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La Société québécoise pour l’étude de la religion (SQÉR) se veut un forum réunissant des chercheurs où ceux-ci peuvent réfléchir à la refondation du champ de recherche spécifique de l’« étude de la religion » à la suite des transformations au sein des départements et des facultés universitaires qui s’y consacrent. C’est dans la perspective d’une relance des activités de la SQÉR après une pause d’une quinzaine d’années que s’inscrit cet ouvrage rassemblant des textes issus de deux colloques. D’abord, « Le religieux où on ne l’attend pas », qui s’est tenu à l’Université McGill en mai 2016 dans le cadre du Congrès de l’ACFAS. Ensuite, celui auquel le titre du livre est emprunté, « Étudier la religion au Québec. Regards d’ici et d’ailleurs », organisé à l’Université du Québec à Montréal (UQAM) en décembre 2017. Sont ainsi réunis 33 textes rédigés par 39 auteurs qui sont, pour la plupart, issus de la sociologie et dont l’objectif commun est de porter un regard critique sur la pertinence et l’utilité de l’étude de la religion en tant que révélateur des identités multiples d’une société, en l’occurrence la société québécoise.

Le livre, qui s’ouvre sur une introduction offerte par les professeurs qui ont dirigé cet imposant ouvrage collectif dans lequel sont soulignées tant l’actualité que la vitalité renouvelée du champ de recherche – comme en font foi les nombreuses collaborations qui y sont réunies –, est divisé en quatre parties et comprend 32 chapitres suivis d’une postface. Les contributions de la première partie adoptent une approche historique et abordent l’évolution des structures d’enseignement et de recherche de la religion dans quatre universités québécoises, soit l’UQAM, l’Université de Montréal, l’Université de Sherbrooke et l’Université Laval (chap. 1-4). Les trois chapitres suivants portent quant à eux sur la mise sur pied de structures associatives, notamment la SQÉR (chap. 5), et proposent un bilan de l’évolution des études théologiques au Québec (chap. 6) ainsi qu’un bilan de l’histoire religieuse depuis le début de ce siècle (chap. 7).

Les chapitres 8 à 13 constituent la deuxième partie consacrée à des enjeux épistémologiques. D’abord, É.-Martin Meunier se demande si l’étude du religieux et de la religion peut se justifier en elle-même, c’est-à-dire s’il est possible d’en faire l’étude sans d’abord l’insérer au sein d’une autre thématique afin d’en assurer la pertinence ou encore la légitimité (chap. 8). Une question similaire est explorée par Mireille Estivalèzes qui s’inquiète de la « perte d’intelligibilité du passé et [de la] compréhension de l’époque actuelle » (p. 210), qui peut résulter de l’absence de mise en relations entre culture religieuse et études littéraires (chap. 11). Brigitte Caulier se penche sur l’apport potentiel de l’histoire dans la mise en lumière des religions populaires s’écartant des cadres normatifs institutionnels (chap. 9). Pour sa part, Gilles Routhier s’intéresse à l’évolution de la théologie québécoise en soulignant « l’évolution des destinataires » comme facteur principal des mutations des études théologiques s’inscrivant dans le cadre plus large des transformations de la société québécoise (chap. 10). Valérie Amiraux et Paco Garcia s’attardent aux manières d’analyser l’islam et les musulmans au Québec depuis les années 1980, une étude qui révèle quelques « impensés sociologiques » à propos de cette tradition et de ces acteurs (chap. 12). Enfin, Géraldine Mossière s’intéresse à la notion de spiritualité dans les milieux de santé, réactualisant les rapports entre santé et salut et témoignant « des mécanismes de construction d’une catégorie de la religion qu’on pourrait qualifier de sécularisée » (chap. 13, p. 249).

