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L’étude des déplacements en milieu urbain connaît actuellement un regain d’intérêt, notamment parce que la mobilité quotidienne semble avoir profondément évoluée. Cette évolution s’observe aussi au niveau des concepts ; alors que les déplacements étaient majoritairement considérés sous l’angle des transports et que les analyses reposaient sur l’étude des flux et des infrastructures, la notion de mobilité prend une place de plus en plus importante. Que signifie ce glissement sémantique ? Tout d’abord que nous étudions de moins en moins un déplacement isolément, même si désormais son motif et son mode viennent systématiquement donner une épaisseur à une analyse initialement très technique. Ainsi, la mobilité peut être définie comme étant la structure de l’ensemble des déplacements d’un individu, incluant leurs modes et leurs motifs. En conséquence, cette approche tend vers l’articulation d’une double posture : l’étude de la mobilité suppose de s’orienter, à la fois vers un niveau d’analyse individuel, c’est-à-dire vers des données désagrégées, et de l’autre vers un niveau d’analyse idéologique, au sens de Doise (1982), c’est-à-dire vers les normes et les représentations sociales qui contribuent à la structuration des déplacements. De la sorte, les premières conclusions relatives à l’étude de la mobilité, notamment de la mobilité quotidienne, ont mis l’accent sur son caractère culturel (Haumont et al., 1977 ; Remy et Voyé, 1992).

Dans le paysage urbain français, on constate d’une part un allongement des déplacements vers des zones de moins en moins denses (Madreet al., 1995), d’autre part une augmentation des déplacements de proximité effectués de plus en plus en voiture au détriment de la marche et du vélo (Dupuy, 1995). Mais le fait le plus marquant est l’émergence de déplacements toujours plus nombreux au sein même de la périphérie, et cela au détriment des déplacements à partir du centre-ville vers la périphérie. Ce phénomène n’est pas propre au contexte français. Une tendance similaire s’observe à Québec (Ramadier, 2000). Cette nouvelle forme de mobilité géographique altère la notion de centralité et l’importance de la notion de proximité géographique (Massot et Orfeuil, 1995).

Un des plus importants bouleversements est certainement, pour certains citadins, l’éclatement de la représentation spatiale classique centre / périphérie, probablement issue de l’opposition entre ville compacte et ville déconcentrée dans le contexte nord-américain, et l’apparition d’une représentation cognitive multicentrale de la ville (Bonneset al., 1990). Ce phénomène cognitif fait écho à une morphologie urbaine, elle aussi éclatée, qui s’observe dans nombre de métropoles du monde, tout particulièrement en Amérique du Nord. L’émergence du processus de suburbanisation qui s’est engagé dès les années 1930 pour s’accélérer dans les années 1950-1960 (Ghorra-Gobin, 1999), ainsi que celle des edge-cities dans les année 1980 (Garreau, 1991), ont fortement contribué à ces mutations urbaines.

D’un point de vue sociologique cette fois, et pour revenir aux comportements de déplacement, ce sont essentiellement les hommes de niveau socioculturel élevé qui fréquentent aussi bien le centre et la banlieue que leur quartier résidentiel. À l’opposé, les jeunes adultes de niveau socioculturel intermédiaire focalisent leurs activités sur le centre-ville. Les plus âgés mais aussi ceux dont le degré d’instruction est le plus faible n’investissent guère que leur quartier (Bonneset al., 1990). Ces travaux montrent clairement que la ville est un système de lieux mais aussi que la mobilité urbaine est répartie selon un continuum allant d’une hypermobilité au « confinement » sur le logement (Daris, 2002). Toutefois, les modes de vie sont associés à des identités spatiales (Proshansky, 1978) qui affectent en retour les comportements spatiaux. Par exemple, Fuhrer et al. (1993) constatent que l’attachement au quartier de résidence limite la mobilité des citadins dans leurs temps libres. D’autres chercheurs font le constat inverse et montrent que la mobilité a bouleversé le rapport à l’espace et par conséquent les identités sociales et spatiales des citadins (Levy, 1996). Dans tous les cas, la mobilité est envisagée comme un phénomène social (Remy, 1996) en étroite relation avec l’identité spatiale du citadin, dans la mesure où elle est associée à un système de valeurs. Cela, malgré le fait que se développent en parallèle des logiques individuelles et rationnelles, éloignées des discours identitaires (Bourdin, 1996) qui contribuent aussi à la diversification des comportements spatiaux. Ainsi, culture et mobilité urbaine sont des concepts interdépendants et il serait illusoire de penser que seuls les outils techniques et les caractéristiques de l’environnement bâti nous incitent à la mobilité.

Les études récentes sur la mobilité mettant en évidence l’importance des systèmes de valeurs ne permettent plus d’opposer la mobilité à la sédentarité ou au confinement. La mobilité revêt plutôt différents visages selon le mode de vie et le rapport que l’individu entretient avec l’espace urbain. Ainsi, peut-on vraiment conclure, comme le proposent Fuhrer et al. (1993) ou Bonneset al. (1983), que certains groupes sociaux sont plus mobiles que d’autres ? En concevant la mobilité des citadins selon un continuum allant du plus au moins mobile, on tend à écarter l’idée qu’elle traduit un rapport particulier à l’espace ; on privilégie le postulat selon lequel c’est la mobilité qui façonne l’identité spatiale des individus et leur regard sur le monde.

