Résumés
Résumé
L’attention médiatique est très accaparée par une crainte de la montée des mouvements qualifiés de complotistes. Plusieurs critères de l’écosystème informationnel actuel favorisent effectivement une production et une mise en visibilité de contenus différents de ceux attendus dans l’espace public. Pour autant, la crise que traversent les autorités informationnelles institutionnelles ne saurait se résumer à ce rapport bien spécifique à la réalité qu’est la logique complotiste. Bien au contraire, les formes de contestation, de recherche de solutions alternatives ou d’indifférence aux médias pour dire le monde s’avèrent bien souvent plus variées et reposent sur un ensemble de déterminants complexes. À partir d’une enquête approfondie des conversations en ligne à propos de l’actualité au Québec, cet article propose une grille de lecture des critiques adressées aux autorités informationnelles institutionnelles qui rendent davantage compte de cette complexité.
Mots-clés :
- publics,
- confiance,
- pratiques informationnelles,
- autorités,
- complot,
- médias,
- actualités,
- conversation,
- numérique
Abstract
Today, media attention seems monopolized by the fear of the rise of movements described as conspiracy theorists. Several aspects of the current media ecosystem effectively favour the production and visibility of new contents, which differ from what has circulated in the non-digital public space. However, the actual crisis of media institutions cannot be properly understood only by referring to conspiracy theorists. In fact, opposition to media, search for alternatives, or even indifference to them take multiple forms and are based on a set of complex factors. Relying on an in-depth survey of online conversations about pieces of news in Quebec, this article offers a framework that reflects this complexity and interpret appropriately criticisms against media institutions.
Keywords:
- publics,
- legitimacy,
- trust,
- conspiracy,
- mass media,
- news,
- conversation,
- digital media
Corps de l’article
Les pratiques définies par une place luttent sans trêve pour éduquer, discipliner, ordonner la masse en prétendant la représenter, et pour apprivoiser, articuler et systématiser la vérité en prétendant la produire comme doctrine. La place est un opérateur qui transforme la masse et la vérité en objets traités dans un lieu tenable, appropriable et nommable.
Michel de Certeau, Le rire de Michel Foucault, 1986
Les ambivalences face à la participation politique en ligne
Si l’expression citoyenne est considérée a priori comme un signe de bonne santé démocratique (Rosanvallon 2015), les prises de parole en ligne génèrent des attitudes plus craintives de la part des acteurs habitués à occuper l’espace public (Bodin et Chambru 2019 ; Vauchez 2022). Cela perpétue une ambivalence à l’égard du peuple s’exprimant, surtout lorsque celui-ci se montre critique. La controverse entre John Dewey et Walter Lippman à propos du rôle des médias (Zask 1999) s’avère ainsi encore éclairante pour saisir cette ambiguïté : doivent-ils soutenir la constitution de publics doués d’autonomie ou fabriquer le consentement d’une masse qu’il serait déraisonnable de laisser décider ?
Au Québec, c’est la vision pessimiste à l’égard des publics qui l’emporte dans les médias et le coupable paraît évident : lesdits « réseaux sociaux ». Prolongeant l’engouement pour le sujet des fake news, c’est désormais celui du complot qui accapare l’attention médiatique (de Grosbois 2022). « Pandémie de fausses nouvelles », « Peut-on s’extirper de la toile conspirationniste ? » (La Presse) ; « Un Québécois sur cinq serait complotiste » (Journal de Montréal) ; « La pandémie a profité à la prolifération de la pensée complotiste » (Le Devoir) ; « Le virus des fausses nouvelles : portrait type du complotiste » (Journal de Québec) : le sujet est omniprésent et son traitement laisse supposer une prolifération incontrôlée des « complotistes ». Cette attitude à l’égard des Québécois·es est crûment résumée par Guy Gendron, alors ombudsman de Radio-Canada, dont le mandat est pourtant « [d’]encourager la participation des Canadiens à notre société libre et démocratique[1] ». Plaidant en faveur d’une suppression des commentaires sur les espaces de son institution dans son rapport annuel de 2021, il défend sa position en entrevue : « Ça m’arrive de regarder ce qui est écrit [sous les articles] et, sincèrement, je me dis : est-ce que ça vaut vraiment la peine ? […] Les gens disent n’importe quoi du fond de leur sous-sol. Est-ce que c’est le genre de contribution qu’on attendait ? Je comprends le principe de vouloir créer une discussion populaire sur des sujets, mais est-ce vraiment ça qu’on obtient[2] ? » Cette opinion est-elle représentative de la participation citoyenne en ligne ?
Dans le langage courant, « le complotisme peut recouvrir toute forme de croyance en des complots cachés, ou la tendance d’un individu ou d’un groupe à voir d’importants complots derrière chaque phénomène social » (Motta 2022). Il est associé à des croyances et à des raisonnements « relevant d’un mode de pensée ou d’une mentalité présentant certains traits de la paranoïa ». D’après cet usage, « ceux qui critiquent ou dénoncent une « théorie du complot » l’attribuent à un sujet (individuel ou collectif) qu’ils veulent ainsi disqualifier. Ce qu’on perçoit comme un récit complotiste se présente comme une interprétation douteuse, fausse ou mensongère d’un événement traumatisant, inacceptable ou source d’angoisse » (Taguieff 2021). La littérature scientifique ne fait pas pour autant émerger une définition consensuelle (Butter et Knight 2015). Cette imprécision constitue certainement une raison du succès de son emploi tout autant qu’un risque heuristique : nous verrons que le terme se trouve appliqué à des attitudes si variées, se rapportant à de multiples phénomènes de défiance, qu’il nous faudra en interroger la pertinence (Giry 2017 ; Vauchez 2022).
Cet article remet donc en question la validité des discours affirmant la prééminence des énoncés dits « complotistes » dans les conversations des usagers des plateformes numériques. Il s’agit d’effectuer un double mouvement de recul, d’une part en prêtant attention à la part réelle des déclarations possiblement « complotistes » dans l’ensemble des échanges analysés, d’autre part en doutant de la pertinence même de la mobilisation systématique de ce terme. Nous appréhendons donc le complotisme à la fois d’un point de vue qualitatif (à partir de quels critères pouvons-nous reconnaître les discours de nature complotiste ?) et quantitatif (quelle est la proportion des énoncés pouvant légitimement être associés au complotisme au sein de notre corpus ?). Cette démarche nous conduira à brosser un portrait bien moins pessimiste des publics québécois, constatant 1) l’extrême marginalité des discours complotistes au regard du volume des interactions médiatisées des utilisateurs, 2) les confusions entourant la notion de complotisme, pour le moins problématiques en raison de sa charge normative (Motta 2022). La démarche de compréhension approfondie des conversations autour de l’actualité rend impossible une analyse exhaustive des espaces de conversations en ligne employés par les publics québécois. Elle est cependant une étape nécessaire lorsque l’objectif de connaissance entend interroger des catégories mobilisées dans les enquêtes scientifiques et qui paraissent discutables (Passeron et Revel 2005 ; Desrosières 2008 ; Becker 2020). Notre enquête tire sa pertinence du fait qu’elle vient, à partir d’un cas bien délimité, déstabiliser les catégories usuellement mobilisées pour interpréter un phénomène (Passeron et Revel 2005, 10-11), ici la défiance assimilée au complotisme. Cependant, l’intérêt d’une étude de cas peut aussi reposer sur l’espoir d’en « extraire une argumentation de portée plus générale, dont les conclusions pourront être réutilisées pour fonder d’autres intelligibilités ou justifier d’autres décisions » (ibid., 9). L’espace observé – la page Facebook de Radio-Canada – et les matériaux complémentaires réunis pour comparer les conclusions tirées sur cette page, s’ils ne constituent pas un terrain représentatif des espaces conversationnels québécois au sens quantitativiste, témoignent d’une variété et d’une place suffisamment significative dans les pratiques informationnelles des Québécois·es[3] pour justifier d’envisager les résultats comme guides analytiques pour étudier les proportions respectives de formes de critiques dans des contextes de conversations politiques.
Un constat du manque de connaissances à propos des publics
Notre enquête a été motivée par le constat de l’absence de connaissances approfondies sur les publics québécois, sans lesquelles il est pourtant difficile d’apporter des réponses aux questions subséquentes. Que considèrent-ils comme des informations ? Comment leur attribuent-ils plus ou moins de crédibilité ? Les discutent-elles, et avec qui ? Ces conversations témoignent-elles de crédulité et d’entêtement irrationnel ? La littérature existante s’intéresse plutôt aux avis des professionnel·les du milieu, notamment les journalistes. Beaucoup d’enquêtes attestent pourtant de leur faible compréhension de leurs publics (Bernier 2016 ; Charon et Mercier 2022 ; Le Cam et Pereira 2022). La menace sur leur accès privilégié à l’espace public et à la normalisation des échanges qui s’y déroulent, que fait peser une possibilité accrue de participation des publics (Granjon, Papa et Tuncel 2017), risque aussi d’altérer leur jugement, comme l’histoire de l’hostilité des médias en place face aux acteurs entrants le démontre (Mattelart 2006 ; Cardon 2019). Un autre pan de la littérature partage le constat inquiet des médias, sur la base d’une tentative de mesure quantitative de la prolifération de ces contenus présumés « complotistes ». Cependant, il est discutable d’assimiler production ou circulation de contenus et adhésion à ces derniers, d’autant plus que les volumes importants évoqués dans ces travaux doivent être relativisés par la comparaison avec les grands nombres que génère systématiquement Internet. Ainsi, les études allant au-delà des seuls indicateurs de viralité fournis par les plateformes (comme le nombre de partages) soulignent qu’une bonne partie de celle-ci est attribuable aux efforts faits pour les disqualifier et tempèrent très fortement la place que prendraient les contenus peu fiables au sein de la consommation d’actualité des internautes (Benkler, Faris et Roberts 2018 ; Guess, Nagler et Tucker 2019 ; Allen et al. 2020). Enfin, un dernier pan de littérature se concentre sur les biais cognitifs ou défauts de littératies informationnelles des individus. Qu’il s’agisse de le déplorer ou d’imaginer comment les éduquer, une part importante de ces travaux partage le postulat, opposé aux conclusions des sciences sociales spécialisées dans l’étude des médias et de leurs publics, d’un problème essentiellement individuel, qui occulte la question de l’appropriation sociale de ces contenus (Berriche 2021 ; Tully et al. 2021 ; Moran et Nechushtai 2022).
