Comptes rendus

Nicolas Tavaglione, Le dilemme du soldat. Guerre juste et prohibition du meurtre, Genève, Éditions Labor et Fides, coll. « Le champ éthique », 2005, 166 p.[Notice]

  • Karine Wurtz

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  • Karine Wurtz
    Université de Montréal
    Université de Paris I Panthéon-Sorbonne

L’apparent dilemme du soldat est-il un vrai dilemme ? Telle est la question que Nicolas Tavaglione se propose d’élucider dans ce livre. En effet, si on accepte qu’un individu moyen puisse avoir de bonnes raisons morales de participer à la guerre juste dans laquelle son pays est engagé et que par ailleurs, on fonde moralement la prohibition absolue du meurtre, alors la suspension de l’interdiction de tuer qui accompagne l’activité militaire contredit l’interdiction de tuer de la morale ordinaire. Par conséquent, il est à la fois moral et immoral de se faire soldat. L’ouvrage de Nicolas Tavaglione va établir ce dilemme, en tester la résistance, puis proposera des conséquences pratiques acceptables. Dans le premier chapitre, Nicolas Tavaglione se propose de tester une première autorité morale, qui soutient la première corne du dilemme : ce qu’il nomme « la convention des bons citoyens ». À partir des règles du jus ad bellum et du jus in bello, l’auteur s’interroge sur le nombre de critères qu’il faut satisfaire pour conclure qu’une guerre dans laquelle mon pays est engagé est bien une guerre juste. Si toutes les règles doivent être observées, alors aucune guerre n’est juste et il n’est plus possible, par exemple, de faire la différence entre la guerre de Hitler et la guerre contre Hitler. Il faut donc conserver une attitude indulgente face aux critères et accepter comme juste une guerre qui remplit la plupart d’entre eux. De plus, on peut justifier les règles de la doctrine tant d’un point de vue conséquentialiste (en passant par l’utilitarisme de la règle) que d’un point de vue déontologique. Et au sein du déontologisme, on peut soutenir autant un point de vue individuel qu’un point de vue collectiviste. Si bien que la doctrine de la guerre juste semble faire l’objet d’un consensus par recoupement, à la manière de Rawls. Nicolas Tavaglione démontre ainsi que la doctrine de la guerre juste est bien une doctrine « morale ». Une fois qu’on s’est assuré, grâce au crible des règles de la doctrine, que la guerre à laquelle on se propose de participer est une guerre juste se dégage une « obligation de servir » que plusieurs raisons viennent appuyer : d’abord un devoir de solidarité communautaire, ensuite ce que nous pouvons appeler un « principe d’équité », et enfin une obligation d’obéir à la loi légitime. Cette dernière obligation étant soumise à la condition que l’État lui-même remplisse des conditions libérales. Or, une fois qu’on a établi cette obligation de servir, on est logiquement poussé à admettre une suspension de l’interdiction de tuer. Dans la seconde partie, Nicolas Tavaglione examine la seconde corne du dilemme, ainsi désignée : « l’intuition des bons voisins ». Après avoir établi, en s’appuyant sur les travaux de Stuart Hampshire, que le meurtre pouvait être compté au nombre des prohibitions morales ordinaires, l’auteur s’interroge sur la nature de ces prohibitions. Nous verrons qu’elles ne sont pas relatives aux conséquences de l’action et, par une démarche anthropologique valable pour la plupart des individus correctement éduqués à la vie sociale, que l’interdiction du meurtre est une prohibition inconditionnelle. Pour corroborer cette idée, constatons que les prohibitions absolues frappent les actes « en tant que tels ». En effet, les jugements moraux font intervenir des concepts moraux épais, c’est-à-dire des concepts dont la définition renvoie à une description de l’acte. Or on constate que la description de l’acte comprend les termes mêmes de l’interdiction. Dès lors, le meurtre est interdit « parce que c’est un meurtre ». De plus, nous avons un argument logique à la prohibition absolue du meurtre : celui-ci est « …