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Hommage à Sylvie Vincent (1941-2020)

Le départ de Sylvie Vincent, anthropologue et spécialiste de la tradition orale innue, a été vécu comme un choc. Pour plusieurs, Sylvie incarnait la rigueur intellectuelle, l’indépendance, l’esprit critique, l’engagement social et politique, l’honnêteté de la pensée et la franchise des mots. Elle a porté la revue Recherches amérindiennes au Québec, presque à bout de bras, avec ses amis et collègues, Rémi Savard, Laurent Girouard et Gérald McKenzie, pendant près de cinquante ans. Elle a influencé de nombreux collègues, jeunes chercheurs ou étudiants. Elle continuera encore à le faire, sans aucun doute. Quel étudiant de maîtrise ou de doctorat travaillant sur les Premières Nations du Québec n’a pas lu un texte de Sylvie Vincent ? Quel professeur n’a jamais proposé un texte de Sylvie dans ses lectures obligatoires ?

Ses textes restent plus que jamais d’actualité. Mais ils ne sont que la partie visible de l’iceberg, la pointe d’un travail titanesque portant sur la tradition orale, le territoire et le patrimoine culturel des Innus. Nombre de ses essais, synthèses ou rapports n’ont jamais été publiés. Ils le seront, espérons-le, un jour.

Sylvie était une travailleuse acharnée, humble, déterminée, sachant trouver l’équilibre entre fermeté et douceur, toujours à la recherche d’une forme de perfection, dira Serge Bouchard. Je l’ai entendue moi-même lutter contre les raccourcis dans le traitement des réalités des Premières Nations du Québec dans l’exposition de référence du Musée de la civilisation ; je l’ai entendue s’insurger contre le changement de paradigme imposé aux revues qui doivent, depuis quelques années, être reliées à une université pour pouvoir survivre ; je l’ai entendue déplorer tous ces protocoles de recherche, dont elle n’avait pas besoin, elle qui travaillait dans une relation de confiance, profonde et sincère avec et pour ses amis innus depuis tant d’années.

« Avec sa rigueur et son dévouement, elle a su raconter notre histoire, nos traditions orales, notre culture et notre identité autant pour nos générations futures, mais également pour la défense de nos droits », affirmera la Nation innue dans son hommage. Sylvie, « elle m’a redonné mon histoire », déclarera encore son amie Joséphine Bacon. La Société et la Revue saluent aujourd’hui la contribution et la mémoire de Sylvie Vincent, en publiant ici les témoignages de Pierre Lepage, Rita Mestokosho, Innu Takuaikan Uashat mak Mani-utenam, Nelcya Delanoë, Laurent Girouard et Gérald McKenzie.

Bon voyage Sylvie, et merci.

Laurent Jérôme,
directeur de la revue
[4 juin 2020]

Hommage à Sylvie Vincent, une anthropologue et une femme d’exception

Derrière le micro, Sylvie Vincent et sa complice, Gloria Vollant, à Baie-Sainte-Catherine en mai 2003, lors des festivités commémorant le 400e anniversaire de la Grande Alliance

(Photo Pierre Lepage)

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Voilà bientôt quinze jours que j’ai appris le décès de Sylvie Vincent, victime de la Covid-19, et les mots me manquent toujours pour faire son éloge et témoigner à quel point cette femme exceptionnelle a été importante pour moi sur le plan personnel et particulièrement sur le plan professionnel. 

J’ai eu le plaisir de faire la connaissance de Sylvie Vincent au tout début de ma carrière au sein de la Commission québécoise des droits de la personne. Elle mettait la dernière main, avec Bernard Arcand à L’image de l’Amérindien dans les manuels scolaires du Québec, publié en 1979 aux Éditions HMH. Cette étude nous intéressait au plus haut point puisqu’elle nous permettait de comprendre d’où venait, au Québec, la profondeur de notre ignorance collective et en grande partie la source de nos préjugés au sujet des premiers peuples. Ce fut certainement le début d’une grande complicité entre nous. Encore aujourd’hui je cite cet ouvrage majeur dans presque toutes mes conférences.

Tout au long de ma carrière j’ai pu compter sur son soutien et ses avis judicieux. Lorsque je lui soumis, en 2002, mes textes de la première édition de Mythes et réalités sur les peuples autochtones, Sylvie Vincent a été ma critique la plus sévère. Mais j’ai tellement apprécié son souci de rigueur, sa précision et sa minutie. Pour tout cela et pour son amitié surtout, je lui dis un immense merci. Tshi nashkumitin mak Iame, comme le diraient les nombreux aînés innus qu’elle a écoutés avec respect, patience et fascination au cours des décennies.