Précisons que cette controverse disciplinaire sur les manières d’aborder les prises de parole défiantes soulève des enjeux politiques et sociaux qu’on ne peut ignorer. Des décisions (règlementations, formes de l’éducation aux médias et à l’information, refondations institutionnelles, encadrement des producteurs de contenus ou des commentateurs) découlent de la prépondérance de certains discours sur le complotisme dans l’espace public (par exemple : Foucart, Horel et Laurens 2020 ; Humprecht, Esser et Van Aelst 2020 ; Beillouin ; 2021 ; Boullier 2021 ; Bronner 2022 ; Giry et al. 2022). La sociologie des sciences démontre que beaucoup de chercheur·es se trouvent impliqués dans ce devenir sociopolitique des connaissances (Bodin et Chambru 2019 ; Farkas et Schou 2019 ; Vauchez 2022), rendant impossible de cantonner cette controverse à une arène scientifique où serait discutée la meilleure manière de produire des connaissances.
Dans une perspective alliant sciences de l’information et de la communication et théorie politique, nous avons cherché à documenter comment l’actualité est discutée en ligne. Bien que notre question concerne plus largement la reconnaissance ou le déni de différentes autorités informationnelles présentes dans ces discussions, ainsi que les arguments sur lesquels ces positions se fondent, nous avons apporté une attention particulière à la présence ou non de contenus peu fiables, de dénonciations de complot, d’expressions de misologie, de refus de reconnaître la valeur de contenus scientifiques ou journalistiques et, le cas échéant, aux réactions que ces contenus provoquent. Cet article s’appuie sur ces résultats pour proposer une typologie des discours critiques, permettant de dépasser l’assignation trop rapide de prises de parole populaire à la catégorie disqualifiante de « complotisme » (Vauchez 2022).
Nous soulignons, dans une première partie, les stéréotypes qui nous semblent altérer notre compréhension de ce qu’est la participation populaire et l’apport que représente une analyse par les pratiques informationnelles. Nous détaillons ensuite les modalités méthodologiques de notre enquête. Nous exposons alors nos résultats à propos des formes que prennent les discussions de l’actualité et formulons une ébauche de typologie des prises de parole critiques. Cette proposition nourrit une réflexion sur la reconnaissance de la participation populaire.
Que sait-on des pratiques informationnelles et conversationnelles des publics ?
Activité cognitive isolée ou processus collectif ?
L’inquiétude à l’égard de publics subissant l’influence directe de contenus manipulatoires est majeure dans le traitement médiatique, mais aussi repérée dans les analyses scientifiques (Cardon 2019 ; Anderson 2021 ; Vauchez 2022). Elle repose sur une représentation pessimiste des publics davantage postulée que documentée (Neveu n.d.). Au contraire, les recherches portant sur les pratiques informationnelles s’éloignent très fortement de cette représentation (Berriche 2021 ; Rieffel 2014). Celles prenant en compte la numérisation de l’écosystème informationnel (Le Caroff et Foulot 2019 ; Pasquier 2019 ; Boyadjian 2020 ; Ostertag 2020) renforcent deux consensus établis de longue date en sciences de l’information et de la communication (Quéré 1996) : un contenu informationnel n’est jamais interprété indépendamment d’une mise en perspective avec d’autres contenus hétéroclites, d’une part, et ce processus interprétatif passe par la discussion avec des interlocuteur·rices varié·es, dont les avis, relevant de raisons et engagements multiples, participent à la stabilisation de représentations d’un sujet d’actualité composées de toutes ces influences (Aubert et Froissart 2014), d’autre part. Ce constat empiriquement attesté d’une construction collective et processuelle de représentations, entretenant des rapports variés à l’exigence de véracité et s’insérant dans des pratiques sociales multiples, appuie la crainte de risques de mésinterprétations des approches cherchant à quantifier et individualiser les pratiques informationnelles sans les contextualiser, soulevée par Michael Butter et Peter Knight (2015) à propos des sciences politiques.
Comment qualifie-t-on des contenus informationnels ?
Constater que le développement de représentations est une construction collective et processuelle a amené le courant de recherche sur les pratiques informationnelles à analyser les modalités par lesquelles des contenus ou des sources obtiennent un certain degré de fiabilité. La question de savoir pourquoi et comment certains contenus (ou sources) se voient attribuer une valeur est alors appréhendée au prisme des concepts « d’autorité » et de « confiance ». Définie, en première approximation, comme « la supériorité ou l’ascendant personnels en vertu desquels on se fait croire, obéir, respecter, on impose au jugement, à la volonté, au sentiment d’autrui » (Lalande 2010, 102), l’autorité renvoie, sous un angle communicationnel, à l’acte réussi de revendiquer une capacité à dire le monde et/ou à agir dessus. Cette autorité est de nature épistémique étant donné qu’elle se rapporte, non pas à la capacité de commandement d’un acteur (individuel ou collectif), mais à sa capacité à faire valoir des connaissances théoriques ou pratiques. Cette autorité épistémique comporte deux aspects organiquement liés : ce à quoi un acteur fait référence pour donner une légitimité à ses connaissances théoriques ou pratiques et la position sociale attribuée à l’acteur par autrui ; autrement dit, les justifications d’un discours (les arguments le fondant) et le statut social (le fait d’incarner une autorité). Ces deux aspects peuvent usuellement être appréhendés en prêtant attention aux caractéristiques de qui parle, des acteurs soutenant ces discours, des discours eux-mêmes et des supports sur lesquels ils circulent (Broudoux 2007). Il existe empiriquement une circularité entre ces deux aspects. La répétition de discours reposant sur des justifications – et ratifiés en tant que tels par autrui – confère à terme un statut social à l’acteur qui les tient, lequel devient par ce fait même une autorité pouvant être à son tour convoquée pour justifier d’autres discours. L’acte de revendiquer une autorité prend des formes multiples et variables, en raison de la nature diversifiée des autorités susceptibles d’être convoquées (scientifiques, logiques, expérientielles, éthiques, etc.), d’une part, et du contexte de leur mobilisation, d’autre part (Boltanski et Thévenot 2015 ; Vitali Rosati 2018). Il est possible de mobiliser une ou plusieurs autorités simultanément pour faire valoir la légitimité d’une connaissance théorique ou pratique (Alloing 2017).
En tant qu’acte de revendiquer une capacité à dire ou à agir, une telle autorité épistémique se déploie nécessairement dans le cadre d’un processus de reconnaissance sociale, par lequel autrui répond (dé)favorablement à la demande d’un acteur ayant une prétention à dire le monde et/ou à agir dessus. Pour décider de cette reconnaissance sociale, les interactant·es se fondent sur un ensemble de critères que le concept de confiance permet de saisir (Origgi 2008). Il met en effet en lumière la triple dimension de ce processus de reconnaissance : 1) la pertinence de l’autorité convoquée, dans un contexte déterminé ; 2) la compétence de l’acteur revendiquant une capacité de dire ou d’agir ; et 3) l’intégrité de cet acteur, entendue comme disposition morale à bien tenir les engagements qu’il prend lorsqu’il revendique cette capacité (Quéré 2018). Chacune de ces dimensions est évaluée en fonction de critères évoluant selon les contextes, qui peuvent se fonder sur une tentative d’objectivation ou des éléments plus subjectifs (Quéré 2021). Ce processus est éminemment communicationnel, car les évaluations se fondent sur un ensemble de « gages de confiance » trouvés dans les discours, pris ici au sens le plus large : messages, attitudes et actions de l’acteur convoquant l’autorité, mais aussi messages, attitudes et actions de tiers s’exprimant à son sujet, représentations générales de l’autorité concernée, conflits éventuels avec d’autres autorités, etc. (Boltanski 2009). Ajoutons que ces discours peuvent être le fait de personnes autant que de dispositifs sociotechniques et sémiotiques variés (Quéré 2005 ; Moran et Nechushtai 2022).