En accordant plus d’importance aux systèmes de valeurs des groupes sociaux pour décrire et expliquer la mobilité, l’étude de l’attitude des individus face à la mobilité quotidienne, ainsi que celle des représentations sociales de la mobilité ou des espaces urbains devient pertinente et l’hypothèse de leur incidence sur la mobilité effective des citadins, plausible. Ainsi, l’étude de Ramadier et Moser (1998) sur la ville de Paris montre l’incidence du rapport que le citadin entretient avec l’espace urbain sur la représentation spatiale de la ville et les pratiques qui y sont déployées.

Certes, le contexte nord-américain est à certains égards différent, notamment parce que la mobilité tant quotidienne que résidentielle est un aspect important de la vie urbaine, et cela depuis plus longtemps qu’en Europe. En effet, la ville américaine n’a jamais été investie de « qualités civilisatrices » comme en Europe lors de la sortie du Moyen Âge (Ghorra-Gobin, 1999). En conséquence, pour le Nord-Américain, la ville compacte serait investie d’une fonction essentiellement économique alors que la banlieue, considérée plus proche de la nature, serait pensée comme un cadre idéal pour la vie familiale (Ghorra-Gobin, 1998). Les modes de déplacement, et notamment leur démocratisation, avec le tramway dans les années 1930 et l’automobile dans les années 1950, ont fortement contribué à la pérennité de cette opposition entre ville et banlieue.

La ville de Québec n’a pas échappé à ce processus de suburbanisation, qui s’est appuyé sur le partage de valeurs similaires chez les urbains et les banlieusards (Poulin, 1974). Ce processus a débuté avec l’annexion de la ville de Limoilou à la ville de Québec en 1909, dans le contexte de la construction d’un nouveau type de bâtiments résidentiels, les « triplex », et de l’arrivée du tramway ; après la Deuxième Guerre mondiale, il s’est étendu aux anciennes villes de Sainte-Foy, de Charlesbourg, de Petite-Rivière-Saint-François et de Beauport, avec le développement du réseau autoroutier, et l’accès facilité, voire encouragé, à l’automobile et à la propriété unifamiliale. La suburbanisation se poursuit depuis, la ville de Québec comptant dorénavant plusieurs couronnes de banlieues.

Cet étalement urbain, concomitant à une mobilité quotidienne à la fois importante et valorisée, est toutefois difficilement compatible avec d’actuelles contraintes économiques et écologiques. Ces dernières incitent à repenser la ville autrement que sur la base d’une trame d’autoroutes et de larges rues permettant la fluidité du trafic automobile. Outre la rareté des ressources, d’importants bouleversements physiques et sociaux sont apparus depuis la construction massive des premières couronnes de banlieues, dans les années 1950-1960. D’une part, la population de ces secteurs est plus âgée (Morin, 2002) et le nombre de femmes sur le marché du travail est plus élevé. D’autre part, les entreprises, les bureaux et les commerces se sont progressivement installés dans ces secteurs de banlieues initialement résidentiels. En contrepartie, le processus de suburbanisation de l’économie nord-américaine tend à délaisser certains territoires anciennement urbanisés (Jackson, 1985).

En résumé, les significations attribuées ou inscrites dans l’espace urbain ont de fortes implications tant sur l’espace physique que sur les comportements spatiaux. C’est précisément cette relation entre les significations attribuées à l’espace et les comportements spatiaux que nous voulons ici éclairer. Ainsi, l’objectif général de notre étude consiste à saisir ce qui motive aujourd’hui les citadins à s’installer en banlieue ou à y demeurer, en relevant les significations et les usages actuels de ces espaces urbains. L’analyse est centrée sur les pratiques urbaines et la mobilité des citadins en fonction de leur représentation spatiale de l’agglomération et de leur identité sociospatiale. Elle compare les pratiques et les comportements de la première génération de résidents d’une banlieue édifiée dans les années 1950 et 1960, que nous nommerons les « pionniers », à celles de résidents établis plus récemment. Les pionniers de ces quartiers de banlieue sont-ils toujours mobiles ? La représentation traditionnelle centre-ville / banlieue subsiste-t-elle toujours chez eux ? Dans le cas des résidents plus récents, est-ce toujours le prix abordable de la propriété, le désir de bénéficier d’air et de verdure, et d’élever les enfants dans un milieu idéal qui leur font choisir une banlieue de première couronne?

Notre hypothèse repose sur le fait qu’il n’y a plus de modèle dominant dans le rapport des banlieusards à l’espace résidentiel. « Le processus de modernisation et d’unification des champs sociaux n’annule pas les différences, il les multiplie. L’espace local – résultat de la différenciation croissante de l’espace par extension et la diversification des réseaux d’échanges – n’est pas non plus annulé, mais l’espace se différencie lui-même de par la diversité des modes d’appropriation dont il peut être l’objet » (Mormont, 1996, p. 65). En conséquence, nous chercherons à vérifier que la mobilité quotidienne dépend moins de caractéristiques géographiques comme la localisation du quartier que de l’identité spatiale du résident, c’est-à-dire des significations que ce dernier attribue à son lieu de résidence. Autrement dit, notre hypothèse est que l’identité spatiale du citadin et la représentation spatiale de la ville qui l’accompagne, soit les représentations sociospatiales ou les espaces vécus, conditionnent la mobilité quotidienne, soit les territoires de la mobilité ou les espaces de vie. L’opposition entre espace vécu et espace de vie s’étaye ainsi sur la proposition de Chevalier (1974). Ce dernier définit l’espace vécu comme étant un espace chargé de valeur alors que l’espace de vie constitue une « étendue neutre » dans laquelle l’individu se projette en se déplaçant. Cela correspond aussi à la distinction opérée par Cauvin (1999) entre l’espace cognitif et l’espace fonctionnel.

