Disputatio

Le rôle des concepts selon Ockham[Notice]

  • Peter King

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Ockham soutient que les concepts jouent un double rôle. D’une part, ils sont les unités fondamentales d’une certaine sorte d’actes mentaux : ce que nous appellerions des actes de pensée, plutôt que (disons) des actes de choix, de haine ou d’audition. Les concepts sont, avant tout, les cas paradigmatiques de la cognition intellectuelle : penser à , ce n’est qu’une question d’occurrence d’un concept-de–. Les concepts sont donc des actes mentaux « à propos de » quoi que ce soit dont ils puissent être à propos : des choux, des rois ou des cochons avec des ailes. Certains concepts sont à propos de substances individuelles, telle que Socrate ; d’autres ont trait aux classes ou aux sortes de substances, telles que les êtres humains. Les concepts sont acquis, à tout le moins initialement, avec l’expérience, et, dans l’économie de l’esprit, ils sont aussi les blocs de construction primaires de la pensée elle-même. En d’autres mots, les actes de cognition intellectuelle – penser, juger, raisonner – sont composés de concepts combinés de diverses façons (possiblement complexes) ; en philosophie de l’esprit, Ockham endosse un principe de compositionnalité. D’autre part, les concepts sont les unités fondamentales de la sémantique : ce sont des signes naturels, dotés de signification, tout comme les signes conventionnels du français ou de l’anglais, et qui, comme ces derniers, sont les éléments d’un langage : un langage mental non conventionnel commun à tous les êtres pensants (à l’exception de Dieu, cela va de soi). Un concept est donc littéralement un « mot » mental et, comme n’importe quel mot, il peut être combiné avec d’autres mots pour créer des phrases, des énoncés ou des arguments pourvus de sens. Ockham utilise « terme » pour référer à une telle unité linguistique de base, qu’elle soit parlée ou pensée. Lorsqu’ils sont utilisés dans une phrase, les termes ont, en plus de la signification, la propriété sémantique de supposition (à peu près analogue à « référence »), qui intervient dans l’explication de la façon dont un énoncé donné est vrai ou faux. Ici aussi, un principe de compositionnalité est à l’oeuvre : les mots forment des énoncés qui, à leur tour, forment des arguments. Les concepts sont le vocabulaire du langage mental qui, comme tout langage, a sa syntaxe et ses règles de formulation propres. Ockham soutient que les deux rôles joués par les concepts, l’un psychologique et l’autre linguistique, sont coordonnés. Le procédé psychologique qui consiste à combiner des actes de pensée reflète le procédé linguistique qui consiste à enchaîner les mots les uns à la suite des autres. Les phrases sont des actes de pensée séquentiels ; les énoncés, les jugements et les arguments sont littéralement des cas de raisonnement. Chaque discipline bénéficie ainsi de l’autre : la psychologie peut adopter la théorie relativement sophistiquée de la sémantique pour parler de la pensée de manière détaillée et structurée, et la sémantique peut développer l’intuition courante selon laquelle les mots tirent leur sens des idées auxquelles ils sont associés ; le langage, écrit ou parlé, est donc une question d’encodage de nos pensées. Cette « thèse de la coordination » est l’aspect modern de la via moderna du quatorzième siècle. Tout cela est relativement exempt de controverse. Il y a certainement des raisons d’être sceptique quant au projet lui-même : conjuguer les objectifs descriptifs de la psychologie et les objectifs normatifs de la grammaire et de la logique n’est pas facile. Même si nous acceptions le projet pour les besoins de la discussion, nous pourrions nous demander à quel point les concepts sont en mesure de fonctionner simultanément …

Parties annexes