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Les sciences humaines et sociales connaissent depuis les années 1960 une ébullition qui place au centre d’une transformation réflexive et méthodologique les débats relatifs au rôle de la recherche et des chercheurs en contextes autochtones (Marcus et Fisher 1983 ; Holmes et Marcus 2008). Dans cet article, nous revenons sur certains textes et débats publiés dans la revue Recherches amérindiennes au Québec depuis les années 1970. Ces textes font état de perspectives et de questionnements de chercheurs québécois, majoritairement des hommes et des anthropologues, ayant travaillé sur des projets d’études en contextes autochtones. Il sera notamment mention de débats issus des textes de Serge Bouchard et Jean-Noël Tremblay « Notes pour une problématique nouvelle en anthropologie : le cas de la Baie James » (1976), de Richard Dominique « La recherche en sciences sociales en milieu autochtone » (1985), de Charles A. Martijn (1977) « Histoire de la recherche archéologique au Québec » (1977) et de celui de Stephen Baines « Politiques indigénistes au Brésil, au Canada et en Australie : les défis de la pratique anthropologique dans divers contextes nationaux » (2014).

Pour bien comprendre la teneur des réflexions soulevées par ces auteurs, il est nécessaire de revenir brièvement sur le contexte socio-historique dans lequel les débats ont eu lieu. Il sera question, entre autres, du développement de l’anthropologie québécoise et des études autochtones au Québec dans les années 1970-1980 et des revendications territoriales autochtones élaborées dans un contexte de construction de barrages hydroélectriques, qui ont notamment mené au développement des approches de recherche collaboratives sur l’occupation et l’utilisation autochtones des territoires concernés. Alimentés et enrichis par l’affirmation et les retours critiques des Autochtones, les réflexions publiées dans RAQ depuis la fin des années 1970 ont eu un impact déterminant sur le développement des études autochtones au Québec, particulièrement dans les méthodologies de la recherche appliquée.

Le développement de l’anthropologie québécoise et des études autochtones dans les années 1970-1980

Avant les années 1960, peu de chercheurs francophones, mis à part Marius Barbeau (1883-1969) et Jacques Rousseau (1905-1970), avaient développé des programmes de recherche avec les communautés autochtones du Québec. Les études autochtones au Québec étaient majoritairement menées par des chercheurs anglophones, canadiens et états-uniens. Il suffit de penser aux travaux de Frank G. Speck, John Cooper, David Davidson, Regina Flannery, Eleanor Leacock, Edward Rogers et Julius Lips ainsi que Bruce Trigger.

Les études autochtones au sein de l’anthropologie québécoise francophone ont connu un véritable essor dans les universités québécoises à partir des années 1960, notamment dans le contexte de la révolution tranquille, contexte historique de démocratisation de l’éducation qui a rendu plus accessibles les études collégiales et universitaires (Tremblay et Gold 1984 ; Trudel, Charest et Simonis 1995). À cette période sont créés plusieurs départements universitaires en sciences humaines et sociales au Québec. Ainsi, le département d’anthropologie de l’Université de Montréal est créé en 1961, celui de l’Université Laval en 1970[1] et celui de l’Université McGill en 1966.

Dans les années 1960, les études anthropologiques québécoises s’orientent majoritairement sur les enjeux locaux, dont les études autochtones et régionales. Cette orientation vise à combler un vide important dans les études sur le Québec (Tremblay et Gold 1984 ; Gélinas 2000) et différents regroupements de recherche en études autochtones et régionales sont créés, dont le Centre d’études nordiques de l’Université Laval (1961), la Société d’archéologie préhistorique du Québec (1966) ou le Laboratoire d’anthropologie amérindienne (1970) du département d’anthropologie de l’Université de Montréal. C’est aussi en 1971 que sera créée la revue Recherches amérindiennes au Québec en tant que revue scientifique multidisciplinaire et francophone. Cette revue a grandement contribué, au fil du temps, au développement des connaissances et à la diffusion en français des recherches menées en contextes autochtones, au Québec et ailleurs dans le monde (Gélinas 2000).

Dans les années 1970, la recherche anthropologique tend à sortir des carcans d’une ethnographie de sauvetage[2], en vue de produire une recherche qui agisse davantage sur le « milieu social » (Bouchard et Tremblay 1976). C’est particulièrement le cas du travail de certains anthropologues qui nous ont récemment quittés, tels que José Mailhot, Sylvie Vincent, Rémi Savard ou encore Serge Bouchard.

