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Introduction

L’importance que revêt le développement de la compétence à lire et à écrire dans la réussite éducative et son influence quant aux possibilités d’intégration sociale ne sont plus à démontrer (Berneche et Perron, 2006; Janosz et al., 2013). Afin de favoriser l’apprentissage de la lecture-écriture, différentes modalités sont privilégiées par les enseignants. En effet, dans une perspective de pédagogie active, dans laquelle l’activité cognitive de l’apprenant est sollicitée, une approche multimodale est de plus en plus privilégiée (Dagenais, 2012). La littératie multimodale exploite l’utilisation de divers modes comme les mots, les images et le son afin de favoriser la communication et de créer du sens lors des situations d’apprentissage (Jewitt, 2013; Lebrun, Lacelle et Boutin, 2012; Pahl et Rowsell, 2006).

L’apport des technologies éducatives favorise la multimodalité (Jewitt, 2009, 2013) et peut soutenir les pratiques enseignantes relatives à la lecture-écriture, notamment auprès des élèves en difficulté (Lewis, 2005; MacArthur, 2013). L’intégration des entraînements informatisés à la planification pédagogique permet à l’apprenant d’évoluer à son propre rythme et de recevoir une aide adaptée à ses besoins (Ecalle et Magnan, 2010). Ainsi, l’utilisation des technologies peut influencer le processus de médiation de l’apprentissage (Jewitt, 2009). Par exemple, l’apprenant peut obtenir une rétroaction immédiate sur ses apprentissages par l’intermédiaire de la ressource technologique utilisée, mais aussi de la part de l’enseignant qui l’accompagne dans cette tâche. Conséquemment, les technologies favorisent à la fois la multimodalité et l’interactivité entre les modes, les médias et les individus (Jewitt, 2013). Toutefois, l’impact de ces technologies éducatives sur l’apprentissage dépend des objectifs déterminés par l’enseignant, de l’utilisation qui en découle ainsi que de la qualité des outils privilégiés (Lebrun, 2007). C’est en tenant compte de ce dernier aspect – les qualités pédagogiques – qu’une équipe de chercheurs s’est intéressée au développement et à l’adaptation française d’une ressource interactive en ligne : ABRACADABRA (Centre pour les sciences de l’apprentissage, Université du Québec à Montréal et Université Concordia, 2015).

Cet article a pour objectif de présenter les étapes de création d’une activité de morphologie dérivationnelle et les critères permettant la sélection des items dans un contexte de technologies éducatives pour développer les premiers apprentissages relatifs à l’écrit. Dans un premier temps, les connaissances morphologiques seront définies et leur contribution dans les premiers apprentissages de l’écrit sera mise en lumière. Puis, l’activité créée pour ABRACADABRA sera décrite et les variables linguistiques considérées seront explicitées. Ce compte rendu, proposant une démarche de conception d’une activité en morphologie dérivationnelle, permettra d’éclairer les chercheurs en didactique des langues, mais aussi les enseignants quant au choix des items proposés dans les activités d’apprentissage. Il mettra notamment en lumière les forces, mais aussi les limites quant à la conception d’une activité visant le développement de connaissances langagières spécifiques via une ressource interactive. En précisant les caractéristiques de la ressource, le praticien privilégiant une approche multimodale pourra déterminer la pertinence d’intégrer ABRACADABRA à son enseignement. Enfin, ce compte rendu contribuera à guider les prochaines études scientifiques en didactique des langues pour l’élaboration d’activités en morphologie dérivationnelle, que ce soit dans une perspective de technologie éducative ou non.

1. Un outil de technologie éducative

ABRACADABRA est une ressource en ligne, interactive et gratuite destinée à soutenir la réussite des premiers apprentissages en lecture et en écriture auprès d’élèves de la maternelle et du premier cycle du primaire. Cette ressource propose des activités d’apprentissage centrées à la fois sur le sens et sur les habiletés essentielles au développement de la compétence à lire et à écrire. La version anglaise a été développée par Abrami, Savage, Wade, Hipps et Lopez (2008), une équipe oeuvrant au Centre d’études sur l’apprentissage et la performance (CEAP) de l’Université Concordia. Pour la version francophone, une équipe de recherche, provenant de l’Université du Québec à Montréal, a analysé les activités de la version originale. En collaboration avec l’équipe du CEAP de l’Université Concordia, ce groupe a adapté le contenu de la ressource selon les contraintes liées à la langue française et les recommandations issues de méta-analyses, dont celles réalisées par le National Early Literacy Panel (2008) et le National Reading Panel (2000), concernant l’enseignement des premiers apprentissages de l’écrit. Ainsi, les effets positifs d’ABRACADABRA reposent sur le choix de pratiques d’enseignement de la lecture, reconnues efficaces, qui s’inscrivent dans une approche équilibrée, et sur la formation et le soutien offerts aux enseignants. En français, cette ressource est constituée de 15 livres virtuels et de 15 activités.