En guise d’hommage, j’ai pensé publier cette photo qui présente, de mon point de vue, une Sylvie Vincent à son meilleur, venue nous livrer l’autre version de l’histoire, c’est-à-dire ce que la tradition orale de la nation innue raconte au sujet de l’entente de1603 conclue entre le Sieur de Champlain et le chef innu Anadabidjou. 

Sylvie Vincent l’anthropologue était une femme d’une grande valeur, une complice érudite et une amie chère qui me manquera assurément.

Pierre Lepage
[12 mai 2020]

Pour Sinipi Vincent Amie des Innus

C’était hier

Tu marchais encore près de la parole nomade

Tu puisais une histoire millénaire

Ta passion

Ta patience

Ta vérité

C’était hier

Tu visitais encore les anciens

Pour écrire leurs sagesses

Ta voix timide limpide

Tes yeux toujours souriants

Ton coeur généreux

C’était hier

Tu nous as donné l’espoir

De dire notre silence

Tu nous as écoutés

Aujourd’hui le temps c’est le printemps

Les outardes ouvrent ton chemin

Tu prends le ciel

Tu voles vers les saisons éternelles

Rita Mestokosho

Sylvie,

Ce 26 avril, j’étais partie comme chaque jour marcher un peu, avec sur moi l’autorisation validant ma sortie du confinement pour une heure.

Ce matin-là, temps frais, ciel cristallin, marronniers en fleurs roses et blondes, du champagne, catalpas mauves en douceur. Après le pont d’Arcole j’ai pris la rue des Ursins pour déboucher presque au chevet de Notre-Dame, côté nord. Là, calme et silence, les travaux – consolidation, décontamination –, étant suspendus depuis la mi-mars.

Le long de son flanc, les palissades de protection du chantier offrent au regard du passant des photographies d’une grande beauté et des commentaires succincts, clairs et topiques. Sculptures gargouilles contreforts anges et monstres des xiie, xiiie, xive siècles défilent à ma hauteur et pourtant là-haut très haut – cramés écornés éclatés, intacts effondrés tordus rayonnants –, Notre-Dame de Paris en gloire dans le bleu limpide, gigantesque et si proche, presque à la frôler la caresser, elle la fracassée la brûlée la royale chef-d’oeuvre. Ébranlée et tenue pourtant par un échafaudage soudé par la chaleur et éployé comme une pieuvre au-dessus du transept, écroulé en son coeur.

Me parvenait le bruissement du vent, le son de mes pas, le chant profus des oiseaux, un pas un autre, une pause une autre. Dans les taches de soleil sous la canopée j’étais, à contempler, seule. Seule ! Seule ! Joie et jubilation consolatrices face à l’offrande exceptionnelle en ce printemps funèbre.

Mon heure de sortie s’était étirée jusqu’à devenir deux heures et je pensais à toi.

C’était un an auparavant quasiment, le 15 avril 2019 en fin d’après-midi : de ma fenêtre, pétrifiée soudain, je regardais les puissants nuages de fumée convulsive qui montaient s’épandaient noyaient les cieux. Notre-Dame en feu. Soudain, j’étais en larmes.

Le lendemain matin, je reçus de toi ce mot :

Chère Nelcya,

J’ai vu, tout à l’heure, tomber la flèche de Notre-Dame de Paris et je pleure avec toi...

Vite, lui dire

Merci ma Sylvie de tes pensées à ce moment-là, où j’étais effectivement moi aussi en larmes.

La pauvre belle meurtrie n’y paraît pas, vue de loin et en plein jour.

En s’approchant pourtant, on voit et on en a le coeur serré: elle est, tu le sais, très blessée…

… On dit que les budgets du patrimoine ont fondu –, le feu a pris à l’église de Saint-Sulpice il y a quinze jours, au Parlement de Nantes, à Rennes. C’est la déglingue.

Je suis envahie d’un blues affreux…

Je pense à toi, j’espère que ça va ?

Quelques jours plus tard, je te fis suivre un lien vers la tribune de Fanny Madeline, membre de notre petit groupe de chercheurs « vigilants »[1], publiée le 17 avril par Le Monde[2] et intitulée « Les flammes de Notre-Dame, c’est notre monde qui brûle ».

En réponse, tu partageais avec moi les réflexions que t’avait inspirées ce document :

Dans le texte de Fanny Madeline, il y a un passage qui m’a frappée car il décrit exactement ce que j’ai ressenti : [...] ce que nous croyions immuable [...] est en train de disparaître. Ce monument qui nous relie à notre passé lointain et nous inscrit dans une histoire de longue durée se défait là, sous nos yeux.