Une analyse communicationnelle des conversations de la page Facebook de Radio-Canada
Principe général
Nous avons profité de l’intense augmentation des interactions en ligne pendant la crise sanitaire pour analyser les formes que prennent les débats autour de l’actualité[4]. Le choix de ce contexte de conversation n’est pas guidé par une volonté de représentativité mais par un double objectif. Le premier consiste à vérifier l’importance de la présence de prises de parole émotives et obtuses, telles que postulées par les lectures pessimistes des publics. Le second objectif est de développer un modèle analytique alternatif permettant de comprendre les prises de parole critiques des publics. Cette enquête compréhensive a été supportée par un engagement partenarial avec Radio-Canada subventionné par le CRSH (Conseil de recherches en sciences humaines), « Le rapport des citoyens à l’actualité journalistique et à ses modes de diffusion » (2019-2021). Dans ce cadre, nous nous sommes concentrés sur les interactions observées sur la page Facebook de Radio-Canada[5]. L’angle d’analyse a consisté à comparer les articles avec leurs commentaires pour constater la reconnaissance ou le déni de leur fiabilité informationnelle. Dans la lignée des travaux portant sur la confiance dans les autorités informationnelles, nous avons forgé un indicateur de la qualité communicationnelle que nous détaillerons ci-dessous. Le choix de l’expression « qualité communicationnelle » vise à inscrire cette formalisation dans la complémentarité des travaux sur la qualité de l’information, davantage focalisés sur les caractéristiques intrinsèques des contenus et de leurs supports (Sedel et al. 2021)[6]. Les études sur les pratiques informationnelles évoquées supra démontrent que la reconnaissance de cette qualité passe par un ensemble de critères que les approches communicationnelles de la confiance et de l’autorité dans un monde incertain abordent. Nous les avons regroupés au sein de cet indicateur.
Précisions concernant les caractéristiques composant la qualité communicationnelle des énoncés
Les six caractéristiques composant l’indicateur sont les suivantes :
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« l’intelligence réciproque » se rapporte à l’ensemble des éléments par lesquels les énonciateurs s’efforcent d’atteindre une intercompréhension ;
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« le partage de connaissances » à l’ensemble des éléments qui justifient un énoncé ; ceux-ci peuvent être de différentes natures : expériences personnelles, lectures d’articles scientifiques, de presse, mais aussi valeurs morales, coutumes, etc. ;
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« la confiance réciproque » s’intéresse à l’effort d’autoidentification de l’auteur d’un énoncé, d’une part, et d’explicitation de ses positions personnelles, d’autre part ;
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« l’entente réciproque sur le type de situation » concerne le degré d’adéquation entre ce que l’énoncé apparaît être et ce qu’il est (permettant par exemple de distinguer une analyse d’une chronique) ;
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« l’empathie » concerne l’ensemble des éléments témoignant dans un énoncé d’une « chaleur » au regard de l’expérience vécue des acteurs impliqués ou des lecteurs ;
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« la réduction de complexité » à la traductibilité d’un énoncé dans une représentation univoque et dans des recommandations pratiques.
Constitution du corpus
Pour construire notre corpus, nous avons effectué un travail de sélection parmi 4148 contenus informationnels (en majorité des articles de presse et, plus rarement, des podcasts et des vidéos), autrement dit l’intégralité des publications de Radio-Canada sur sa page Facebook, entre février et mai 2020.
La spécificité de cette période est qu’elle couvre le début de la crise sanitaire et la dénommée « première vague » au Québec. Nous avons organisé ces contenus sous 10 catégories thématiques : « Société », « Politique », « Économie », « Réseau de la santé », « Outil, analyses et mises en garde », « Approvisionnement », « Canada », « International », « Situation des familles » et « Science, recherches et prévisions ». Nous avons sélectionné 160 contenus informationnels en considérant le moment de leur publication. Nous avons identifié 40 articles (4 par catégorie thématique) pour chacune des périodes temporelles suivantes : l’avant-crise sanitaire au mois de février, la crise sanitaire au mois de mars, l’instauration du confinement au mois d’avril, et le retour à la présumée « normalité » au mois de mai.
D’autres critères ont présidé à notre travail de sélection. Nous avons en effet privilégié les contenus informationnels dont les sujets nous paraissaient a priori pertinents dans le cadre de notre problématique, en l’occurrence les rapports de confiance, de méfiance ou de défiance du public à l’égard des autorités informationnelles (des articles décrivant, notamment, les modalités de la couverture journalistique de l’actualité politique au Québec). Nous avons également donné préséance aux contenus informationnels sur des événements affectant un grand nombre de citoyen·nes (par exemple sur le dispositif politico-sanitaire du confinement). Pour terminer, nous avons pris en considération des contenus informationnels suscitant des volumes variés de commentaires. Au regard de ce critère de sélection, nous avons intégré à notre corpus autant des contenus informationnels se situant aux extrêmes (moins de 20 ou plus de 1000 commentaires) que dans la moyenne (se situant autour des 296 commentaires par article pour l’ensemble du corpus de février à mai). Finalement, ces 160 contenus informationnels et leurs 39 278 commentaires[7] ont constitué notre corpus. Par ailleurs, nous avons décrit 634 autorités présentes dans les contenus informationnels et 235 discussions (adhésion, défiance ou hybride) de ces mêmes autorités dans les commentaires et analysé 4565 autorités mobilisées par les usagers dans leurs commentaires.
Un outil permettant d’analyser les conversations accompagnant des contenus informationnels
Pour procéder à l’analyse de ces matériaux, nous avons développé « Auctoritas », un logiciel fabriqué avec le soutien du Laboratoire sur la communication et le numérique (LabCMO), pour réaliser des analyses de discours en contexte numérique, et ce, à partir des théories en sciences sociales sur la confiance, l’incertitude et l’autorité[8]. Auctoritas comporte six bases de données relationnelles à remplir manuellement, chacune permettant de décrire des aspects particuliers du processus de (non‑)reconnaissance et de discussion des autorités informationnelles. Dans le cadre spécifique de notre projet de recherche, nous les avons utilisées de la manière suivante :
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La première agrège des données permettant d’identifier les contenus informationnels de Radio-Canada et d’en préciser la qualité communicationnelle.
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La deuxième rassemble des données sur les autorités mobilisées dans les contenus informationnels de Radio-Canada. Elles permettent d’en déterminer la nature (politique, économique, doxographique, logique, etc.) et la qualité communicationnelle.
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La troisième comporte des données sur les commentaires s’exprimant – positivement ou négativement – à propos des autorités mobilisées dans les contenus informationnels de Radio-Canada. Elle collige des détails, le cas échéant, sur les attentes normatives au regard desquelles lesdites autorités font l’objet d’un déni de reconnaissance dans les commentaires des usagers, mais aussi sur le « ton » de ce déni de reconnaissance (acrimonieux, courtois, succinct, prolixe, etc.).
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La quatrième recueille des données sur les autorités mobilisées par les usagers dans leurs commentaires. Ces autorités sont distinctes de celles identifiées dans les contenus informationnels de Radio-Canada, étant mobilisées à l’initiative des usagers. Cette base permet alors d’en déterminer la nature et d’en préciser la qualité communicationnelle.
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La cinquième rassemble, le cas échéant, des données sur les éléments à partir desquels les différents acteurs (les journalistes et les usagers) parviennent ou pourraient parvenir à un accord sur ce qu’est une information fiable. Ces éléments se trouvent généralement dans les commentaires exprimant une appréciation positive du travail des journalistes ou des critiques au nom d’attentes normatives, indiquant par là même de possibles pistes pour produire des contenus reconnus comme fiables.
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La sixième agrège des données sur la morphologie des interactions entre les usagers. Le niveau d’interactivité (commentaires isolés ou discussions, etc.), les formes que prennent les conversations (monologue, dialogue, conversation entre-soi, espace conversationnel ouvert, etc.) et leur ton (variant d’un ton attentionné à insultant) y sont détaillés.
L’ensemble de l’outil est accessible en ligne via une interface dont un exemple est reproduit en annexe.
Soulignons que cette analyse systématique de la page de Radio-Canada a été complétée par une observation flottante (Chapoulie 2000) d’espaces numériques de conversations variés depuis janvier 2020 : pages des médias québécois, groupes de discussions thématiques ou autour de l’actualité (groupes de quartier, regroupements d’intérêts divers, d’entraide), pages ou comptes de personnalités obtenant différents degrés de visibilité publique (influenceur·es, responsables politiques, personnalités économiques ou culturelles, groupes de pression divers). L’analyse très approfondie permise par Auctoritas n’a pu être reproduite systématiquement pour des raisons de moyens, mais la veille a été menée avec le même modèle analytique. Il a ainsi été possible de jauger si les constats effectués sur notre corpus principal paraissaient déroger à ce qui était observé sur un ensemble varié d’espaces conversationnels québécois.
Un double codage a été effectué par deux chercheurs à l’origine du projet et de l’outil. L’identification des autorités convoquées et de leur éventuelle discussion émergeant de l’analyse, il n’a pas été possible d’établir une liste prédéterminée de fiches pour mesurer le degré de concordance entre les analyses respectives de chaque codeur. Pour s’assurer de la robustesse du double codage, une solution alternative a été mise en place : les codeurs ont d’abord comparé les résultats de leur analyse des cinq premiers articles afin de discuter les éventuelles différences (ex. : identification de formes d’autorité différentes, évaluations divergentes de la qualité communicationnelle). Cette étape a permis de clarifier leur emploi de l’outil. Ces échanges ont été reproduits sur les cinq articles suivants, ce qui a permis de constater la convergence des deux codages. Par la suite, un premier codeur a analysé l’intégralité du corpus. Une fois cette analyse effectuée, le second codeur a effectué son analyse article par article en la comparant après coup aux résultats du premier. De rares cas de divergences sur des points précis ont émergé (ex. : évaluation d’un critère de qualité communicationnelle, qualification de la forme d’une conversation) et, dans six cas, ont concerné l’ajout ou la requalification d’une forme d’autorité. À chaque fois, une discussion entre codeurs sur la base du modèle analytique construit avec l’outil a permis de facilement s’accorder sur la décision à prendre.
