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Introduction

Les liens entre santé et travail sont (re)devenus en France un enjeu fondamental, tant des recherches en sciences humaines et sociales[1] que des politiques publiques. Cependant, la problématique des démarches de prévention des risques professionnels de santé demeure peu traitée. En réponse à un appel d’offres de l’Anses (Agence nationale sécuritaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail), notre équipe de recherche[2] a entrepris d’apporter des connaissances sur cette question restée discrète en proposant une analyse de la forme que prennent dans les entreprises les démarches de prévention des risques cancérogènes, mutagènes et toxiques pour la reproduction (CMR)[3].

Méthodologie d’enquête

À la suite des travaux d’Amossé et de Célérier (2011), nous avons, dans le cadre de cette recherche, construit une typologie de ces démarches[4]. Leur diversité et ce que chacune d’elles implique comme travail préalable posent la question de la formation et des connaissances acquises par les acteurs. Dans le cadre de cet article, nous proposons de montrer comment la formation des représentants du personnel[5] qui occupent des fonctions de membre du Comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT) est un facteur déterminant de leur investissement dans les démarches de prévention. Ceux-ci doivent en effet s’appuyer, pour participer à ce travail, sur un socle solide de connaissances, scientifiques, techniques, réglementaires ; et c’est d’autant plus nécessaire pour les représentants du personnel dont la formation initiale et le parcours professionnel peuvent être éloignés des questions de sécurité sanitaire.

Ces acteurs doivent avoir recours à des pratiques de formation leur permettant d’accroître leur stock de connaissances. Or, comme nous essaierons de le montrer, le transfert de connaissances s’articule à l’état des relations professionnelles et des rapports de force au sein des entreprises. La configuration d’acteurs d’une entreprise influe sur les possibilités de formation proposées aux différents acteurs, notamment lorsque l’entreprise possède un service Hygiène, sécurité et environnement (HSE) étoffé qui s’arroge la responsabilité d’intervenir sur les questions de sécurité sanitaire. Cependant, lorsque les représentants du personnel ont accès à certaines de ces formations, le savoir ainsi acquis permet de modifier, ensuite, cette configuration ; la connaissance est bien ici le préalable de l’action (Théry et coll., 2011).

Il y a donc des enjeux forts autour de la monopolisation du savoir sur les risques CMR et les possibilités de les prévenir. Ces enjeux dépendent entre autres du savoir juridique et technique acquis lors des formations. Mais il est possible de dépasser l’état initial de formation, notamment lorsque les acteurs se constituent en réseaux pour partager leurs connaissances et leurs pratiques dans des « communautés de pratiques », comme Catherine Kornig et Éric Verdier (2008) l’ont montré dans les entreprises de la réparation automobile. Ces communautés de pratiques permettraient aux individus qui y sont insérés de rationaliser les connaissances acquises pendant les formations. Cette montée en connaissances et en compétences va ensuite permettre à ces acteurs de s’investir plus en avant dans la mise en oeuvre des démarches de prévention. Cet investissement peut ensuite produire une évolution et un réaménagement du rôle de chacun dans les démarches de prévention et, par extension, au CHSCT de l’entreprise, ce qui participe principalement à un réaménagement de l’état des relations professionnelles au sein de leur propre entreprise.

Nous proposons donc d’étudier comment les formations aux risques cancérogènes sont en partie induites par – mais également produisent des effets sur – la configuration d’acteurs engagés dans les démarches de prévention dans les entreprises étudiées. Nous souhaitons faire apparaître que, dans un mouvement dynamique et dialectique, les acteurs peuvent dans certaines conditions, dans la configuration des relations professionnelles de leur entreprise, se procurer de nouvelles ressources sous la forme de divers apprentissages, qui vont en retour réaménager la place de chacun et offrir un nouvel équilibre aux relations professionnelles.

À cette fin, nous allons dans une première partie présenter les actions de formation mises en oeuvre pour les représentants du personnel élus aux CHSCT. Nous verrons les multiples formes que peuvent prendre ces actions de formation et qui elles mobilisent, tout en soulignant la faible prise en compte des thématiques concernant les risques CMR. Dans une deuxième partie, nous évoquerons la place et le rôle que peuvent tenir les acteurs institutionnels (l’inspection du travail, la Carsat, les services de médecine au travail) dans ces actions. Nous verrons alors comment des dynamiques collectives peuvent s’enclencher, quelquefois sans l’aval ou à l’encontre de la direction, lorsque les acteurs institutionnels permettent aux représentants du personnel de se doter de nouveaux moyens d’action pour limiter les risques CMR ou les supprimer. Dans une troisième partie, nous analyserons les oppositions entre le savoir expert des responsables hygiène et sécurité et le savoir acquis par les représentants syndicaux autour de la question des risques CMR. Cette analyse nous amènera à voir, dans la quatrième partie, en quoi la combinaison de ces trois facteurs (formations, rôle des acteurs institutionnels et, enfin, relation entre deux types de discours profane et expert) produit un réaménagement des places et des rôles de chacun dans le cadre d’une configuration particulière d’acteurs.

