Comptes rendus

Bas C. van Fraassen, Scientific Representation : Paradoxes of Perspective, Oxford University Press, Clarendon Press, 2008, 408 + xiv p.[Notice]

  • Jean-Claude Simard

En 1980, le petit monde de la philosophie des sciences était ébranlé par la parution d’un ouvrage aux dimensions réduites : The Scientific Image. La posture antiréaliste de l’auteur prenait à rebours nombre de positions usuelles. De plus, il y défendait l’idée d’« adéquation empirique », laquelle a fait fortune et est en quelque sorte devenue, depuis, sa marque de commerce. Ce nouvel ouvrage, qui paraît presque trente ans plus tard, développe un nouveau concept, la représentation scientifique du titre, peut-être appelé, lui aussi, à un grand avenir. Essayons de voir pourquoi. L’ouvrage comprend treize chapitres, regroupés en quatre sections de longueur variable, elles-mêmes suivies de quatre appendices précisant des aspects des chapitres I, VI, VII et XIII. Le tout est précédé d’une brève introduction. La première section (« Representation », chap. I-III, 11-88) s’interroge sur ce qu’est la représentation, tant en art qu’en science. Van Fraassen y voit une notion primitive et non réductible (7). La deuxième (« Windows, Engines, and Measurement », chap. IV-VII, 91-185) aborde la question de la mesure, vue comme une forme de représentation, et soulève le problème de la coordination, que nous examinerons tout à l’heure. La troisième (« Structure and Perspective », chap. VIII-XI, 189-261) passe en revue l’évolution du structuralisme chez les philosophes antérieurs. Van Fraassen y propose sa propre version de cette approche, qu’il baptise structuralisme empiriste. La quatrième (« Appearance and Reality », chap. XII-XIII, 269-308), enfin, analyse les critères de base à partir desquels on peut juger la science moderne. Curieusement, l’ouvrage se termine sans véritable conclusion. Comme il est illusoire de penser rendre justice, en quelques pages, à un travail aussi riche que dense et subtil, nous opterons ici pour une présentation thématique plutôt que séquentielle. On le sait, on ne peut interpréter correctement la mécanique quantique (dorénavant MQ) à moins de disposer d’une théorie de la mesure. Habituellement, les philosophes développent une telle théorie exclusivement aux fins de compréhension de la MQ. Telle n’est pas l’approche retenue par van Fraassen, bien au contraire. L’une des grandes originalités de cet ouvrage consiste en effet à proposer une réflexion générale sur les instruments de mesure, entendus en un sens très large. Est « instrument de mesure » tout ce qui permet d’obtenir une représentation de l’objet scientifique : modélisations, graphes, cartes, simulations informatiques, appareils de mesure, d’observation (van Fraassen analyse longuement le rôle du microscope optique : 99-111), etc. L’auteur développe ainsi, fait rare chez les philosophes des sciences, une philosophie de la technologie, engendrant dans la foulée une théorie générale de la mesure (147-156), laquelle permet à son tour d’asseoir solidement les analyses subséquentes sur la fonction de la science. C’est d’ailleurs pourquoi toute la première partie de l’ouvrage cherche à cerner, le plus précisément possible, le concept de représentation. En l’occurrence, il faut cependant faire preuve de prudence. Rorty, déjà, dénonçait ces notions dévoyées de représentation, grâce auxquelles on prétend simplement tendre un miroir à la nature. Aussi van Fraassen écarte-t-il soigneusement ces théories mimétiques de l’image. Pour lui, les représentations scientifiques, celles que nous procurent les divers instruments à notre disposition, ne constituent pas des « fenêtres sur le monde », mais des phénomènes inédits, engendrés par des « appareils créateurs » (100-101). Ce sont, dit van Fraassen, des « hallucinations publiques », dont l’arc-en-ciel constitue l’exemple par excellence. C’est pourquoi, renvoyant à la formule caustique de Clausewitz sur la guerre comme continuation de la politique par d’autres moyens, van Fraassen appelle plaisamment sa position, la « doctrine Clausewitz de l’expérimentation », celle-ci étant, dit-il, « la continuation de la construction théorique par d’autres moyens …

Parties annexes