Recensions

Sherene H. Razack, La chasse aux musulmans. Évincer les musulmans de l’espace politique, Québec, Lux, coll. « Futur proche », 2011, 344 p. (Titre original anglais : Casting Out. The Eviction of Muslims from Western Law and Politics, Toronto, University of Toronto Press, 2008.)[Notice]

  • Paul May

…plus d’informations

  • Paul May
    École des hautes études en sciences sociales (Paris)
    Université du Québec à Montréal
    paulmay1979@gmail.com

Désormais disponible en version française chez Lux, le livre de Sherene H. Razack entend faire la lumière sur une évolution observable depuis les attentats du 11 septembre 2001 au sein des démocraties occidentales : la désignation des musulmans comme une catégorie distincte de citoyens et leur expulsion de l’espace public. L’auteure montre de quelle manière, sous l’action conjuguée des médias et des politiques, parvient à s’installer l’idée que les musulmans des pays occidentaux constituent un danger pour la sécurité des citoyens, un obstacle à l’émancipation des femmes et à la pérennité de la culture nationale. Sherene Razack entend démasquer la « pensée raciale » (p. 30-35), présente au sein de la classe politique et médiatique, qui perçoit les musulmans comme étant foncièrement différents, antimodernes et potentiellement dangereux. Se mettent en place, dans l’imaginaire collectif occidental, trois figures archétypales : « le dangereux musulman, la musulmane en péril et l’Européen civilisé » (p. 10). Le premier, par ses moeurs contraires à la modernité, constituerait un danger pour les sociétés occidentales. La deuxième, culturellement soumise et incapable de faire valoir ses droits, resterait constamment sous la domination du premier. Quant à l’Européen civilisé, il serait l’opposé du musulman : sécularisé, éclairé et respectueux des droits de la femme. Razack étaye sa théorie par plusieurs études de cas survenues au cours de la dernière décennie, chacune correspondant aux différents chapitres de son ouvrage : le profilage racial lors d’entretiens d’embauche sur les questions de sécurité (chap. 1), la torture des prisonniers de la prison d’Abou Graïb (chap. 2), la vision culturaliste et orientaliste de la femme musulmane (chap. 3), la progression du racisme antimusulman en Norvège (chap. 4) et finalement la polémique sur les tribunaux d’arbitrage religieux en Ontario (chap. 5). Ces différents thèmes ont pour point commun de mettre en scène les acteurs du triptyque susmentionné. Derrière cet éclectisme empirique, Razack cherche à montrer qu’une même logique est à l’oeuvre : les autorités politiques et médiatiques créent un climat propice aux pressions sur les musulmans, dans le but de les évincer de l’espace public. Le processus s’articule autour de différentes étapes : débutant par la stigmatisation, il se poursuit par la justification d’une surveillance accrue de certains types de population sur la base de l’appartenance religieuse, avant de prendre des formes plus coercitives, comme l’exclusion de l’espace politique, cette dernière étape pouvant aller jusqu’à l’emprisonnement ou la torture (p. 38-42, voir également la conclusion). Un tel ostracisme serait rendu légitime par l’urgence de la situation géopolitique mondiale, où, aux yeux des dirigeants occidentaux, un islam revendicateur et agressif aurait remplacé le communisme comme ennemi mondial de la démocratie libérale. Par son caractère antimoderne, irrationnellement religieux et intrinsèquement violent, le musulman se voit érigé en antithèse de l’Occident et, à ce titre, toute mesure visant à surveiller, endiguer et contrôler les populations musulmanes se verrait frappée du sceau de la légitimité. Cette mise au ban, qui prend des formes plus ou moins prononcées, s’appuie sur une vision orientaliste du musulman, perçu comme radicalement étranger. Elle s’effectue parfois sous l’alibi du progressisme, comme on peut le voir aux chapitres 4 et 5 où des arguments féministes sont invoqués à des fins discriminatoires. Alors que les hommes musulmans constituent une menace, les femmes musulmanes, elles, doivent être protégées de l’agressivité de leur conjoint ou mari, ce qui justifie l’intervention de l’État (p. 25). Razack dénonce ici le mode de raisonnement binaire dominant, traçant une frontière raciale entre un Occident éclairé, blanc, moderne, et les populations musulmanes supposées prisonnières de leurs atavismes culturalistes. On peut savoir gré à Razack d’aborder des thèmes qui restent encore insuffisamment …

Parties annexes