La formation des représentants du personnel : un outil pour investir les démarches de prévention des risques sanitaires

Les représentants du personnel membre des CHSCT possèdent des connaissances plus précises que les salariés sur les problématiques de santé au travail et plus particulièrement sur les risques CMR. Les connaissances des salariés sont en effet pour une large part restreintes aux actions de sensibilisation mises en place au sein des entreprises[6]. Du fait de leur statut, les membres élus au CHSCT ont recours à différents moyens pour s’informer et obtenir des connaissances sur les risques chimiques afin de pouvoir exercer leurs fonctions le plus pertinemment possible. Ces connaissances, indispensables pour pouvoir travailler sur des thématiques aussi complexes que les risques CMR, nécessitent un apprentissage de notions spécifiques et techniques qui font parfois l’objet de controverses scientifiques. Tous les représentants du personnel n’ont pas recours aux mêmes outils pour se former. La palette d’outils mobilisables est assez large, puisqu’elle oscille de l’autoformation à des formations proposées à leurs membres par les centrales syndicales.

Selon nos résultats statistiques, les élus du personnel des entreprises de plus de 500 salariés sembleraient détenir plus d’informations (25 %) que leurs homologues évoluant dans des entreprises de taille plus restreinte (19,7 %)[7]. Ces informations s’avèrent toutefois encore insuffisantes et le recours à de véritables actions de formations pour mobiliser de nouvelles connaissances et ainsi acquérir des compétences supplémentaires est souvent nécessaire. Cela s’explique notamment du fait que, dans certaines entreprises, il existe un manque de transparence quant aux transferts des informations :

Par exemple, tous les quatre mois on a une réunion CHSCT et il y a un item qui est récurrent, c’est l’évolution réglementaire et législative et l’ingénieur sécurité du site doit tenir au courant le CHSCT de ces évolutions, et 90 % du temps il nous dit qu’il y en a pas… On sait que c’est faux, mais personne n’a le temps d’aller vérifier […]

Membre du CHSCT

Les représentants du personnel élus au CHSCT disposent, comme premier recours à la formation, des nouvelles technologies d’information et de communication. D’après Fontaine-Gavino et coll. (2012), 85 % des membres des CHSCT cherchent des informations sur Internet. Par ce moyen, ils peuvent acquérir des connaissances spécifiques sur les risques CMR en pratiquant l’autoformation. Les ressources numériques sur les risques chimiques se sont développées sur Internet, notamment sur des portails institutionnels (Institut national de recherche et de sécurité pour la prévention des accidents du travail et des maladies professionnelles – INRS, Direction régionale des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l’emploi – Direccte, Caisse d’assurance retraite et de santé au travail – Carsat, entre autres) mettant à disposition de nombreuses fiches techniques, expertises, etc. Les représentants du personnel peuvent aussi trouver les textes réglementaires dans leurs versions originales. Devant la multiplicité et la spécificité des informations disponibles, les acteurs qui y ont recours doivent d’abord sélectionner celles qu’ils vont analyser. Le choix des connaissances à apprendre demeure du seul ressort de la personne en train de se former, pouvant ainsi conduire à un apprentissage incomplet et segmenté, mais procurant tout de même des outils solides pour peser sur les démarches.

Quand on a commencé à travailler sur le sujet, on s’est renseigné sur Internet, sur différents sites. On a été forcément sur le site de la Carsat. On a vu des procédures d’évaluation, etc. On a vu des études qui avaient été faites. Et il y avait tout un tas de possibilités d’action. On était un petit peu perdu.

Ancien secrétaire HSE et secrétaire du CHSCT

L’autoformation est en outre chronophage si elle est effectuée par tâtonnements, de manière isolée ; elle appelle alors souvent d’autres modes de formation et d’apprentissage pour lever les zones d’ombre et répondre aux questions restées sans réponse. De fait, les centrales syndicales ont mis en place des formations spécifiques pour leurs élus au CHSCT afin de leur permettre d’acquérir les outils et les connaissances nécessaires pour travailler plus efficacement. Les représentants du personnel qui sont membres d’une grande confédération syndicale ont ainsi plus facilement accès à des formations approfondies sur la question :

En fait, les CHSCT qui sont liés aux grandes confédérations ont, s’ils le souhaitent, des formations dont certaines sont de qualité. Ça dépend de plein de trucs, mais il y en a vraiment de qualité.