Méthode

Notre étude porte sur Duberger, un quartier périphérique du centre-ville de Québec, qui occupe une position relativement centrale sur la rive nord de l’agglomération (figure 1a) ; elle porte plus spécifiquement sur la partie nord du quartier édifiée entre 1958 et 1970. Il s’agit d’un secteur homogène, composé de maisons unifamiliales de plain-pied (bungalows) implantées le long de larges rues sur des parcelles de terrain de 20 m x 30 m. La densité nette est d’environ 16 logements par hectare (figure 1b). Aujourd’hui ceinturé par les autoroutes du Vallon et de la Capitale, ce quartier était à l’origine bordé de champs et périphérique à la ville de Québec. Il est aujourd’hui considéré comme un des quartiers de l’agglomération de Québec offrant les meilleurs critères d’accessibilité pour les déplacements motorisés.

Figure 1A

Localisation du quartier Duberger dans la ville de Québec

Localisation du quartier Duberger dans la ville de Québec

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Figure 1B

Exemple d’une rue de Duberger

Exemple d’une rue de Duberger

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Entre mai et juin 1999, nous avons mené des entretiens semi-directifs au domicile de 63 propriétaires de résidences unifamiliales. La durée moyenne des entretiens était d’une heure. Selon le premier contact établi dans le ménage, le répondant était soit l’homme soit la femme, afin de diversifier la distribution des sexes dans l’échantillon. En aucun cas, les deux membres d’un couple n’ont participé à la recherche. L’entretien était structuré en trois temps. Premièrement, il s’agissait de définir l’identité spatiale du répondant. Un premier groupe de questions ouvertes relevait les modes de déplacement des répondants selon le type d’activité, le passé résidentiel, ainsi qu’un ensemble d’opinions sur le quartier ou l’agglomération (souvenirs, caractéristiques et ressources associées au quartier). Suivaient une mise en situation sur l’amélioration possible du cadre de vie et une question sur l’attachement au lieu dans le but de cerner l’identité spatiale. Les dernières questions de cette section visaient à faire ressortir les caractéristiques de la vie associative et culturelle de la personne interrogée, ainsi que les particularités sociodémographiques du ménage auquel elle appartenait. Dans la seconde partie de l’entretien, dans le but de classer les individus selon leur prédisposition aux déplacements quotidiens, nous invitions le résident à remplir une échelle d’attitude de type Likert. Cette échelle était constituée de sept items portant sur les déplacements quotidiens, permettant de comparer les prédispositions à la mobilité (favorable / défavorable) des individus. Enfin, la troisième partie de l’entretien visait à saisir les représentations spatiales du quartier, ainsi que les éléments urbains constitutifs de ces représentations. À cette fin, les répondants étaient invités à élaborer une représentation graphique de leur agglomération, puis de leur quartier. Ils étaient par la suite invités à localiser sur leurs dessins une liste d’activités préalablement définie.

L’échantillon est structuré selon deux variables : la durée de résidence au domicile actuel (inférieure à 15 ans ou supérieure à 20 ans) et le sexe des personnes interrogées. Notre échantillon comporte une proportion comparable de résidents récents et plus anciens, mais plus de femmes que d’hommes principalement dans la catégorie des résidents établis depuis moins de 20 ans (tableau 1). L’ensemble des répondants possède une auto et s’en sert pour effectuer la grande majorité de leurs déplacements, à tel point que les autres modes de déplacement demeurent marginaux. Le tableau 2 résume les caractéristiques de l’échantillon.

Tableau 1

Distribution de l’échantillon selon le sexe et la durée de résidence

Distribution de l’échantillon selon le sexe et la durée de résidence

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Tableau 2

Caractéristiques des deux groupes de résidents

Caractéristiques des deux groupes de résidents

1 e.t. = écart-type de la moyenne calculée.

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Le quartier et l’agglomération : deux représentations interdépendantes

Les pionniers mentionnent moins le caractère central de Duberger dans l’agglomération que les résidents récents lorsqu’ils parlent de leur expérience du quartier [X= 4,41, dl = 1, p = ,035][1]. Par contre, ils sont plus nombreux à évoquer la tranquillité comme une spécificité du quartier [X= 5,63, dl = 1, p = ,017], surtout lorsqu’ils sont attachés à leur logement. Ainsi, étant donné l’importance et la satisfaction de leur « chez-soi », plus de la moitié des pionniers ne souhaitent pas améliorer leurs conditions de logement. Au plus, ils sont prêts à effectuer quelques rénovations, alors que les résidents récents sont significativement plus nombreux à désirer agrandir leur logement [X= 9,42, dl = 2, p = ,008]. En revanche, il n’y a pas de différence entre les deux groupes concernant les projets individuels de déménagement, même si on exclut les difficultés financières susceptibles d’empêcher leur réalisation. Autrement dit, les facteurs économiques dans le choix résidentiel semblent moins importants pour les résidents récents qu’ils ne l’étaient pour les premiers résidents. D’un côté, les pionniers sont attachés à leur « chez-soi » et ne veulent pas le transformer car ils y trouvent la tranquillité désirée ; de l’autre, les résidents récents préfèrent agrandir l’espace habitable et conserver un lieu de résidence central dans l’agglomération.