D’une part, les livres virtuels correspondent, entre autres, à des multitextes. Ainsi, l’élève découvre des contes issus de la littérature jeunesse et il a accès à des textes informatifs et à des textes poétiques. Cette variété de textes crée un environnement d’apprentissage authentique et dynamique pour l’élève. D’autre part, les activités proposées visent le développement de plusieurs habiletés spécifiques relatives à l’écrit, telles que la compréhension du principe alphabétique, la conscience phonologique, le vocabulaire, ainsi que l’identification et la production de mots écrits. Les mots utilisés dans ces activités sont majoritairement extraits des livres virtuels proposés dans la ressource. De cette manière, cela maximise la fréquence d’exposition aux mots écrits. La ressource permet alors d’offrir un contexte sémantique signifiant pour l’apprentissage des mots tout en contribuant au développement du vocabulaire des élèves. En plus d’être interactives et amusantes, les activités sont conçues selon différents niveaux de difficulté et ceux-ci s’ajustent au développement des connaissances et des habiletés de l’apprenant. Enfin, si l’élève présente des difficultés, des mesures d’aide adaptées à chaque activité sont accessibles afin de le soutenir lors de la lecture de livres et la réalisation des activités. Le développement de cette ressource rejoint la perspective de pratiques multimodales d’enseignement et d’apprentissage puisqu’elle exploite différentes sources sémiotiques comme les images et le son, puis son design propose une rétroaction visuelle et sonore à l’apprenant dans le but de développer les habiletés associées à la lecture-écriture (Dagenais, 2012; Kress et Van Leeuwen, 1996). Ce dernier aspect valorise le caractère distinct de l’apprentissage en répondant aux besoins de l’apprenant. Par exemple, dans l’activité Capsule de sons visant le développement des habiletés de conscience phonologique, l’élève doit associer les sons produits par les extraterrestres à ceux du mot prononcé. Il doit faire glisser les extraterrestres de la passerelle au bon siège du vaisseau spatial pour reconstituer la forme phonologique du mot. Si l’élève ne choisit pas le bon extraterrestre, donc s’il choisit le mauvais son, un signal sonore retentit et l’extraterrestre retourne sur la passerelle. Alors, pour aider l’élève, une première mesure d’aide consiste à répéter le mot et à prononcer chacun des sons en illuminant le siège du vaisseau spatial. Ainsi, une rétroaction immédiate et adaptée au processus d’apprentissage est proposée à l’élève. Pour les chercheurs, cet apport de la ressource est un atout déterminant et se situe dans une approche multimodale de l’enseignement, car elle propose un éventail de modes qu’il soit linguistique, visuel ou sonore correspondant au niveau de communication de l’apprenant (Lebrun et al., 2012).

2. Des caractéristiques de la langue française

La ressource ABRACADABRA ne pouvait être qu’une simple traduction de la version originale. Les langues française et anglaise partagent certaines similarités, car elles sont des langues alphabétiques qui intègrent une part d’informations phonologiques et orthographiques ainsi qu’une part d’informations morphologiques. Toutefois, ces langues se distinguent par leur degré d’opacité du code orthographique et par le fait qu’elles présentent des caractéristiques linguistiques qui leur sont propres. En effet, les langues française et anglaise sont considérées comme opaques puisque leurs unités orthographiques ne respectent pas fidèlement la phonologie (Bonin, Collay et Fayol, 2008; Perfetti, 1997; Seymour, Aro et Erskine, 2003). La difficulté majeure de ces langues alphabétiques réside dans le fait que le nombre de lettres disponibles est insuffisant pour orthographier tous les phonèmes (Sprenger-Charolles, 2008). Par exemple, les 26 lettres ne permettent pas à elles seules de transcrire les 36 phonèmes de la langue française ni les 44 phonèmes de la langue anglaise (Caravolas, 2004; Jaffré et Fayol, 2006; Sprenger-Charolles, 2008). Par conséquent, la combinaison de lettres s’avère essentielle pour transcrire les phonèmes (p. ex. : en français, les graphèmes < ch >, < oin >, < an > ou en anglais, les graphèmes < ough >, < ea >, < on >). De plus, certains phonèmes peuvent être représentés par différentes combinaisons de lettres, ce qui renvoie au caractère inconsistant de l’orthographe (p. ex. : en français le phonème /o/ → métro, aussi, billot, beau et en anglais, le phonème /k/ → keen, cut, occasion, stomach). De plus, les langues anglaise et française présentent toutes deux une complexité dans la conversion graphophonémique (p. ex. : /ʃapo/ → chapeau; quatre phonèmes, mais sept lettres, et /θɔt/ → thought, trois phonèmes, mais sept lettres), des irrégularités orthographiques (p. ex. : /fam/ → femme; /pInt/→ pint), des règles orthographiques (p. ex. : en français comme en anglais, le graphème « c » peut transcrire le phonème /k/ ou /s/ selon l’environnement phonétique) et des régularités orthographiques (p. ex. : en français le phonème /o/ en fin de mots, chapeau, gâteau, manteau ou en anglais, le phonème /ɑ/, dans body, clock, holiday, top) (pour plus d’informations, voir par exemple, Caravolas, 2004; Martinet, Valdois et Fayol, 2004, Mousty et Alegria, 1999, Pacton, Fayol et Perruchet, 2005; Sprenger-Charolles, 2008; Treiman et Kessler, 2006, 2016).