Grille d’analyse complémentaire
La systématicité permise par Auctoritas a l’inconvénient de ne pas colliger l’émergent, face à un matériau pourtant extrêmement riche. Le second codeur a donc développé une grille ouverte en complément, en s’inspirant de la méthode mise en place par Éliséo Véron (1988). Il s’est agi de repérer certaines dynamiques, notamment interactionnelles, échappant à l’analyse des formes d’autorité, comme les réactions suscitées par une prise de parole complotiste. Les pistes d’analyses émergeant étaient colligées dans un tableau puis vérifiées à travers le corpus entier afin d’en attester la récurrence. Par exemple, cette grille a permis de repérer, au-delà du constat de la faible présence des prises de parole complotistes, que non seulement ces dernières provoquaient peu de réactions, systématiquement disqualifiantes, mais que ces réactions étaient plutôt civiles et tentaient d’expliquer pourquoi ces représentations n’étaient pas recevables.
Résultats de l’enquête : distinguer la participation critique du complotisme
Les conversations observées se distinguent nettement de la représentation de prises de parole violentes, déraisonnables et gouvernées par les émotions ou la crédulité. Elles peuvent demeurer critiques, mais selon des formes s’apparentant davantage à ce qui est attendu de la participation démocratique (Blondiaux et Fourniau 2011). Elles ne sont pas dénuées pour autant de limites qui justifieraient un accompagnement au débat afin d’en tirer tout le potentiel.
Une forte appétence pour la conversation
Le premier constat concerne le volume de la participation lui-même. Les contenus donnent lieu à de nombreuses prises de parole : 39 278 commentaires pour 160 articles. Il n’est pas rare que des informations provoquent des centaines et parfois des milliers d’échanges. Plus encore, ces commentaires se répartissent dans des conversations soutenues : la part de commentaires de second niveau, témoignant d’échanges entre interactant·es, est majoritaire dans 59 % des cas et significative dans 31 % des 160 contenus analysés.
Au-delà de ce volume, l’analyse du ton des conversations a permis de mettre en perspective les interventions violentes ou agressives (fig. 1). Celles-ci existent. Cependant, elles demeurent extrêmement minoritaires lorsqu’on les envisage à l’aune des conversations entières. Ces dernières s’avèrent essentiellement civiles (55 %), une part non négligeable s’avérant même attentionnée (13 %). La grille qualitative a permis de vérifier la récurrence d’un haut niveau d’empathie, qui vient compenser sa faible présence dans les discours journalistiques. Elle est la caractéristique communicationnelle la plus souvent inexistante ou faible dans ces contenus et la seule caractéristique où ces derniers sont systématiquement cotés bas. Les conflits demeurent et peuvent mener à des échanges tendus (18 %), mais la dégradation en violence ou mépris, au niveau général de la conversation, est très rare. Six conversations sur les 160 ont été qualifiées ainsi.
Figure 1
Répartition du ton des conversations
(le 1er chiffre est le nombre d’articles et le 2e le pourcentage)
Notre grille qualitative a aussi permis de repérer des demandes régulières de compléments d’information adressées à Radio-Canada et, faute de réponse du média, une dynamique d’entraide très marquée (4565 autorités convoquées dans les commentaires) : les interactant·es se répondent, renvoient vers des sources complémentaires, expliquent des points obscurs, tentent de comprendre les plus virulents ou véhéments, etc. Les marques d’appréciation de cette dynamique sont nombreuses et prennent la forme d’émojis positifs ou de textes de remerciements adressés aux journalistes, aux experts ou aux autres internautes (fig. 2). La grille qualitative a permis de valider que, la plupart du temps, les interventions non constructives ou incitant à une hausse du ton sont ignorées et il est très rare qu’elles arrivent à peser sur le ton civil.
Figure 2[9]
Entraide et remerciements
Précisons enfin que notre corpus indique qu’une conversation de qualité n’est pas le fruit du hasard : la qualité communicationnelle des articles a une incidence directe sur la qualité des conversations. Cette dimension ne saurait remplacer la prise en compte de sujets plus ou moins clivants : les échanges tendus augmentent proportionnellement dans les catégories « Canada » et « Politique » ainsi que dans les articles annonçant des mesures strictes face à la pandémie. Mais un soin apporté à la qualité communicationnelle constitue un levier efficace pour que ces clivages demeurent dans la conflictualité sans dégénérer dans la polémique.
Un respect global des conditions d’un débat démocratique
Les idées d’un renoncement à la vérité ou à la rationalité et du refus des conditions d’un débat démocratique sont battues en brèche. Les échanges laissent effectivement apparaître une importante mobilisation des autorités institutionnalisées, au sein d’un ensemble riche de formes d’autorité. Le nuage de mots de la figure 3 illustre la récurrence de celles-ci au sein des 4565 autorités convoquées dans les commentaires. Précisons que l’autorité qualifiée de « technique » renvoie à l’ensemble des logiques instrumentales mises en oeuvre pour penser et agir sur le monde.
Figure 3
Nuage de mots des autorités mobilisées dans les commentaires
(La taille de chaque mot rend compte de la fréquence de la mobilisation de cette autorité)
On le constate, les formes d’autorité sont variées. Les plus fréquentes relèvent néanmoins de celles attendues dans les sociétés démocratiques. Apparaît ainsi la reconnaissance d’une hiérarchie entre des autorités à la fiabilité plus assurée, que les autres formes d’autorité viennent compléter, enrichir et parfois contester contextuellement, davantage que remplacer ou discréditer (fig. 4). À nouveau, des marques de violence, de polémique et de complotisme sont parfois observables. Cependant, le grand intérêt de les analyser au sein du volume global de la conversation est de relativiser leur présence, finalement plutôt anecdotique dans notre corpus.
Figure 4
Exemple d’accord autour des règles du débat
Cette conformité aux « règles du jeu démocratique » apparaît encore plus explicitement lorsqu’on se penche sur le détail de la discussion des autorités ou des acteurs s’en revendiquant. Soulignons tout d’abord la fréquence relativement basse de remises en cause dans les discussions d’autorités mobilisées dans les articles : 151 seulement dans tout le corpus. Parmi ces dénis, 40 ont été qualifiés d’extrêmes, 18 de forts, 52 de moyens, 26 de faibles et 15 d’ironiques. Ajoutons que 73 discussions d’autorités témoignent au contraire d’une adhésion. Surtout, les dénis portent essentiellement sur les autorités politiques (déniées 51 fois pour 66 évocations dans les articles) et techniques (déniées 37 fois pour 117 évocations). Les sciences et le journalisme sont bien moins mis·es en cause : sur 89 évocations, l’autorité scientifique est déniée 6 fois et soutenue 13 fois ; sur 41 évocations, l’autorité journalistique est déniée 6 fois et soutenue 4 fois. Enfin, insistons sur le fait que ce déni ne signifie pas une opposition déraisonnable : nous le détaillerons plus avant ; l’écrasante majorité de ces dénis est motivée par des raisons avec lesquelles on peut être en désaccord, mais qui ne constituent pas un abandon des règles du débat démocratique.
La forte mobilisation des autorités institutionnalisées dans les commentaires permet de souligner que les dénis ne portent pas sur les autorités en elles-mêmes, mais bien plus sur les acteurs s’en revendiquant. Ainsi, les désaccords se nouent souvent autour de la même autorité revendiquée (et reconnue), comme dans le cas de la discussion des propos du Dr Horacio Arruda[10] sur le port de masques, effectuée au nom de l’état des connaissances publiées dans les revues scientifiques. Plus rarement, la conversation met en perspective la pertinence des différentes autorités convoquées en contexte, sans les disqualifier en elles-mêmes, comme dans le cas des réactions aux mesures sanitaires les plus strictes, où des considérations d’éthique, de préservation de soi et de retours d’expérience supportent l’interrogation de leur bien-fondé. Enfin, les cas de réactions hostiles plus virulentes, qu’elles soient adressées aux contenus journalistiques ou aux interactant·es, sont fortement associés à des attitudes où l’autorité est revendiquée sans être justifiée. Le critère de reconnaissance semble ainsi moins se situer dans la légitimité d’une autorité en elle-même ou dans un statut que l’interactant·e pourrait revendiquer a priori en lui conférant une position d’autorité, mais bien dans le fait que la position défendue s’accompagne d’une justification (Vitali Rosati 2018).
Une forme plus discrète de reconnaissance des autorités habituellement admises et des conditions du débat démocratique se manifeste enfin dans les silences. Notre grille qualitative a permis de repérer que la hausse de la qualité communicationnelle des articles se traduit dans un nombre significatif de cas par une conversation moins grande, malgré les taux de lecture et de partage importants (fig. 5). Cela nous semble témoigner du respect qu’ont les publics pour des contenus de haute qualité communicationnelle, qu’ils consultent sans ressentir le besoin de les compléter ou en discuter.