Les projets individuels pour l’amélioration du « chez-soi » jouent un rôle important dans le rapport que le citadin entretient avec l’agglomération. D’une part, les résidents qui souhaiteraient déménager pour loger dans un autre quartier ou une autre ville ont une attitude plus favorable vis-à-vis des déplacements urbains que ceux dont le projet consiste à améliorer leur logement ou à intervenir afin d’améliorer le quartier [X= 6,31, dl = 2, p = ,042]. D’autre part, ceux qui ne désirent pas intervenir au niveau de leur logement ou de leur quartier localisent plus de quartiers dans leur représentation de l’agglomération que ceux dont le projet idéal serait de déménager [t = -3,56, dl = 19, p = ,002][2] ou d’améliorer le logement [t = -2,77, dl = 20, p = ,011]. Toutefois, la période d’installation dans le quartier reste le principal facteur qui affecte la représentation et le rapport que le citadin entretient avec l’agglomération dans son ensemble.

Ainsi, les motifs de résidence dans un quartier de banlieue ne sont plus les mêmes : la recherche d’espace et de tranquillité côtoie dorénavant la recherche de centralité et d’accessibilité aux services disponibles dans l’agglomération. Ces deux formes de rapport au quartier affectent le rapport que les citadins entretiennent avec l’agglomération, que ce soit au niveau de leur attitude concernant les déplacements en ville ou au niveau de leur représentation spatiale de l’agglomération. Autrement dit, l’identité spatiale des résidents a évolué. S’agit-il d’un phénomène de génération révélant une évolution des valeurs attribuées à la banlieue ? D’un effet attribuable à l’étalement urbain, le quartier étant devenu central par rapport à l’agglomération dans son ensemble ? Dans ce cas, pourquoi l’identité spatiale des pionniers n’a-t-elle pas elle aussi été transformée ? Les représentations cognitives de l’espace urbain apportent un élément de réponse.

Représentations cognitives de l’agglomération et rapport à l’urbain

Les éléments identifiés dans les dessins à main levée de l’agglomération sont hétérogènes : d’une part, des éléments linéaires comme les routes et les autoroutes urbaines ; d’autre part, des éléments plus singuliers comme les cours d’eau, des bâtiments remarquables, des ponts, etc. (tableau 3). Les éléments de la représentation cognitive de l’espace urbain peuvent être classés en trois catégories : les éléments de surface (quartiers et villes), les éléments linéaires (voies) et les éléments ponctuels (bâtiments, places, etc.). Le fleuve Saint-Laurent, le Vieux-Québec, le parc des Plaines d’Abraham et le quartier Duberger constituent le noyau de la représentation de l’agglomération des répondants ; ils sont fortement cités par les deux générations de résidents. Il s’agit d’éléments soit fortement chargés d’histoire, soit appartenant au quartier de résidence.

Cependant, certains éléments sont propres à un seul des groupes. L’autoroute du Vallon, à l’est du quartier Duberger, les quartiers Neufchâtel et l’Ancienne-Lorette au nord, ou encore le fait de citer la ville de Québec dans son ensemble sont des éléments de représentation spécifiques aux résidents récents. En revanche, le Vieux-Port, la rivière Saint-Charles qui sépare le quartier Duberger du centre-ville, la ville de Lévis sur l’autre rive du Saint-Laurent, l’île d’Orléans et le château Frontenac, sont des éléments essentiellement cités par les pionniers. Le centre ville historique et l’eau sont des composantes importantes de la représentation de l’agglomération des premiers résidents du quartier Duberger. Les résidents plus récents mentionnent plutôt des quartiers ou des villes de l’agglomération et les voies de circulation rapide : par conséquent, la dimension historique et symbolique est moins présente chez eux que chez les pionniers. En effet, alors que le centre-ville de Québec est au sud de Duberger, les éléments urbains spécifiques à la représentation des résidents récents se retrouvent plutôt au nord du quartier. Par exemple, l’autoroute du Vallon ne converge pas vers le centre historique de Québec, mais relie Sainte-Foy à de nouveaux développements et notamment deux centres commerciaux régionaux.

Tableau 3

Éléments constitutifs de la représentation de l’agglomération québécoise

Éléments constitutifs de la représentation de l’agglomération québécoise

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La représentation spatiale de l’agglomération varie aussi selon la durée de résidence dans le quartier Duberger. Les résidents récents semblent avoir une représentation qui s’étaye sur les quartiers de Québec et sur les villes avoisinantes alors que les pionniers mentionnent davantage d’éléments ponctuels, tels que les bâtiments, les places, ou les voies (tableau 4[3]).