Malgré leurs similarités, ces deux langues se distinguent sur un aspect important : la morphologie de l’anglais est quasi transparente tandis que celle du français est plus opaque (Jaffré et Fayol, 2006). En effet, en anglais, les marques morphologiques en fin de mots sont généralement écrites et prononcées. En revanche, en français, celles-ci apparaissent à l’écrit sans nécessairement être prononcées à l’oral (p. ex. : chat, amies, tapis, petit, etc.). D’ailleurs, en français, au moins 28 % des mots présentent une lettre muette en fin de mot (Gingras et Sénéchal, 2016; Sénéchal, Gingras et L’Heureux, 2016). Plusieurs d’entre elles reflètent notamment une information morphologique (p. ex. : le –d de laid qui renvoie à laideur). Par conséquent, les mots écrits en français ne sont souvent pas qu’une seule transcription de la forme phonologique (Fayol, 2008a) puisqu’ils encodent une part importante d’informations morphologiques. De manière plus précise, 80 % des mots de la langue française sont polymorphémiques (Colé et Fayol, 2000; Rey-Debove, 1984). Ainsi, développer des connaissances au regard de la morphologie des mots peut s’avérer une stratégie avantageuse lors de l’apprentissage de l’écrit puisque l’élève sera en mesure de les appliquer dans un contexte linguistique approprié.

3. La morphologie dérivationnelle

La morphologie concerne la forme des mots, leur emploi et leur construction ainsi que la part d’interprétation liée à ces unités (Huot, 2012). Autrement dit, il s’agit de l’étude des plus petites unités linguistiques de forme et de sens. La morphologie dérivationnelle correspond à la construction de mots composés d’un morphème de base (p. ex. : grand) et d’un ou de plusieurs morphèmes liés (p. ex. : grandeur). Ces morphèmes liés correspondent à des préfixes s’ils s’ajoutent au début du mot de base (p. ex. : agrandir) et à des suffixes lorsqu’ils sont placés après le mot de base (p. ex. : agrandir). Ces affixes ont une valeur sémantique (p. ex. : a → faire devenir) ou encore, une valeur sémantique et syntaxique (p. ex. : ir → action, suffixe verbal). Certains affixes ont néanmoins une variabilité quant à leur valeur sémantique et peuvent renvoyer à différentes significations (p. ex. : « a » peut signifier « faire devenir », mais aussi « pas ou sans »). L’affixation dérivationnelle permet donc la création de nouvelles unités lexicales indépendantes du mot de base (Verhoeven et Carlisle, 2006) et dont la signification est distincte (p. ex. : agrandir signifie rendre plus grand). De plus, le mot grand comporte un morphogramme dérivationnel, la lettre < d >. Cette lettre muette permet d’effectuer un lien phonologique avec des mots de la même famille morphologique en effectuant une dérivation ou une flexion (p. ex. : grande, grandeur, grandement, grandir, grandelet, etc.). Conséquemment, l’enseignement de ces petites unités de sens est pertinent afin de s’approprier cette dimension de la langue (Chapleau et Beaupré-Boivin, 2019).

De bonnes connaissances en morphologie dérivationnelle contribuent au développement du vocabulaire, à la compréhension en lecture ainsi qu’à l’identification et à la production de mots écrits. D’abord, l’intérêt des morphèmes dérivationnels est qu’ils modifient l’identité sémantique du mot augmentant ainsi le lexique de l’élève (Lesaux, Kieffer, Faller et Kelley, 2010; Pressley, Disney et Anderson, 2007). En effet, l’analyse des mots écrits et la compréhension de leur formation favorisent l’apprentissage de mots inconnus (Carlisle, 2000; McBride-Chang et al., 2008; Sparks et Deacon, 2010). Cet aspect contribue à l’accès au sens, mais aussi à l’identification des mots lors de la lecture, et ce, même chez les lecteurs débutants (Colé, Marec-Breton, Royer et Gombert, 2003; Sanchez, Ecalle et Magnan, 2012).

En ce qui concerne le développement des connaissances en orthographe lexicale, la morphologie dérivationnelle facilite l’accès à la représentation orthographique adéquate du mot construit (Apel, Masterson et Niessen, 2004; Bosse et Pacton, 2006; Fayol, 2008b; Pacton, 2005). En effet, la connaissance de la signification d’un morphème permet de choisir la transcription précise d’un mot morphologiquement complexe (p. ex. : « triangulaire » plutôt que « triangulère », car le morphème « aire » signifie « qui a rapport avec… »). De plus, à partir de la dérivation, il est possible de faire un choix justifié de plusieurs lettres muettes (p. ex. : < t > dans chant permet de produire le mot dérivé chanteur) (Pacton, 2005; Pacton et Deacon, 2008; Sénéchal, 2000; Sénéchal, Basque et Leclaire, 2006).