La partie suivante, qui compte pour le tiers de l’ouvrage, rassemble des contributions posant le religieux comme un révélateur des mutations sociales et de l’état de la société québécoise, voire comme un « espace fondateur du social » (p. 315). Pour Sara Teinturier et Matthieu Brejon de Lavergnée, qui ont analysé les thèses de doctorat soutenues et en cours en France et au Québec depuis 2000, cette analyse permet d’ailleurs de « s’informer sur la manière dont ce religieux s’inscrit dans la société contemporaine et comment celle-ci s’efforce de l’appréhender » (p. 273). Que ce soit à l’aide d’études quantitatives (chap. 15), en retraçant l’héritage catholique dans la littérature québécoise (chap. 17) ou en proposant de nouvelles approches (chap. 16), ou qu’il s’agisse de développer un langage commun transcendant l’aspect multidisciplinaire des études sur la religion (chap. 22), pour l’ensemble des collaborateurs de cette partie il s’agit d’insister sur le fait que l’étude de la religion demeure un outil essentiel pour comprendre les dynamiques sociales ainsi que la formation des identités qui permettent aux individus de s’insérer et de s’exprimer dans la Cité québécoise.

Enfin, la quatrième et dernière partie est consacrée à l’étude de la religion dans une perspective comparative. À cet effet, elle est divisée en deux sous-parties. La première, « Le Québec en miroir », contient des textes qui portent sur la pertinence des études sur la religion au Québec pour les chercheurs basés ailleurs dans le monde, en l’occurrence aux États-Unis (chap. 25-26 et 28) et au Japon (chap. 27). Les auteurs y suggèrent que l’étude du cas québécois à partir de l’étranger révèle un savoir sur la société québécoise qui risquerait de demeurer inconnu sans ce regard extérieur, notamment sur la question de la laïcité ou de la dominance de l’Église catholique en tant qu’élément de culture, par exemple dans l’émergence du nationalisme. Les auteurs de la seconde sous-partie, « Perspectives comparées », proposent des études de cas, notamment en comparant la place de la religion dans les nationalismes québécois et basque (chap. 29) ou en examinant comment se fait l’intégration civique et politique des musulmans en France, au Québec et au Canada, trois États dont les politiques d’intégration de l’immigration et de gestion de la diversité culturelle diffèrent à divers égards tout en comportant certaines ressemblances (chap. 30). Leni Franken compare les systèmes éducatifs flamand et québécois en matière d’éducation religieuse et propose quelques enseignements tirés de l’expérience québécoise et de l’implantation du programme « Éthique et culture religieuse » qui pourraient être utiles à la Communauté flamande en regard de la déconfessionnalisation des écoles. Finalement, Jean Beaubérot propose une étude « archéologique » de la sociohistoire de la laïcité française en la mettant en relation avec le parcours canadien et québécois à deux moments clés de l’histoire française : l’adoption de la loi sur la laïcité (1905) et la Commission Stasi (2003). Ce regard comparatif permet de mettre en lumière les similitudes entre les États ainsi que le positionnement, parfois ambivalent, des acteurs politiques en regard de la laïcité (chap. 32).

Étudier la religion au Québec est un ouvrage touffu et complexe qui réunit une trentaine de collaborations démontrant non seulement la pertinence, mais aussi la nécessité de poser un regard critique sur la religion et de procéder à des analyses rigoureuses et scientifiques si l’on veut élargir la connaissance et la compréhension de la société québécoise tant passée que contemporaine. La vaste majorité des auteurs le soulignent d’ailleurs : les études sur la religion au Québec ont été et demeurent en phase avec les mutations sociales en regard du rapport au religieux. Autrement dit, ces études sont ancrées dans l’actualité et font écho aux préoccupations tant sociales que politiques qu’on observe dans la société québécoise. Robert Mager l’écrit à propos de la théologie, mais cela s’applique autant aux sciences religieuses, « la théologie, du moins celle qui s’exerce au Québec, ne travaille pas d’abord sur la religion, mais bien sur tout ce qui concerne l’être humain en société » (p. 95). La religion est ainsi un fait social dont l’« analyse reste toujours à recommencer » (p. 642), comme le rappelle Raymond Lemieux dans sa postface. Conséquemment, l’horizon reste ouvert et l’intérêt renouvelé des chercheurs au cours des dernières années à l’égard de la religion et du religieux illustrent la vitalité, la diversité et la complexité de ce champ d’études. Étudier la religion. Regards d’ici et d’ailleurs relève le défi de l’exhaustivité et offre des pistes de recherches et de réflexions sur l’étude de la religion qui ne peuvent que contribuer à stimuler la recherche et à élargir le champ des connaissances.