J’ai toujours aimé passer par Notre-Dame car elle me donnait l’impression d’une oeuvre pérenne... Cet incendie indiquait bien l’illusion sur laquelle se bâtit ce besoin de longue durée et de sécurité. Mais il ne faut pas désespérer. Elle a déjà été restaurée à maintes reprises. Espérons seulement qu’elle le sera respectueusement et que le xxie siècle s’en sortira en beauté.

Peu après, tu m’annonçais ton arrivée à Paris, où tu n’étais pas venue depuis une dizaine d’années. Tu t’es beaucoup promenée dans cette ville à laquelle tu étais si attachée, et tu es allée faire tes salutations à la cathédrale, encore et encore.

Nous avons déjeuné dans un restaurant marocain en l’honneur de notre amour commun pour ce pays où nous sommes nées l’une et l’autre à quelques mois d’écart, étrange et profond lien entre nous que nous n’avons pourtant jamais exploré tant il nous semblait aller de soi, alors que tu étais devenue Québécoise et ethnologue tandis que j’avais viré Parisienne et ethno-historienne.

C’est la dernière fois que je t’ai vue.

La première fois ? C’était en 1983, à l’Université de Montréal, où Rémi Savard m’avait invitée à présenter mon livre[3] à ses étudiants, ses collègues et ses amis, dont tu faisais bien sûr partie. Vous constituiez une équipe hospitalière, généreuse, modeste, celle de Recherches amérindiennes au Québec, et une bande de chercheurs vagabonds et savants qui consacraient leur énergie, leurs travaux et leur temps aux Premières Nations.

Souverainistes bien souvent, les Québécois tenaient alors en lisière, pour le moins, leurs voisins anglophones et ignoraient superbement les États-Unis. Mais pas vous, pas toi. Si bien que s’est mise en place entre nous une conversation sans cesse renouvelée à propos tant des Premières Nations du Québec que des Amérindiens dans l’histoire des États-Unis auxquels je consacrais mes travaux. Un honneur, devenu un bonheur.

J’ai en effet découvert, Sylvie, derrière ton sourire fugace ta réserve, avec ton phrasé subtil ta fine écoute, les uns et les autres toujours empreints de bienveillance et de sens du partage. Au fil de nos temporalités disjointées, j’ai appris de nos rencontres certes trop rares, de tes lettres peu fréquentes mais toujours longues et très élaborées, et de tes publications, denses et limpides pourtant, la nature de ton engagement auprès des Innus – collecter leurs récits mythologiques et historiques, les enregistrer les traduire avec l’aide de Joséphine Bacon, les publier et remettre ces trésors qui devenaient des phonothèques et des bibliothèques pour tes interlocuteurs, dans un impeccable respect de leur histoire, qui faisait Histoire. Et dans la défense de leurs droits, à laquelle tu t’es sans fin consacrée, jusque devant les tribunaux, car, expliquais-tu :

Malgré une certaine reconnaissance d’un statut distinct aux peuples autochtones, on est donc loin alors d’envisager la possibilité de leur reconnaître l’autonomie gouvernementale. Si l’on parle de transfert de pouvoirs, c’est d’un transfert du palier au provincial qu’il s’agit et non d’un transfert aux nations autochtones. Et quand on parle de droits autochtones, il s’agit toujours, évidemment, de droits acquis, c’est-à-dire de droits concédés par le gouvernement et jamais de droits inhérents à leur statut de nations[4].

Rigueur et ténacité étaient tes armes secrètes, ainsi n’as-tu jamais reculé devant l’ampleur de tes projets ni cédé dans l’adversité ni refusé quand on faisait appel à toi. Aussi m’écrivais-tu en novembre 2018 :

Je suis toujours sous pression et dis à qui veut m’entendre : « Donnez-moi, donnez-moi de l’oxygène ! » (Diane Dufresne). J’espère que l’année 2019 sera un peu moins exigeante.

Et hop ! Encore un dossier et un autre. Mais bientôt, avais-tu annoncé, tu allais prendre le temps de mettre en ordre tes propres travaux.

Rentrée de ma promenade à Notre-Dame, je t’ai écrit, c’était le 26 avril 2020. Et, sans réponse de toi, de nouveau le 30.

Le féroce incendie propagé dans le monde par le virus infernal courait dans Montréal, en emportant beaucoup dans ses flammes, dont, ô stupeur, toi.