Directeur adjoint du travail, Direccte

Ces formations syndicales complètent le minimum réglementaire en matière de formations des membres des CHSCT, oscillant entre trois et cinq jours. L’essentiel des formations, jugées insuffisantes pour saisir la complexité des enjeux liés aux CMR, se concentre sur le cadre légal et le fonctionnement des CHSCT. Les formations proposées aux membres syndiqués tendent principalement à renforcer les compétences des élus sur le CHSCT, son fonctionnement et les textes législatifs en vigueur en renforçant, principalement, les formations obligatoires proposées par l’entreprise. Mais ces formations syndicales sont considérées comme lacunaires par les acteurs, car elles ne permettent pas de rentrer dans le détail sur les différents aspects abordés par manque de temps. Lorsqu’elle est examinée, la santé au travail l’est souvent sous son aspect juridique : les formateurs mettent en avant les règles, les textes juridiques et rentrent peu dans la gestion quotidienne de la santé au travail. Lors de ces formations, il est plus question de décrypter les normes que d’analyser comment les appliquer concrètement (Catlla, 2012).

La difficulté, c’est qu’en fait elles sont de qualité sur des questions techniques, parfois de stratégie syndicale. […] Un CHSCT, ce n’est pas de savoir quelle est la réglementation. C’est « comment je fais pour être efficace, intervenir etc. ».

Directeur adjoint du travail, Direccte

La question des risques CMR peut donc être abordée dans ces formations syndicales, mais de façon périphérique et principalement par son versant juridique. Mais ces formations, bien plus qu’un unique lieu d’apprentissage de connaissances, permettent aux participants de créer « une communauté de pratiques » (Kornig et Verdier, 2008) afin de diffuser des expériences et de permettre à d’autres membres de CHSCT de bénéficier de ces apports et de ces avancées en vue de les transposer dans leur entreprise. Les sessions de formation ne permettent pas d’approfondir l’ensemble des questions relatives au fonctionnement des CHSCT et à la santé au travail. Elles peuvent néanmoins éveiller un intérêt pour certaines questions à approfondir, et les discussions spécifiques autour des risques CMR peuvent ensuite avoir lieu lors de journées d’études thématiques, organisées par les syndicats, permettant ainsi de renforcer les transferts de connaissances aux membres élus des CHSCT.

Mais d’après ce que j’ai vu hier [journée d’étude syndicale] y’a d’autres sociétés qui ont quand même des soucis à se faire. Je me suis étonné, on est quand même structuré. D’autres sociétés ont plus découvert, cette fameuse réunion à laquelle j’étais hier, ils ont, c’est le constat que j’ai fait, les gens ont plus appris vers nous, que nous vers eux.

Coordinateur CHSCT

Les communautés de pratiques sont créées, de manière parallèle, syndicat par syndicat, car les formations organisées par chaque centrale ne s’adressent qu’à ses propres adhérents. Cette segmentation limite l’action des élus au sein des CHSCT, où il n’y a pas une communauté de pratiques, mais des communautés syndicales de pratiques. La non-mise en commun des expériences est un frein aux démarches de prévention. Malgré tout, la formation des élus syndiqués au CHSCT leur permet une montée en compétences indispensable pour porter des connaissances précises sur les différentes thématiques. Les représentants élus peuvent, dès lors, travailler de façon indépendante sans dépendre des informations transmises par les employeurs et les services HSE. La monopolisation du savoir, par une partie des acteurs, est alors remise en question.

La formation, quand on est allé faire les deux premiers niveaux, ça nous a vraiment servi, notamment à repérer et à identifier les vrais risques et non plus à focaliser sur les petites choses pas trop importantes, et à bien voir quels peuvent être les leviers également. Ça, c’est important. Et d’ailleurs nos patrons commencent à se dire qu’on en sait pas mal et qu’on vient un peu les titiller sur des points où… Et ça, on se dit que si on les dérange un peu, c’est qu’on bosse bien, qu’on amène des choses sur des points importants.

Secrétaire d’un CHSCT de secteur

Des limites aux actions de formation sont aussi perçues par les acteurs syndicaux. En effet, certains syndicalistes semblent avoir conscience des risques sous-jacents aux formations proposées par les centrales syndicales, notamment celui d’une instrumentalisation des questions de santé pour résoudre des enjeux de concurrence entre syndicats. La tentation peut être forte de cristalliser des rivalités syndicales préexistantes autour de ces questions, ce qui peut nuire au travail collectif de prévention des risques CMR.

Et puis, je pense, les règles de bonne conduite ont fait que l’on évite de parler syndicats et puis voilà… Parce que, là, on n’est pas sur du revendicatif. C’est un peu différent quand même. Et l’ancienne équipe [du CHSCT] c’était déjà un peu mixte [de différents syndicats] comme ça et ça se passait très bien. C’est pour ça qu’on a gardé le principe […] pour ne pas heurter les sensibilités de Pierre, Paul, Jacques.

Secrétaire CHSCT

Au point de vue politique, au niveau du conseil d’administration, c’est souvent en opposition. Donc, il y a de très grandes différences au niveau du CA. Au niveau du CHSCT, je n’évoque jamais ces histoires-là. Il faut qu’on ait tous… l’étiquette syndicale disparaît complètement.