Dans un contexte général de politisation de la recherche, les études autochtones sont alors mises à l’avant-scène de l’anthropologie québécoise, notamment dans le contexte de la nationalisation de l’hydroélectricité et de la construction des barrages hydroélectriques à la Baie-James. À la suite de l’annonce faite par le gouvernement du Québec en 1971 pour le développement du projet de développement des barrages hydroélectriques à la Baie-James, les Cris (Eeyouch) et les Inuit, appuyés par l’Association des Indiens du Québec, demanderont une injonction à la Cour supérieure du Québec pour arrêter les travaux effectués sur leurs territoires ancestraux. Ces démarches ont conduit à l’élaboration de la politique sur les revendications territoriales globales et particulières du gouvernement fédéral et à la signature du premier traité « traité moderne[3] », la Convention de la Baie-James et du Nord québécois (CBJNQ), signée le 11 novembre 1975. Comme le souligne à grand trait le texte de Bouchard et de Tremblay (1975), ce contexte particulier a mené à la mise en place de travaux de recherche, dont le programme d’ethnologie à la Baie James (1974) dirigé par R. Pothier, professeur à l’Université Laval. Ce projet d’études financé majoritairement par la Société de développement de la Baie James et par différents ministères (Québec et Canada) a certainement tracé la voie des études autochtones au Québec, particulièrement en misant sur une recherche appliquée et sur le développement d’une méthodologie de recherche qui impliquait la collaboration des membres des nations autochtones concernées dans l’identification des besoins de recherche et dans la collecte de données. Par exemple, le programme d’ethnologie à la Baie James souligne la pertinence et la nécessité de réaliser les projets de recherche « en fonction des intérêts des communautés impliquées dans l’étude » (Bouchard et Tremblay 1975 : 47). Toutefois, cet engagement n’est pas vu du même oeil par tous les chercheurs ayant participé de près ou de loin à ces travaux, et des débats constructifs ont émergés à la suite de cette période – dont certains ont été consignés et publiés dans la revue RAQ. La prochaine section souligne quelques-uns de ces débats ayant marqué les études autochtones dans les quatre dernières décennies.

L’évolution des débats relatifs aux démarches éthiques et collaboratives contemporaines

Issues des critiques portées contre le positivisme scientifique et l’écart trop important observé entre la théorie et la pratique, les réflexions portées par ces textes font état, à des périodes différentes, de la divergence de conceptualisation de ce que pouvait et devait être la recherche en contextes autochtones. Dans son article, Richard Dominique (1985) souligne les défis de la recherche collaborative concernant la participation active des organisations autochtones, notamment dans les démarches administratives (par exemple, quant au processus de mise en place des protocoles d’entente) ou dans la collecte d’information (notamment dans l’embauche de cochercheurs autochtones). Le texte de Dominique présente certaines incompatibilités d’arrimage entre les modèles d’analyse et de diffusion des résultats issus de la démarche scientifique occidentale et ceux des membres des communautés autochtones partenaires à la recherche. Certains commentaires du texte de Dominique (voir notamment ceux de Daniel Clément et de Jean-Jacques Simard) soulignent l’écart existant entre « l’esprit scientifique et la pensée populaire » (Clément), écart qui est décrit comme difficile à combler dans la recherche appliquée. Simard y va d’une critique virulente à l’endroit de ce qu’il nomme « la démagogie de “l’amérindianisation” de la recherche », notamment à travers des recherches appliquées et engagées, qui finirait par « devenir tout ce qu’on voudra sauf scientifiquement valable, et [aboutirait] au service de tous les besoins et intérêts qu’on voudra sauf ceux de la connaissance rigoureuse de la conscience critique » (Simard, dans Dominique 1985 : 97-98). À l’instar de Dominique, certaines chercheuses soutiennent plutôt la complémentarité des savoirs et des méthodes, ainsi que la pertinence de poursuivre ces démarches de collaboration et de partenariat (Fraikin, Gagnon, dans Dominique 1985 : 96-97).

