Corps de l’article

Quel bilan peut-on tirer du développement de l’écopolitique internationale quarante ans après le Sommet de la Terre, tenu à Stockholm en 1972, qui éleva l’écologie au rang de préoccupation internationale ? Dans la lignée des ouvrages de Jennifer Clapp et Peter Dauvergne (Path to a Green World, Cambridge, MIT Press, 2011), Pamela Chasek, David Downie et Janet Welsh Brown (Global Environmental Politics, Boulder, Westview Press, 2009), Kate O’Neill (The Environment and International Relations, Cambridge, Cambridge University Press, 2009) et Elizabeth R. DeSombre (Global Environmental Institutions, London, Routledge, 2006), l’ouvrage de Peter J. Stoett propose une synthèse des enjeux environnementaux, des forces et faiblesses des institutions et des ententes internationales qui façonnent l’écopolitique internationale (global ecopolitics), dans une perspective de justice environnementale et de droits humains. Rédigé avant tout pour les étudiants qui s’initient à la politique mondiale de l’environnement, ce livre illustre les progrès remarquables qui ont été accomplis afin de mettre en oeuvre des ententes environnementales effectives, en démontrant aussi les difficultés encourues à ce jour et les défis qui se dressent pour l’avenir, et en questionnant notre capacité à renverser le déclin environnemental.

Professeur de science politique à l’Université Concordia (Montréal), Stoett se spécialise en politique mondiale de l’environnement et en droits humains. Il a notamment travaillé sur les questions de sécurité humaine, de biodiversité, de changements climatiques, de pêche à la baleine et de bio-invasion. Afin d’évaluer l’effectivité des accords internationaux en environnement et leur capacité à atténuer les causes anthropiques de dégradation de l’environnement, il présente sept études de cas portant respectivement sur la perte de biodiversité, la déforestation, la désertification, la pollution atmosphérique, les changements climatiques, les océans et l’eau potable.

Pour l’évaluation de ces cas, Stoett propose, au deuxième chapitre, un cadre d’analyse fondé sur quatre critères : 1) la trajectoire historique et le champ d’application d’un accord international ; 2) l’application effective des ententes internationales et leur capacité à améliorer concrètement l’environnement ; 3) la capacité des accords internationaux à accroître la conscience environnementale de l’opinion publique et des décideurs et à engendrer des efforts de protection supplémentaires ; 4) l’évaluation de la légitimité démocratique et de la justice environnementale dont font preuve les institutions multilatérales et les accords internationaux. En somme, ce cadre d’analyse vise à retracer le parcours historique des différentes ententes internationales pour ensuite évaluer leur succès normatif et leur effectivité.

À titre d’exemple, l’enjeu de la perte de biodiversité, présenté au troisième chapitre, s’insère dans un processus historique émergent dès la fin du XIXe siècle, avec la création de parcs nationaux et de réserves fauniques en réponse à une préoccupation croissante face à la disparition d’espèces animales et végétales. Plusieurs conventions internationales, que ce soit pour la préservation d’espèces menacées (Convention de Bonn) ou pour la sauvegarde d’habitats naturels (Convention de Ramsar), ont émergé au cours des dernières décennies. Des conventions internationales spécifiques à certaines espèces (baleines, ours polaires, éléphants, espèces migratoires, etc.), la Convention-cadre des Nations Unies sur les changements climatiques (1994) et la Convention des Nations Unies pour la lutte contre la désertification (1996), de même que de nombreuses ententes régionales sont interpellées par cet enjeu transversal. Les deux principales ententes internationales sur la protection de la biodiversité – la Convention sur le commerce international des espèces de faune et de flore menacées d’extinction (CITES, 1963) et la Convention sur la diversité biologique (CDB, 1993) – ont permis d’influencer une réflexion globale sur cet enjeu. Bien qu’elles reposent surtout sur la soft law (sans contrainte juridique sur les gouvernements) et que les États-Unis n’aient toujours pas signé la CDB, on leur reconnaît tout de même un succès cognitif (conscientisation, mise à l’agenda de l’enjeu de la biodiversité), une capacité à intégrer de nouveaux enjeux, notamment les changements climatiques, et à inclure certaines questions de justice environnementale et de légitimité démocratique (participation de communautés indigènes et des groupes environnementaux à la CDB). Leurs effets externes sont cependant assez limités (promotion de la coopération internationale et diffusion d’un savoir scientifique), tout comme leur impact effectif sur la biodiversité, puisque les espèces menacées d’extinction, ou disparues, croissent constamment.

Les études de cas présentées dans Global Ecopolitics. Crisis, Governance, and Justice illustrent pertinemment la complexité des enjeux environnementaux, leur interconnexion et les difficultés que suppose la mise en oeuvre effective d’une gouvernance mondiale de l’environnement. La présence d’une pluralité d’acteurs (gouvernement, groupes environnementaux, industries, société civile, populations locales, etc.), la prise en compte des différentes échelles à mobiliser (locale, régionale, nationale, transnationale, mondiale) et la présence de facteurs externes imprévisibles et de liens de causalité parfois ambigus complexifient la mise en oeuvre d’une action effective visant à contrecarrer la dégradation environnementale. Chaque étude de cas propose d’évaluer l’effectivité d’un aspect du régime environnemental international avec comme grille d’analyse implicite le cadre présenté en introduction du livre. Ce cadre d’analyse semble toutefois sous-utilisé par Stoett, qui ne s’y réfère d’ailleurs que sporadiquement dans son ouvrage. Il aurait été utile qu’il détaille la typologie des différentes conventions internationales présentées pour chacun des enjeux environnementaux et qu’il en évalue le succès empiriquement en fonction d’une comparaison systématique des différents cas étudiés.