Figure 5
Exemple de contenu à la qualité communicationnelle élevée provoquant peu de commentaires, mais beaucoup de consultations et de partages
Une variante de cette attitude se lit dans les commentaires de remerciements. En effet, les rares articles recevant une très haute cote pour les caractéristiques de l’empathie et de la réduction de la complexité provoquent des successions de témoignages de gratitude (fig. 6). Nous y voyons une confirmation que la qualité communicationnelle complète utilement les critères de qualité de l’information en rendant explicites les caractéristiques assurant une bonne reconnaissance par les publics.
Figure 6
Exemples de marques de reconnaissance pour la qualité des contenus
Des variations dans les dénis d’autorités
La plupart des dénis d’autorités, comme des discussions conflictuelles observées, ne relèvent pas de l’expression péremptoire. Ils et elles sont généralement associé·es à des raisons et argumenté·es, même si nous verrons infra les limites de cette prise de parole. Cette justification est forte dans 3 % des cas de dénis d’autorités, moyenne dans 56 %, faible dans 31 % et inexistante dans 2 % des cas. Par ailleurs, nous avons pointé supra que ces justifications s’appuient sur des compléments d’information relevant des autorités habituellement admises en démocratie. Seulement 19 % des 4565 autorités mobilisées n’entretiennent pas un lien avec le sujet traité. Enfin, lorsque ces autorités sont convoquées, l’interactant·e prend la peine de justifier leur pertinence dans 52 % des cas. Nous avons aussi pu constater à l’aide de notre grille d’analyse que les interactant·es s’expriment souvent pour valoriser et défendre les interventions justifiées d’autres interactant·es et très souvent pour disqualifier les positions exprimées de manière péremptoire ou les rares hors sujet qui proviennent des contenus journalistiques ou des commentaires (fig. 7). Dans le contexte d’une page Facebook aux affordances peu orientées vers la valorisation de contenus et les discussions de qualité (Boullier 2020) et où nous n’avons repéré aucune trace de modération pour encourager des discussions constructives, la forme que prennent ces dernières témoigne donc d’un potentiel démocratique et d’une ouverture au débat qui méritent d’être soulignés.
Figure 7
Exemples de conversation civile et de disqualification de position peu justifiée
Insistons à nouveau sur le lien entre la qualité des contenus de Radio-Canada et la qualité des interventions : la comparaison avec la qualité communicationnelle des premiers permet de constater que les dénis sont surtout associés à des niveaux moyens.
Une bonne volonté à accompagner
Les résultats précédents permettent de conclure que les conversations observées témoignent d’une bonne volonté en faveur du débat démocratique et d’un fort potentiel pour que ce débat soit constructif : fort volume d’intervention, écoute et entraide mutuelles, respect des autorités pertinentes en contexte, disqualification des interventions hors sujet ou non constructives, mobilisation de nombreuses sources complémentaires, reconnaissance des argumentations bien élaborées, etc. Cependant, des enjeux d’habiletés à intervenir dans ce débat demeurent.
Nous l’avons déjà évoqué, la proportion d’autorités importées dans les commentaires et accompagnées de justifications argumentées, bien qu’importante (52 %), pourrait être augmentée et les dénis d’autorités mobilisées dans les articles pourraient être davantage justifiés par les commentateurs[11]. Ajoutons que de nombreuses interventions restent initialement peu étayées, et c’est la dynamique conversationnelle qui permet d’aboutir à des échanges constructifs. De nombreuses mauvaises habitudes de débats sont repérables : expression rapide d’opinions, défaut de lecture des contenus discutés, partisanerie, argumentations mal structurées, dogmatisme, etc. Nuançons cependant par le constat que, dans la très forte majorité des cas, ces mauvaises habitudes sont corrigées par la dynamique collective et que les auteur·es reconnaissent leurs erreurs (fig. 8).
Figure 8
Exemples d’interventions de qualité discutable et des échanges qu’elles génèrent
Figure 8a
Figure 8b
Figure 8c
En somme, l’analyse soulève que le débat, plutôt qualitatif, pourrait néanmoins être amélioré. Cependant, la comparaison avec la qualité communicationnelle des contenus et le positionnement de Radio-Canada en termes de conversation détourne du constat d’un seul déficit populaire : le niveau de qualité communicationnelle des articles, globalement élevé (avec une moyenne de 13,08/24 en score de qualité communicationnelle), reste plus faible en ce qui concerne la réduction de la complexité et très bas pour l’empathie ; seulement 44 % des autorités convoquées dans les articles sont développées[12] et leur niveau de qualité communicationnelle est plus bas ; il n’existe aucune trace de participation de Radio-Canada aux conversations[13]. L’enjeu, du côté des professionnel·les de l’information comme du côté des publics, consiste donc moins dans le respect des conditions d’un débat démocratique ou dans la mobilisation d’autorités pertinentes en contexte, mais plutôt dans la manière dont est justifiée la position de chacun·e. Ce constat rejoint précisément l’analyse de Philippe Breton (2006) à propos d’une crise démocratique : selon lui, celle-ci concerne moins la remise en cause de ses principes qu’une incompétence généralisée dans le maniement des jeux de langage qui permettent son bon fonctionnement. Ce qui limite le potentiel démocratique des échanges observés est le peu d’attention accordé à l’art de convaincre de ses positions, pas la légitimité de celles-ci. Le fait de ne pas soigner les espaces conversationnels de manière à faire émerger des échanges s’orientant mutuellement vers une haute qualité paraît particulièrement déterminant.
Discussion : produire des enquêtes permettant de saisir la complexité des conflits démocratiques
Repeupler conceptuellement les expressions de critiques
Les résultats de notre enquête révèlent l’existence, parmi les commentaires des internautes, de multiples expressions visant à dénier la valeur de contenus, s’appuyant le plus souvent sur des justifications et convoquant fréquemment les autorités consacrées de nos sociétés démocratiques (celles-ci ayant ainsi la fonction de « contre-autorité »). Partant de là, il semble possible de dégager trois grandes formes d’expression de déni (fig. 9).
Figure 9
Modèle analytique des interventions critiques dans les commentaires
La forme du désaccord spécifique soulève des problèmes de clarté dans les productions des journalistes ou dans les commentaires, des biais dans une analyse, des marques d’opinion personnelle non explicitée, ou même des complaisances par rapport aux pouvoirs en place. Les désaccords spécifiques constituent dans notre corpus la grande majorité des expressions de déni. Plus rarement, ces réactions portent une critique plus générale des médias ou de l’état de la démocratie, au nom d’une position structurée évoquant la tradition d’analyse critique des médias en tant qu’appareils idéologiques d’état ou fabricants de consentement (Muhlmann 2006), ou encore du soupçon argumenté envers des « élites », essentiellement alimenté par des expériences professionnelles[14] ou par les scandales mis à jour par les médias eux-mêmes (Pasquier 2018). Ces expressions de déni se distinguent du complotisme, qui implique un discours s’apparentant à un « mille-feuille » argumentatif, à la cohérence logique pour le moins discutable, ainsi qu’un refus de toute contre-argumentation (Rebillard 2017).
Cette tripartition constitue un apport à la compréhension des débats traversant le Québec, en évitant la réduction de toute intervention critique à du complotisme. Notre schéma donne une idée des proportions prises par chaque catégorie. Précisons qu’elles sont propres à notre corpus et pourront largement varier dans d’autres contextes. L’intérêt est pour l’instant analytique, mais la multiplication d’enquêtes tentant de saisir les proportions que prennent ces expressions de déni permettrait de fournir une image plus précise des conflits traversant le Québec (Coutant et Domenget 2020).
La première catégorie, « désaccords spécifiques » (voir fig. 9), rassemble la grande majorité des expressions de déni envers les commentaires des usagers ou les productions des journalistes. Ceux-ci sont spécifiques en ce qu’ils ne dépassent jamais les limites d’un contenu déterminé (une vidéo, un article, un commentaire). Par ailleurs, ces désaccords peuvent concerner autant « la forme » (opacité de l’expression, confusion dans l’organisation du propos, présentation, etc.) que le « fond » (paralogismes, sophismes, positions jugées dogmatiques, erreurs, etc.). Le niveau de saturation des flèches unidirectionnelles représente le degré de conflictualité dans cette première catégorie. En ce sens, les « désaccords au sujet de la qualité de certains aspects d’un contenu » n’impliquent pas de dissensus entre les interactant·es et peuvent être facilement surmontés par des corrections ou des ajustements. Les « désaccords concernant une analyse » s’avèrent plus profonds, puisqu’ils viennent remettre en cause la valeur d’un contenu dans son entièreté. Il s’agit alors de témoigner de son opposition à ce qui constitue le coeur même du commentaire ou d’une production journalistique. Enfin, les « désaccords au sujet d’un contenu au nom des valeurs mêmes du journalisme » touchent exclusivement les contenus médiatiques. Ils déprécient la production d’un journaliste au regard d’une conception déterminée de ce que devrait être le journalisme, c’est-à-dire d’un ensemble d’attentes normatives considérées comme justes, bonnes, efficaces, adéquates. Si les « désaccords concernant une analyse » présupposent un accord entre les interactant·es au niveau des attentes normatives du travail journalistique (lorsque ces expressions de déni portent sur des productions journalistiques), cette dernière catégorie de « désaccords spécifiques » engage une opposition plus radicale à celles qui ont présidé à la production d’un contenu déterminé.
