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Dans cet ouvrage, la politologue Sandrine Dauphin fait l’historique des institutions et des structures vouées à la promotion des droits des femmes qui ont été mises en place par l'État français de 1960 à 2008. Selon l’auteure, l’étude de ce champ a été largement négligée en France, en partie à cause du retard français au regard de la production universitaire sur le genre mais aussi à cause de la méfiance historique du féminisme français à l’endroit des institutions (p. 11). Dauphin entend combler cette absence et son projet est appuyé par un examen de sources variées : documents originaux, documents d'archives, discours de ministres, récits biographiques de personnes qui ont joué un rôle de premier plan sur la scène politico-féministe française. S’ajoute à ces matériaux une série de 32 entretiens conduits auprès de différents acteurs et actrices du combat pour l’égalité. Ce mélange des genres permet à Dauphin de tracer un portrait vivant et nuancé des interventions autour des droits des femmes au sein de l’Hexagone et de mettre en évidence quatre facteurs qui influent sur la prise en considération des préoccupations liées à l’égalité des sexes : 1) le contexte économique; 2) le volontariat politique; 3) la capacité des groupes de femmes à mobiliser la société civile; et 4) l’impact des textes internationaux et européens (p. 117).

Structuré autour d'un fil conducteur historique, l’ouvrage est composé de trois chapitres correspondant aux trois grandes phases d'évolution des référentiels de la cause des femmes au sein de l'État français. Le premier chapitre, « Des institutions spécifiques pour les femmes aux marges de l'État (1965-1980) », est consacré aux années 60 et 70, qui vont poser les bases de nouveaux rapports entre les sexes. Cette période se caractérise par une forte mobilisation des associations féminines et féministes, alors que le mouvement de libération des femmes des années 70 trouve dans la revendication pour l'accès libre à l'avortement un point de ralliement. La France devient le premier pays à se donner une structure politique précisément consacrée à la condition féminine, soit le Secrétariat à la condition féminine (p. 27). Ici, Dauphin puise dans les mémoires de Françoise Giroud, flamboyante première titulaire de ce poste, des anecdotes qui permettent de mieux comprendre que la condition féminine devient un véritable enjeu politique à partir de ce moment-là.

Le deuxième chapitre, intitulé « Grandeur et décadence », correspond aux années Mitterand, riches d'espérance en début de mandat avec un développement considérable du féminisme d'État, mais qui se terminent par un ressac (backlash). Rappelons que l’arrivée au pouvoir des socialistes en 1981 a nourri l’espoir. Le Parti socialiste a mené campagne en se revendiquant de l’héritage de 1968 et François Mitterand a offert des garanties aux féministes en leur promettant un ministère doté de moyens. Le ministère des Droits de la femme voit effectivement le jour, de surcroît porté par une figure importante du féminisme au sein du parti, Yvette Roudy. On doit à cette dernière la loi qui porte son nom et qui interdit toute discrimination en raison du sexe ou de la situation familiale dans l’accès aux emplois ainsi que les discriminations salariales. Cette loi est également une révolution en ce qu'elle ouvre la voie aux mesures d’action positive dans le système juridique français (p. 50). Autant la première partie des années 80 est une période faste pour les droits des femmes, autant la décennie qui suit correspond à une période de backlash généralisé pour les institutions de promotion des droits des femmes et le mouvement féministe. C'est dans cette conjoncture qu'émerge la revendication de la parité politique, laquelle fournit un second souffle au traitement politique de la question de l’égalité des sexes. D'emblée, plus de 100 associations féminines et féministes soutiennent la demande pour la parité, soit le principe que les assemblées élues devraient être composées d'un nombre égal de femmes et d'hommes (p. 71). Mis sur pied en 1995, l’Observatoire de la parité deviendra peu à peu le représentant des droits des femmes en France (p. 112).

Le troisième chapitre, consacré à la période 1997-2009 et intitulé « Des avancées aux espoirs déçus (1997-2009) », montre que la fin des années 90 et le début des années 2000 constituent un temps de renouveau qui légitime l’action de l’État en faveur de l’égalité des sexes : renforcement institutionnel, adoption de nouvelles lois, mise en oeuvre de plans d'action, promotion d'une nouvelle stratégie avec l’approche intégrée de l’égalité (gender mainstreaming). Néanmoins, l’auteure fait le constat que ces années se terminent par une forte fragilisation (p. 13). Le retour d'un contexte économique difficile et la révision générale des politiques publiques commencées et poursuivies avec le début du quinquennat de Nicolas Sarkozy ont ouvert la voie à une possible disparition du féminisme d'État. On pourrait également parler d’ « effet backlash » de la parité politique en cette fin de décennie. Enfin, la culture de résultat qui a fait son entrée dans la fonction publique constitue une véritable révolution dans le champ des politiques publiques en France (p. 77).

Au début des années 2000, les femmes issues de l’immigration émergent comme groupe, faisant surgir de nouveaux questionnements. Auparavant, les structures responsables du respect des droits des femmes – tout comme le mouvement féministe lui-même d'ailleurs – ne s'étaient pas véritablement intéressées au sujet (p. 106). Par la suite, le thème de la diversité occupera une large part de la scène politique, prenant une partie de l’espace occupé jusque-là par la lutte pour l’égalité des sexes et Dauphin relève que, si les actions en faveur de l’égalité ne sont plus aussi importantes à la fin des années 2000 qu'au début de la décennie, ce qui frappe plus particulièrement est le sentiment de dilution de l’objectif même de l’égalité des sexes dans des politiques publiques plus générales (p. 108). Finalement, c'est dans un contexte de crise des structures responsables du respect des droits des femmes et de l’égalité entre les sexes que se termine cette décennie (p. 113).

L’ouvrage de Sandrine Dauphin propose une lecture du combat pour l’égalité en France fondée sur l’analyse des transformations qui s’opèrent au sein des structures gouvernementales de 1970 à 2009, tout en donnant la parole à certaines personnalités politiques qui ont été responsables de ces institutions. Le travail de consignation est fait avec soin, mais on aurait souhaité avoir également l’éclairage des féministes sur le terrain pour mieux comprendre certains aspects du combat pour l'égalité des sexes des 40 dernières années en France. De même, les questions liées à la diversification du sujet femme à travers la voix des femmes issues de l’immigration sont esquissées trop rapidement. Enfin, dommage que l’histoire que ce livre nous raconte s'arrête en 2009. On souhaiterait lire ce que pense l’auteure des nouvelles dynamiques qui émergent depuis quelques années dans la société française autour du combat pour l’égalité.