Afin de distinguer les connaissances liées au traitement des indices morphologiques de la langue écrite, une typologie a été élaborée par Tyler et Nagy (1989). Bien que cette typologie s’appuie sur les caractéristiques de la langue anglaise, elle peut tout de même s’appliquer à la langue française considérant les similarités que partagent les deux langues. Dans cette typologie, trois types de connaissances relatives à l’utilisation de la morphologie dérivationnelle sont identifiées : les connaissances relationnelles, syntaxiques et distributionnelles.

Les connaissances relationnelles correspondent à la capacité à reconnaître la relation morphologique entre des mots partageant une base commune liée par le sens. Par exemple, lait et laitier sont des mots morphologiquement liés, alors que le mot laitue ne partage pas de liens de sens même si l’amorce orthographique et phonologique de ces mots est identique. Les connaissances relationnelles contribuent à reconnaître les morphèmes d’un mot inconnu et d’en déduire le sens (Baumann, Edwards, Boland, Olejnik et Kame’enui, 2003; Baumann et al., 2002; Goodwin et Ahn, 2013).

Le second type de connaissances est d’ordre syntaxique. Il renvoie à la connaissance que les apprenants ont du rôle syntaxique des suffixes dérivationnels. Ainsi, certains suffixes peuvent former des noms (p. ex. : chaton, car il est suffixé par –on), des adjectifs (p. ex. : adorable, car il est suffixé par –able) ou des verbes (p. ex. : finir, car il est suffixé par –ir). Ces connaissances permettent alors de reconnaître la catégorie grammaticale du mot en s’appuyant sur les affixes le composant.

Les dernières connaissances de cette typologie, les connaissances distributionnelles, concernent la compréhension des règles de construction morphologique des mots plurimorphémiques. En effet, des contraintes linguistiques déterminent certains processus de construction morphologique et régissent les associations entre les bases et les affixes. Ainsi, sur le plan catégoriel, des associations entre morphèmes ne peuvent être constituées (p. ex. : le préfixe dé– s’associe à des verbes comme défaire et non à des adjectifs comme *défaisable). De même, sur le plan phonologique, des restrictions articulatoires imposent quelques constructions (p. ex. : fiévreux plutôt que *fièvrif, car le suffixe –if doit suivre une consonne alvéo-dentale comme les lettres « t » ou « d »). Les connaissances syntaxiques et distributionnelles présupposent un développement des connaissances relationnelles (Mann et Singson, 2003; Roy et Nadeau, 2007; Singson, Mahony et Mann, 2000; Tyler et Nagy, 1989). Conséquemment, ces connaissances, nécessaires à l’utilisation du traitement morphographique, sont évolutives. En effet, l’apprenant développe ses connaissances et ses stratégies de plus en plus complexes liées à la morphologie dérivationnelle tout au long de son parcours scolaire (Marec-Breton, Besse et Royer, 2010). De toute évidence, avoir de riches connaissances en morphologie contribue au développement de plusieurs habiletés relatives à l’écrit.

4. La création d’une activité en morphologie dérivationnelle

Dans la version anglaise d’ABRACADABRA, aucune activité visant le développement des connaissances morphologiques n’était proposée. Pour l’équipe de chercheurs francophones, il était particulièrement pertinent d’ajouter, à cette ressource, une activité en morphologie dérivationnelle, considérant la forte présence de marques morphologiques inaudibles en fin de mots et de mots plurimorphémiques en français, ainsi que la contribution des connaissances morphologiques en lecture et en écriture (Bowers, Kirby et Deacon, 2010; Goodwin et Ahn, 2010, 2013). D’ailleurs, des résultats d’une étude menée en français (Marec-Breton, Gombert et Colé, 2005) révèlent que l’apprenant de niveau première année du primaire s’appuie non seulement sur des traitements graphophonologiques pour reconnaître les mots, mais également, sur leur structure morphologique. Sur le plan ministériel, le document québécois Progression des apprentissages au primaire, français langue d’enseignement (Ministère de l’Éducation, du Loisir et du Sport, 2008) recommande que l’élève soit sensibilisé à la présence de lettres muettes à la fin des mots qui sont liées à leur appartenance à une famille morphologique (p. ex. : lent, lenteur, lentement, etc.), dès le premier cycle du primaire. Sur le plan pratique, force est de constater que l’enseignement de la morphologie dérivationnelle demeure peu exploité dans les salles de classe (Sénéchal, 2014) et relativement nouveau pour plusieurs enseignants (Daigle, Berthiaume, Ruberto et Wolter, 2017; Nunes et Bryant, 2006). Conséquemment, l’élaboration d’une telle activité de morphologie dérivationnelle permet de répondre à ces besoins. Ainsi, dans le but de favoriser le développement des connaissances relationnelles, la création d’une activité traitant de cette dimension de la langue a été privilégiée.

5. Le hockey des mots : une description de l’activité

Le contexte retenu pour cette activité est une partie de hockey (voir figure 1). Le but de l’activité Le hockey des mots est de déterminer quels sont les trois mots morphologiquement reliés à un mot cible, parmi six items. Cette activité a donc pour objectifs de développer les connaissances relationnelles en morphologie et le vocabulaire oral et écrit des élèves du premier cycle du primaire.