Les expressions de déni appartenant à la deuxième catégorie, « critiques générales de l’ordre sociopolitique », se sont avérées moins fréquentes dans notre corpus. Contrairement aux « désaccords spécifiques », elles ne se limitent pas à un contenu déterminé (ou à quelques aspects d’un contenu déterminé), mais s’attaquent aux conditions objectives du développement desdits contenus. Ces critiques portent sur les structures médiatiques, mais aussi sur les organisations politiques, culturelles ou économiques. Elles s’attachent à relever « ce qui ne va pas » dans notre présent historique, c’est-à-dire toutes les évolutions jugées problématiques, dysfonctionnelles ou pathologiques, avec une opposition marquée, dans notre corpus, aux élites et aux institutions médiatiques. Si les critiques de l’ordre sociopolitique se manifestent avec un degré de conflictualité bien supérieur aux désaccords spécifiques, elles n’en restent pas moins des conversations, se déployant dans le cadre d’interactions discursives où les acteurs en présence s’interpellent, argumentent et contre-argumentent, autrement dit, réagissent à leurs discours respectifs. Les désaccords spécifiques et les critiques de l’ordre sociopolitique trouvent leur réalité effective dans des relations sociales où les individus se reconnaissent mutuellement – et ce, même minimalement – comme des « partenaires légitimes d’interaction » (Fraser 2005).
Cela ne peut toutefois pas être dit des commentaires relevant du « complotisme », c’est-à-dire de la troisième catégorie des expressions de déni. Celles-ci ne participent pas d’une conversation, mais plutôt d’une polémique. Rappelons que l’adjectif « polémique » désigne dans l’étymologie grecque ce « qui concerne la guerre » (Rey 2012, 2686). Dans cette mesure, la conversation est à la polémique ce que l’adversité est à l’inimitié : la conversation peut connaître un très haut degré de conflictualité, mais les participants ne cherchent pas à priver l’autre de son statut « d’être de parole ». En revanche, l’autre n’existe pas réellement en tant « qu’être de parole » dans la polémique : ou bien il est enrôlé, ou bien il est perdu.
Un enrichissement conceptuel utile pour penser le rôle démocratique du journalisme
Cette tripartition permet de mieux saisir ce que les publics reprochent aux médias et aux journalistes. Ainsi, si chaque type de critique porte un rapport négatif à la chose critiquée, la première ne semble pas présenter de difficultés particulières. Surtout, le déni de reconnaissance ne porte que sur un contenu ou une partie de celui-ci, sans remettre en cause la valeur attribuée à la source dans sa globalité. Au regard de leurs caractéristiques communicationnelles, il paraît d’ailleurs tout à fait envisageable d’améliorer les contenus journalistiques, de les amender, voire de les corriger, de sorte qu’ils soient davantage en adéquation avec les attentes légitimes du public et, par là même, susceptibles d’obtenir leur confiance. En revanche, la critique sociale et l’esprit complotiste engendrent des problèmes plus profonds politiquement, mais bien distincts. Or, les confondre empêche de faire face à ces problèmes constructivement. Le risque d’invisibilisation de critiques sociales légitimes découlant de cet amalgame est ressorti de manière particulièrement éloquente en considérant la modération parfois incohérente des commentaires sur la page de Radio-Canada, au regard du mandat de cette dernière « [d’]encourager la participation des Canadiens à notre société libre et démocratique ».
Si l’on se rapporte à la « nétiquette » de la société d’État définissant les conditions d’utilisation des « espaces de commentaires de toutes les plateformes numériques de Radio-Canada et ses comptes réseaux sociaux », on lit que les commentaires reposant sur « de fausses affirmations » ou de « fausses nouvelles » peuvent être « rejeté[s] » par les personnes responsables de la modération (il s’agit du point 8.10 dudit document[15]). Or, dans le cadre de notre enquête de terrain, nous avons eu l’occasion de consulter l’ensemble des commentaires « masqués » ou supprimés en lien avec les 160 articles composant notre corpus. Nous avons été frappés de constater l’absence de systématicité, sinon de cohérence, dans les procédures de modération, pour autant que certains énoncés, témoignant par exemple d’un regard critique sur le mode de production capitaliste, la pertinence des décisions gouvernementales (notamment en période de crise sanitaire), des entreprises pharmaceutiques ou encore des organisations médiatiques, voire se contentant d’apporter des connaissances fiables, ont été bannis de la page Facebook de Radio-Canada.
Supprimé, avril : Bon ! Bon ! Bonnnnnnn ! Montréal-Nord a une contamination majeur à cause de la contamination collective. Un peu comme notre Gouvernement Legault veut faire avec le déconfinement. Il espère une immunité collective alors que dans un seul cartier de Montréal cela n’a pas fonctionné. Alors qu’est-ce qu’il pense qu’il va arriver partout dans le Québec ??? La 2ème vague ça nous pêter en pleine face d’ici maximum 1 mois 😡😡😡
Supprimé, avril : @interactant un virus ne se nourrit pas, ce n’est pas un être vivant à proprement parler. C’est une molécule d’ARN (code génétique) emballée dans une membrane semblable à celle des cellules humaines. Il se colle en priorité aux cellules des muqueuses et entre dans la cellule car sa membrane fusionne avec celle de la cellule (un peu comme 2 petites bulles de savon fusionnent pour en faire une seule plus grosse). Sauf que le virus est tellement plus petit que la cellule ne grossit pas vraiment. Ensuite la molécule d’ARN est copiée en ADN et va s’intégrer dans l’ADN de la cellule, qui reproduit ensuite tout le code génétique du virus et reproduit des virus en utilisant les ressources de la cellule. Le virus est un peu comme un parasite. Une fois qu’il y a beaucoup de virus, la cellule finit par éclater et tous les virus qu’elle a fabriqués elle même vont infecter les cellules voisines. Le système immunitaire va normalement reconnaître que les cellules sont en train de faire n’importe quoi (de fabriquer des virus) et les tuer avant qu’elles n’aient le temps d’en faire trop. Ça prend quelques jours mais normalement c’est ce que tu vas voir comme symptômes légers et temporaires (toux , mouche, atchoum). Ce qui tue les gens c’est quand le système immunitaire s’emballe et devient « hyperactif » avec les cellules infectées, au lieu de juste les tuer. Il se fait une « tempête de cytokines » (les molécules qui stimulent le système immunitaire) qui provoque une inflammation sévère et des symptômes plus graves (arrêt respiratoire, choc septique, arrêt cardiaque) qui entraînent la mort. J’espère t’avoir éclairé un peu (je suis prof de biologie cellulaire à l’université Bishops)
Supprimé, mai : TRES TRES GRANDE ENTREVUE. SVP INVITEZ LE ENCORE ET ENCORE. SVP. NOUS APORECIONS VOTRE EMISSION, M. RO[16]
Dans cette liste de commentaires modérés, une confusion se donne à voir entre ce qui relève de la critique sociale et de l’esprit complotiste, c’est-à-dire entre une parole se risquant au dialogue (dont le degré de conflictualité varie en fonction de la situation sociale), laquelle exprime à autrui un point de vue ou un apport de connaissances sur les évolutions problématiques de notre présent, d’une part, et une parole fermée sur elle-même, un monologue, se privant des conditions de possibilité d’un échange avec autrui, d’autre part. Certains commentaires relevant du complotisme sont restés quant à eux accessibles.
Bien que notre enquête de terrain ne nous autorise pas, faute de données empiriques, à élucider les causes de cette confusion, elle n’en reste pas moins observable dans les espaces de commentaires de Radio-Canada, ce qui conduit à invisibiliser toute une strate de la parole publique. Cet état de fait est d’autant plus regrettable que les commentaires alimentant cette critique sociale demeurent assez rares, d’un point de vue quantitatif, par rapport à l’ensemble des commentaires adressant des critiques au sujet des aspects formels des contenus journalistiques. C’est donc une parole minoritaire, peut-être même minorisée, qui se voit partiellement privée de visibilité. Cette confusion contrevient ainsi aux conditions usuellement reconnues comme souhaitables d’une discussion démocratique (Blondiaux et Manin 2021). Parmi les hypothèses à creuser, soulignons que la recherche sur les métiers du numérique soulève le peu de maturité professionnelle face à cette nouvelle possibilité d’expression (Jammet 2016 ; Leveneur 2019). Prises dans une injonction générique à encourager la participation, les organisations comme les professions du numérique se formalisant autour de la modération et de l’animation de « communautés » ne semblent pas développer une vision fine des publics. À défaut, c’est donc un imaginaire marketing ou relationniste qui encadre les pratiques de modération : éviter tout risque de controverse, soigner la réputation, ne conserver que les expressions positives, automatiser la suppression de certains mots ou émojis, etc. Discutables en soi, ces choix concernant la visibilité des contenus deviennent sensibles lorsque les organisations en question ont pour vocation de supporter la discussion démocratique. Ils dépassent largement notre objet, dont l’intérêt consiste uniquement à sensibiliser à la nécessité d’une réflexion sur la manière dont les démocraties libérales veillent ou non à la formalisation d’espaces constructifs de débat.
