Comptes rendus

Daniel Dagenais, La fin de la famille moderne. Signification des transformations contemporaines de la famille, Québec, Les Presses de l’Université Laval, 2000, 267 p.[Notice]

  • Marie-Blanche Tahon

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  • Marie-Blanche Tahon
    Département de sociologie,
    Université d’Ottawa.

Le jury du prix Jean-Charles Falardeau a été bien inspiré de consacrer La fin de la famille moderne comme le « meilleur livre en sciences humaines » paru en 2000. Il s’agit d’un livre rigoureux dans la construction de son objet et dans son exposition. Il réussit à démontrer que « le type de famille est organiquement lié à un type de société ». Ce qui renoue heureusement avec les ambitions des fondateurs de la sociologie, tandis que leurs héritiers – à l’exception de Parsons auquel je suis tentée de joindre Bourdieu – ont oublié, laissant l’objet sociologique « famille » en déshérence. Ainsi, pour s’en tenir au registre francophone, dans le Traitéde sociologie de Gurvitch en 1967, aucun chapitre n’y était consacré. Malgré les travaux d’Andrée Michel, les sociologues féministes qu’elle avait formées ou inspirées s’y sont peu attachées en tant que telles par la suite, préoccupées qu’étaient la plupart d’entre elles de cerner l’articulation entre « production » et « reproduction ». Ce qui a produit des hypothèses novatrices auxquelles toutefois le « retour de la sociologie de la famille » (incarné, par exemple, par Jacques Commaille, Jean-Claude Kaufmann, François de Singly et leurs disciples) reste largement imperméable, Irène Théry occupant une position plus mitoyenne. La force de ce livre tient à son érudition qui intègre les apports de la sociologie à ceux de l’histoire, de l’anthropologie et de la psychanalyse. Cette intégration théorique est mise au service d’un questionnement empirique sur les transformations contemporaines de la famille replacées dans le long terme de la modernité. Dagenais ne traite pas de la fin de la famille (comme on dit si facilement à la télévision), mais de la fin de la famille moderne, de cette famille qui avait pour ambition de faire de l’enfant un individu autonome. Ambition qui a pris corps sur plusieurs siècles. C’est à la reconstruction théorique de l’idéal-type de la famille moderne, sous l’angle du rapport à l’enfant et de la relation conjugale, qu’est consacrée la majeure partie de ce livre. Reconstruction nécessaire pour saisir l’ampleur des transformations à l’oeuvre depuis une trentaine d’années. Il est sûr que, depuis sa fondation moderne, la famille avait connu de nombreuses transformations, parfois profondes (taille ; rôle du père ; intervention de l’État, notamment), mais celles-ci ne remettaient toutefois pas en question la place centrale de l’enfant dans la vie conjugale et familiale, non plus qu’une famille reposait sur l’alliance d’un père et d’une mère. Si Dagenais admet (p. 200) que « cette remise en question fondamentale ouvre la porte à des possibles intéressants, comme elle ferme la porte à des iniquités d’un autre âge », il insiste pourtant sur le fait que « la crise de la famille », alliée à celle de l’éducation, « signale que nous ne croyons plus tout à fait dans ce monde à transmettre ». Les rôles déconstruits débouchent sur de l’imprévisibilité, sur du désarroi, que manifeste, par exemple, la violence parentale étrangère à l’exercice d’une autorité. Mais le défaut d’autorité, s’il n’emprunte (heureusement) pas régulièrement cette forme extrême, est pourtant devenu massivement banal ; la socialisation, dorénavant soumise à l’amour, place les enfants sur le même pied que les adultes qui se débarrassent ainsi de leur responsabilité – ce que souligne aussi Louis Roussel, dans son dernier livre, L’enfance oubliée, (Paris, Odile Jacob, 2001) ; Roussel qui s’était élevé, dès La famille incertaine, (Paris, Odile Jacob), 1989, contre l’interprétation partiale de l’apparition de « l’enfant-roi ». Pour aborder ce nouveau rapport à l’enfant, Dagenais développe son analyse au regard de deux aspects : la sous-fécondité et la redéfinition …