Concrètement, l’activité consiste en une joute de tirs au but. Sur l’écran, un ours blanc est un gardien de but protégeant trois cibles. Dans un premier temps, un mot cible est nommé et affiché à l’écran (p. ex. : vent). Puis, l’élève doit choisir, parmi six items (p. ex. : venter, venteux, vire-vent, inventer, souvent, [mot aléatoire]), les trois mots dérivés faisant partie de la famille morphologique de celle du mot cible (p. ex. : venter, venteux, vire-vent). Deux autres mots proposés sont des leurres qui paraissent formellement et visuellement liés au mot cible (inventer, souvent). Le troisième mot est un leurre aléatoirement sélectionné dans la banque de mots d’ABRACADABRA.

Figure 1

Le hockey des mots

Le hockey des mots

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L’apprenant, personnalisé par Julie, le personnage principal du jeu, doit alors déplacer les trois mots dérivés sur les cibles du but de hockey. Un point par mot adéquatement choisi est accordé à l’élève. En revanche, s’il sélectionne un ou des leurres, c’est l’ours blanc qui effectue des points.

Comme pour toutes les activités de la ressource interactive, si l’apprenant présente des difficultés à effectuer la tâche, des mesures d’aide lui sont offertes afin de soutenir ses apprentissages. Par exemple, lorsque l’élève choisit un leurre et le place sur une des cibles du but, le personnage tente d’effectuer un lancer au filet. Comme il s’agit d’une erreur, le tir est arrêté par l’ours et la cible s’illumine en rouge. L’élève entend alors : « Zut ! Ce mot ne fait pas partie de la même famille de mots que… [le mot cible] ». La cible rouge ainsi que le leurre retournent au bas de l’écran avec les autres mots puis le leurre demeure en rouge et ne peut être repris. L’élève doit alors choisir un nouveau mot faisant partie de la même famille morphologique du mot cible. S’il omet la signification de l’expression « mots de la même famille », il peut cliquer sur le drapeau du même nom et une définition lui sera offerte. Enfin, dans le but de faciliter l’identification des mots écrits, l’élève peut cliquer, en tout temps, sur les mots pour obtenir un support auditif. Ces mesures d’aide s’inscrivent alors dans une perspective d’enseignement-apprentissage assisté à l’ordinateur par lequel l’élève peut développer ses connaissances morphologiques, à son rythme, et obtenir une rétroaction immédiate. De multiples interactions sont alors au coeur de cette activité technologique qui combine sons, images, animations, mots et analyses morphologiques et sémantiques. Afin de favoriser les apprentissages chez l’élève et pour rendre les mesures d’aide pertinentes, les mots ciblés et de multiples paramètres doivent être contrôlés.

5.1. Le contrôle des variables linguistiques

Avant de concevoir une activité en morphologie dérivationnelle, telle que Le hockey des mots, le contrôle de différents aspects est nécessaire. Il importe de rappeler que plusieurs variables interviennent dans la représentation et l’accès aux mots lors de leur production ou de leur compréhension : la fréquence lexicale et la fréquence des dérivés (Colé, Beauvillain et Segui, 1989; Lethonen et Laine, 2003; Meunier et Segui, 1999), la fréquence des morphèmes (Goodwin et Ahn, 2013; Marslen-Wilson, Tyler, Waksler et Older, 1994), le degré d’opacité des mots dérivés (Carlisle, 1995; Carlisle et Stone, 2005; Goodwin et Ahn, 2013; Marslen-Wilson et al., 1994), la productivité des affixes (Carlisle et Katz, 2005; Roy, 2006) et le caractère préfixé ou suffixé des mots construits (Roy, 2006). Dans le cadre de cette activité, la fréquence lexicale et le degré d’opacité ont été plus particulièrement considérés et modulent la complexité de la tâche. Les critères sont résumés au tableau 1 et les raisons expliquant ces choix sont spécifiées dans les sections suivantes.

Tableau 1

Synthèse des critères relatifs aux mots cibles, aux mots de même famille morphologique et aux leurres

Synthèse des critères relatifs aux mots cibles, aux mots de même famille morphologique et aux leurres

1 Le premier type de leurres est priorisé lorsque cela est possible. Si ce n’est pas le cas, le deuxième type de leurre est envisagé.

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5.1.1. Le contrôle de la fréquence lexicale

Depuis plusieurs années, de nombreux chercheurs ont montré que la vitesse de traitement des mots construits est influencée par la fréquence de surface et la fréquence cumulée des mots (Colé et al., 1989; Lethonen et Laine, 2003; Meunier et Segui, 1999). En d’autres termes, plus un mot ou une base et ses dérivés sont rencontrés fréquemment, plus ceux-ci sont reconnus et traités rapidement par l’élève.

Comme l’activité proposée s’adresse autant à des élèves de la maternelle qu’à des élèves de la 2e année du primaire, un contrôle de la fréquence lexicale orale a été privilégié. En effet, autant le non-lecteur que l’apprenti lecteur peuvent participer à cette activité, car l’apprenant peut soit lire les mots affichés à l’écran ou demander un soutien sonore lorsqu’il clique sur les mots.

