Comptes rendus

Anne Querrien et Monique Selim, La libération des femmes, une plus-value mondiale, Paris, L’Harmattan, coll. « Anthropologie critique », 2015, 280 p.[Notice]

  • Nicole Beaurain

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  • Nicole Beaurain
    URMIS/CNRS Université Paris 7

L’ouvrage d’Anne Querrien et Monique Selim, qui se veut à la fois un constat et un réquisitoire, est parti de l’observation d’un parallèle entre la dégradation quasi générale de la condition économique, sociale et politique des femmes dans le contexte de la globalisation et l’accent mis sur le genre. C’est aussi un état des lieux : dans le cadre de la mondialisation, qu’en est-il de la situation des femmes, de leurs revendications égalitaires dans des sociétés et des cultures aussi diverses qu’éloignées dans l’espace, mais où la domination masculine reste omniprésente? Dix chapitres de longueur inégale composent cet ouvrage qui débute, par deux récits de vie où chacune des auteures revient sur son parcours scolaire, familial, intellectuel et militant, ses origines sociales, ses aspirations et sa carrière, sur ce qui les a réunies, ce qu’elles ont en commun et ce qui les différencie : qui sont-elles? Un exercice conçu dans le but de permettre au lecteur et à la lectrice de les situer. Les chapitres suivants, « Prélude à l’exploration » et « La double face des femmes », sont consacrés à une critique épistémologique et politique des usages et de l’extension du concept de genre : nos auteures reprochent aux recherches « de genre », désormais institutionnalisées, une position autocentrée, voire ethnocentrique et conformiste, alignée sur les normes politiques du moment. Selon elles, si, à l’origine, la notion de genre, opposée à celle de sexe, visait à mettre fin au déterminisme biologique, à éviter l’enfermement des femmes ou des hommes dans une définition sexuelle biologique et à contourner un déterminisme biologique au nom de la liberté, il n’en va plus de même aujourd’hui. Le genre, affirment-elles, est devenu un concept dominant, tout aussi impérieux qu’impératif, une norme nouvelle qui constitue un blocage sur la route de l’émancipation des femmes. La catégorie de genre fonctionnerait désormais comme une identité sexuelle donnée à la naissance, assignant les femmes à la reproduction, aux soins et au sein de la famille, et qui, sous une apparence modernisatrice, les confirme dans leur rôle traditionnel. Au lieu de les conduire vers la libération, la notion de genre, dérivée, déviée, dévoyée, pervertie, serait devenue un piège destiné à enfermer les femmes dans de nouvelles formes d’asservissement. Voilà ce que les auteures tentent de démontrer, d’argumenter à partir de leurs expériences de terrains, hexagonaux ou exotiques, et de femmes, militantes, féministes, engagées dans la recherche, urbaine pour l’une (Anne Querrien), anthropologique pour l’autre (Monique Selim) : on appréciera dans les textes qui vont suivre l’intimité avec des femmes de diverses nationalités, chacune se battant pour échapper à un destin imposé. Le chapitre qui suit, « Mobilités féminines », ramène Monique Selim en 1974 auprès de femmes du Pays basque français émigrées à Paris – sa première enquête d’anthropologue – qui remarque à quel point les mécanismes d’émigration féminine rurale à l’oeuvre dans la France rurale des années 70 sont analogues à ceux des pays fournisseurs de migrantes de nos jours et peuvent favoriser une certaine émancipation. Dans ce même chapitre, Monique Selim rend compte d’une enquête auprès des salariées d’une usine textile d’État au Vietnam, où elle a pu observer chez les femmes cadres l’évolution des qualités requises pour incarner l’excellence féminine : alors qu’au cours de la guerre d’indépendance les femmes devaient se montrer héroïques, « bonnes sur le front, au travail et à la maison », faire fi de leur apparence – « un luxe individualiste » –, à la fin des années 90, de nouveaux modèles, ajustés au marché, et de nouveaux devoirs s’imposent aux épouses : elles doivent désormais, tout en conservant leur …