La position de Simard, exposée dans la section « Commentaires » de l’article de Dominique (1985) et repris dans son livre « La réduction » (2003), est que la recherche « engagée » et « collaborative » impliquant un partenariat réel avec les communautés autochtones touchées par la recherche poserait un problème de « scientificité ». Il soulève le biais politique que peut entraîner la recherche collaborative lorsque les objectifs, méthodes et analyses des résultats de la recherche sont élaborés conjointement par des chercheurs et membres d’organisations autochtones (comme les conseils de bande, conseils de nation). Selon Simard cette « politification » de la recherche autochtone lui enlève toute crédibilité scientifique (Simard, dans Dominique 1985 : 97). Il faut dire que cette dernière opinion est loin de faire l’unanimité. Comme directrice de la recherche au ministère des Affaires indiennes et du Nord Canada, Lizzy Fraikin souligne que la concertation et l’engagement des membres des communautés autochtones dans les projets de recherche les concernant amènent souvent d’excellents résultats. Comme le démontrent Fraikin et Gagnon dans leur court texte d’opinion (Fraikin, Gagnon, dans Dominique 1985 : 96-97), la recherche collaborative n’entraîne pas de facto une « politification » de la recherche, quoi qu’en dise Simard. La recherche collaborative ne se veut pas moins « scientifique » ni politiquement orientée. La rigueur scientifique sur les plans méthodologiques et analytiques demeure la même. La recherche collaborative facilite toutefois l’engagement et la participation des membres des communautés, et sans cet engagement et cette participation, il ne peut y avoir de recherche en sciences sociales. À quoi bon élaborer des grilles d’entrevues si les interlocuteurs ciblés ne veulent pas y répondre, soit parce qu’ils ne comprennent pas l’objectif ni la pertinence de la recherche, soit que les questions élaborées dans un bureau « dans le Sud » ne font pas sens pour eux ; ou encore parce qu’ils ne reçoivent aucun bénéfice de ces recherches. En plus de faciliter la participation des membres des communautés aux recherches en sciences sociales, la recherche collaborative permet de répondre aux préoccupations et interrogations des membres des communautés, comme elle favorise le partage de connaissances entre chercheurs allochtones et experts autochtones. Fraikin mentionne d’ailleurs la pertinence des transferts de connaissances et d’expertises entre ces acteurs et l’apport indéniable des chercheurs autochtones eux-mêmes dans la recherche au Québec.

Les débats régionaux qui ont meublé les études autochtones au Québec font en effet écho à des réflexions menées au sein de différents contextes nationaux, tels que la Nouvelle-Zélande, le Canada, l’Australie ou encore les États-Unis (Baines 2014 ; Bosa 2005 ; Lassiter 2005). Ainsi, depuis les années 1970, de nombreux acteurs autochtones concernés par la recherche réclament la prise en compte de leurs perspectives et de leurs compétences pour identifier et répondre à des besoins donnés, que cela soit en matière de changements sociaux, de formation ou de développement local (Anadón 2007 ; Bourassa et Boudjaoui 2012 ; Heron et Reason 2001 ; Kemmis et McTaggart 2005 ; Reason et Bradbury 2001).

Ces approches, davantage orientées vers les besoins des communautés, ont été fortement nourries par les critiques autochtones de la recherche qui, à partir des années 1970 et 1980, ont joué un rôle de plus en plus marqué au sein des milieux intellectuels et universitaires. Ces critiques portent notamment sur 1) les rôles des chercheurs et des participants, qui sont trop souvent exclusifs ; 2) le manque de reconnaissance de l’apport des Autochtones à la production des connaissances ; 3) le peu de poids que les participants autochtones ont dans les processus d’interprétation des données, l’absence de retours des résultats et de bénéfices issus des recherches ; 4) l’insuffisance de recherches élaborées selon les motivations et les intérêts des personnes et des communautés concernées ; ou encore 5) le refus de reconnaître comme heuristiques dans la production des savoirs les relations humaines et non humaines, le dialogue, l’expérience vécue, le respect et la réciprocité (Asselin et Basile 2012 ; Battiste 1998, 2011, 2008, 2013 ; Denzin, Lincoln et Smith 2008 ; Deloria 1969 ; Donald 2012 ; Gros-Louis McHugh 2012 ; Kovach 2010 ; Restoule, Archibald, Lester-Smith, Parent et Smillie 2010 ; Smith 2012 ; Smith, Tuck et Yang 2018 ; Steinhauer 2002 ; Styres 2008 ; Weber-Pillwax 1999 ; Wilson 2008). Les auteures et auteurs qui ont participé, et continuent de participer, à ces reformulations se sont appliqués à analyser les modalités selon lesquelles les paradigmes et les méthodologies de recherche occidentales ont pris part à l’impérialisme colonial, notamment en établissant de fait une hiérarchie épistémique basée sur le rejet des systèmes scientifiques autochtones en dehors des structures de diffusion du savoir (Battiste 2013 ; Henry et Tator 2009 ; Kanu 2011 ; Kerr 2014 ; St-Denis 2007 ; White et al. 2009). Leurs analyses appellent à une révision de la production des connaissances scientifiques, révision qui doit prendre acte d’une redéfinition des rapports de pouvoir et de la hiérarchie observés entre les différents acteurs de recherche. Dans la perspective de décoloniser les milieux académiques, ces intellectuels ne cessent de nourrir les réflexions relatives aux pratiques éthiques, collaboratives et relationnelles. Pour rétablir un équilibre dans la production des savoirs, ce sont les « régimes de vérité » (Foucault 2001 : 402) et les sciences autochtones, ainsi que leurs méthodes, épistémologies et principes éthiques, que les approches collaboratives cherchent à rejoindre. Le substrat fondamental à la base de ces approches consiste à repenser la finalité du savoir produit. Selon Shawn Wilson :

