationnel) (Benford et Snow, 2000). Le concept de racisme systémique est par ailleurs utilisé comme paradigme par un nombre grandissant d’acteurs pour identifier les atteintes aux droits des personnes racisées (name), pour dénoncer ces violations (blame) et pour réclamer des mesures pour les faire cesser (claim) (Felstiner, Abel et Sarat, 1991). Les actions récentes entreprises par la Ligue visent à encourager la diffusion de ce cadre et sa réappropriation par le plus grand nombre possible de militant.e.s de milieux divers.

Analyse des enjeux sociopolitiques

L’approche systémique du racisme apparaît comme un puissant instrument d’analyse des lois et des politiques publiques relatives aux droits humains. En effet, plusieurs dossiers majeurs dans lesquels est engagée la LDL – brutalité policière, profilage racial, droits des détenus, droits des Premières Nations, politiques sécuritaires, libertés civiles, environnement, politiques d’immigration, justice sociale, etc. – sont étroitement imbriqués dans la lutte antiraciste, envisagée dans une perspective systémique. C’est le cas notamment des politiques de sécurité nationale, qui visent tout particulièrement les personnes racisées, depuis longtemps associées à la criminalité, à la radicalité et à la dangerosité au Canada (Maynard, 2018). On peut également penser au démantèlement de l’État-providence, qui accentue les violations de droits liées à la « racisation de la pauvreté » (Galabuzi, 2005). Certains de ces dossiers ne concernent pas explicitement les personnes racisées, mais contribuent indirectement à amplifier les inégalités fondées sur le racisme.

C’est ainsi que la Ligue envisage les débats sur la laïcité au Québec à l’aune du concept de racisme systémique. Dans son récent mémoire présenté à la Commission des institutions dans le cadre des consultations sur le projet de loi 21 sur la laïcité, la Ligue dénonçait le fait que « les débats sur la laïcité au Québec ont trop souvent pour conséquence de cibler et d’exclure certains groupes, en particulier les personnes racisées » (LDL, 2019a). À noter que le racisme, qui visait autrefois des personnes appartenant à une soi-disant « race », s’est élargi et vise maintenant des groupes « culturels » construits suivant le même processus de création de l’Autre, comme étant fondamentalement différent et inférieur (Balibar et Wallerstein, 2007). S’appuyant simultanément sur les concepts de racisme systémique et d’interdépendance des droits, la LDL rappelle que la violation de la liberté religieuse de certaines personnes – en particulier les femmes musulmanes racisées – accentue leur stigmatisation et menace l’ensemble de leurs droits ; que ce soit leurs droits civils et politiques (libertés de conscience, de culte, d’expression, etc.) ou leurs droits économiques, sociaux et culturels (droit au travail, à un revenu suffisant, à l’accès à la culture, etc.). Ainsi, sous prétexte de renforcer la neutralité de l’État, ce projet de loi alimente les préjugés à la base de l’islamophobie et porte atteinte aux droits des personnes racisées.

Dans le cadre de la consultation sur le racisme et la discrimination systémiques menée au cours de l’année 2019 par l’Office de consultation publique de Montréal, la LDL a également rappelé aux commissaires et aux autorités municipales les violations de droits cumulatives et enchevêtrées engendrées par le racisme systémique au Québec (LDL, 2019b). Elle a également insisté sur les mécanismes qui favorisent la distribution inégalitaire du pouvoir entre les personnes blanches et racisées et sur les insuffisances des approches traditionnelles adoptées par la Ville, centrées sur l’intégration des immigrants (et non des personnes racisées), sur la promotion de la « diversité ethnoculturelle », sur les programmes d’accès à l’égalité en emploi et sur la dénonciation des manifestations ouvertes de racisme.

Analyse et stratÉgies de luttes pour les droits humains

Comme plusieurs recherches le démontrent, les discriminations à caractère raciste alimentent par ailleurs les préjugés qui, en retour, contribuent à légitimer ces mêmes discriminations. La professeure de droit Colleen Sheppard parle de l’« effet boule de neige » pour expliquer ces mécanismes par lesquels les discriminations se trouvent en quelque sorte légitimées par les inégalités et les exclusions qu’elles engendrent (Sheppard, 2018). Étroitement lié au phénomène de violations en chaîne des droits inhérent au principe d’interdépendance des droits, ce cercle vicieux peut être ralenti par la protection de certains droits spécifiques, mais ne peut être stoppé que si l’on assure le respect intégral de tous les droits humains, pour toutes et tous.

De même, plusieurs études s’appuyant sur le concept d’intersectionnalité montrent que les discriminations systémiques à caractère raciste se cumulent et s’enchevêtrent nécessairement avec d’autres formes de discriminations, fondées notamment sur le genre, la capacité, l’orientation sexuelle, l’appartenance de classe, le lieu de résidence, l’âge, etc. (Agocs, 2004). Pour les militant.e.s des droits humains, ce constat appelle à considérer la défense des droits des personnes appartenant à des groupes minoritaires, subalternes ou marginalisés (pauvres, handicapés, femmes, LGBTQ2+, jeunes, sans-abri, immigrants, Autochtones, etc.) comme partie intégrante du combat antiraciste. Seule une approche radicalement égalitariste pourra en effet apporter une réponse efficace aux apories de la « Révolution des droits » en matière d’universalisation concrète du droit à l’égalité (Moyn, 2018). Dans le contexte néolibéral d’aujourd’hui, cette approche passe en particulier par la lutte contre la logique du tout-au-profit et contre les violations des droits économiques, sociaux et culturels, qui accentuent les inégalités et créent un ordre social qui menace l’ensemble des droits humains (LDL, 2013c).

La perspective systémique du racisme permet, en définitive, de recadrer la lutte pour le droit à l’égalité dans la perspective morale et politique qui est à l’origine même de l’idéal universaliste des droits humains. Étroitement imbriquée aux principes d’indivisibilité et d’interdépendance des droits humains, la lutte contre le racisme systémique s’inscrit dans un projet de société global, dont l’achèvement passe par la remise en cause de toutes les formes de pouvoirs, d’inégalités, de dominations et d’injustices. La lutte contre le racisme systémique menée par les militant.e.s de la LDL et leurs allié.e.s s’inscrit ainsi dans un combat plus vaste pour construire une société juste et égalitaire, où tous les droits humains seront reconnus et protégés, pour toutes et pour tous.