Tableau 4

Nombre moyen d’éléments cités selon leur catégorie et la durée de résidence des répondants

Nombre moyen d’éléments cités selon leur catégorie et la durée de résidence des répondants

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Enfin, les résidents récents sont aussi plus nombreux à se représenter l’agglomération comme étant dotée de plusieurs centres alors que les pionniers estiment en plus grand nombre qu’elle n’a qu’un seul quartier central. Toutefois, cette différence n’est significative qu’auprès des citadins qui ont une attitude peu mobile [X=  4,28, dl = 1, p = ,038].

Ces différences entre résidents récents et pionniers, quant à la représentation de l’agglomération de Québec, s’accompagnent d’une différence sur la dimension affective de l’identité spatiale. En effet, les résidents récents de Duberger sont plus nombreux à être plus attachés à l’agglomération dans son ensemble (près de 1 sur 2 comparativement à 1 sur 5 pour les pionniers). Les résidents de longue date se déclarent essentiellement attachés à leur logement ou à leur quartier (plus de 1 sur 2) [X2 = 6,06, dl = 2, p = ,048]. Ces derniers sont aussi plus attachés au Vieux-Québec (plus de 1 sur 4) que les résidents récents (environ 1 sur 8) [X2 = 4,97, dl = 1, p = ,026]. Par conséquent, les meilleurs souvenirs sont plus fréquemment rattachés au quartier Duberger par les pionniers (5 sur 6) que par les résidents récents (plus de 1 sur 2) [X2 = 4,77, dl = 1, p = ,028]. Ces derniers associent plus souvent leurs meilleurs souvenirs à d’autres quartiers de l’agglomération.

Malgré ces observations qui laissent entendre que les pionniers valorisent peu l’accessibilité aux services de l’agglomération, l’analyse de la prédisposition des individus à se déplacer en ville montre que les pionniers ont une attitude plus mobile que les résidents récents. Toutefois, cette prédisposition plus forte à la mobilité quotidienne ne s’observe qu’auprès de la population masculine [t = 2,21, dl = 26, p = ,036], les hommes étant plus souvent chargés de la conduite automobile dans les ménages de cette génération. Dès lors, tout se passe comme si ceux qui recherchent la tranquillité chez eux accepteraient de se déplacer sans pour autant estimer que ce soit une contrainte importante. En revanche, les citadins qui recherchent un lieu de résidence central tenteraient de réduire le plus possible les temps de déplacements et d’améliorer, depuis leur domicile, l’accessibilité aux services urbains. Ces derniers sont toutefois très mobiles malgré leur disposition à envisager la mobilité comme une contrainte. Autrement dit, ils sont très mobiles dès que la destination est accessible. Ces différences générationnelles dans le rapport aux déplacements quotidiens pourraient bien être attribuables au fait que les pionniers sont souvent à la retraite et disposent de plus de temps pour se déplacer que les résidents plus récents (plus jeunes et plus fréquemment actifs).

En résumé, l’espace urbain tel qu’il est perçu et vécu est différent d’un groupe à l’autre. Il diffère tant du point de vue de la structure spatiale que des référents spatiaux constitutifs de la représentation et il s’accompagne d’un rapport spécifique à l’agglomération et au lieu de résidence. Chez les pionniers, la représentation concentrique opposant le centre historique et symbolique à la périphérie s’accompagne d’une identité spatiale localisée et une prédisposition aux déplacements quotidiens. Chez les résidents établis plus récemment, la représentation polycentrique de l’agglomération est associée à une identité spatiale diffuse ainsi qu’à la recherche d’une mobilité quotidienne la moins contraignante possible, valorisant ainsi les lieux aisément accessibles. Plutôt que de découper l’espace urbain en un système de lieux emboîtés, l’accessibilité favorise un découpage en un réseau de lieux connectés les uns aux autres : la qualité de la connexion détermine alors les lieux fréquentés. Toutefois, aucune de ces deux configurations spatiales ne semble constituer un frein à la mobilité quotidienne en général. Autrement dit, ce n’est pas la quantité des déplacements mais leur répartition géographique en fonction des motifs sous-jacents qui sont l’objet de différences entre les pionniers et les résidents récents.

Néanmoins, cette forte relation entre l’identité spatiale et la représentation cognitive de l’espace montre que l’espace vécu diffère fortement d’un groupe de résidents à l’autre, non pas à cause de l’évolution interne du quartier, celui-ci n’ayant que très peu changé depuis les années 1970, mais du fait de l’évolution de sa localisation dans l’agglomération (figure 2). Ces transformations du contexte urbain n’affectent toutefois que les résidents qui se sont installés dans le quartier après l’apparition des autoroutes. Plus que l’espace physique, c’est le rapport à l’espace vécu qui distingue les deux groupes de résidents. En conséquence, bien que les aspects physiques et géographiques participent à cette évolution de l’identité spatiale, ces facteurs semblent secondaires et influencent peu la population pionnière.

Dès lors, sommes-nous en présence d’un effet de génération et lequel? Ce dernier est-il lié au cycle de vie des individus, à l’évolution intergénérationnelle des systèmes de valeurs ? Doit-on l’associer plutôt à l’évolution des générations de résidents dans le quartier Duberger uniquement ? L’analyse de la relation entre territoire de la mobilité quotidienne et les représentations sociospatiales devrait apporter quelques éléments de réponse.