Comment comprendre, mesurer ? concevoir ? intégrer ?

Mon coeur bégaie.

... Cet incendie indiquait bien l’illusion sur laquelle se bâtit ce besoin de longue durée et de sécurité. Mais il ne faut pas désespérer.

De fait, Sylvie, confrontée à ton absence définitive, je saisis encore mieux la nature de ton combat intellectuel, moral et affectif contre l’illusion. Elle était faite d’exigence et de fidélité. Ainsi mon « besoin de longue durée et de sécurité » en matière d’amitié et de pensée a-t-il été choyé, comblé par toi.

Et celui de tant d’autres aussi…

Quel cadeau ! Et quel cadeau « pérenne », pour reprendre cet adjectif qui vient de toi…

En somme, tu avais raison. Il ne faut pas désespérer.

Grâces te soient rendues, et hommage à toi, Sylvie !

Nelcya Delanoë
[Paris, 20 mai 2020]

Bonjour Sylvie,

Nous avons travaillé ensemble de longues heures, plusieurs années durant. Tu prenais ton temps, Tu y pensais. Tu n’étais pas pressée. Tu m’as calmé souvent. T’avais raison la plupart du temps.

L’idée de fonder la revue Recherches amérindiennes au Québec venait d’ailleurs, de Camil Guy. Mais nous l’avons réalisée, gonflée, enrichie, puis récemment ressuscitée financièrement, défendu sa liberté d’expression. Elle va bientôt disparaître, récupérée par des universités. Nous l’avons constaté récemment, tu voulais défendre encore son indépendance et son sens critique. Tu avais été récemment déçue que cette revue soit devenue un porte-voix d’un parti politique huron ou abénaki qui niait l’existence de la recherche scientifique au profit d’un biais politique douteux. Laissant le sens critique dans la garde-robe éditoriale.

Nous avons travaillé ensemble durant plusieurs années avec les Innus de Pessamit, de Uashat et de Matimekush. Souvent dans les bureaux d’avocats qui défendaient leurs droits territoriaux. Ce fut long, ardu, exigeant et passionnant.

Tu viens de disparaître. Mais j’entends encore ta voix et tes commentaires quotidiens sur tout, sur la vie politique des Innus, sur la vie politique québécoise. Sur la vie. J’entends ta voix, la voix de ton téléphone quotidien. Mais, tu n’es plus là.

Quelqu’un m’a murmuré que tu étais à écrire un texte faisant le bilan, critique, bien sûr, sur tout ce que t’avais écrit. Ce serait une préface, une présentation d’une réédition de tes écrits. Une idée de Gérald-le coquin, une idée géniale qui t’avait surprise et un peu gênée. Tu trouvais qu’on te donnait trop d’importance. Mais nous avions très raison. Faut que quelqu’un le poursuivre, ce projet. Hé ! les universitaires, réalisez-le.

Laurent Girouard
[6 mai 2020]

Message à Adamie Kalingo, un ami et collègue inuit de Ivujivik

Adamie dear friend,

Je veux te parler de mon amie « who passed away », Sylvie Vincent, une anthropologue qui, pendant des années, a interviewé des Innus sur l’occupation par leur peuple du territoire Nitassinan qui s’étend le long du fleuve et du golfe Saint-Laurent, jusqu’au lac Saint-Jean, jusqu’à Schefferville et plus loin encore. Elle était comme toi, elle avait l’art d’écouter pour que l’histoire et la tradition orale, la plus véridique et crédible, éclairent les générations présentes à propos de l’espace, du temps, de la vie du peuple innu.

Je l’ai connue à la fin des années 1960 alors que je classais des vestiges recueillis au site de Pointe-du-Buisson avec Laurent Girouard et d’autres jeunes archéologues au Laboratoire d’anthropologie amérindienne dont elle était l’une des fondatrices. Dans un local voisin, Sylvie travaillait, avec la poète innue Joséphine Bacon (Bibitte), à la traduction des entrevues qu’elle avait réalisées. Nous entendions la langue innue chuintée comme une forêt qui bruisse, comme les rapides de la rivière Moisie. Ce chant résonnait dans nos oreilles pendant que nous nous cassions la tête à assembler des tessons de poterie. Beaucoup de rires. Normal, le « peuple rieur ». Mais je n’ai jamais su ce que vous trouviez si drôle. Je ne savais pas alors que les Innus feraient partie de ma famille, que ma fille, Marie-Pierre, se marierait avec un Innu, que ses fils auraient des enfants qui auraient à leur tour des enfants. Me voici grand-père, arrière-grand-père et arrière-arrière-grand-père de jeunes Innus.

