Disputatio

Précis de Les philosophies du néo-darwinisme (2009)[Notice]

  • Richard G. Delisle

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C’est un grand honneur que d’être appelé à répondre aux commentaires de chercheurs aussi éminents en matière de darwinisme que Daniel Becquemont, Barbara Continenza et Michel Morange. Ce feu croisé de réflexions soulève un débat passionnant et stimulant, témoin d’un champ d’investigation vigoureux que sont les études darwiniennes et évolutionnistes. Mon ouvrage Les philosophies du néo-darwinisme : Conceptions divergentes sur l’homme et le sens de l’évolution (Paris, Presses universitaires de France, 2009), tente de revoir la signification de l’épisode charnière de la Synthèse moderne en biologie de l’évolution entre les années 1930 et 1960, afin d’expressément ouvrir une réflexion philosophique beaucoup plus large sur l’ensemble du développement du darwinisme jusqu’à aujourd’hui. Trop souvent, notre pensée au sujet du darwinisme s’inscrit dans une conception linéaire de son développement historique et théorique : la période fondatrice de L’origine des espèces (1859) de Charles Darwin ; l’éclipse relative des études darwiniennes lors du premier tiers du xxe siècle ; le renouveau de ces études à la suite de la rencontre de la théorie de la sélection naturelle et de la génétique des populations à partir des années 1930, d’où la constitution de la Synthèse moderne. Cette lecture linéaire, me semble-t-il, constitue une véritable camisole de force excluant des darwiniens des portions entières de leur oeuvre qui ne doivent pas figurer dans la trame « officielle » du darwinisme. Faisant fi de cette linéarité, l’analyse que je propose de la Synthèse moderne restitue tout le pluralisme inhérent de la démarche des penseurs néo-darwiniens. Il s’agit d’une coupe transversale par-delà les divergences méthodologiques, conceptuelles, théoriques et métaphysiques afin de faire la démonstration que plusieurs fondateurs de la Synthèse moderne souscrivent à des évolutionnismes sortant largement des marques usuelles du néo-darwinisme. C’est sans conteste que la parution de L’origine des espèces apporta à la conception évolutionniste du monde une crédibilité nouvelle en plus d’instituer, dans sa foulée, une impulsion renouvelée pour ce genre d’étude. Bien davantage que cela, le darwinisme contribuera à infléchir le programme de recherche transformiste en privilégiant une compréhension étiologique de l’évolution biologique. En positionnant le mécanisme de la sélection naturelle au coeur de la biologie de l’évolution, Darwin est devenu l’inspirateur d’un programme de recherche ayant en son centre la compréhension des causes évolutives. Il arrive même parfois que l’historiographie de la biologie de l’évolution au xxe siècle en vienne à se résumer à l’histoire des diverses théories de l’évolution : néo-lamarckisme, orthogenèse, néo-darwinisme, théorie neutraliste de l’évolution, etc. D’aucuns diront même qu’une science de l’évolution digne de ce nom ne peut être qu’une science des mécanismes évolutifs. Or cette conception ne recouvre que très partiellement la réalité historique, et ce, de l’aveu même de certains fondateurs du néo-darwinisme. En effet, pour autant que ces derniers soient de véritables promoteurs de la théorie de la sélection naturelle, il n’empêche qu’ils proposent des vues divergentes quant à la place que devrait occuper les mécanismes évolutifs dans la quête transformiste. Pour dire les choses simplement, la conception traditionnelle d’un néo-darwinisme centré autour des mécanismes évolutifs est incapable de rendre compte du pluralisme à la source de ce mouvement. Il semble donc légitime de se demander si cette conception étroite du néo-darwinisme n’est pas davantage le sous-produit d’un certain type d’analyse historique, sociologique et philosophique. La thèse principale que je cherche à étoffer dans cette étude peut se résumer ainsi : le néo-darwinisme ne semble pas constituer un mouvement à partir duquel tous les néo-darwiniens émergent, mais représente plutôt un lieu de rencontre où tous y puisent des mécanismes évolutifs afin de les insérer dans des cadres épistémologico-métaphysiques incommensurables, ce dernier terme …