Comptes rendus

Tiercelin, Claudine. Le ciment des choses. Petit traité de métaphysique scientifique réaliste. Paris, Les Éditions d‘Ithaque, 416 p.[Notice]

  • Anne-Marie Boisvert

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  • Anne-Marie Boisvert
    Université du Québec à Montréal

Comment, et à quelles conditions, la connaissance métaphysique — qui nous dirait ce qui est vrai de la réalité en soi — est-elle possible ? C’est la question à laquelle Claudine Tiercelin, qui dirige la chaire de métaphysique et de philosophie de la connaissance au Collège de France, et connue notamment pour ses travaux sur Putnam et sur Peirce, entreprend de répondre dans ce petit traité. La tâche est ambitieuse : elle exige de relever le « défi de l’intégration » de l’épistémologie et de la métaphysique, c’est-à-dire de « comprendre la connaissance de ce que c’est pour une chose que d’être le cas » (C. Peacocke 1999, cité p. 15). Seule l’élaboration d’une métaphysique scientifique réaliste permettra selon Tiercelin de mener cette tâche à bien et de réussir le pari d’une « réconciliation raisonnée entre la philosophie de la nature et la philosophie de l’intellect » (4e de couverture). L’idée de base ici est que le réel est à la fois indépendant et connaissable, qu’il n’y a « rien derrière », ni en plus ni au-delà. Le projet de Tiercelin s’inscrit dans le droit fil du projet peircien de « métaphysique scientifique réaliste », auquel l’auteure a d’ailleurs consacré plusieurs articles. Nous retrouverons, comme clef de voûte du projet de Tiercelin, une reprise de la conception peircienne de la réalité, elle-même présentée à l’époque par Peirce lui-même comme une version modernisée de « réalisme scolastique extrême ». L’intérêt du présent ouvrage est de chercher à réactualiser le projet peircien dans le contexte des discussions en métaphysique analytique contemporaine autour des notions ressuscitées de dispositions et de pouvoirs. Il s’agira donc de défendre la métaphysique comme science de la structure la plus fondamentale de la réalité. Non plus une métaphysique « en fauteuil » purement spéculative, mais une métaphysique obligatoirement à l’écoute de la science contemporaine et, comme cette dernière, ajustant la nature de son enquête au caractère fondamentalement probabiliste et dynamique des phénomènes et des formes naturelles : une métaphysique probabiliste, donc, qui puisse rendre compte de l’indétermination réelle, « repérable à tous les niveaux de l’étant », comme le remarquait déjà Duns Scot (cf. p. 26). Dans ce contexte, la connaissance, y compris la connaissance métaphysique, n’est plus pensée selon le modèle d’une croyance vraie justifiée ; l’enquête n’a pas pour but de fournir une vérité absolue et définitive. Mais afin de parer au risque d’idéalisme que font courir cette incomplétude et cette incertitude généralisée tant aux objets qu’aux résultats, la métaphysique comme science (pour ne rien dire de la science elle-même) doit passer par un « engagement réaliste » (p. 28). Une part importante de l’entreprise consistera donc à préciser le meilleur type de réalisme à adopter dans ce projet : ni un réalisme à l’engagement ontologique minimal (par exemple, sous sa forme kantienne ou pragmatiste) ni un réalisme métaphysique (entendu ici dans son acception platoniste, comme « la double thèse de l’indépendance du réel et de l’existence de réalités absolument irréductibles à la pensée », p. 34). Un réalisme proprement scientifique doit prendre ses distances avec le premier comme avec le second. Tiercelin se prononce plutôt pour un « réalisme dispositionnel », dans lequel « la réalité des dispositions joue un rôle déterminant » (p. 36). Car le projet d’intégration tel que Tiercelin l’envisage passe par la reconnaissance et la prise en considération de la « force causale brute de l’expérience » (p. 33-34), qui nous ménage un accès au réel. Or les dispositions sont définies comme des entités réelles par excellence, car douées de pouvoir causal (suivant le critère causal …

Parties annexes