Secrétaire CHSCT

D’autres mettent en avant les contraintes des formations proposées sur le thème de la santé au travail, ce qui peut décourager certains de les suivre. Dans ce cas, un des arguments de légitimation du choix par les représentants sera le fait qu’ils sont principalement des syndicalistes et non pas des responsables HSE. Cette idée, fréquemment rencontrée, soulève deux constats. Le premier est que les représentants syndicaux peuvent avoir des difficultés à envisager les questions sanitaires comme une thématique sur laquelle ils peuvent et doivent intervenir. Le second constat est que les représentants syndicaux, même lorsqu’ils souhaitent intervenir sur ces questions, ne s’en sentent pas la légitimité, notamment lorsqu’ils sont « concurrencés » sur cette thématique par le service HSE, qui possèderait, lui, le savoir et l’expertise légitime autour de ces questions.

Les formations syndicales, comme nous l’avons vu, ne suffisent pas et sont donc souvent enrichies par ailleurs, soit par un recours à de l’autoformation, soit par des formations organisées par des organismes externes, notamment par certains services étatiques comme la Carsat et la Direccte, pour renforcer, approfondir et compléter les connaissances déjà acquises. Enfin, la carrière des représentants syndicaux influence aussi le rapport à la formation et le taux de connaissances sur les risques CMR. Ceux qui siègent depuis le plus longtemps ont une plus grande volonté de s’investir et ils sont plus enclins à se former, l’expérience poussant l’acteur à vouloir approfondir ses connaissances et ses compétences par un processus d’accumulation :

Nous, au CHSCT, on n’est pas experts, on a chacun notre travail, tout ça… je pense que l’on connaît finalement peu de choses au CHSCT, on essaie de faire finalement avec notre bon sens, mais moi, je ne suis pas expert, je ne connais pas la législation, je ne connais pas… On a des gens, au niveau du CHSCT, qui ont 20-25-30 ans d’expérience au niveau du CHSCT, donc là qui connaissent un peu mieux les choses, mais moi ce n’est pas mon cas. J’ai été longtemps représentant syndical donc je n’y consacrais que quatre heures par mois, ce qui est relativement peu…

Membre CHSCT

Le rôle des acteurs institutionnels

L’information et la formation des salariés et de leurs représentants autour des risques CMR ne peuvent dépendre uniquement de leur niveau de formation initiale, des actions mises en oeuvre par le service HSE ou des échanges entre personnel de direction et salariés. La spécificité des risques CMR, leur invisibilité et le travail cognitif qu’ils appellent pour être objectivés nécessitent souvent un recours à des acteurs institutionnels qui peuvent impulser une dynamique ou doter de nouvelles connaissances le CHSCT et ses membres. Trois acteurs institutionnels majeurs peuvent remplir cette tâche : l’inspection du travail, la Carsat et la médecine du travail. Ces trois acteurs n’assument évidemment pas le même rôle auprès des salariés, puisque leur positionnement institutionnel, leurs modalités et possibilités d’intervention ainsi que leurs liens avec l’entreprise sont très différents.

Commençons par celui qui semble entretenir le plus d’échanges avec les CHSCT : l’Inspecteur du travail (IT). Les travaux de V. Tiano (2003) ont montré que les inspecteurs du travail peuvent osciller entre deux postures particulières : l’une renvoie à un attachement à la mission traditionnelle de contrôle ; l’autre s’oriente davantage vers le travail de persuasion et l’accompagnement des employeurs dans leur démarche de prévention des risques professionnels. La spécificité des risques CMR, le niveau et la somme de connaissances dont disposent les salariés et leurs représentants quant à ces risques incitent les inspecteurs du travail à orienter leurs pratiques vers cette deuxième forme de positionnement lorsque la question des risques CMR est soulevée dans une entreprise. Leur objectif est ici d’accompagner les représentants du personnel pour qu’ils acquièrent de nouvelles connaissances sur la question et qu’ils soient ainsi mieux équipés et outillés pour véritablement peser sur les démarches de prévention au sein de leur entreprise.

Quand on arrive [dans un CHSCT], on fait de la formation. C’est nous qui amenons les éléments sur les caractéristiques techniques, les caractéristiques juridiques, et puis ce qu’il faudrait faire. Et ça permet d’embrayer la démarche