Avant de contrôler la fréquence, une première sélection de mots a été réalisée. Il importe de souligner que les mots cibles pour l’activité Le hockey des mots sont tous issus des textes d’ABRACADABRA et sont travaillés à travers les diverses activités proposées par la ressource interactive. Il s’agit en fait de l’une des principales caractéristiques de la plateforme : offrir des activités développant les habiletés relatives à l’écrit en recourant aux mots lus dans les textes. De cette façon, cela maximise la fréquence d’exposition aux mots et, corolairement, leur apprentissage et leur encodage en mémoire (Marulis et Neuman, 2010; Nagy, 2005, Neuman, 2011; Vadasy et Nelson, 2012).

En revanche, ce ne sont pas tous les mots qui peuvent être utilisés dans l’activité de morphologie dérivationnelle; une sélection des mots issus des textes d’ABRACADABRA doit être faite. D’abord, plusieurs mots ont été retirés, tels que les mots de la classe fermée (p. ex. : les déterminants, les prépositions, les pronoms, les conjonctions), les onomatopées, les prénoms des personnages et les formes élidées (p. ex. : l’, d’, m’). Les mots contenus, comme les adjectifs, les noms, les verbes et certains adverbes ont été sélectionnés. Comme les mots sont tirés des textes d’ABRACADABRA, la forme lemmatisée, soit la forme canonique d’un mot variable (p. ex. : le masculin singulier d’un nom ou d’un adjectif et l’infinitif d’un verbe), a été utilisée. La sélection de mots issus des textes d’ABRACADABRA favorise alors une exposition répétée aux mots, développant ainsi le vocabulaire, mais restreint l’ensemble de mots pouvant être utilisés dans cette activité.

Une fois la sélection des mots effectuée, la fréquence lexicale orale a été contrôlée. L’Échelle de vocabulaire oral des enfants de 5 à 8 ans (Préfontaine, 1968) a été retenue pour effectuer ce contrôle. Il s’agit d’un relevé du vocabulaire oral fondamental chez les jeunes enfants franco-canadiens – l’une des rares bases de données canadiennes disponibles. Cette échelle classe en quatre catégories le vocabulaire fondamental des enfants de la maternelle (5 ans), de la première année (6 ans), de la deuxième année (7 ans) et de la troisième année du primaire (8 ans). Ainsi, tous les mots faisant partie de ce répertoire ont été sélectionnés. Par conséquent, les mots cibles sont des mots contenus dans le vocabulaire fondamental des enfants et sont répartis selon quatre niveaux dans l’activité Le hockey des mots : les mots cibles faisant partie du vocabulaire oral des enfants de 5 ans (niveau 1); de 6 ans (niveau 2); de 7 ans (niveau 3) et de 8 ans (niveau 4). Le participant ne voit à l’écran que les niveaux gradués et non l’âge associé à ceux-ci. De cette façon, chaque apprenant peut choisir le niveau de difficulté qui lui convient et évoluer à son propre rythme (Ecalle et Magnan, 2010).

5.1.2. Le degré d’opacité des dérivés

Pour la sélection des mots dérivés, l’équipe de recherche a tenté de procéder de la même manière que pour les mots cibles, soit de sélectionner les items à partir des mots issus des textes de la ressource interactive. Bien que cette méthode présente de nombreux avantages, elle limite le nombre d’items pouvant être utilisés. Ainsi, considérant le choix limité de mots dans la ressource ABRACADABRA, il n’a pas été possible d’y sélectionner un nombre suffisant de mots dérivés. L’ajout d’autres mots a donc été nécessaire et cette sélection s’est faite principalement à partir de dictionnaires lexicologiques. Afin d’avoir un nombre suffisant d’items pour réaliser l’activité, mais aussi pour développer le vocabulaire des apprenants, la fréquence de ces mots n’a pas été contrôlée. Dans ce cas-ci, c’est plutôt le degré d’opacité qui a été contrôlé.

En effet, pour le choix des dérivés, le contrôle du degré d’opacité a été privilégié puisque plusieurs études (Carlisle, 1995, 2003, 2004, Marslen-Wilsen et al., 1994) ont montré que l’identification des mots construits est sensible à la transparence formelle et/ou sémantique. Plus précisément, lorsque des mots construits considérés transparents (p. ex. : chocolat : chocolaté, chocolatier, chocolaterie) sont présentés à l’apprenant, la base est plus facilement identifiée que pour des mots considérés opaques (p. ex. : vieux : vieille, vieillir, vieillissement). Les mots dérivés partageant une relation transparente avec le mot cible ont donc été priorisés et constituent 70 % des items de l’activité.