Le savoir en soi n’est pas considéré comme le but ultime, mais l’objectif, c’est plutôt le changement que ce savoir peut contribuer à apporter [...]. La recherche n’a pas de valeur et n’est pas éthique si elle ne contribue pas à améliorer la réalité des participants de la recherche.

2008 : 37, notre trad.

Les approches collaboratives sont en effet pensées comme faisant partie « des politiques de décolonisation du mouvement autochtone […] qui se concentre stratégiquement sur l’autodétermination des peuples autochtones » (Smith 2012 : 115-116). Plus qu’un objectif politique, ces pratiques sont pensées comme « un objectif de justice sociale qui s’exprime à travers un large éventail de terrains psychologiques, sociaux, culturels et économiques » (Smith 2012 : 116 ; voir aussi Denzin et al. 2008 ; Wilson 2008 ; Battiste 2011 ; Kovach 2010). La réappropriation autochtone de la recherche, qui est inhérente à l’autonomisation et à l’autodétermination souhaitées, est en effet inséparable de la réappropriation des territoires, des langues, des pratiques culturelles de gouvernance relatives à l’éducation, la santé ou encore la politique (Alfred 2009, 2015 ; Coulthard 2014 ; McCaslin et Breton 2008 ; Tuck et Yang 2012).

En vue de favoriser l’autonomisation ou le développement local des expertises locales, le transfert des compétences et la formation des participants et des collaborateurs des recherches sont alors très largement encouragés (APNQL 2014 ; Gearheard et Shirley 2007 ; Charest 2005). Toutefois, pour que la production des connaissances reflète véritablement une reformulation et une décolonisation épistémologiques, conceptuelles et méthodologiques, la participation des Autochtones ne peut évidemment pas se limiter à la formation d’assistants de recherche ou même de cochercheurs au sein des projets développés par des non-autochtones, « ils doivent en devenir les principaux maîtres d’oeuvre » (Charest 2005 : 127) car, comme la fameuse citation de la poète Audre Lorde nous le rappelle, « les outils du maître ne démoliront jamais la maison du maître »[4]. Si, tel que nous le rappellent les textes publiés dans RAQ, la question de la formation d’assistants de recherche fut soulevée dès les années 1970, il est aujourd’hui nécessaire de poser la question de la transformation du cadre et de la structure de production des connaissances, au sein et en dehors de l’université, afin qu’une reconnaissance des cadres conceptuels et méthodologiques scientifiques autochtones puisse véritablement exister sans hiérarchisation épistémique, au même titre que le cadre scientifique occidental.

À la lecture des textes et des commentaires de Bouchard et Tremblay (1976), Martijn (1977), Dominique (1985) et Baines (2014) publiés dans RAQ, il est frappant de constater que les réflexions portées à l’égard de la recherche en contextes autochtones sont toujours d’actualité et concernent encore souvent les aspects de la formation, de la collaboration, de l’orientation et de la restitution des connaissances issues la recherche.