Inspecteur du travail

Les textes réglementaires deviennent alors des ressources stratégiques pour les inspecteurs du travail. Dans ce type de situations, leurs interlocuteurs privilégiés sont alors le CHSCT ou le service HSE. Grâce à des échanges nourris avec ces deux possibles partenaires, l’inspecteur peut espérer objectiver la présence de certains risques CMR sur le site de l’entreprise, participer à la prise de conscience par l’employeur et les salariés de l’importance de ces questions et, d’une certaine manière, contribuer à mettre à l’agenda la prise en charge de ces risques. Ici, l’action de l’inspecteur du travail ne prend pas la forme manifeste d’une activité de formation ou de sensibilisation auprès des salariés ou de leurs représentants élus au CHSCT. Elle s’oriente plus vers un conseil, un accompagnement ciblé (non dénué d’attentes et d’objectifs) visant à fournir à ces derniers de nouvelles connaissances sur ces risques et leur réglementation. Une fois ce travail réalisé, les CHSCT et les inspecteurs du travail peuvent engager un travail en commun important, notamment dans le cadre de la rédaction de documents réglementaires ou dans celui d’un processus de substitution de produits CMR, qui peut quelquefois s’exprimer à l’encontre ou, du moins, sans le contrôle de la direction ou de la hiérarchie. En effet, lorsque le stock de connaissances dont disposent les représentants du personnel élus au CHSCT est supérieur à celui de la direction de l’entreprise, cette instance et l’inspection du travail peuvent enclencher une véritable dynamique de travail autour des démarches de prévention.

Seulement, si cette possibilité existe, elle reste encore peu développée et soumise aux contingences locales (selon l’appétence des acteurs pour ce type de questions, selon le mode d’action et la structuration du CHSCT, etc.). Bien souvent, l’intensité des échanges entre agents de contrôle et représentants du personnel dépend dans une très large mesure de l’attitude de ces derniers à l’égard de l’intervention d’acteurs institutionnels extérieurs à l’entreprise. Ainsi, il est très difficile de dégager des régularités dans les relations CHSCT-inspection du travail. Néanmoins, l’intervention de l’inspecteur peut se traduire par un accroissement de la capacité des représentants du personnel à influencer les démarches de prévention et à y intervenir de façon autonome. Les agents de contrôle de la Carsat peuvent également remplir cet office.

Bien que les principaux interlocuteurs des représentants des salariés soient le plus souvent les employeurs, voire les responsables HSE, nous avons constaté certaines situations d’interactions entre la Carsat et les représentants. Même si les attentes des représentants des salariés à l’égard des contrôleurs de la Carsat restent relativement limitées, certains représentants du personnel et certains inspecteurs du travail évoquent l’idée que les échanges avec les membres de la Carsat permettent une acquisition de connaissances sur les solutions techniques et sur la législation.

C’est notamment le boulot de la [Carsat]. C’est : « Attendez. Ça se fait comme ça dans d’autres entreprises. Donc ça doit pouvoir se transposer chez vous » […] C’est des risques qu’ils n’avaient pas forcément détectés au tout début. Mais la Carsat est arrivée […]. Et ça les a, entre guillemets, professionnalisés au [comité hygiène et sécurité].

Inspecteur du travail

Enfin, le dernier acteur pouvant aider à la formation des salariés et de leurs représentants est le service de médecine du travail (MT). Cependant, l’implication des services de médecine du travail autour de la formation et de la sensibilisation des salariés à ces questions est empreinte d’ambivalence. Malgré un cadre légal inscrivant la pratique de la médecine du travail dans une perspective préventive, le travail de prévention est très souvent délaissé par les médecins du travail, accaparés par le suivi médical des salariés. Bien qu’il faille dissocier dans notre réflexion les services internes et les services interentreprises, qui ne connaissent pas, de fait, les mêmes difficultés d’accès aux salariés, il apparaît néanmoins que peu de médecins du travail consacrent un temps de travail important à la formation et à la sensibilisation des salariés autour des questions de santé. D’ailleurs, dans les rares situations dont nous avons eu connaissance où un personnel de santé a participé à des actions de formation à l’intérieur de l’entreprise, ce sont des infirmières (de l’entreprise ou de services interentreprises) qui ont été sollicitées. La communication entre représentants du personnel et médecins du travail peut également se heurter à une certaine méfiance réciproque. Les professionnels des services de médecine interne, notamment, peuvent se voir « suspectés » par les représentants du personnel syndiqués d’une proximité trop importante avec la direction, ce qui va fausser la possibilité d’échanger et de se transmettre dans la transparence certaines informations sur la présence de produits CMR et leur dangerosité.

La médecine du travail, c’est le reproche que je lui ferais, elle ne fait pas de prévention, principalement je pense parce qu’elle n’est pas indépendante. Ça, je le dis comme je le pense et je leur ai déjà dit de toute façon. […] On est quand même face à un service médical qui est en interne, avec un nombre de médecins donné, avec une structure à Paris, et, qu’on le veuille ou non, eh bien il y a forcément des possibilités de progression… Donc déjà c’est un premier point qui fausse, ou qui peut fausser, les choses. Alors je ne remets pas leur intégrité en cause, mais des fois on peut se poser des questions et quand on croise avec certaines anecdotes ou situations où on sait qu’ils ont des infos et qu’ils les donnent pas forcément à la Carsat ou…

Secrétaire CHSCT

De leur position dans la configuration d’acteurs, les services de médecine à l’intérieur de l’entreprise entretiennent des rapports et une communication plus étroite avec les services HSE. Ces services se positionnent en effet bien souvent comme les dépositaires des actions de prévention autour des risques CMR. En cela, la question de leur complémentarité, ou de leur concurrence, avec les CHSCT et les représentants du personnel qui y siègent mérite d’être posée.