Toutefois, comme le système dérivationnel du français est plus ou moins prédictible, plusieurs mots plurimorphémiques ont une relation opaque avec leur mot de base (p. ex. : secsécheresse). Afin de refléter les caractéristiques de la langue française, des mots construits opaques ont été intégrés à l’activité. D’ailleurs, certaines études (Marslen-Wilsen et al., 1994) montrent que les mots construits opaques ont tendance à être traités indépendamment de leur famille morphologique et seraient plutôt traités sur le plan sémantique. Par conséquent, la compréhension et la maîtrise de la morphologie dérivationnelle deviennent un moteur pour améliorer le vocabulaire (Pressley et al., 2007). C’est pourquoi il est tout à fait pertinent d’ajouter des mots construits opaques, en plus faible proportion (dans ce cas-ci, 30 % des items ont une relation opaque), afin de stimuler le développement du vocabulaire des enfants. En somme, pour bien réussir l’activité, il est nécessaire que l’élève saisisse le rapport sémantique des mots morphologiquement liés, et ce, même si la forme phonologique du mot de base est altérée lors de la dérivation.

5.1.3. Les caractéristiques des leurres

L’activité Le hockey des mots demande à l’apprenant de relever les trois mots appartenant à la même famille morphologique qu’un mot cible. Deux autres mots, représentant des leurres, sont également présentés. Des caractéristiques particulières régissent le choix de ces leurres et deux types sont privilégiés.

D’une part, le premier type de leurres renvoie à des mots qui ne sont pas morphologiquement reliés, mais qui sont visuellement et formellement reliés. Ils ont donc une relation dite faussement transparente. Par exemple, pour le mot cible vent, le leurre souvent est présenté. Le mot souvent n’est pas composé de la base nominale [vent] ni du préfixe [sous-] et il ne signifie pas sous le vent. Cette ressemblance est alors phonologique et orthographique, mais non sémantique. Ce premier type de leurre est privilégié pour l’activité.

D’autre part, lorsque ce n’était pas possible de trouver des items se référant au premier type de leurre, un deuxième type était proposé, soit des mots ayant des unités phonologiques et visuelles similaires. Par exemple, pour le mot cible chat, le leurre chaleur est présenté. Bien que le mot chaleur débute par une syllabe ayant la même attaque et la même rime que chat, ceux-ci ne sont pas morphologiquement reliés. Ces deux types de leurres incitent alors l’apprenant à utiliser la dimension sémantique pour développer ses connaissances relationnelles.

6. Forces et limites de l’activité informatisée

La réalisation de cette activité permet d’identifier des forces à ce projet. D’abord, pour constituer les assises de la ressource en ligne ABRACADABRA, les chercheurs se sont inspirés de résultats de recherche concernant l’apprentissage de la lecture-écriture (National Early Literacy Panel, 2008; National Reading Panel, 2000). Aussi, ils ont conçu les activités, les textes et les mesures d’aide en conformité avec les données issues de ces recherches en littératie. Par ailleurs, l’approche multimodale a inspiré la conception de la ressource en proposant, d’une part, des interactions adaptées au cheminement des élèves et, d’autre part, en suggérant aux enseignants d’aborder la littératie autrement avec leurs élèves. La technologie étant un outil de travail de plus en plus familier, il importe d’exploiter de façon efficace ces outils dans l’enseignement. L’activité Le hockey des mots peut être réalisée en grand groupe avec une projection sur un tableau interactif ou elle peut être proposée à l’élève pour une utilisation personnalisée en jouant à l’ordinateur ou sur une tablette. De plus, puisque cette plateforme est accessible gratuitement, l’élève peut poursuivre ses apprentissages en utilisant la ressource à la maison.

Puis, comme il a été démontré dans cet article, les mots de la langue française comportent une part importante d’informations morphologiques. Ainsi, la création visant spécifiquement le développement de ces connaissances est un apport intéressant pour l’enseignant et pour l’apprenant. L’enseignement de la morphologie dérivationnelle est nouveau pour plusieurs enseignants et encore peu présent en classe (Daigle et al., 2017; Nunes et Bryant, 2006; Sénéchal, 2014; Washburn et Mulcahy, 2018). Aussi, Le hockey des mots amène une proposition pédagogique à l’enseignement des connaissances relationnelles. Finalement, un autre élément positif est le contrôle des caractéristiques linguistiques des items constituant l’activité, assurant une progression du niveau de difficulté.

Toutefois, certaines limites peuvent être relevées comme le choix des mots qui est en relation avec les livres proposés dans ABRACADABRA. Conséquemment, la composition de certains niveaux de difficulté est restreinte. Aussi, lors de la conception de l’activité, l’échelle de vocabulaire oral utilisée n’a pas fait l’objet d’une mise à jour. Il est donc probable que le vocabulaire des enfants ait évolué et que certains mots pourraient correspondre à un âge développemental distinct.

Malgré les apports de la ressource, il importe de rappeler que la médiation pédagogique est déterminante pour l’apprentissage. Les mesures d’aide proposées à l’élève ne remplacent pas la relation dynamique entre un enseignant et un enseigné. Par contre, ils offrent une alternative intéressante dans des situations d’apprentissage autonome. Puis, la ressource ABRACADABRA en français n’a pas fait l’objet d’études jusqu’à maintenant. À ce propos, durant l’année scolaire 2018-2019, deux projets de recherche seront réalisés afin de vérifier l’effet de l’utilisation de cet outil dans une perspective d’approche multimodale. Un de ces projets vise spécifiquement l’application d’activités d’apprentissage en morphologie dérivationnelle au premier cycle du primaire par l’exploitation, entre autres, de l’activité Le hockey des mots.

