Comptes rendus

Dominique Memmi, La revanche de la chair : essai sur les nouveaux supports de l’identité, Paris, Seuil, 2014, 286 p.[Notice]

  • Andrée Rivard

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  • Andrée Rivard
    Université du Québec à Trois-Rivières

La démonstration de Memmi s’étale sur quinze chapitres, regroupés en trois parties. Dans la première, intitulée « La réincarnation des vivants et des morts », elle expose ses constats relativement aux nouveautés apparues durant les années 80 et 90. D’abord, il y a l’accueil réservé aux foetus et aux nourrissons décédés où elle observe une inversion des normes (chapitre 1). La mère, autrefois strictement séparée de son enfant, rapidement mise sous sédation et incitée à oublier, est maintenant amenée à affronter cette mort sous un mode actif par l’entremise du verbe, du regard, du toucher et des représentations (la photographie est devenue capitale, pour garder la mémoire d’un être déjà socialisé). Une telle évolution, observe la sociologue, « cristallise une nouvelle manière de concevoir le deuil. Celle-ci est non seulement volontariste, presque appliquée – il s’agirait désormais de “ faire son deuil ”, comme un “ travail ” qui ne saurait se faire tout seul – mais aussi matérialiste : le deuil se ferait avec “ du corps ”, présent ou représenté » (p. 21). Poursuivant son questionnement sur cette ardente obligation d’incarnation, Memmi emprunte ensuite d’autres chemins pour mieux y voir. Elle examine d’abord la mort des adultes (chapitre 2) où elle observe un retournement de la théorie du deuil. La préoccupation accrue à l’égard de la traçabilité des corps (contrôle de la volatilité des cendres, exigence de retrouver les corps de victimes lors de morts collectives) illustre l’obsession actuelle de confrontation avec les restes de la personne défunte pour que sa perte soit tolérable. Visiblement, ici encore, « [l]e langage du signe et du symbole a perdu la bataille » (p. 43). Cette vérité nouvelle se vérifie chez les créateurs et les créatrices ainsi que chez les intermédiaires culturels qui ont fait émerger le thème du « deuil impossible » en l’absence de cadavre (chapitre 3). La logique se prolonge dans le domaine des greffes (chapitre 4) avec la conviction qui se répand, y compris chez les scientifiques, qu’« [e]ntre donneurs et receveurs d’organes ne circuleraient pas seulement des morceaux de corps mais de l’identité » (p. 65). Cette vision est porteuse de lourdes conséquences : « ne pas reconnaître la personne qui est dans ce corps – ici, ce morceau de corps – c’est s’exposer à de graves troubles psychologiques et identitaires », note l’auteure (ibid.). (Du point de vue anthropologique, cette affaire est loin d’être banale : elle illustre une mutation de perspective par rapport à la vision dualiste corps-esprit née avec la modernité.) La conception de la mort a son pendant avec celle du début de la vie, au moment de la naissance (chapitre 5). La simultanéité est frappante quand on observe la valorisation de la dimension charnelle dans la relation de l’enfant qui vient de naître avec sa mère et son père. La séparation d’avec le corps de la mère et l’entrée dans la vie s’accompagnent depuis quelques décennies de nouveaux rituels où le corps occupe une place centrale. Accouchement naturel, contact peau à peau, allaitement, pratiques (plus ou moins nouvelles) entourant le placenta, couvade, etc., « toutes les interfaces corporelles en viennent à être sollicitées », souligne Memmi (p. 83). Dans le vaste tableau qu’elle dresse, même les liens de filiation apparaissent comme objet d’un désir de réincarnation (chapitre 6). C’est ce que montrent les changements d’attitudes à l’égard de l’adoption, du don de gamètes et de l’accouchement sous X. Or, ces domaines sont devenus des terrains de revendication concernant l’accès aux origines (biologiques) en vertu du nouveau paradigme voulant que ce lien soit insécable à la construction identitaire. (Voilà clairement …

Parties annexes