Représentants du personnel syndiqués et services HSE : complémentarité ou conflictualité ?

La formation des représentants du personnel sur les questions de santé au travail doit leur offrir la possibilité de participer plus intensément aux démarches de prévention. Cette participation s’inscrit dans le cadre d’une instance récente et fragile, le CHSCT, dont le fonctionnement et le registre d’action sont hétérogènes et souvent instables (Jamet et Mias, 2013). La place occupée par le CHSCT et, en son sein, par les représentants du personnel dans l’élaboration de ces démarches dépend pour une large part de la teneur des interactions nouées entre cette instance et le service HSE de l’entreprise. La délimitation du périmètre d’action de ces deux entités devient alors un enjeu primordial. Il apparaît ainsi que les services HSE, qui revendiquent des savoirs, des dispositions et des pratiques plus « légitimes », occupent une place prépondérante dans l’élaboration des démarches de prévention. Dans le cadre de notre recherche, neuf entreprises ayant fait l’objet d’une monographie possèdent un tel service.

Consécutif à la nouvelle législation française adoptée dans les années 2000 en matière de prévention des risques industriels, un processus de professionnalisation s’est amorcé par la mise en oeuvre de nouvelles formations universitaires (DESS ou Master 2 « Hygiène, sécurité environnement », BTS « Qualité-sécurité-environnement », etc.). En plus d’apporter des connaissances « pratiques », ces formations peuvent favoriser la création de réseaux professionnels d’échanges entre les anciens étudiants, se transformant en communautés de pratiques lorsque ces derniers deviennent professionnels. Selon la taille de l’entreprise et son type d’activité, la taille du service HSE peut être plus ou moins grande et celui-ci peut avoir un périmètre d’action plus ou moins étendu (comprenant dans certains cas hygiène, sécurité, qualité et environnement ; dans d’autres cas, les services sont plus restreints ou spécialisés). Les connaissances de leurs membres proviennent le plus souvent de leurs formations initiales. Plus rarement, ils complètent ces connaissances en participant à des formations complémentaires spécifiques, formations complémentaires pourtant considérées comme essentielles par certains responsables HSE pour permettre de tisser des liens entre eux et ainsi créer des communautés de pratiques :

La formation c’est essentiel. Ce n’est pas sérieux de faire l’impasse sur ces formations. Même moi, en tant que président du CHSCT, souvent je fais des formations parce qu’il y a le côté réglementaire, c’est le côté bonnes pratiques du CHSCT, pour bénéficier de l’expérience des autres. Souvent l’Union des industries chimiques (UIC) organise aussi des formations. […] Tous les présidents de CHS sont heureux d’aller dans ces réunions pour entendre ce que font les autres.

Responsable QSE

Ces formations sont orientées pour leur proposer des connaissances sur deux éléments : les savoirs techniques et les « bonnes pratiques » expérimentées ailleurs. Le deuxième point explique que les services HSE s’inspirent beaucoup de la démarche « qualité[8] ». Il apparaît clairement que leur travail vise principalement à produire un ensemble de règles et de procédures permettant une certaine maîtrise, en prévention ou lors de leur manifestation, des risques que peuvent rencontrer les salariés. Ces formations, en tant que dispositifs de professionnalisation, leur procurent une légitimité certaine et les membres des services HSE apparaissent de fait comme les personnes ayant acquis une expertise sur les risques CMR. Ils incarnent au sein de l’entreprise la figure du professionnel expert. Partant, ce sont souvent eux qui amorcent les démarches de prévention.

Cette position centrale est-elle remise en cause par la montée en compétences des représentants syndicaux ? Les monographies réalisées montrent différentes formes de relations entre services HSE et représentants syndicaux membres du CHSCT. Ces formes sont pour une large part déterminées par la représentation qu’ont les acteurs de la délimitation de leur domaine d’intervention et par leur appréciation de la légitimité de leurs formations et des connaissances qu’ils en ont tirées (Jamet et Mias, 2013). Pour beaucoup, les questions de santé n’apparaissent pas comme un domaine d’intervention privilégié par les représentants syndicaux :

On a une formation proposée pour être acteur et actif au CHSCT et pour être sensibilisé sur les questions de santé, mais voilà, c’est une formation contraignante et tous les membres du CHSCT [aujourd’hui] n’ont pas fait la formation, tout simplement parce qu’ils ne souhaitent pas la faire…

Membre du CHSCT

Lorsqu’ils estiment qu’il est de leur responsabilité de se saisir de ces questions, mais que leurs compétences en matière de question de sécurité et de santé sont limitées et qu’elles leur interdisent de se positionner en tant qu’experts, ils laissent au service HSE (ou aux acteurs institutionnels) le soin d’enclencher les démarches et de porter les dynamiques de prévention. Le risque, déjà présenté dans le cadre d’autres recherches (Rogez et Lemonnier, 2011 ; Dugué et coll., 2012) et également souvent observé sur notre terrain, est en effet que des représentants syndicaux, peu formés ou se considérant comme tels, perçoivent le CHSCT comme une simple instance de publicisation des actions du service HSE :

Moi, ma logique, elle est claire : je ne suis pas du tout dans une logique d’affrontement au niveau du CHSCT. Je suis dans une logique de mise au service. Je me mets au service de mon chef d’entreprise, comme des responsables d’affaires ou des chefs de chantier. Je ne suis pas pour protéger les salariés et taper sur les méchants qui font mal leur travail.