Conclusion

Cet article avait pour but de présenter la démarche de conception de l’activité Le hockey des mots. Afin d’atteindre les objectifs d’apprentissage, il a été nécessaire de se doter de critères et de procédures rigoureuses quant au choix des mots et des leurres. Ainsi, cette analyse assure que les items choisis permettent d’atteindre les objectifs d’apprentissage visés par cette activité, soit de développer les connaissances relationnelles en morphologie et le vocabulaire oral et écrit des élèves du premier cycle du primaire. En ce sens, il importe pour le chercheur et pour le praticien de se doter de critères linguistiques lors de la création d’activités d’apprentissage ou d’évaluation.

Nous croyons que notre recherche répond à un besoin, car bien que le développement des connaissances morphologiques pour l’apprentissage de l’écrit soit essentiel et reconnu par la communauté scientifique (voir, par exemple, la méta-analyse de Goodwin et Ahn, 2013), peu de dispositifs didactiques appuyés par des données probantes sont offerts pour les milieux scolaires. Le contenu de cet article permet alors d’offrir des pistes pour élaborer de telles activités. Par ailleurs, dans une perspective de littératie multimodale, cette activité informatisée, et plus largement ABRACADABRA, propose plusieurs modes sémiotiques (Kress et Van Leeuwen, 1996) ainsi qu’un contexte de communication adapté au niveau de l’apprenant (Ecalle et Magnan, 2010). En effet, différents textes narratifs, informatifs et poétiques sont à la disposition du lecteur et ces multitextes peuvent être lus ou entendus par l’élève tout en obtenant une aide informatisée pour identifier les mots plus difficiles. De plus, de multiples activités didactiques sont proposées sous forme de jeux, où sons, images, animations et rétroactions sont notamment mis de l’avant pour développer les habiletés de littératie et le goût pour la lecture-écriture. L’enseignant, le parent ou un pair peut également soutenir l’élève dans ses apprentissages. Il s’agit là de riches exemples d’activités multimodales et interactives qui sont pertinentes et accessibles, entre autres, pour les enseignants en contexte de classe. D’ailleurs, une étude exploratoire est en cours de réalisation auprès d’élèves du premier cycle du primaire. Plus précisément, l’activité Le hockey des mots est intégrée à un programme visant l’enseignement de la morphologie dérivationnelle. Les premiers constats nous amènent à reconnaître la pertinence d’exploiter les différents modes sémiotiques pour développer les connaissances de l’apprenant (Chapleau, Beaupré-Boivin et Godin, en préparation). Les résultats de cette étude permettront, entre autres, d’analyser les qualités pédagogiques de cette activité.

Rappelons qu’ABRACADABRA est une ressource visant à soutenir la réussite des premiers apprentissages en littératie, de la maternelle à la deuxième année du primaire. L’ajout d’une activité sur les connaissances relationnelles en morphologie permet à l’élève de développer la capacité à établir les relations morphologiques entre les mots. Cette connaissance est utile, entre autres, pour identifier les mots nouveaux (Carlisle, 2000; McBride-Chang et al., 2008) et elle contribue à l’accès au sens et à l’identification des mots lors de la lecture (Colé et al., 2003).

Pour le lecteur débutant, il s’agit d’une amorce à la découverte d’une dimension importante de la langue écrite ainsi qu’un premier pas vers le développement de différentes connaissances en morphologie dérivationnelle. De plus, l’ajout de cette activité peut sensibiliser les enseignants à une autre dimension que celle de la phonologie pour l’enseignement de la lecture-écriture, car la morphologie demeure un aspect encore peu développé en enseignement (Sénéchal, 2014).

L’activité Le hockey des mots est en adéquation avec l’approche multimodale puisqu’elle sollicite un enseignement par l’intermédiaire d’une technologie éducative intégrant une interaction adaptée au cheminement de l’élève. Néanmoins, il demeure essentiel de soutenir les enseignants dans l’utilisation de cette technologie afin qu’ils adoptent des pratiques multimodales et qu’ils puissent tirer profit de la richesse de cette ressource interactive. L’enjeu pédagogique des technologies éducatives est de favoriser le développement des compétences en intégrant des programmes d’intervention assistés par ordinateur aux pratiques pédagogiques reconnues efficaces (Cheung et Slavin, 2012). Bien qu’un travail rigoureux ait été fait pour concevoir cette activité éducative et technologique, encore faut-il que l’utilisation de celle-ci en classe soit de qualité et pertinente afin de favoriser les apprentissages (Jewitt, 2009; Lei, 2010).

Le présent article a mis en lumière la création d’une activité s’inscrivant dans une approche multimodale et interactive. Nos projets de recherche à venir viseront à travailler en collaboration avec les enseignants à intégrer cette technologie éducative à leurs pratiques pédagogiques. Un travail de recherche collaborative serait pertinent afin de créer des dispositifs didactiques, à partir d’ABRACADABRA, intégrant les multitextes et permettant de développer les compétences nécessaires à la lecture-écriture, mais aussi plus particulièrement à la littératie médiatique.