Disputatio

Ockham et la distinction entre les termes abstraits et concrets[Notice]

  • Jennifer Ashworth

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Quand j’ai lu l’ouvrage magistral de Claude Panaccio, je me suis rendu compte que j’aurais de la difficulté à en discuter, parce que je suis d’accord avec tout ce dit l’auteur, surtout en ce qui concerne les problèmes du langage. Je trouve en particulier décisif les arguments qu’il présente contre les thèses de Paul Spade. Ce dernier a argumenté, en se basant sur trois prémisses, qu’il n’y a pas de terme connotatif simple dans le langage mental. Premièrement, chaque terme connotatif a une définition nominale qui, en principe, ne contient que des termes absolus. Deuxièmement, un terme connotatif est synonyme de sa définition. Troisièmement, il n’y a pas de synonymie dans le langage mental. Il s’ensuit que, dans le langage mental, un terme connotatif sera remplacé par une séquence de termes absolus qui, selon Ockham, réfèrent aux substances et qualités individuelles d’une manière directe. En opposition à Spade, Panaccio a montré qu’il est impossible d’éliminer les concepts connotatifs simples du langage mental et que les termes connotatifs simples ne sont pas synonymes de leurs définitions nominales. Il est vrai que par ses analyses du langage Ockham voulait montrer que l’on pouvait parler du monde sans multiplier les entités, mais on peut atteindre cet objectif tout en admettant une certaine complexité au niveau des concepts simples. En outre, Panaccio a établi deux thèses importantes. D’abord, Ockham ne s’intéresse pas à la construction d’un langage mental idéal mais plutôt au fonctionnement idéal de notre esprit. En deuxième lieu, l’étude de ce fonctionnement idéal ne nous donne pas toutes les solutions aux problèmes de signification parce que, pour comprendre l’acception des termes, il faut connaître les intentions des impositeurs, ceux qui ont donné leur signification primordiale aux termes oraux. Selon Panaccio, Ockham présente une théorie externaliste de la signification du langage. Il serait inutile de reproduire ici tout ce que Panaccio a déjà expliqué avec une clarté admirable dans son ouvrage, ou d’examiner les mêmes textes que lui. Je me contenterai d’apporter quelques précisions et de signaler dans l’oeuvre d’Ockham les passages pertinents qui appuient les conclusions de Panaccio. Afin d’accomplir cette tâche, j’examinerai la distinction entre les termes abstraits et concrets, un thème que Panaccio n’aborde pas dans son ouvrage. Dans la première partie de ma discussion je signalerai un problème lié à la définition d’un terme connotatif ; dans la seconde partie, je soulignerai l’importance de l’imposition des termes pour Ockham. Commençons donc par expliquer ce qui distingue les termes abstraits des termes concrets. Pour un réaliste, la réponse est simple : un terme abstrait comme humanitas (« humanité ») nomme une nature commune, et un terme concret, comme homo (« homme »), nomme les individus qui participent à cette nature. Pour Ockham, le nominaliste, la différence entre les deux types de termes n’est pas sémantique mais morphologique. Dans le langage oral, un terme concret a une terminaison qui diffère de celle du terme abstrait, et, dans plusieurs cas, il contient moins de syllabes. Il y a aussi une différence grammaticale. Fréquemment, le terme concret est un adjectif et le terme abstrait, un substantif. Cela dit, il convient de constater que le même terme peut faire fonction soit d’abstrait, soit de concret. Par rapport au mot humanitas, homo est un terme concret, mais par rapport au terme humanum, homo est un terme abstrait. Dans ses Quodlibeta Ockham demande s’il y a une distinction entre les termes abstraits et concrets dans le langage mental, et, afin de répondre à cette question, il propose une division en quatre groupes. Dans le premier groupe on trouve les termes concrets qui supposent pour et …

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