Sylvie a mis à leur service le savoir encyclopédique qu’elle a construit avec les Innus. Entre autres, en agissant à titre d’experte sur l’occupation territoriale des Innus lors de procès. Les connaissances que lui ont transmises les anciens, hommes et femmes sont maintenant retransmises aux plus jeunes, dans les écoles notamment.

Nous nous sommes retrouvés à Recherches amérindiennes au Québec qu’elle a aussi contribué à mettre sur pied et où elle a oeuvré avec sa rigueur et son indépendance intellectuelles. Pendant plusieurs années, nous nous sommes rencontrés chez Laurent Girouard, à Contrecoeur, ou au Mont-Royal Hot Dog pour des petits déjeuners (toujours un peu tôt pour elle qui travaillait tard le soir). Des heures à parler des projets de Recherches amérindiennes ou de son travail avec les Innues de Uashat et d’ailleurs, et avec Laurent pour établir la cartographie du territoire innu. Nous étions aussi liés par notre amitié avec Rémi Savard, un autre grand ami des Innus qui nous a quittés récemment.

Subitement, un coup de tonnerre fracasse le ronronnement du Premier ministre, des chiffres et des statistiques, des spéculations sur l’origine et l’évolution du véreux. Après quelques semaines de bulletins de santé qui nous donnaient espoir chaque jour, un courriel de sa fille : « C’est terminé ».

Taïma, Finish, Kaputt, Fini – n i ni !!! Sylvie la Grande, passée de l’autre bord. Un virus encore abstrait pour nous, soudainement nous tombait dessus comme une roche tombant de la falaise, comme un ours polaire qui sort en surprise de derrière le rocher, devenait terriblement concret. Combien de conversations nous restait-il à finir ?

Sylvie, complexe et savante, une mer d’humilité mais très déterminée, nous forçant toujours à nous remettre en cause, à nous interdire de nous asseoir sur nos certitudes... Tiens ! par habitude, comme je l’ai souvent fait, j’allais lui soumettre mon texte savoir ce qu’elle en pensait, profiter de ses commentaires… 

Tu comprendras que ma compagne et moi, parlons beaucoup d’elle, tous les jours depuis quelque temps, en pensant à ses filles, à son fils et à ses petites-filles ainsi qu’à ses nombreux amis et amies du Nitassinan. Son sourire en coin nous manque.

Adamie, j’ai eu besoin de partager avec toi notre peine d’avoir perdu une telle amie. Ta discrétion et ton regard pénétrant sur le monde me rappellent ceux de Sylvie.

Gérald McKenzie
[Belle-Anse, mai 2020]

Hommage Sylvie Vincent

C’est avec un très grand chagrin et désolation que les Innus de Uashat mak Mani-utenam ont appris le départ d’une grande amie et alliée, Sylvie Vincent.

Travaillant depuis des années étroitement avec des membres de notre communauté, nous avons eu la chance de connaître personnellement Sylvie et nous avons vu en elle une personne remarquable, respectueuse et humble. Son travail a toujours été guidé par une rigueur incontestée et par sa profonde passion pour notre histoire, notre culture et nos trajets dans le Nitassinan. Pour nous, Sylvie était bien plus qu’une experte des Innus. Elle était une complice, une amie et une collaboratrice. Elle laisse une impression durable sur tous ceux qu’elle a connus au sein de notre communauté et nous rappelle que la douceur d’une personne peut être forte et puissante.

Traçant un sillon indélébile dans nos mémoires, la contribution de Sylvie pour l’essor et la reconnaissance de notre histoire et de nos droits est inestimable et inspire le plus grand respect. Nous ne pouvons passer outre son expertise dans le dossier de la cession de 1925 de la réserve de Uashat qui a été indispensable pour la victoire de la communauté de Uashat mak Mani-utenam.

Un souhait qui lui était cher était de pouvoir compléter son travail pour le remettre à ceux pour qui elle le croyait le plus important : les Innus qui lui avaient confié leur histoire de vies.

Son départ précipité est une perte immense et laisse l’impression d’un chapitre inachevé. Avec ses enseignements, nous honorerons sa mémoire en continuant le travail auquel elle a oeuvré toute sa vie et ses recherches feront fleurir notre histoire et nos traditions. 

Les Innus de Uashat mak Mani-utenam tiennent à la remercier pour tout et offre ses plus sincères sympathies à sa famille et amis.

Iame Sylvie mak Tshinashkumitinan

Innu Takuaikan Uashat mak Mani-utenam (ITUM)