Les sept études de cas étayées par Stoett sont suivies par la présentation, aux chapitres 7 et 8, de deux enjeux intimement liés aux questions environnementales mondiales, à la justice et aux droits humains, soit le commerce international et le militarisme. Le commerce international peut s’avérer nuisible à l’environnement (réduction des normes environnementales, externalités négatives du commerce, etc.) ou bénéfique (revenu gouvernemental accru, développement et diffusion de technologies écologiques, etc.), dépendamment du type de croissance économique et d’investissements priorisés. Selon l’auteur, une intervention internationale régulatrice favoriserait des investissements éthiques et durables et des mécanismes de gouvernance environnementale intégrés à l’économie mondiale.

Les conflits militaires constituent pour leur part une menace constante à l’environnement (armes chimiques et biologiques, écocide, soit la destruction de la nature comme stratégie militaire), mais, parallèlement, les impacts des changements climatiques auront un effet considérable sur la sécurité nationale (réfugiés climatiques, sécheresses, intensification des phénomènes météorologiques, etc.). Bien qu’il existe certains accords internationaux sur l’interdiction des essais nucléaires ou contre l’utilisation des techniques de modification de l’environnement à des fins militaires (Convention ENMOD, Convention sur les armes chimiques, notamment), le militarisme affecte à la fois la sécurité humaine, la justice environnementale et l’écologie. Dans une perspective de justice environnementale, Stoett critique la vulnérabilité accrue des populations pauvres face aux conflits militaires et propose d’intégrer la notion de « crimes contre l’environnement » à la Cour internationale de Justice et de favoriser une philosophie commune de « responsabilité de protéger ».

Enfin, les deux derniers chapitres proposent une réflexion sur différents enjeux environnementaux (bio-invasion, nanotechnologies, tourisme mondial, sécurité alimentaire et énergie) qui comportent des lacunes en matière de gouvernance mondiale. Stoett étudie en détail la question des espèces envahissantes (la bio-invasion) au neuvième chapitre ; il s’agit d’ailleurs de la principale contribution normative de ce livre au débat écopolitique international. Il argumente explicitement en faveur de la création d’une institution internationale sur la bio-invasion.

À ce jour, les actions pour contrer la bio-invasion s’organisent surtout au niveau régional. Quelques ententes internationales prennent tout de même cet enjeu en considération, notamment la CDB et le Protocole de Cartagena sur la biosécurité, mais le Programme mondial sur les espèces envahissantes, relié au Programme des Nations Unies pour l’environnement (PNUE), a été aboli en 2011, faute de financement. Les espèces envahissantes représentent une menace croissante à la biodiversité, au développement économique, à l’industrie extractive, à la santé et à la sécurité nationale. Les sources multiples de bio-invasion (commerce international, pêche, agriculture, tourisme) et leur caractère international imposent donc, selon Stoett, une réponse correspondante. C’est ainsi qu’il propose la mise en place d’une convention internationale sur les espèces envahissantes qui permettrait de coordonner les efforts régionaux actuels et d’intégrer les questions de justice environnementale, d’éthique et de droits humains à cet enjeu. Il énonce une série de propositions concrètes pour favoriser le succès d’une nouvelle convention internationale, soit un secrétariat indépendant, des bureaux régionaux, une conférence trisannuelle des parties, ainsi que des mesures de compensation pour ceux qui souffrent économiquement de la présence d’espèces envahissantes dans leur milieu de vie. Cette convention internationale devrait prendre en compte les données scientifiques existantes, collaborer étroitement avec les conventions internationales qui intègrent déjà partiellement la lutte à la bio-invasion dans leurs actions et incorporer certaines questions d’éthique et de justice environnementale. Une gouvernance adaptative multi-niveau constitue pour Stoett la seule réponse efficace pour contrer le phénomène des espèces envahissantes et, en ce sens, l’absence d’une convention internationale sur cet enjeu représente une lacune de gouvernance à combler.

En somme, Global Ecopolitics. Crisis, Governance, and Justice présente une synthèse exhaustive des principaux enjeux écopolitiques mondiaux et l’auteur ajoute un élément normatif pertinent dans son chapitre sur la bio-invasion. Il illustre adéquatement les avancées faites à ce jour, tout en restant critique au regard des limites inhérentes au régime environnemental international. Il démontre pertinemment l’intérêt d’une gouvernance mondiale de l’environnement intégrant les principes d’éthique, de droits humains et de justice environnementale. En conclusion du livre, il critique toutefois l’idée de créer une Organisation mondiale de l’environnement (OME) – considérant que celle-ci négligerait les populations locales et manquerait ainsi de légitimité – et réitère plutôt la proposition d’une gouvernance adaptative multi-niveau. L’explication théorique et la nuance entre les deux approches restent toutefois sous-développées, et le livre se termine sans que le lecteur ne comprenne véritablement la distinction entre la proposition émise par Peter J. Stoett et l’idée de créer une OME.