Comptes rendus

Nicole Racine et Michel Trebitsch (dir.), Intellectuelles. Du genre en histoire des intellectuels., Bruxelles, Complexe, coll. « Histoire du temps présent », 2004, 346 p.[Notice]

  • Alexandra Arvisais

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  • Alexandra Arvisais
    Université de Montréal et Université Lille 3

À la croisée de l’histoire des femmes et celle des intellectuels, l’ouvrage collectif Intellectuelles. Du genre en histoire des intellectuels, dirigé par Nicole Racine et Michel Trebitsch, jette un regard de biais sur l’historiographie française en y introduisant la question du genre afin de rendre visible l’apport des femmes au milieu intellectuel français et d’éclairer les rapports entre intellectuels et intellectuelles. Les articles réunis sont issus des travaux effectués de 1998 à 2001 par le Groupe de recherche sur l’histoire des intellectuels (GRHI). Racine et Trebitsch délimitent temporellement et spatialement leur objet d’étude dès l’introduction : penser l’histoire des intellectuelles du xvie au xxe siècle en France. Même si la plupart des auteurs et des auteures viennent des domaines de l’histoire des femmes et du genre, ces deux collaborateurs adoptent une approche historique et non pas liée aux théories féministes ou aux études de genre (gender studies). L’ouvrage se divise en trois axes de recherche : « Du xvie au xxe siècle : les naissances des intellectuelles », « Identités intellectuelles. Figures et représentations » et « Engagements ». La première partie « reme[t] en cause la coupure si communément admise de l’affaire Dreyfus, ou si l’on préfère, de la fin du xixe siècle comme date de naissance des intellectuels » (Racine et Trebitsch 2004 : 21). On y relate, de l’Ancien Régime au xxe siècle, divers moments de l’histoire où des voix des femmes se sont fait entendre dans la sphère publique. Selon Éliane Viennot, Christine de Pizan, dont les écrits datent de la fin du xive et du début du xve siècle, fait figure de prédécesseure des nombreuses intellectuelles qui apparaissent dans le paysage culturel à partir du xvie siècle, à la faveur du retour des femmes au gouvernement et de la reconnaissance des « femmes doctes » par les humanistes. Quelques textes soulignent l’importance des salons littéraires, nouveau phénomène de sociabilité au xviie siècle, parmi les conditions d’émergence des intellectuelles. Danielle Haase-Dubosc observe le rôle essentiel que la « Querelle des femmes », omise par les spécialistes de l’histoire de la littérature au profit de la « Querelle des Anciens et des Modernes », a joué dans l’accession des femmes aux salons en les montrant comme protectrices des valeurs et d’un certain savoir. Dans son étude des modalités de l’accès des femmes à l’écriture, Isabelle Brouard-Arends perçoit, à juste titre, dans les salons un espace d’intégration de la femme de lettres, « entre activité intellectuelle et sociabilité mondaine » (p. 76), dans un paysage culturel en redéfinition durant le siècle des Lumières. Les positions paradoxales de Mme Geoffrin, de Julie de Lespinasse et Mme Necker, dont les salons étaient courus au xviiie siècle, mais qui ne se sont jamais revendiquées d’un savoir intellectuel et n’ont jamais publié, illustrent bien le déchirement des femmes entre leur réputation, nécessaire à la fréquentation de leur salon, et leurs ambitions intellectuelles, selon Antoine Lilti (p. 85-100). Après la Révolution française, le champ littéraire devient plus accessible pour les femmes, ce qui ne signifie pas pour autant qu’elles obtiennent une reconnaissance en tant qu’intellectuelles. Elles sont au contraire souvent reléguées au roman, à la correspondance et au journal intime. Pourtant, Michelle Perrot constate qu’au xixe siècle des échanges s’opèrent entre l’« ange du foyer » (Woolf 1983), pour reprendre l’expression de Virginia Woolf, et l’intellectuelle, comme les figures de la nouvelle femme et de la virago l’illustrent. Le tournant du xxe siècle marque un changement majeur pour les femmes qui voient l’espace culturel et …

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