Figure 2

Photographies aériennes du quartier Duberger en 1968 et en 2002

Photographies aériennes du quartier Duberger en 1968 et en 2002

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Deux formes distinctes de mobilité quotidienne

Parmi l’ensemble des comportements de déplacement relevés, seuls ceux liés à l’achat de produits alimentaires sont différents lorsqu’on compare les pionniers et les résidents récents. En effet, les pionniers sont proportionnellement plus nombreux à effectuer leurs achats d’épicerie dans au moins trois lieux distincts, alors que les résidents récents se limitent à un seul endroit, proche du domicile (figures 3a et b) mais généralement hors du quartier. Dans tous les autres cas, les résidents récents fréquentent un plus grand nombre de lieux, notamment pour la pratique des loisirs [X2 = 5,31, dl = 2, p = ,021] et pour les achats d’équipement (figures 4a et b) [X2 = 4,25, dl = 2, p = ,039]. Ils ont aussi plus souvent tendance à se déplacer hors du quartier et à se rendre dans deux lieux distincts pour les visites chez le dentiste [X2=8,09, dl=2, p = ,004]. Les résidents récents sont toujours plus nombreux que les pionniers à fréquenter au moins trois places différentes de l’agglomération avec leurs amis. Bref, les résidents récents fréquentent une plus grande diversité de lieux pour la plupart de leurs activités.

La comparaison des activités des pionniers et des résidents établis plus récemment selon leur localisation dans le quartier de résidence ou hors du quartier confirme la même tendance. Ainsi, les résidents récents sont plus nombreux à effectuer leurs activités hors du quartier Duberger, par exemple, pour fréquenter leurs amis ou se rendre dans une clinique médicale. Les pionniers, quant à eux, sont plus nombreux à rencontrer leurs amis uniquement dans leur quartier. En revanche, la totalité de l’échantillon effectue ses achats (vêtements, équipements, etc.) hors du quartier malgré la présence d’une petite galerie marchande proche de l’église. La pauvreté de l’offre, en comparaison avec les centres commerciaux, est sans doute un facteur d’explication.

Figure 3

Répartition des résidents récents (figure 3a) et des pionniers (figure 3b) selon la localisation des épiceries fréquentées

Figure 3A

Pourcentage de résidents récents qui fréquentent chaque zone, pour les achats alimentaires.

Pourcentage de résidents récents qui fréquentent chaque zone, pour les achats alimentaires.

Figure 3B

Pourcentage de pionniers qui fréquentent chaque zone, pour les achats alimentaires.

Pourcentage de pionniers qui fréquentent chaque zone, pour les achats alimentaires.

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Enfin, lorsque toutes les activités pratiquées par les individus sont projetées sur la même carte (figures 5a et b), la configuration spatiale obtenue renforce la conclusion que l’espace des pratiques urbaines des résidents récents est plus étendu que celui des pionniers. Le territoire des activités des pionniers est relativement homogène et les quartiers les plus éloignés du centre-ville de Québec ne sont pas fréquentés par ces derniers (notamment Saint-Augustin-de-Desmaures et Valcartier, ainsi que les quartiers situés sur la rive sud du fleuve Saint-Laurent). Les quartiers à l’ouest de Duberger sont plus fréquentés que ceux à l’est. Le territoire des activités des résidents récents est particulièrement morcelé. En effet, certains lieux, pourtant à proximité du territoire de résidence, ne sont fréquentés par aucun des répondants (Cap-Rouge, le secteur sud de Duberger et Saint-Émile).

Figure 4

Répartition des résidents récents (figure 4a) et des pionniers (figure 4b) selon la localisation de leurs loisirs

Figure 4A

Pourcentage de résidents récents qui fréquentent chaque zone, pour les loisirs

Pourcentage de résidents récents qui fréquentent chaque zone, pour les loisirs

Figure 4B

Pourcentage de pionniers qui fréquentent chaque zone, pour les loisirs

Pourcentage de pionniers qui fréquentent chaque zone, pour les loisirs

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D’ores et déjà, cette forte relation entre la structure spatiale des déplacements, les significations environnementales, la représentation spatiale et l’attachement au lieu, permet d’écarter l’idée que les résultats obtenus dépendent du cycle de vie des individus. Le fait que la population pionnière ait conservé les représentations de l’espace urbain qui prévalaient lors de son arrivée dans le quartier, ainsi que les mêmes significations environnementales de son quartier, en étant la preuve (Ramadier, 2002).

Figure 5

Répartition des résidents récents (figure 5a) et des pionniers (figure 5b) selon la localisation de l’ensemble de leurs activités

Figure 5A

Pourcentage de résidents récents qui fréquentent chaque zone, toutes activités confondues

Pourcentage de résidents récents qui fréquentent chaque zone, toutes activités confondues

Figure 5B

Pourcentage de pionniers qui fréquentent chaque zone, toutes activités confondues

Pourcentage de pionniers qui fréquentent chaque zone, toutes activités confondues

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Malgré leur faible prédisposition aux déplacements quotidiens, les résidents récents fréquentent beaucoup plus de lieux pour une même activité que les pionniers ne le font. C’est un désir de diversité bien plus que d’appropriation de lieux à l’extérieur de leur quartier qui les motive. Dans le cas des pionniers, malgré un attachement important au « chez-soi », ils ne sont pas confinés à l’espace de leur quartier : ce sont des citadins mobiles. Toutefois, dans leur mobilité quotidienne, ils semblent privilégier la familiarité avec les lieux, attachant des activités particulières à des lieux spécifiques. L’ambiance et les ressources disponibles semblent jouer un rôle dans le choix de ces lieux. En conséquence, les éléments symboliques structurent leur représentation de l’agglomération.