Dans les dernières décennies, des principes et pratiques éthiques se sont toutefois développés grâce à l’enrichissement des perspectives autochtones et des retours réflexifs de plusieurs disciplines scientifiques (CRPA 1996 ; Lassiter 2005). Au Canada, les premières grandes lignes directrices sur l’éthique de la recherche avec les Premières Nations ont été apportées par la Commission royale de 1996. Depuis, les réflexions éthiques, mises de l’avant par les organismes s’impliquant dans la recherche – autochtones et non autochtones –, ont progressivement eu des échos au sein de plusieurs institutions, comme le Conseil de recherches en sciences humaines du Canada (CRSH) ou l’Assemblée des Premières Nations du Québec et du Labrador (APNQL) [Jérôme 2008] et s’actualisent au gré des nouvelles orientations éthiques. Soulignons les principes éthiques de la recherche des trois conseils du Canada (CRSH, CRSNG et IRSC, 2018 ; GCIÉR, 2015), de l’Association des femmes autochtones du Canada (2011), du Groupe consultatif interagences en éthique de la recherche (2015), de Femmes autochtones du Québec (2012) ou de l’Assemblée des Premières Nations du Québec et du Labrador (2014), pour ne nommer que ceux-ci. Afin de dépasser une perspective éthique uniquement façonnée par une conception légale du droit occidental (Lévy et Bergeron 2010), des concepts et valeurs autochtones de l’éthique y sont mises de l’avant, notamment ceux relatifs au respect, à la réciprocité, à l’attention relationnelle (Réseau DIALOG, UQO, UQAT et CSSSPNQL 2018 ; Gentelet 2009 ; Delamour et al. 2021) ou encore aux Principes de propriété, de contrôle, d’accès et de possession (PCAP®), qui ont entre autres inspiré le protocole de recherche de l’Assemblée des Premières Nations du Québec et du Labrador (APNQL) adopté en juin 2005, puis revu en 2014, ainsi que l’Énoncé de politique des trois Conseils (2010, 2018). Ces principes renvoient à la propriété des données qui sont obtenues ou soumises pendant la recherche : les Premières Nations doivent intervenir dans tous les aspects de la recherche, de la conception à la réalisation ; les Premières Nations doivent avoir un droit de regard sur les décisions qui accordent un droit d’accès aux données recueillies  ; enfin elles détiennent la propriété intellectuelle des données recueillies.

Perspectives d’avenir

La teneur des débats méthodologiques et épistémologiques qui parcourent les textes de Bouchard et Tremblay (1976), Dominique (1985), Martijn (1977) et Baines (2014), illustre la nature des transformations ayant eu cours depuis les années 1970 dans les études autochtones québécoises. Revisiter ces textes aujourd’hui nous permet de (re)situer et de (re)contextualiser l’évolution des enjeux relatifs aux recherches en milieux autochtones, et de mesurer le processus d’instigation des pratiques collaboratives et éthiques, qui sont devenues incontournables sur les scènes locales, nationales et internationales. L’accession d’intellectuels et de chercheurs autochtones au développement des pratiques et des démarches réflexives sur la décolonisation de la recherche a assurément contribué, depuis la fin des années 1990, à redéfinir ces pratiques de recherche, allant même à redéfinir les cadres institutionnels de la recherche en sciences humaines et sociales, ainsi qu’en sciences de la nature. Ces textes mettent en perspective à la fois le chemin parcouru quant à l’intégration des aspirations, épistémologies et méthodologies autochtones de la recherche – et cela même si certaines des controverses illustrées trouvent encore un terrain fertile de débat – mais également, et a contrario, celui qu’il reste encore à franchir afin qu’un véritable processus de décolonisation des structures et des pratiques scientifiques ne soit effectif.

Pour un meilleur suivi et une plus grande pertinence des projets de recherche, les communautés autochtones tendent désormais à participer à toutes les étapes des projets. Si les communautés n’ont pas toujours les ressources logistiques et financières pour développer un encadrement des recherches qui leur corresponde, de plus en plus se dotent de politiques, de protocoles et de structures de gouvernance pour mieux encadrer le nombre croissant de projets de recherche qui se réalisent sur leur territoire (Bernard 2021).

Le rôle des anthropologues, et des chercheurs en sciences sociales de façon plus générale, a connu des transformations depuis les années 1970. D’une communauté « qui dort emmitouflée dans la sécurité des projets à soi, des projets pour soi, des projets sans bruits, des projets reconnus, des projets de carrière » (Bouchard et Tremblay 1976 : 48) à des experts-conseils pour les nations qui gèrent leurs propres projets, un large éventail de chemins a été tracé et d’autres restent à défricher, au sein et en dehors de l’université, particulièrement en ce qui a trait à la communication, à la restitution et à l’utilisation des résultats et connaissances issus de la recherche.

Les défis qui attendent les sciences sociales en contextes autochtones sont riches et complexes. Ils sont le reflet d’une société qui aspire à plus d’équité, à une justice sociale et à un démantèlement des structures mentales et systémiques coloniales. Ces défis sont à la mesure de la richesse culturelle et sociale à la source même de leur existence et il est désormais essentiel de les intégrer davantage à la formation des jeunes chercheurs, autochtones et non autochtones, pour continuer d’interroger, de repenser et de reformuler nos pratiques de recherche (Battiste 2011 ; Ermine 2007).