Secrétaire CHSCT

Dans ces cas, une euphémisation des compétences et des connaissances acquises dans le cadre des formations se donne à voir. Se considérant comme peu légitimes sur les questions sanitaires, notamment pour des raisons historiques, les représentants syndicaux peuvent paraître hésitants à s’investir pleinement dans l’instance comme dans la réalisation de ces démarches, car pour eux ils restent avant tout des syndicalistes. Ce membre de CHSCT, représentant syndical, nous l’affirme en déclarant qu’il « est plus un syndicaliste qu’un hygiène-sécurité » :

Au niveau syndical, il faut être honnête, ce n’est pas, si on faisait un historique de toutes les questions, les questions sur la santé n’arrivent jamais en premier. Pour nous c’est les questions de sécurité, puis les risques industriels. C’est ce qui prend le pas au niveau du CHSCT.

Secrétaire d’un CHSCT

La question de la santé au travail ne semble pas être au coeur de l’action syndicale, car elle est vue comme appartenant au domaine de compétences des services médicaux, donc relevant d’un savoir expert pouvant entrer en contradiction avec les missions traditionnellement prises en charge par les syndicats :

Au CHSCT, on est quand même des syndicalistes avant tout, donc on est plus sur des problématiques d’emploi, de contrat de travail, de reconnaissance des compétences, de prise en compte du personnel, etc. La santé, on a quand même tendance à déléguer cela au service médical…

Secrétaire d’un CHSCT de secteur

Pourtant, le rééquilibrage de la relation entre membres du CHSCT et service HSE semble primordial pour l’élaboration des démarches de prévention. Lorsqu’une dynamique syndicale autour des questions de santé s’installe dans une entreprise, elle peut entraîner une réaction patronale. Les services HSE ou d’autres équipes de travail apparaissent alors comme des concurrents aux représentants syndicaux, voire quelquefois aux CHSCT eux-mêmes.

C’est déjà arrivé qu’on soit un peu, pas challengés, mais un peu grignotés par le service QHSE ou par d’autres entités qui se sont développées et certainement pas par hasard. Par exemple, fut un temps, ils avaient créé le groupe « People ». [Rires] Et ce groupe avait pour vocation de régler beaucoup de problèmes. C’était marrant, ce groupe « naturel » était constitué comme un CHSCT, avec comme présidents les responsables d’unité et comme membres des représentants de chaque unité.

Membre d’un CHSCT

L’implication des membres d’un CHSCT et leur entrée en formation, notamment, peuvent donc entraîner de la part des directions des réponses visant à maintenir une certaine mainmise sur ces questions de santé. Lorsque les représentants syndicaux s’impliquent, ils peuvent être très agréablement surpris de l’importance du rôle qu’ils ont pu tenir et de l’efficience de leurs connaissances.

La montée en compétences des représentants du personnel : une possibilité de réaménagement des places dans la configuration des relations professionnelles

Les représentants syndicaux s’aperçoivent en effet dans ce type de situations qu’ils possèdent des connaissances particulières, qui ne sont pas toutes issues des formations mais qui en sont complémentaires. Agir sur les risques CMR dans un contexte d’entreprise ne peut se faire uniquement grâce à des connaissances techniques ou scientifiques. La prévention de ces risques nécessite une connaissance fine de l’environnement du travail, des savoir-faire à l’oeuvre dans les différentes étapes de la production ou des tâches réalisées sur le site pour oeuvrer de manière pertinente dans une démarche de prévention ; en un mot, il faut une connaissance du « travail réel ». Cette connaissance située et appliquée permet de donner du sens aux procédures, quelquefois abstraites et décontextualisées, que produisent souvent les services HSE. Il y a bien là une complémentarité manifeste des connaissances des différents acteurs. Or, l’acceptation de cette complémentarité se heurte souvent à une perception quant à la légitimité de formation de ces différents registres de connaissance.

Les communautés syndicales de pratiques, notamment, permettent aux élus du personnel d’acquérir des savoirs techniques, mais surtout d’acquérir des connaissances sur les pratiques déjà existantes dans d’autres entreprises. Ils peuvent dès lors utiliser ce savoir pour l’adapter au cas précis de leur entreprise en transposant des pratiques, et des connaissances, d’une entreprise à une autre selon les particularités et les enjeux propres à chaque site industriel. Bien plus qu’un simple transfert par mimétisme de pratiques, de règles et de savoirs d’une entreprise à l’autre, il s’agit d’une adaptation rationnelle de ces pratiques au contexte particulier d’une entreprise.