À l’inverse, la mobilité des résidents récents semble s’établir davantage sur une base rationnelle. Les lieux qu’ils choisissent paraissent en partie interchangeables pour peu qu’ils offrent les ressources convoitées. C’est essentiellement l’efficacité du parcours entre le point de départ et la destination qui est importante. Plutôt que la familiarité des lieux, le citadin recherche le contrôle de la situation dans laquelle il s’engage. L’espace des pratiques est ainsi morcelé et certains lieux ne sont en définitive que des espaces de transit.

À l’échelle du quartier, les pionniers se sont installés et continuent à résider à Duberger pour s’éloigner du centre-ville et de ses inconvénients (bruit, manque d’intimité et de sécurité, etc.) alors que la nouvelle génération s’est installée dans un quartier qui leur permet, notamment, de profiter d’une situation géographique stratégique dans l’agglomération. En effet, Duberger offre une excellente accessibilité à toutes les ressources urbaines du fait de cette actuelle situation géographique, mais aussi parce qu’il est bordé par deux importantes autoroutes.

La mise en évidence, tout d’abord, de la relation paradoxale entre l’attitude vis-à-vis de la mobilité quotidienne et la mobilité effective des citadins, et ensuite, de comportements spatiaux différents selon l’activité qui les motive, montre à quel point les déplacements urbains ne constituent pas une entité d’analyse homogène lorsqu’on les aborde depuis l’individu. Autrement dit, il n’existe pas une logique de mobilité, mais plutôt des mobilités quotidiennes largement modulées par les motifs qui les génèrent.

Les résultats de notre étude permettent de poser les trois constats suivants. En premier lieu, on ne peut plus simplement opposer la mobilité à la sédentarité (Hirschhorn, 1996). En deuxième lieu, la complexité des figures de la mobilité en ville est telle, qu’il n’y a plus de modèles dominants mais plutôt un ensemble de schémas comportementaux qui sont tout autant déterminés par l’individu, le groupe auquel il s’identifie, l’activité qui motive le déplacement et la structure urbaine. Enfin, en troisième lieu, on ne peut ni se limiter à envisager la mobilité quotidienne selon un continuum allant des individus hypermobiles aux citadins « sédentaires » ou « confinés », ni se référer uniquement aux comportements observables pour décrire et expliquer les processus sous-jacents à la mobilité quotidienne, ou pour inférer des rapports particuliers à l’espace urbain. Dans ce contexte, l’analyse sociocognitive en relation avec les déplacements urbains est importante car, de toute évidence, les attitudes, les représentations et les identités spatiales interagissent avec les comportements spatiaux.

Si la relation entre les territoires de la mobilité et les représentations sociospatiales semble indéniable, l’analyse fine et nuancée des caractéristiques de cette relation est beaucoup plus difficile à cerner et suppose de considérer des travaux connexes effectués dans l’agglomération de Québec. Tout d’abord, nous avons montré que les observations effectuées ne sont pas le résultat du cycle de vie des individus, mais bien de leur rapport à l’espace, bien que chacune des générations de résidents soit fortement associée à des étapes spécifiques du cycle de vie. C’est, d’une part, une attitude générale à l’égard des déplacements quotidiens qui en rend le mieux compte, c’est-à-dire un glissement vers l’importance de l’accessibilité des lieux pour les résidents les plus récents dans le quartier, accompagné d’un attachement aux lieux diffus. À l’inverse, les pionniers se sont installés dans le quartier en sachant que leur lieu de résidence les amènerait à se déplacer. En conséquence, ils ont une forte prédisposition aux déplacements quotidiens et restent fortement attachés à leur quartier. Cette prédisposition est d’autant plus importante maintenant qu’ils ne sont plus soumis à des contraintes temporelles liées à leur emploi. D’autre part, et c’est le résultat le plus important, la représentation spatiale des individus correspond fortement au territoire de leurs déplacements. En effet, nous observons d’un côté une population pionnière qui se représente l’agglomération selon une structure concentrique qui s’accompagne d’un territoire de déplacements (espace de vie) très homogène, alors que les résidents récents ont une représentation polycentrique de l’agglomération qui correspond à un territoire de déplacements plus étendu et surtout plus morcelé[4].