Un enrichissement conceptuel utile pour penser la critique sociale en sciences humaines et sociales
Nous aurions tort de penser que cette ambiguïté est le propre du dispositif de modération de la société d’État. Loin d’être un simple « accident », lequel résulterait de contingences organisationnelles, elle semble en réalité inaugurer les réflexions séminales sur le complotisme en sciences humaines et sociales. La position peu étayée de Karl R. Popper rapprochant les « thèses du complot » et le marxisme, les notions de « monopoles », de « capitalistes » et « d’impérialistes », frappe ainsi par sa proximité avec la manière dont certains débats disciplinaires tentent d’être évacués par des allusions discutable[17] :
Il existe une thèse, que j’appellerai la thèse du complot, selon laquelle il suffirait, pour expliquer un phénomène social, de découvrir ceux qui ont intérêt à ce qu’il se produise. Elle part de l’idée erronée que tout ce qui se passe dans une société, guerre, chômage, pénurie, pauvreté, etc., résulte directement des desseins d’individus ou de groupes puissants. Idée très répandue et fort ancienne, dont découle l’historicisme ; c’est, sous sa forme moderne, la sécularisation des superstitions religieuses. Les dieux d’Homère, dont les complots expliquent la guerre de Troie, y sont remplacés par les monopoles, les capitalistes ou les impérialistes.
Popper 1979, 67-68
En mettant sur un pied d’égalité la prophétie et l’économie politique, les interventions divines et les luttes des classes, la prophétie et la prévision, cette manière de présenter certains travaux disciplinaires suggère alors une identité entre la critique sociale et l’esprit complotiste. Il n’est pas lieu de clore ici un débat épistémologique complexe, mais soulignons que la forte visibilité des expressions les plus réductrices de celui-ci laisse la place à des stratégies de discrédit des discours pouvant menacer le statu quo (Lahire 2006a ; de Grosbois 2022).
Comment distinguer la critique sociale et l’esprit complotiste ?
À la lumière de ces premières observations, on peut s’interroger sur la possibilité de séparer, de manière claire, les commentaires relevant de la critique sociale et de l’esprit complotiste en s’intéressant à leur contenu. Ne serait-il pas envisageable de concevoir une procédure permettant d’isoler les propos les plus substantiellement paranoïaques, fantasmatiques, voire grotesques, sans risquer de nuire aux formes expressives de la critique sociale dans les interactions discursives des usagers ? Pourquoi, par exemple, ne pas bannir chaque fois les commentaires antisémites sur l’existence d’une conspiration internationale, sur la surface plate de la terre ou encore sur l’organisation du 11 septembre 2001 par l’administration américaine ? Quoique séduisante, une telle option – laquelle supposerait de dresser et de réactualiser un catalogue des théories complotistes – paraît difficilement réalisable. Si, à la lecture des commentaires modérés, certaines thèses complotistes se donnent à voir immédiatement en tant que telles, leur présence sous cette forme demeure très marginale dans cette liste et, plus encore, parmi l’ensemble des commentaires accompagnant les 160 articles de notre corpus. De nombreux énoncés problématiques se trouvent plutôt dans une « zone grise », juxtaposant des éléments qui semblent, faute d’approfondissement, pouvoir relever autant de l’esprit complotiste que de la critique sociale ou de la critique formelle. C’est ainsi plus souvent le manque de détails dans la justification des positions exprimées qui rend ces contenus discutables.
Une seconde avenue pourrait considérer, non pas la nature des contenus, mais la logique des discours complotistes (Angenot 2010). La « réduction à une cause unique » (Taguieff 2021) semblerait en effet être l’un de leurs attributs essentiels. L’histoire contemporaine (les effets) trouverait par exemple son explication dans un plan de domination mondiale préparée et organisée par la société secrète des Illuminati de Bavière. Cette cohérence peut effectivement se trouver dans les discours des figures de proue du complotisme. Un tel critère rencontre cependant des écueils similaires, lorsque confronté aux matériaux de notre enquête. En effet, les discours potentiellement complotistes observés ne respectent pas une telle logique : ils se contentent d’agréger des éléments hétéroclites, pouvant tour à tour faire fonction de preuves, de justifications ou d’argumentation, sans ordonnancement. Très rares sont en effet ceux qui présentent la cohérence nécessaire à la « découverte » d’une cause unique.
Nos résultats alimentent l’hypothèse qu’une modération plus alignée sur le mandat de faciliter la participation citoyenne, dans le cadre des interactions discursives ordinaires des usagers des médias sociaux, gagnerait à évaluer leur acceptabilité davantage en fonction de critères procéduraux de justification des positions affirmées (Aubin 2016 ; Badouard 2021). Comme nous l’avons mentionné dans la partie précédente en distinguant conflit et polémique, la rupture soulevant un enjeu démocratique semble bien moins se situer dans la substance (adhérer à une représentation fantaisiste et/ou démontrée fausse par d’autres autorités) que dans la procédure (refus d’écouter les autres ou de considérer des contre-argumentations). Dans le premier cas, la dimension collective et processuelle de l’établissement des représentations permet de constater la mise en place d’une discussion aboutissant, dans l’écrasante majorité des cas, à une disqualification des représentations les moins fiables. La conversation supporte alors la constitution de publics critiques, ceux-ci restant souvent au moins en partie antagonistes. Dans le second cas, on perçoit l’enfermement de minorités dans une attitude de méfiance les excluant de l’exercice collectif de formulation et de discussion des problèmes sociaux (Quéré 2018). Une piste de recherche à approfondir nous semble ainsi la description des manières dont les prises de parole sont organisées, rendues visibles, et les formes de conversations auxquelles ce cadrage donne naissance. Les premiers travaux menés dans cette direction témoignent en effet de l’efficacité de procédures explicites pour favoriser une régulation collective des contenus par les interactant·es (Mellers, Tetlock et Arkes 2019 ; Copland 2020).
Cette lecture apparaît aussi corroborée par les commentaires invitant les médias à assumer leur rôle de support à la formation de leurs publics, comme le soulève cette intervention illustrant bien les critiques adressées aux médias :
Si c’était pas de Radio-Canada durant le covid, j’avais entendu l’expression ‘theories conspirationnistes’ à peine 3 fois dans ma vie… Grace à vous je l’entend maintenant 150 fois par jour. Je crois pas aux théories du complot, mais je crois que c’est bien que les gens se questionnent. Arrêtez de vouloir diviser la population dans des moments de crise comme celui-ci, tentez plutôt de créer un mouvement rassembleur svp Maintenant, les gens vont avoir peur de poser des questions ou émettre des théories, de peur de se faire traiter de conspirationniste. Nouveau Trend 2020 : tu as une théorie ? Théorie du complot automatique ! Tu te questionnes et a un opinion différente ? tu es dans une secte conspirationniste. SVP STOP 😒😒😒
Conclusion : renouer avec les publics
Confirmant les connaissances accumulées par la littérature spécialisée dans l’étude des médias, les usagers constituant le public de la page Facebook de Radio-Canada ne s’apparentent que peu à l’image pessimiste suscitée par « la peur des masses ». Ils sont loin d’être les victimes passives de manipulations de théoriciens du complot ; l’analyse de leurs interactions discursives témoigne d’un niveau d’exigence relativement élevé au regard des propriétés formelles des articles des journalistes de Radio-Canada, d’une inclination – peu fréquente, mais bien réelle – à la critique des évolutions problématiques de nos sociétés contemporaines et d’une certaine imperméabilité aux discours complotistes. Aussi, peut-être faudrait-il réévaluer l’idée selon laquelle la relation entre les journalistes et les usagers devrait être de nature pédagogique, impliquant des éducateurs et des éduqués, des savants et des ignorants ou, pour paraphraser Jacques Rancière (2005), des personnes qui savent que les autres ignorent et des personnes qui ignorent qu’elles ignorent. Cette posture « épistémocratique » paraît en décalage avec la réalité observée des modalités de la réception de l’information parmi les usagers de Radio-Canada. La forme et le contenu de leurs interactions discursives témoignent de leur activité et de leur besoin, non pas de guides, mais de soutiens, selon une perspective illustrant fortement la perception de la démocratie défendue par Dewey (2010).
Le constat empiriquement attesté d’un potentiel démocratique au sein des publics québécois, s’il invite à se détourner des lectures a priori incapacitantes concernant sa participation, ne doit pas mener à un optimisme déraisonnable. Son actualisation n’a rien de mécanique et des formes d’intervention antidémocratiques sont tout autant attestées (Badouard 2017), même si nos résultats soulèvent qu’elles ne semblent pas la voie privilégiée d’expression au Québec. Ce potentiel ne pourra donner lieu à des espaces de conversation démocratique de qualité que s’il est supporté par un contexte favorable. Il encourage donc avant tout à élargir la focale du diagnostic des troubles dans nos démocraties au-delà des positions individuelles, qu’il s’agisse d’inaptitudes informationnelles et démocratiques ou de partisaneries assumées. Une réforme de la manière dont les médias permettent et rendent compte de la discussion populaire et dont les partis, particulièrement lorsqu’ils sont au pouvoir, en tiennent compte et justifient leurs décisions, ne constituerait-elle pas une meilleure garantie contre l’augmentation de la défiance, sa radicalisation en méfiance et la porte que ces attitudes entrouvrent vers des représentations délétères du monde[18] ? On l’a vu dans différents contextes nationaux (Gimenez et Voirol 2017 ; Voirol 2017), faire la sourde oreille en espérant profiter d’un statu quo ne semble plus une option payante pour des partis tentés par un rapport cynique à l’expression populaire : de nouvelles formes de partis ou agitateurs politiques ont manifestement compris comment traduire la frustration ainsi générée en soutien qui, bien qu’hétéroclite dans ses justifications, semble rester stable et même se convertir en soutien convaincu avec le temps, si l’on se fonde sur l’exemple étasunien.