À côté de ces communautés de pratiques, les acteurs institutionnels jouent un rôle important, car ils interagissent directement en se rapprochant des acteurs, notamment des syndicalistes. Pour se convaincre de la pertinence de ces éventuels rapprochements, voici un exemple de ce que ces échanges peuvent produire. Dans l’entreprise renommée « Tôles », la dynamique de prévention des risques CMR a été directement impulsée par les interactions répétées entre CHSCT et acteurs institutionnels. Grâce à une intervention, relativement technique, de la Carsat, les acteurs institutionnels ont été conduits à « former le CHSCT » aux CMR, ce qui a facilité par la suite l’intervention de l’inspecteur du travail :

C’est des risques qu’ils n’avaient pas forcément détectés au tout début. Mais la Carsat est arrivée, notamment sur la protection de la première partie de la machine au regard des émissions de formaldéhydes. Donc la Carsat a fait un contrat de prévention avec eux pour les systèmes d’aspiration. Et ça les a, entre guillemets, professionnalisés, au CHS. C’est-à-dire qu’ils ont bien compris quels étaient les risques, quelle était la démarche de prévention et ce qu’il fallait faire pour éviter d’y être exposé. Et ça, derrière, ça veut dire que quand un CHS est formé comme ça, on peut s’y appuyer sur n’importe quel type de risque. […] Sur les formaldéhydes, ils étaient déjà un peu briefés. Ils savaient ce qu’on allait faire. Ils savaient qu’il y avait un vrai risque pour les salariés. Donc ils ont été très coopérants pour faire et pour en remettre une couche quand on n’était pas là, vis-à-vis de l’employeur. Et ça, c’est efficace. Parce que ça permet de ne pas différer dans le temps.

Inspecteur du travail

Ici, le transfert de savoirs a véritablement permis aux représentants du personnel d’acquérir des connaissances et des compétences particulières, et leur mobilisation s’est ensuite concrétisée par l’engagement de l’entreprise dans des démarches de prévention poussées sans que la direction en soit l’instigatrice. Nous pouvons ainsi parler d’une reconfiguration du système des relations professionnelles, car chacun des acteurs, grâce à un travail cumulatif, a pu apporter, chacun de son côté, une pierre à l’édifice afin de construire une démarche de prévention cohérente et efficace. La prévention des risques CMR dépend ici de l’articulation du travail des différents acteurs, qui se complètent les uns aux autres, permettant une prise en charge globale de ces risques.

Conclusion

Les actions de formation sont d’une importance capitale pour la mise en oeuvre de démarches de prévention efficaces par rapport aux risques CMR, notamment pour les faire émerger spécifiquement des thématiques de santé au travail. De plus, ces actions peuvent participer d’un réaménagement des relations professionnelles au sein de l’entreprise, lorsqu’elles offrent aux représentants du personnel, par les connaissances qu’elles leur apportent, la possibilité de remettre en cause ou d’interroger le discours patronal sur les questions de santé et sur ses responsabilités.

Seulement, ces potentialités restent encore trop soumises aux appétences personnelles ou aux contextes locaux. Il semblerait également que plus les acteurs professionnels (syndicalistes ou responsables HSE) sont insérés dans des communautés de pratiques, plus leur formation et les échanges qu’ils peuvent nouer les incitent à s’investir sur ces questions. Investissement qui leur permet de trouver, quelquefois malgré des résistances, une place nouvelle dans le processus décisionnel autour des démarches de prévention et qui leur permet ainsi de participer à une recomposition des relations professionnelles au sein de leur entreprise.

Ces réaménagements, produits par les nouvelles ressources acquises par les représentants du personnel, sont dépendants du degré d’implication de l’ensemble des acteurs. Ce n’est que dans le contexte d’une émulation collective que peut s’enclencher une montée en compétences des différents acteurs, qui va ensuite servir à entretenir cette dynamique et à faire évoluer la place et le rôle de chacun dans ce travail collectif. Les risques CMR, par les spécificités et la technicité des connaissances qu’ils sous-entendent, ne peuvent pas être saisis uniquement par des acteurs isolés. La pluralité des connaissances qui doivent être mobilisées nécessite une mise en commun des savoirs et pratiques. Les représentants du personnel, syndicalistes ou non, peuvent par leur formation aux risques CMR entreprendre des démarches, mais ils peuvent rarement les faire aboutir. Toutefois, comme le soulignent Pinçon et Pinçon-Charlot, « la connaissance est souvent mère de la révolte. À moins que la révolte ne soit une incitation forte à se renseigner » (Pinçon et Pinçon-Charlot, 2011, p. 270). L’acquisition de connaissances est donc un préalable à toutes actions des représentants du personnel afin de faire diminuer leur exposition aux risques CMR.