Certaines études tendent à réfuter l’hypothèse d’un effet intergénérationnel. Ainsi Brais et Luka (2002) montrent que les identités spatiales des résidents de Val-Bélair, un quartier de l’agglomération plus jeune et encore plus excentré que Duberger, sont très proches de celles que nous venons de décrire pour la population pionnière de Duberger. Or, les Bélairois interrogés ont en moyenne entre 35 et 40 ans, soit le même âge que les résidents récents de Duberger que nous avons interrogés. Autrement dit, la proximité de la nature et l’accès à un logements neuf, qui sont le propre des pionniers d’un quartier de banlieue, sont fortement associés au rapport à l’espace suburbain. L’étude de Ramadier (2002) sur les représentations sociales du quartier Duberger et de la banlieue montre, quant à elle, que les significations de la banlieue « générique » sont identiques pour les pionniers et les résidents récents, et qu’elles n’ont pas changé lorsqu’on les compare aux significations signalées par Poulin (1974) 25 ans plus tôt. En revanche, c’est la représentation du quartier Duberger qui distingue les pionniers des résidents récents. Ces derniers n’attribuent plus au quartier les significations associées à la banlieue « générique ». S’ils apprécient les caractères persistants de la banlieue à Duberger, à savoir la tranquillité, la verdure et l’espace, ils investissent moins leur logement d’un point de vue affectif. Au contraire des résidents de Val-Bélair qui se sont établis dans leur quartier dans les mêmes années que les plus jeunes résidents de Duberger, ces derniers privilégient l’accessibilité à l’offre urbaine au détriment d’un logement qui ne répond plus aux normes actuellement recherchées lors de l’achat d’une maison unifamiliale.

Les distinctions entre les groupes interrogés, ainsi que les relations observées entre les territoires de la mobilité et les représentations sont donc d’ordre générationnel à condition d’y inclure une dimension spatiale. Or, parler d’un effet de génération, dans un quartier qui n’a pas connu de bouleversements physiques majeurs à l’intérieur de ses limites, mais plutôt des transformations importantes du contexte urbain qui l’entoure, montre que c’est bien plus le rapport à l’espace urbain que les caractéristiques physiques du quartier qui participe à cette évolution. Par conséquent, nous nous sommes placés dans le champ des représentations et des valeurs, c’est-à-dire de l’espace vécu, plutôt que dans le champ des perceptions, c’est-à-dire des images urbaines déterminées par les caractéristiques physiques des lieux, comme le préconise l’étude de Lynch (1960). C’est alors ce rapport à l’espace plutôt que les catégories sociales qui distingue les modes de vie. Cette conclusion est d’autant plus solide que nous avions cherché à éviter toute différence socioéconomique et socioculturelle significative entre les deux groupes de résidents interrogés. Ainsi, les modes de vie, dont l’expression s’observe par des mobilités quotidiennes contrastées, s’appuient sur des identités spatiales construites à partir des significations environnementales spécifiques et socialement déterminées. Ces significations, conjuguées à une évolution de l’attachement affectif aux lieux à laquelle elles concourent, contribuent à transformer la structure de la représentation spatiale de l’espace urbain. C’est alors ce processus sociocognitif allant des valeurs attribuées à l’espace vers la carte mentale qui participe à la diversification des modes d’appropriation d’un lieu.

Parler de générations de résidents ne se limite donc pas à comparer la durée de résidence des individus. Comme le précise Fortin (2002, p. 137), « Dire que les gens habitent depuis longtemps le même quartier ou la même maison ne révèle pas comment ils les habitent ». Il ne s’agit pas non plus de se limiter aux bouleversements physiques du quartier. Parler de générations de résidents, c’est postuler une relation systémique entre l’individu et le quartier, l’un et l’autre se définissant mutuellement. En effet, ce ne sont ni les caractéristiques du quartier ni celles de l’individu qui expliquent les comportements spatiaux et les représentations qui les étayent. C’est à la conjonction d’un système entre l’individu et le milieu que les explications comportementales ont été recherchées.

La notion de génération de résidents d’un quartier est aussi particulièrement intéressante parce qu’elle permet d’introduire des modulations en fonction de facteurs sociologiques plus larges. En effet, nous avons observé l’évolution de la représentation du quartier Duberger auprès d’une population issue de la couche socioéconomique moyenne de Québec. Mais il n’est pas certain que Duberger soit perçu comme un quartier central par d’autres couches sociales, notamment si elles sont plus aisées ou en ascension sociale même si, par ailleurs, l’importance de l’accessibilité et le caractère multipolaire de l’image de Québec persistent. En effet, Duberger, par analogie à la basse-ville des quartiers centraux, est un quartier de la basse-banlieue pour reprendre les termes de Morin (2002). Certains quartiers de Sainte-Foy sont perçus comme beaucoup plus centraux que Duberger pour les populations qui y résident, du fait qu’ils appartiennent à la haute-banlieue (Morin, 2002). Dans ces cas, leur caractère central relève de la densité du bâti, de l’offre urbaine (Fortin, 1981) et d’une image fortement urbaine pour les résidents : « Sainte-Foy et Sillery, c’est en ville » (Fortin, 2002, p. 149). Autrement dit, nos résultats ont à la fois la force de montrer qu’une diversité des modes d’appropriation de l’espace s’opère au sein d’une même couche socioéconomique, renforçant dès lors l’hypothèse de la cohabitation des modes de vie, et la faiblesse de décrire des rapports à l’espace spécifiques à cette couche sociale.

Outre l’étude des attitudes, celles des représentations sociales de la mobilité quotidienne et de l’espace urbain devraient contribuer au développement de recherches comparatives entre groupes sociaux, voire entre groupes culturels. La diversification des outils conceptuels utilisés pour analyser la mobilité quotidienne devrait fortement contribuer à l’émergence de nouvelles perspectives, notamment sur les dimensions sociales ou culturelles des déplacements urbains.