Portée de l’enquête
Rappelons que l’objectif de l’enquête n’est pas de fournir des conclusions générales sur l’état de la participation politique au Québec, ni même en ligne. Les recherches sur les pratiques informationnelles démontrent à quel point les échanges en ligne, même en croissance, ne demeurent que l’une des dimensions de la conversation politique générale. Par ailleurs, les contextes conversationnels donnent lieu à des formes variées d’échanges, interdisant la généralisation des résultats obtenus dans un espace spécifique.
Si l’on reprend les deux objectifs énoncés en début d’article, appuyer la remise en question de la représentation pessimiste des publics appliquée généralement à la participation politique et fournir des pistes de compréhension alternatives des prises de parole critiques, nous estimons que le premier est rempli. La critique de la cohérence explicative et démonstrative des recherches sur le complotisme pour expliquer les pratiques informationnelles, notamment en ligne, est appuyée par la littérature scientifique portant sur les médias et les publics. Notre enquête ajoute le constat empirique de l’extrême rareté des formes supposées fréquentes de logiques conspirationnistes et du peu d’éléments théoriques que ces recherches offrent pour comprendre la complexité et l’évolution des positions défendues par les interactant·es. Ces critiques complémentaires devraient en toute rigueur amener à réviser le champ d’application des conclusions des recherches sur le complotisme (Lahire 2006b ; Becker 2020). En ce qui concerne les pistes de compréhension des prises de parole critiques, nos résultats constituent plutôt des ébauches à approfondir par de futures recherches s’inscrivant dans des problématiques similaires. Tout d’abord, notre modèle analytique n’a pas vocation à prévoir les formes que prendront les échanges en contexte. Il fournit un support pour comprendre d’éventuels échanges conflictuels autour de l’actualité mais ne remplace pas l’enquête concrète. À ce titre, ce modèle ne répond pas à la question de la proportion que prendra chaque forme de critique dans un contexte conversationnel donné. Seule une enquête permettra de l’établir. Insistons aussi sur la difficulté de généraliser l’estimation de ces proportions à partir de contextes dont les spécificités déterminent fortement les formes que prennent les conversations. C’est donc par un cumul de recherches employant des approches similaires que la montée en généralité pourra être effectuée, et non par la recherche d’une représentativité plus générale d’un seul contexte étudié (Coutant et Domenget 2020).
Parties annexes
Annexe
Exemple d’une fiche détaillant les caractéristiques communicationnelles d’un article
Notes biographiques
Alexandre Coutant est professeur agrégé au Département de communication sociale et publique à l’Université du Québec à Montréal. Il est responsable de l’axe « Pratiques informationnelles, publics et agir politique » du Laboratoire sur la communication et le numérique (LabCMO). Ses travaux portent sur les pratiques informationnelles et les enjeux de confiance dans des environnements sociotechniques.
Julien Rueff est professeur associé au Département d’information et de communication de l’Université Laval. Ses recherches s’intéressent aux aspects politiques, sociaux et culturels des médias numériques, mais aussi les théories critiques en sciences humaines et sociales. Il est également candidat au doctorat de philosophie de l’Université de Montréal, dans le cadre duquel il mène une recherche sur le rôle de la violence dans la philosophie de la praxis d’Antonio Gramsci.
Notes
-
[1]
https://cbc.radio-canada.ca/fr/ombudsman/mandat-ombuds. Consulté le 20 juillet 2023.
-
[2]
https://www.ledevoir.com/culture/medias/611943/radio-canada-l-ombudsman-plaide-pour-la-fin-des-commentaires-sur-le-site-web. Consulté le 20 juillet 2023.
-
[3]
Radio-Canada constitue effectivement la deuxième source d’information citée par les Québécois·es, parfois première ex aequo avec TVA, comme en 2022, selon les mesures régulières du Centre d’études sur les médias. Ajoutons que la dynamique particulière de visibilité entretenue par Facebook amène de nombreux usagers à accéder à des contenus qu’ils ne consulteraient pas par eux-mêmes, en raison de la mise en visibilité des activités de leurs proches et semblables (Leveneur 2019 ; Cardon et Prieur 2021). Il s’ensuit un espace conversationnel élargi (Granjon, Papa et Tuncel 2017).
-
[4]
À titre d’illustration, la moyenne de commentaires par article dans notre corpus est de 92 en février 2020, elle grimpe à 205 en mars et à 697 en avril, avant de redescendre à 151 en mai avec le déconfinement, une moyenne qui demeure toutefois beaucoup plus haute qu’initialement.
-
[5]
Les commentaires déposés sous les articles de pages Facebook étant réputés publics, une certification éthique ne nous a pas été nécessaire.
-
[6]
Ce qui comprend tout autant la part de journalistes parmi les rédacteurs et rédactrices, la publicisation des correctifs et des démentis, la présence de normes déontologiques, la part relative des différentes rubriques, que la taille des articles, le nombre de publications, les tons et champs sémantiques employés, etc.
-
[7]
Précisons que nous avons eu accès aux commentaires masqués et supprimés.
-
[8]
L’outil est hébergé sur son espace de recherche et d’expérimentation sur les usages numériques (https://labcmo.ca/espace-un/). Un manuel est en cours de rédaction afin de permettre à la communauté scientifique de l’employer.
-
[9]
À noter que nous insérons dans le texte les captures d’écran tirées de la page Facebook de Radio-Canada au moment de la recherche, mais que celles-ci n’y sont plus accessibles.
-
[10]
Le Dr Arruda était à l’époque directeur national de la Santé publique et sous-ministre adjoint à la Direction générale de la santé publique au ministère de la Santé et des Services sociaux du Québec.
-
[11]
Ils le sont la plupart du temps moyennement, et assez souvent faiblement.
-
[12]
Un score plus bas que dans les commentaires.
-
[13]
De rares commentaires sont laissés pour offrir des contenus complémentaires, mais jamais au sein d’une discussion ou en réponse à un internaute.
-
[14]
Comme le cas des membres du personnel de la santé relatant leur expérience d’un système qu’ils jugent dysfonctionnel, mais pérennisé par une minorité d’acteurs qui en profitent.
-
[15]
https://ici.radio-canada.ca/conditions-utilisation/netiquette. Consulté le 10 novembre 2021.
-
[16]
Tous les commentaires ont été retranscrits dans leur intégralité dans cet article, sans apporter aucune modification.
-
[17]
Par exemple : « Sans doute serait-il injuste d’accuser Bourdieu de conspirationnisme : sa pensée mérite mieux que cela. En revanche, il n’est pas faux, croyons-nous, d’affirmer que la théorie de la domination qu’il a en partie constituée est aussi une matrice dans laquelle certains peuvent trouver les moyens de donner à des constructions idéologiques les apparences de la scientificité. Il existe un continuum cognitif ou, si l’on veut, une pente glissante entre la convocation inconséquente d’entités collectives, le biais d’agentivité, le finalisme, les arguments du cui prodest (à qui profite le crime) et les théories du complot. » (Bronner et Géhin 2017, 208)
-
[18]
À ce titre, notre suivi longitudinal d’espaces de conversation québécois variés nous a permis d’identifier des cas à approfondir. En effet, ce type de défiance envers le Gouvernement et le traitement médiatique de la pandémie ne se cantonne aucunement aux collectifs qualifiés de « complotistes » ou « anti-mesures ». Il est notamment frappant de constater l’évolution de groupes experts et informés scientifiquement vers cette position très critique et blasée envers les médias d’information et le gouvernement. Ces impressions issues d’une observation demeurant flottante appellent à l’approfondissement de l’analyse de l’évolution de ces collectifs depuis 2020. En effet, leur position est résolument convaincue par l’intérêt de la connaissance scientifique : ils adhèrent à la démocratie et à ses mécanismes et sont de grands consommateurs de médias d’actualité. Leur attitude très défiante n’a donc rien à voir avec les explications fréquentes par le défaut de rationalité ou de sens démocratique mais plutôt avec une déception à la suite d’une consommation profonde et « convaincue », pourrait-on dire, de ces autorités. Pour une illustration de cette attitude, voir Cossette et Simard (2022).
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Liste des figures
Figure 1
Répartition du ton des conversations
(le 1er chiffre est le nombre d’articles et le 2e le pourcentage)
Figure 2[9]
Entraide et remerciements
Figure 3
Nuage de mots des autorités mobilisées dans les commentaires
(La taille de chaque mot rend compte de la fréquence de la mobilisation de cette autorité)
Figure 4
Exemple d’accord autour des règles du débat
Figure 5
Exemple de contenu à la qualité communicationnelle élevée provoquant peu de commentaires, mais beaucoup de consultations et de partages
Figure 6
Exemples de marques de reconnaissance pour la qualité des contenus
Figure 8a
Figure 8b
Figure 8c
Figure 9
Modèle analytique des interventions critiques dans les commentaires